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La fureur du fleuve
Par SarahCollins
Originales  -  Mystère  -  fr
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    Chapitre 23     Les chapitres     2 Reviews     Illustration    
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Du sang et des larmes

Bruce Springsteen - Point blank

23. Du sang et des larmes

L’amour est sublime et misérable, héroïque et stupide, Francesco Alberani

Johnny Wright n’avait pas de famille. Il n’avait personne.

C’était ce qu’il disait alors qu’il nettoyait tant bien que mal les plaies sur son ventre, assis sur le rebord de la salle de bain. Hank le frappait toujours là où les cicatrices se verraient le moins. Précaution inutile puisque personne ne s’intéressait assez à lui pour remarquer de toute façon. Plus maintenant en tout cas. Michelle, elle, aurait remarqué.

Le visage crispé par la douleur, il se leva et ouvrit le placard recouvert d’une glace fêlée – encore une crise de colère de Hank – situé juste au-dessus du lavabo. Une main sur son côté droit, il farfouilla quelques minutes avant de trouver les pansements qu’il appliqua aussitôt sur ses blessures en serrant les dents.

Il venait de remettre son débardeur quand on frappa à la porte entrebâillée de la salle de bain. Craignant que ce ne soit de nouveau Hank, il demeura là où il était, immobile et silencieux. La porte s’ouvrit pour laisser apparaître Cyrus Brooks.

— Cyrus, comment vous êtes entré ?

— J’ai sonné, ton beau-père m’a laissé entrer, expliqua-t-il simplement. Un mec … particulier, le vieux.

Johnny s’était rhabillé mais il sentait le regard de son chef s’attarder sur lui comme s’il perçait le coton blanc pour détailler ses plaies.

— Vous vouliez me parler de quelque chose ?

— Johnny, tu sais que je te considère comme un membre de la famille. Toi et tous les gars, vous êtes ma famille, insista-t-il, la voix grave.

Le jeune homme hocha la tête, la gorge soudainement nouée.

— Et entre membres de la famille, on s’entraide n’est-ce pas ?

Nouveau hochement. Brooks se rapprocha un peu. La salle de bain était exiguë et Johnny pouvait sentir les émanations de son eau de Cologne.

— Tu sais, Johnny, la plupart des gens diraient dire que c’est une question d’honneur. Que tu ne peux pas laisser Dawson et Fitzgerald parader dans notre ville, sur notre territoire. Que laisser ces deux assassins en liberté, ça rejaillit sur notre réputation à tous. Et ils n’auraient pas tort de dire ça. Mais la vérité c’est que ce n’est pas le pire.

Il s’interrompit un instant pour regarder par la fenêtre, le visage tendu et grave.

— Alors, quel est le problème d’après toi ? Le désir de vengeance ? demanda-t-il.

Il secoua la tête, son visage sombre toujours tourné vers la fenêtre.

— Non, le problème, le vrai problème, c’est la famille. Tu es de ma famille et Michelle l’était aussi. Et la famille, ça se défend. On a essayé de défendre notre famille de manière officielle avec les autorités mais ça n’a pas marché. Ou devrais-je dire, elles n’ont pas marché. Alors on doit se défendre avec ce qu’on a Johnny. Tu dois la défendre. Plus que tout au monde, avec tout ce que tu as dans le ventre, ton cœur, tes tripes. Tout.

« Je dois la défendre comme elle m’aurait défendu, moi. », se dit Johnny. Becs et ongles.

A ce moment-là seulement, il remarqua que comme lors de leur dernière rencontre sur le terrain de basket, Brooks avait une large enveloppe à la main. Il la lui tendit. C’était les mêmes photos que la dernière fois. Mais il y avait autre chose et il comprit ce que c’était bien avant que l’arme ne glisse hors de l’enveloppe.

Le métal froid du revolver contre sa paume, il leva les yeux vers Cyrus Brooks qui ne le quittait pas du regard.

— Tu sais ce qu’il te reste à faire, petit. Examine bien les photos avant de partir.

Et il s’en alla.

Johnny sortit de la salle de bain et se rendit dans sa chambre. Installé sur le lit, les idées claires et la tête froide, il examina attentivement les photos que Brooks venait de lui remettre. Sur l’une d’entre elles, David Fitzgerald et Gregory Dawson étaient attablés à la terrasse d’un café. L’American Dream. Parfait, il savait où c’était.

