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De chair et d'âme
Par Eliana
Black Butler  -  Romance  -  fr
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    Chapitre 1     2 Reviews    
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Disclaimer : Les personnages ne m'appartiennent pas, ils sont la propriété de Yana Toboso

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En vérité, avec le temps, les désirs du jeune Ciel Phantomhive avaient considérablement changé. Il n’y avait, dans un sens, rien d’étonnant à cela : l’évolution est naturelle, indissociable de la lente progression temporelle ; et le comte, malgré son étonnante sagacité et son besoin inné de maîtrise, n’y avait guère échappé. Cependant, il s’était fort peu attendu à ce que l’âge s’accompagne de tant de désagréments émotionnels, sur lesquels il perdait peu à peu toute emprise. 

 

_My Lord, vous semblez bien soucieux, nota le majordome d’un ton inquiet. Quelle est donc la source de vos tourments ?

 

L’aristocrate anglais demeura obstinément silencieux, entièrement livré à son accaparante réflexion. 

Le quotidien banal s’était métamorphosé en une succession de sentiments troublants, et somme toute bien avilissants au goût de l’aristocrate anglais. Et, tandis que son « diable de majordome », comme aimait à se surnommer Sebastian, continuait de boutonner la chemise de nuit de son maître, la tête humblement baissée, ce dernier songeait aux sensations scandaleuses que les doigts gantés de son serviteur occasionnaient lorsqu’ils frôlaient son torse encore juvénile. 

 

_Cessez cela, Sebastian, ordonna rudement le garçon, chassant les mains adroites d’une tape réprobatrice.

 

Et, sous le regard surpris de son majordome, il entreprit de boutonner le vêtement afin de poursuivre la tâche inachevée. Mais Sebastian saisit brutalement ses poignets, l’en empêchant.

 

_Maître, cela n’est pas votre...

_Je t’ai donné un ordre, Sebastian. 

_Bien, my Lord, s’inclina-t-il avec un mouvement révérencieux. Désirez-vous quelque chose avant...

_Vaquez à vos occupations, votre vue m’indispose, l’interrompit l’aristocrate d’un ton rude, intransigeant. 

 

Docile, le majordome se releva et quitta la pièce après un dernier salut académique, referma la porte derrière lui avec délicatesse.

Tourmenté, le garçon s’allongea entre les draps de satin blanc, contempla longuement le plafond avant de fermer les yeux pour s’adonner tout entier à une profonde méditation. Les inclinations de son coeur capricieux le confondaient, l’écoeuraient et le couvraient d’une honte intolérable tout à la fois. En s’entichant d’un être de son sexe, le jeune compte déshonorait son rang et sa prestigieuse famille, trahissait les valeurs que, dès sa plus tendre enfance, on lui avait inculquées. Néanmoins les émotions subsistaient, dégradantes et ignominieuses. Il ne se percevait plus que comme un adolescent turpide, offensé de son attachement pour son domestique, dont les années n’avaient pas altéré la beauté et l’élégance raffinée. 

Mais au delà de toute considération éthique, l’aristocrate avait aussi conscience de l’absence d’âme de son majordome. Il n’était jamais fait que de chair et, si son seul dessein était de le servir jusqu’à son dernier souffle, il n’en était pas moins dénué de la capacité d’aimer et, plus simplement, de ressentir. Et cette certitude pénétrait Ciel d’une peine inavouable, car il savait son coeur condamné à subir les effets néfastes d’une présence certes désirée, mais bien cruelle. 

Soudain saisi d’un impératif auquel il ne put ni ne sut se soustraire, il ouvrit les yeux et enjoignit à voix haute :

 

_Viens, Sebastian. 

 

Une poignée de secondes suffirent pour que la porte vétuste se rouvre dans un grincement, et qu’apparaisse le majordome réclamé.

 

_My Lord ? 

_Qu’éprouves-tu ? demanda abruptement l’aristocrate.

_Pardon ? s’enquit ce dernier d’une voix étonnée.

_Je t’ai demandé ce que tu éprouvais, démon, réitéra le garçon avec davantage de dureté.

_Le sens de votre question m’échappe, Monsieur. 

_Tu n’es pas sans savoir que l’âme humaine est sujette à bien des affres, Sebastian.

_En effet, acquiesça platement le serviteur.

_Ce contrat, qui te lie à moi, n’a d’autre but que de t’emparer de mon âme une fois ma vengeance exercée. Mais je puis laisser défiler le temps, aussi longtemps que mon corps sera disposé à affronter l’altération des années. 

_Vous le pouvez si cela est votre désir, Maître. Mais l’issue est inéluctable.

