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La fureur du fleuve
Par SarahCollins
Originales  -  Mystère  -  fr
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    Chapitre 6     Les chapitres     2 Reviews     Illustration    
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Le passé ne meurt jamais

Cat Stevens – Wild world

6

Le passé ne meurt jamais

Plus loin on regarde vers le passé, plus loin on voit vers l'avenir. Winston Churchill

Matt observa les agents du labo et les policiers en uniforme quitter l'immense propriété des Fitzgerald. Adossé à sa voiture, il aperçut à seulement quelques mètres de lui Gary et Susan Jones. Les employés de maison contemplaient le ballet incessant d'agents de police et de techniciens. Fidèles à leur nature franche et directe, ils n'essayaient pas de cacher leur incrédulité. Ils se tenaient serrés l'un contre l'autre, devant leur petit logement de fonction, comme s’ils cherchaient à se protéger.

Dans l'éclatante lumière de cette matinée de mai, la résidence Fitzgerald paraissait encore plus vaste, plus impressionnante qu'elle ne l'était en réalité. La puissance et l'étendue de cette immense domaine symbolisait tout le poids, toutes les implications de l'affaire Michelle Duncan.

L'inspecteur Lansky, qui menait la perquisition en l'absence de Ronnie Becker, secoua la tête.

— Désolée, on n'a rien trouvé de suspect. On va quand même embarquer l'ordinateur de Fitzgerald Junior. Si on trouve des e-mails suggestifs ou des photos de Michelle avec Gregory Dawson, ça prouvera au moins qu'il n'a pas menti au sujet de la liaison.

— Et les Jones ? Ils continuent de dire qu'ils n'ont rien vu ce soir-là ?

— Ouais. Mais, regardez autour de vous, dit l'inspecteur Lansky en englobant d'un large geste toute la propriété. Cette baraque est immense, avec plusieurs entrées secondaires. Qu'ils n'aient pas vu Michelle ne signifie pas qu'elle n'était pas là samedi soir. Et puis, on ne peut pas écarter l'idée que les Jones nous mentent.

— Pourquoi feraient-ils ça ?

— Pour ne pas se faire virer, répondit simplement la policière. Par les temps qui courent … Quand vous avez un boulot, vous faites le maximum pour le conserver, surtout à leur âge.

— De là à couvrir un acte criminel ... On parle de la mort d’une adolescente tout de même.

Lansky haussa les épaules avant de s'éloigner vers sa voiture. Déçu par les piètres résultats de la perquisition, Matt remonta dans son propre véhicule.

Il se glissa derrière le volant et se laissa tomber contre le siège. Il sentait déjà poindre un début de migraine et sa journée de travail était loin d'être terminée. La fouille n'ayant rien donné, il espérait de tout cœur que l'inspecteur Becker ramènerait de Camden de meilleures nouvelles. Alors qu'il envisageait sérieusement de piquer un petit somme à l'arrière, son téléphone portable sonna.

En parlant du loup …

Esquissant un sourire en reconnaissant le numéro de Ronnie, il décrocha.

— J'espère que vous avez de bonnes nouvelles, dit-il en guise de salutation.

— La perquisition n'a pas été fructueuse ? devina son interlocuteur.

— Absolument pas. J'ai aussi un mandat pour la maison à Camden et leurs voitures mais je doute qu'on y trouve quelque chose.

— Probablement pas, reconnut Becker. Ils sont suffisamment malins pour s'être débarrassé de toutes les preuves incriminantes si elles existent. Surtout que la mort de Michelle remonte à une dizaine de jours.

Oubliant qu'il ne pouvait pas le voir, Matt hocha lentement la tête. Il regardait les Jones regagner leur petite maison.

En les voyant arriver, le couple avait tenté d'empêcher les policiers d'entrer, répétant qu'ils n'étaient pas les propriétaires de la maison, qu'ils devaient appeler les Fitzgerald d'abord. Mais, avec le mandat qu'il avait obtenu tôt dans la matinée, ce n'était pas nécessaire, comme le leur avait patiemment expliqué Matt.

— Matt, vous êtes toujours là ?

— Euh … oui, oui. Vous disiez ?