Méthodiquement, il remit les photos dans l’enveloppe, enfila ses chaussettes puis ses baskets. Il glissa l’arme dans sa poche arrière puis revêtit une chemise à manches courtes qui avaient l’avantage de cacher en partie le revolver.

Il ouvrit le tiroir sur sa table de chevet et en sortit une photo de Michelle et lui prise l’année précédente qu’il glissa aussi dans sa poche.

La première chose que pensa Johnny alors qu’il quittait sa chambre fut que Hank lui ferait regretter la venue du gangster « chez lui » – il avait beau ne pas payer le loyer, c’était comme ça qu’il appelait le miteux appartement des Wright. Comme de bien entendu et comme c’était souvent le cas avec les petits amis de sa mère, Hank était en probation et recevoir un criminel notoire chez lui était le meilleur moyen d’attirer l’attention de la police et de regagner la case prison.  

Fort heureusement, lorsqu’il entra dans le salon, Hank n’était pas là. La télévision était encore allumée mais la pièce était déserte. A en juger par la canette de bière ouverte sur le rebord du canapé, il venait de partir. Se disant que c’était son jour de chance et qu’il ferait mieux de déguerpir avant son retour, Johnny s’en alla.

Il avait beau faire partie des BSD depuis des années, il ne manipulait pas souvent des armes et la sensation du revolver contre sa fesse et le haut de sa jambe était étrange. Fascinante mais rassurante. Étrangère et familière à la fois.

Il dévala les escaliers. Les gens qui venaient pour la première fois dans cet immeuble respiraient souvent par la bouche lorsqu’ils montaient ou descendaient les escaliers en raison de l’odeur putride qui s’en dégageait mais Johnny avait tellement l’habitude qu’il n’y prêtait même plus attention. Cela faisait trop longtemps qu’il vivait là pour se laisser distraire par ce genre de petits détails.

Il se rappelait qu’un jour, des inspecteurs de police avaient débarqué chez eux pour interroger sa mère à propos d’un crime commis plusieurs années auparavant. Ils avaient eu la chance de tomber sur un de ses rares « bons » jours et elle avait répondu à leurs questions sans faire d’histoire. En préambule, il lui avait demandé si elle vivait déjà dans l’immeuble à l’époque du crime et elle leur avait répondu : « Ouais, je vivais ici en 1987, en 97 et je serais probablement encore là en 2027 ». On ne partait jamais vraiment de South Side, disait certains de ses habitants. Pas sur ses deux pieds en tout cas.

OooOo

C’était étrange, si on y pensait. En tant que détective, Peter avait l’habitude de travailler seul, c’était ce qu’il faisait la majorité du temps. Il avait commencé dans l’agence de détective privés de son père mais dernièrement, il volait en solo. Il avait résolu des meurtres presque tout seul. En toute modestie. Pourtant, travailler sans Jenny lui semblait désormais tâche insurmontable.

Bien sûr, cela n’avait rien à voir avec Jack Kerrigan. Ou le fait que Jenny soit parti à New York avec ledit Kerrigan pour fouiller de fond en comble son appartement.

Dire qu’il était passablement agacé de ne pas avoir pensé plus tôt que l’enregistrement pouvait s’y trouver serait bien en-dessous de la réalité. Et pour ne rien arranger les choses, il avait fallu qu’il doute de Jenny ensuite.

Il ressentait un besoin impétueux de l’appeler sur-le-champ mais il n’avait rien d’urgent à lui dire, aussi abandonna-t-il cette idée. Le meilleur moyen de se racheter, aux yeux de Jenny comme aux siens, c’était d’honorer sa promesse et de retrouver sa fille.

Dans la famille « claire comme de l’eau de roche mais il m’a fallu deux jours comprendre », Peter avait aussi le message de l’avocate de Barbara Simmons. Il avait fini par comprendre ce que son « ce que vous cherchez se trouve au sous-sol voulait dire ». Une seule explication tenait la route.

L’avocate aux manières un peu brusques lui avait bien précisé que sa cliente avait reçu son message téléphonique. Celui où il lui demandait des renseignements sur une adoption datant de 1997. Donc, si on déroulait le fil, les informations concernant d’anciennes adoptions se trouvaient au sous-sol des bureaux de Save Children.