_Parlons-en, de mes désirs.


_Mon devoir est de les exaucer. Mon dévouement pour vous est total. 

_Certains de mes désirs sont impossibles à exaucer.

_Vous me sous-estimez, my Lord, répliqua-t-il avec un fin sourire amusé.

_Nous pouvons bien parier, Sebastian. Tu es dépourvu de l’objet de mes désirs.

 

L’esprit de l’aristocrate fut à cet instant tiraillé par des envies antagoniques. Après tout, il lui était si aisé, de soumettre le démon à ses aspirations haïssables, mais était-ce réellement sa volonté ? Manquait encore une nécessité affective, qui se révélait primordiale à l’opinion de Ciel. Et pourtant, il s’était astreint à une solitude salvatrice qui lui était devenue naturelle au fil du temps, et, désormais la compagnie des hommes lui était bien souvent insupportable. Peut-être justement, ces années passées auprès de son majordome, dont la luciférienne perfection l’avait inévitablement fasciné, l’avaient-ils accoutumé à côtoyer un idéal addictif, auquel il n’était désormais plus capable de se soustraire. 

 

_Voulez-vous dire que je suis dépourvu de coeur, my Lord ? insinua suavement le majordome, amusé. 

_Je veux dire que tu n’es qu’un « diable de majordome », comme tu te plais tant à le répéter. Tu n’as rien d’humain, hormis l’apparence. 

_En cela vous vous fourvoyez, mon Maître. 

 

Curieux, le garçon se redressa, le dévisagea avec une attention inquisitrice.

 

_Je vous concède volontiers que je méprise le genre humain, doté de défauts pathétiques et risibles ainsi que d’une faiblesse émotionnelle parfaitement grotesque. Néanmoins, my Lord, les sentiments ne sont pas propres à l’homme, mais à toute créature dotée de vie. Ce que, je suis, conclut-il avec sa nonchalance posée. En revanche, si par émotions vous référez à celles inhérentes à l’homme alors je possède, indéniablement, une part d’humanité.

 

L’espoir surgit, embrasa le coeur de l’aristocrate qui céda à l’envie indicible qui l’avait aussitôt saisi, avec une puissance implacable.

 

_Enlève tes gants.

 

Le majordome s’exécuta silencieusement, tirant sur les extrémités de ses gants immaculés à l’aide de ses dents, lascif. Sur sa main gauche, s’étalait le motif de leur pacte, identique à celui qui ornait l’oeil droit de Ciel. 

 

_Tu es un être abject, démon, déclara l’aristocrate avec dédain, malgré lui séduit. Tu n’as pas répondu à ma question : qu’éprouves-tu ?

_La question est vaste, my Lord. Mais j’imagine qu’elle porte davantage sur mes sentiments à votre égard, n’est-ce pas ?

 

L’aplomb du compte fut ébranlé par cette répartie à laquelle il ne s’attendait guère. Sa réaction releva de l’agacement et il se ravisa, soudain renfrogné :

 

_Ma question était stupide. Après tout, tu es un démon.

_De l’affection, déclara brusquement le domestique. Relevée d’un zeste d’admiration. Vous êtes d’une intelligence surprenante pour votre jeune âge et d’une rare perspicacité, Monsieur. Vous oscillez entre l’adulte et l’enfant, composez avec la maturité de l’expérience et la sensiblerie juvénile. Vous savez que je ne mens jamais, mon maître.

_Dors avec moi, Sebastian.

_Habillé ou nu, my Lord ? s’enquit ce dernier d’un ton taquin, malicieux. 

 

Les joues du comte s’enflammèrent, tandis que le domestique semblait se délecter de la fureur mortifiée de son maître.

 

_Je ne te permets pas une telle -, s’insurgea Ciel avant d’être interrompu :

_Veuillez m’excuser, Monsieur. Vous voir grandir est pour moi une source d’amusement certain, je  dois bien l’avouer. 

 

Cependant il obtempéra et vint s’allonger auprès du garçon, qui se blottit aussitôt contre lui, posant sa tête sur son torse. Dans le bras gauche de l’aristocrate, le dureté de la montre à gousset du domestique diffusait une douleur importune.

 

_Retire ta veste.

 

Complaisamment, Sebastian se redressa et ôta sa veste queue de pie noire, qu’il plia soigneusement puis abandonna à l’autre extrémité du grand lit à baldaquin. 

 

_C’est parfait, soupira l’aristocrate d’une voix songeuse, apaisé de ses craintes. 

_N’en attendiez-vous pas moins du majordome de la famille Fantomhive ? 

 
     
     
 
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