— Que j'avais découvert quelque chose sur David et Gregory. Avez-vous déjà entendu parler de la fraternité Alpha Kappa Gamma ?

— Oh que oui, se souvint le substitut du procureur.

Les membres de AKG avaient défrayé la chronique quelques mois auparavant, en raison de chants jugés incitatifs au viol et particulièrement grossiers. L'un d'entre eux commençait ainsi : « Non veut dire oui, nous adorons les p... de Sullivan Lawrence ». Charmant. Voilà qui donnait envie d'envoyer ses enfants à l'université.

— Je suppose que David et Gregory sont membres de ladite fraternité.

— Exact.

— Mais j'ai entendu dire qu'elle avait été dissoute depuis. Ou bien je confonds avec une autre ? Il y a eu tellement de scandales et de rumeurs à propos d’agressions sexuelles dans les fraternités ces dernières années ...

— En fait, elle a seulement été suspendue. Vu le tollé provoqué par les chants et les articles incendiaires dans la presse, le doyen de Sullivan Lawrence n'avait guère d'autre choix. Ça commençait à faire désordre. Mais, d'après ce qu'on m'a dit, l'université n'a pas toujours été aussi sévère avec ce genre d'incidents. Elle en a même laissé passer d'autres beaucoup plus graves.

Complètement éveillé à présent, Matt lui demanda de préciser.

— Lors d'une fête organisée par la fraternité en octobre dernier, il y aurait eu un viol. J'emploie le conditionnel parce que jusqu'à maintenant, aucune plainte n'a été déposée. La fille est allée voir l'administration mais apparemment, ils lui ont conseillé de … Comment dire ? Garder ça pour elle, enterrer l'histoire, ne pas porter plainte, choisissez le terme qui vous convient.

— Donc, officiellement, il ne s'est rien passé, railla Matt.

— C'est pratique, n'est-ce pas ?

— Révoltant plutôt.

— En tout cas, c'est tout bénéf' pour la réputation de la fac et les membres de AKG. Mais, même s'il n'y a pas eu de plainte ni de procès, des rumeurs courent sur le campus et il n'a pas fallu très longtemps pour qu'elles remontent à mes oreilles.

— Je vous écoute.

— La jeune fille s'appelle Carmen Ross et était étudiante en première année au moment des faits. D'après ce qu'elle a raconté à des amis après la soirée, elle avait trop bu mais pense qu'on l'a également droguée avec un mélange de LSD (qu'elle a ingurgité volontairement) et de GHB.

— Je suppose qu'elle ne savait pas qu'elle prenait du GHB.

— Non. Quand elle s'est réveillée, elle se trouvait dans une des chambres de l'étage, avec plusieurs garçons qu'elle ne connaissait pas. Elle était nue sur un lit, et l'un de ces enfoirés était allongé sur elle. Apparemment, les autres rigolaient.

Matt ferma les yeux, en marmonnant un juron.

— Ouais, comme vous dites. Quand ils ont eu terminé avec elle, ils l'ont forcée à se doucher avant de la laisser rentrer à sa résidence. D'après ce qu'elle m'a dit, c'est David Fitzgerald lui-même qui l'avait invitée à la soirée mais il ne l'a pas violée. Il n'était même pas dans la chambre au moment de l'agression.

— Je suppose que Gregory Dawson était là, lui ?

— J'ai parlé à Carmen Ross hier soir et elle m'a certifiée que lui l'avait bien violée.

— Vous avez pu la voir ?

— Oui. Son ex-petit ami m'a expliqué qu'elle vivait chez ses parents maintenant. Après la fête et le viol, elle ne se sentait plus capable de continuer ses études ni de devoir affronter ses agresseurs tous les jours alors elle est retournée chez eux. C'est pour ça que je ne vous ai pas rappelé hier soir : je me suis rendu à Albany, chez les Ross. Elle pense qu'elle a une responsabilité dans ce qui lui est arrivé, comme beaucoup de victimes de viol. Elle est assez…fragile, finit-il par déclarer.

— J'imagine oui. Est-ce que vous pensez qu'elle est assez forte pour témoigner contre eux, supporter un éventuel procès ?

— Je ne sais vraiment pas, Matt. J'essaierais de la convaincre mais ce ne sera pas facile.