La mauvaise nouvelle c’était que la mansuétude de la vieille dame n’allait visiblement pas jusqu’à lui donner les clés du siège. Ce qui signifiait qu’il allait devoir s’y introduire par effraction. La bonne ? Sa côte avait cessé de lui faire mal et il ne boitait plus. Enfin plus trop.

Avec un soupir et bon nombre de grimaces, Peter descendit les escaliers qui menait au parking, à l’arrière du motel.

Il faisait nuit noire quand il ouvrit la portière de sa Corvette rouge et se glissa derrière le volant. Il avait attendu le plus tard possible pour ne pas prendre de risque inutile. Il doutait que la police fasse surveiller le bâtiment et il savait qu’il n’y aurait pas d’employés à pareille heure mais il devait se montrer prudent. Sa convalescence avait beau être en bonne voie, sa jambe le lançait encore et il se voyait mal fuir à toutes jambes si quelqu’un devait le surprendre.

Il était étrange de conduire dans les rues quasi désertes de Charlestown, enveloppées d’une épaisse couverture noire d’où ne perçaient que quelques faisceaux de lumière. Ici, une fenêtre au troisième étage d’un immeuble. Là, un fast-food sur le trottoir d’en face. Il avait l’impression d’être le roi de la ville, qu’elle lui appartenait. Il sentait l’adrénaline monter, pour la première fois depuis longtemps. Si tout se déroulait comme prévu, il n’allait pas faire quelque chose de particulièrement dangereux mais au moins, il allait faire quelque chose.

Une demi-heure plus tard, le détective avait réussi à s’introduire sans encombre dans les bureaux de l’association. Une fois à l’intérieur, il ne s’attarda pas à l’accueil et se rendit directement dans le bureau de Barbara Simmons. C’était elle qui lui avait fait transmettre ce message des plus énigmatique aussi supposait-il que c’était de ce côté-là que se trouvait la clé du mystère.

Il referma la porte derrière lui. Comme l’accueil et la salle de conférences où Jenny et lui avaient été reçus, des photos d’enfants en compagnie de leurs parents adoptifs ou des Simmons eux-mêmes habillaient les murs. Un large bureau en bois de chaîne trônait au centre de la pièce, une photo de Barbara et Mark sur le coin gauche. Pas la moindre de Daniel Ariyoshi.

Il observa les photos qui ornaient les murs à la recherche d’un visage connu ou d’un bébé non-caucasien mais il fit chou gras. Ce n’était pas grave. De toute façon, Mme Simmons – enfin, son avocate – avait bien précisé le sous-sol.

Peter s’agenouilla. Ou plutôt tenta-t-il de le faire. Sa jambe qui avait plutôt bien tenu le coup jusqu’à présent cria grâce. Il pouvait presque entendre grincer sa rotule. Un léger rictus aux lèvres, il se redressa en s’appuyant sur le rebord du bureau.

Le bureau. Il venait d’avoir une idée. Il se décala de quelques pas, prit une profonde inspiration et poussa de toutes ses forces le lourd meuble vers la droite. Il lui fallut de longues minutes pour l’écarter complètement mais il y parvint. Il souleva le tapis avec son pied et sourit. Bingo !

Juste là où s’était trouvé le bureau, il y avait ce qui ressemblait à l’entrée d’une trappe. Il soupira. Cette fois, il allait devoir se baisser pour l’ouvrir. Il souleva la porte qui aux yeux d’un observateur non-averti se fondait parfaitement avec le plancher. Il descendit une dizaine de marches, uniquement éclairé par la lumière de son téléphone portable qui lui servait de lampe torche.

Il venait d’entrer dans une salle des archives, comprit-il. Les murs étaient recouverts d’étagères qui croulaient sous les cartons. En s’approchant, Peter vit que chacun était marqué au feutre noir avec une date. Il fit courir ses doigts le long de l’étagère jusqu’à trouver l’année qu’il cherchait. 1997.

Sept cartons. Il pensa les embarquer avec lui pour les examiner à tête reposée dans un environnement davantage propice à la recherche mais renonça à l’idée. Il lui faudrait effectuer plusieurs voyages entre le bureau et sa voiture et ainsi accroître le risque d’être surpris. Sans parler de s’introduire une nouvelle au siège de SC pour remettre les dossiers à leur place.

Non, autant les examiner ici et maintenant, se dit Peter.

Il s’assit à même le sol, froid et recouvert d’une fine couche de poussière, et attrapa le premier carton. Il commença à lire.

Il tentait de rester concentré mais ce n’était pas tâche aisée. Toutefois, à chaque fois qu’il sentait ses yeux se fermer, son attention diminuer et qu’il se disait qu’il valait mieux revenir une autre fois, il pensait à Jenny. Et à la promesse qui lui avait faite. Si une nuit banche était le prix à payer pour retrouver sa fille, il signait des deux mains.

Avec une énergie retrouvée, il reprit sa lecture.

Il était arrivé au cinquième carton quand il se rappela sa conversation avec l’inspecteur Ackles à l’hôpital. Il s’était demandé comment le faux Andre Gold, alias Derek Bishop, avait découvert les circonstances de la mort de sa mère biologique. La réponse se trouvait sans doute dans cette pièce. En tant qu’employé modèle et assistant personnel de Barbara Simmons, il n’avait sans doute pas été difficile de s’introduire en douce ici.

Une autre question taraudait le détective. Pourquoi diable la vieille dame avait-elle conservé tous ces dossiers – Peter en était certain – à l’issu de son mari ? Était-ce parce que, à l’instar de son ancienne employée Sally Quinn, elle cherchait à vérifier que les enfants adoptés se portaient bien ? Ou peut-être pour se remémorer tout le « bien » qu’avait accompli Save Children ?

Il était si absorbé par sa réflexion qu’il faillit la manquer. La photo d’une petite fille née en mars 1997. Une petite fille métisse. Peau mate et déjà une petite touffe de cheveux sombres et crépus sur la tête. Mère biologique : blanche. Père biologique : afro-américain. Adoptée quelques jours après sa naissance par un couple mixte qui vivait à Charlestown.

Le cœur battant la chamade, il sortit la photo que Jenny lui avait confié avant de partir pour New York avec Kerrigan. Il s’agissait de celle prise à la maternité juste après l’accouchement, la seule qu’elle possédait de sa fille. Il posa les deux photos au sol et utilisa son portable pour les éclairer au maximum. Il retint son souffle. Il n’en aurait pas mis sa main à couper mais il pensait qu’il s’agissait du même nourrisson. Et les dates concordaient au jour près.

Il parcourut le dossier, notant dans un coin de sa tête les professions des parents adoptants. Il remarqua que l’espace réservé à la somme payée par la famille avait été laissée vide. Était-ce une simple erreur ? Ou cette absence prouvait-il que cette adoption avait été réalisée en dehors du circuit habituel de SC, peut-être comme faveur accordée à une ancienne employée dévouée ?

Il continua de lire le dossier. A la fin de la fiche parents, il y avait une adresse.

Peter savait que le plus raisonable eut été d’attendre le lendemain pour mener ses recherches, vérifier si la famille vivait toujours dans le coin puis leur rendre visite mais il ne pouvait pas attendre. Pas si proche du but.

Au pire, il se rendrait chez eux au milieu de la nuit pour découvrir qu’ils avaient déménagé. Dans ce cas, oui, il rentrerait à l’hôtel et remettrait à plus tard. Mais pas avant.

Il rangea le reste des dossiers de l’année 1997 et remonta vers le bureau.

S’il se sentait éreinté encore quelques minutes auparavant, toute trace de fatigue avait désormais disparu, remplacée par l’excitation familière qui accompagnait toujours une découverte majeure dans une enquête.

Il reprit la route, les mains collées au volant mais ses petites cellules grises tournaient à plein régime pour trouver la meilleure approche. Il décida finalement que la franchise serait sa meilleure alliée.

Bientôt, il était arrivé à l’adresse indiquée. Il prit une longue inspiration pour se forcer à se calmer et descendit de voiture.

Il traversa le petit jardin devant la maison de taille modeste et toqua. On avait dû l’entendre arriver car un homme noir, chauve mais à la barbe poivre et sel, lui ouvrit aussitôt.

En chemin, Peter avait répété son petit laïus. Il sortit sa carte de l’agence de détective et expliqua qu’il recherchait une petite fille adoptée via Save Children en mars 1997. Il s’excusait de venir aussi tard mais sa cliente, la mère biologique, avait insisté pour qu’il obtienne des résultats dans les plus brefs délais. Vous comprenez, avec toutes les rumeurs qui courraient sur SC, insista Peter. Cela fonctionna.

Une fois assis dans le petit salon et après avoir refusé une tasse de café, il sortit la photo de Jenny à la maternité, le bébé entre ses bras, et la tendit au couple. L’homme hocha la tête sans rien dire.

— C’est elle, confirma son épouse, une femme mince aux yeux clairs et à la chevelure striée de fils d’argent. C’est notre petite fille.

Peter sentit sa gorge se nouer. Il avait réussi, il l’avait retrouvée. Quand il allait dire ça à Jenny !

— Alors, l’adoption n’était pas … légale ? voulut savoir le père.

Peter comprit où il voulait en venir à demi-mots.

— Il n’y aura pas de répercussion juridique. Personne ne viendra vous retirer votre fille. Ma cliente cherche juste à savoir quel genre de famille a adopté leur enfant pour s’assurer qu’elle va bien, précisa-t-il. Elle a peur qu’elle ait été maltraitée, après avoir entendu ce qui se tramait à Save Children.

Nelson Duncan se tourna vers sa femme, l’air incertain. Elle ne le regardait pas, les yeux rivés sur un portrait au-dessus de la télévision. Une adolescente à la peau mate, chevelure sombre et épaisse et un sourire éclatant.

— Au fond de nous, je crois qu’on a toujours su qu’il y avait quelque chose d’étrange, finit par déclarer M. Duncan.

— Par rapport à l’adoption ?

— Oui, ça ne semblait pas aux normes. Deliah et moi essayions d’avoir un bébé depuis presque dix ans, dit-il d’un ton presque suppliant. On a tout tenté – acupuncture, plusieurs fécondations in vitro, … - mais rien ne marchait. Alors on a pensé à l’adoption. Save Children était l’agence la plus renommée de la région donc nous nous sommes adressés à eux.

Peter regarda à nouveau la photographie, un vague sentiment de déjà vu le gagnant.

Pendant que Duncan parlait, il effectua un calcul rapide. La fille de Jenny avait vu le jour en mars 1997 aussi le couple avait-il dû s’adresser à SC quelques mois avant. Des années, cependant après la mort de Uliana et le départ de Sally. Barbara Simmons prétendait qu’à cette époque, les adoptions étaient aux normes, qu’ils avaient cessé de trafiquer les actes de naissance pour faire passer les mères adoptives pour les mères biologiques des bébés. Elle soutenait aussi qu’ils réalisaient de sérieux contrôles quant au passé des couples candidats à l’adoption.

Mais Sean Vogel était à peine plus âgée que la fille de Jenny et à l’évidence, aucun contrôle de la sorte n’avait été effectué sur ses parents. Pas avant qu’il ne soit trop tard en tout cas.

Peter voulait croire que les Duncan étaient des gens biens, qu’il n’avait pas essayé de contourner la loi et surtout, qu’ils n’étaient pas de mauvais parents. Il voulait y croire de tout son cœur. Mais il avait besoin de plus.

— Comment avez-vous compris que quelque chose clochait ? demanda-t-il.

Cette fois encore, ce fut Nelson Duncan qui répondit.

— Pour être honnête, je crois qu’on le savait dès qu’on nous a mis Michelle dans les bras. Voyez-vous, nous étions ressortis enthousiastes de notre premier rendez-vous avec Mark et Barbara Simmons et tout semblait parfait jusqu’à ce qu’ils nous parlent de leurs prix.

— Trop élevés ? devina Peter.

— Beaucoup trop. On avait beau vouloir un enfant de tout notre cœur, on ne pouvait pas se le permettre. Pas avec des salaires de prof et de chauffeur de bus.

Il soupira. Le détective sentit un malaise se répandre dans le salon alors que M. Duncan regardait une nouvelle fois son épouse. A nouveau, elle ne lui prêta pas la moindre attention. Peter se dit que cette tension diffuse était liée à l’évocation de leurs revenus modestes et peut-être à la honte que Duncan devait tirer de ne pas avoir pu offrir à son épouse ce qu’ils désiraient avec tant d’ardeur. Mais il avait l’impression qu’autre chose, plus sinistre, couvait sous la surface.

— Bref. Tout ça pour dire qu’on n’avait pas les moyens de s’offrir leurs services alors on a laissé tomber. Je pensais que c’était fini pour ce qui était de l’adoption. Ç’a été une période très dure pour Del et moi. Je voulais qu’on passe à autre chose, qu’on essaie de se construire une belle vie, même sans enfant mais Del refusait d’abandonner. Et puis, on a reçu un appel de Mme Simmons. Je me souviens avoir décroché juste avant de partir au boulot. J’ai failli laissé sonner parce que j’étais déjà un peu en retard, se rappela-t-il.

— Que vous a-t-elle dit ? le pressa Peter qui, sans s’en rendre compte, s’était penché au bord de son fauteuil.

— Qu’elle avait un bébé à nous proposer. Une petite fille métisse d’à peine quelques jours. Elle m’a dit que si nous étions toujours intéressés, nous pouvions signer les papiers sur le champ.

— Et pour l’argent ?

Duncan évita son regard.

— Elle a dit que ce ne serait pas un problème, qu’ils étaient prêts à baisser le prix de manière significative pour qu’on puisse adopter la petite rapidement. J’avais dit oui avant même d’avoir eu le temps de réfléchir.

Il prit une profonde inspiration et Peter remarqua que ses yeux sombres étaient embués de larmes.

— Deliah dormait dans notre chambre. Je suis montée la voir, je l’ai réveillé et je lui ai dit : nous avons un bébé. Nous sommes allés au siège de SC. Il était tard, il n’y avait personne à part madame Simmons. Elle nous attendait dans son bureau, le bébé dans ses bras. Elle nous l’a confiée sans un mot. Je sais de quoi ça a l’air, poursuivit-il après un long moment de silence. On aurait dû savoir que c’était étrange mais quand on veut vraiment croire en quelque chose ... Comprenez-moi, monsieur Westerfield, je n’essaie de justifier ce que j’ai fait. Mais je veux que vous sachiez que nous ne sommes pas de mauvais bougres. Nous n’avons jamais maltraité Michelle. Et tout ce qu’on avait, on le lui a donné.

Cette fois, il pleurait pour de bon. Le cœur de Peter s’accéléra légèrement. Quelque chose le taraudait mais avant qu’il n’ait pu s’appesantir dessus, Duncan avait repris la parole.

— Mais bien sûr, je comprends que pour votre cliente, notre parole ne soit pas suffisante.

— Je crois qu’elle aimerait juste parler à sa …, enfin à votre fille elle-même. Peut-être pourrions-nous convenir d’un rendez-vous.

— Ce ne sera pas possible, murmura Duncan.

— Il s’agit juste d’une seule rencontre. Elle ne tient pas à s’immiscer dans votre vie ou quoi que ce soit de la sorte, je vous assure.

— Je vous crois mais …

— Michelle est morte.

C’était Deliah Duncan. Elle n’avait pas détourné le regard du portrait de sa fille qui lui renvoyait un sourire étincelant.

— Elle … Il y a un mois et demi. Elle nous a dit qu’elle allait passer la soirée chez sa meilleure amie mais en fait, elle allait chez son tuteur et elle ne nous est jamais revenu.

Peter ferma les yeux. Duncan, Michelle Duncan. Voilà d’où venait cet étrange sentiment de déjà-vu. Michelle était la jeune fille dont la mort avait provoqué les émeutes du mois dernier et l’incendie du Quinn’s.

OooOo

Il faisait trop chaud, pensa Johnny. Sa chemise collait à son dos, des gouttes de sueur coulaient le long de son visage pour venir s’écraser contre le col du vêtement. Le bandeau rouge qu’il arborait toujours, signe de son appartenance au BSD, collait à son front.

Il envisagea d’abaisser la fenêtre de la voiture mais il ne voulait pas attirer l’attention sur lui. Surtout pas. Il montait la garde devant le bar l’American Dream, garé sur le trottoir d’en face et planqué dans une voiture passe-partout et il devait rester discret.

Il surveillait David Fitzgerald et Gregory Dawson, occupés à faire la fête dans leur établissement favori. Les deux étudiants étaient attablés en terrasse avec un groupe d’amis et profitaient, à quelques kilomètres seulement du pont par-dessus lequel ils avaient jeté le corps de Michelle, de la nuit tombante. Comme si de rien n’était.

Johnny avait beau observé Dawson avec plus d’attention – puisque c’était lui qui prétendait sortir avec la jeune fille – il ne put s’empêcher de remarquer l’attitude de son ami et complice. Assis en terrasse, Fitzgerald paraissait bien moins à son aise. Il riait aux blagues de l’autre mais avec un petit temps de retard, le sourire plus hésitant, plus timide. Les teintes ambrées du soleil couchant jetaient des fils d’or sur la chevelure claire de son ami.

Sans les quitter des yeux un seul instant, l’adolescent se débarrassa de sa chemise et sans même regarder, la jeta à l’arrière de la voiture.

Presque au même moment, Fitzgerald et Dawson se levèrent. Le blond lança quelques billets sur la table. Ils prirent congé de leurs amis avant de s’éloigner de leur côté. Ils montèrent en voiture, un coupé rouge tape à l’œil. Dawson conduisait.

Parfait. C’était ce que Johnny avait espéré. Ils étaient seuls à présent.

Il leur laissa un peu d’avance avant de leur emboîter le pas et de les filer. L’arme fournie par Cyrus Brooks était posée à côté du tableau de bord.

Il les suivit à distance raisonnable pendant une dizaine de minutes. Pour rentrer chez les Fitzgerald, qui possédaient la propriété privée la plus large de la ville, ils devaient emprunter Broadway Street puis rejoindre le pont avant de le quitter et de s’enfoncer dans les rues sinueuses et bordées de haies de Silver Lake. Mais Johnny n’avait pas l’intention de les laisser aller jusque-là. Ils ne quitteraient pas le pont.

Cependant, les deux étudiants ne semblaient pas retourner chez les Fitzgerald. Ils auraient déjà dû bifurquer depuis plusieurs minutes mais au lieu de cela, ils continuaient droit devant, là où le pont quittait la terre ferme et enjambait le fleuve Hudson. Là même où ils avaient balancé Michelle comme un vieux détritus.

Soudain, Johnny appuya sur la pédale et accéléra violemment. L’avant de sa voiture heurta l’arrière du coupé sport à pleine vitesse. Sans prêter attention à son rythme cardiaque croissant, il emboutit une nouvelle fois le véhicule flambant neuf. La voiture des deux étudiants fut forcée de ralentir puis s’arrêta. Johnny sourit et se gara à son tour. Il glissa le revolver dans sa poche et sortit, indifférent aux coups de klaxon qui s’élevaient déjà derrière lui.

Il pensait qu’il serait paralysé par le stress, l'angoisse, la peur d’être pris ou de ne pas l’être. D’échouer ou de réussir. Mais, non, il ne l’était pas. Il n’avait pas peur. Il ne ressentait pas. Il voyait juste le visage de Michelle.

Au moment où il sortit l’arme de sa poche, il comprit qu’il avait toujours voulu faire cela, bien avant que Brooks ne le lui suggère.

— Mec, putain, c’est la voiture de mon père ! s’écria David Fitzgerald en se passant la main dans les cheveux. Mais qu’est-ce que t‘as foutu ?

Dawson dut lui comprendre qu’il se tramait quelque chose car il s’enfuit à toutes jambes. Son meilleur ami n’eut pas cette chance. Johnny tira sur Fitzgerald. Une, deux, trois fois. Sa bouche forma un o de stupeur avant de se figer. La poitrine criblée de balles, il tituba en arrière puis tomba par-dessus la barrière et dans l’Hudson.

Envahi d’une sérénité nouvelle, Johnny redescendit tranquillement la route. Des gens criaient, hurlaient. Il s’en fichait. Il continuait de marcher, le regard fixé sur le dos de Gregory Dawson qui courrait.

Il le rattrapa. Piégé, l’assassin de Michelle tenta de plaidoyer.

— Non, attends, je t’en …

Trop tard. Johnny leva son arme et tira. Une seule balle suffit. Il contempla le corps de l’étudiant. Il était tombé au sol, les yeux encore ouvert, un filet de sang au coin de la bouche. Johnny ne bougea pas d’un pouce, l’arme chaude contre sa paume. C’est ainsi que la police le trouva.

 

 
 
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