— De toute façon, on a assez pour arrêter ces deux-là maintenant, dit-il avec un sourire sombre mais satisfait.

OOoOo

Le contraste offert par David Fitzgerald et Gregory Dawson n'aurait pu être plus frappant, se dit Matt.

Le premier, incapable de cacher son anxiété, semblait pâle et passablement inquiet quand il entra dans la salle d'interrogatoire. Les policiers l'avaient arrêté pendant son entraînement – il appartenait à l'équipe de football – et il n'avait pas eu le temps de prendre une douche avant de se rendre au poste. Il portait encore son survêtement à l'effigie de Sullivan Lawrence à son arrivée.

Gregory Dawson, au contraire, avait presque l'air de les attendre. Il se trouvait chez lui, impeccable dans sa veste noire et son jean, et n'avait pas manifesté la moindre surprise en voyant les policiers. Était-il possible qu'on l'eut averti de leur arrivée ? Matt en doutait : les seuls au courant de la perquisition menée plus tôt dans la journée étaient les Jones et ils ne travaillaient pas pour la famille de Greg. S'ils avaient dû prévenir quelqu'un, c'était forcément David, et non Gregory.

Les deux étudiants étaient interrogés séparément, Gregory par l'inspecteur Becker et David par l'inspecteur Fran Lansky.

Comme souvent, Matt n'entrait pas dans la salle d'interrogatoire même s'il supervisait celui-ci et veillait au respect des droits des suspects. Dans une affaire aussi délicate que celle-ci, plus que dans toute autre, il fallait limiter le nombre d'erreurs à zéro.

Aucun évoqua son droit au silence. Ils ne demandèrent pas non plus l'assistance d'un avocat.

— Je veux coopérer avec la police, expliqua Gregory d'une voix calme et sérieuse.

Derrière la vitre sans tain, Matt grimaça. Il avait envie d'entrer dans la pièce et de le frapper jusqu'à ce qu'il se départisse de son agaçant petit sourire. Jusqu'à ce qu'il avoue peut-être ce qu'il avait fait à Michelle Duncan.

Inlassablement, des heures durant, ils retracèrent les semaines précédant la mort de la jeune fille. Gregory s'en tenait à sa version d'origine : Michelle et lui avaient une liaison.

— Comment est-ce que vous vous êtes rencontrés ? voulut savoir l'inspecteur Becker.

— Par l'intermédiaire de David.

— Oui, ça je le sais, mais j'aimerais connaître les circonstances exactes de votre rencontre.

— Michelle et David se voyaient une fois par semaine pour son tutorat, généralement le week-end, relata Gregory. La plupart du temps, c'est lui qui se déplaçait et ils étudiaient à la bibliothèque ou dans un parc quand il faisait beau. Mais un jour, je ne me souviens plus pourquoi, David a eu un empêchement et c'est Michelle qui est venue à Camden en bus. Elle était à la maison, moi aussi et c'est à cette occasion qu'on s'est rencontrés pour la première fois

Becker hocha la tête.

— Et c'est là que vous avez couché ensemble ? C'est arrivé comme ça ?

— Non.

— Alors comment ça s'est passé ?

— On s'est vus à d'autres reprises. Il y a avait une sorte de tension sexuelle entre nous et finalement … ce qui devait arriver arriva.

— Malgré son petit copain Johnny ? Malgré votre petite amie ?

— Ce sont des choses qui arrivent, inspecteur Becker.

Lequel hocha de nouveau la tête.

Debout dans le couloir, Matt, ne quittait pas Greg des yeux. Il avait lu dans un manuel de techniques d'interrogatoire que lorsqu'un suspect se rappelait un événement, pour fournir un alibi par exemple, ses yeux bougeaient vers la droite. Or, le regard du séduisant étudiant était fixe. À croire qu'il récitait simplement sa leçon. Mais Becker lui-même ne se fiait que modérément à ce genre de techniques. Rien de tel que l'instinct et l'expérience, répétait-il sans relâche aux nouvelles recrues.

— Où est-ce que vous vous voyiez Michelle et vous ? Pour faire ce que vous aviez à faire ? Elle ne pouvait pas venir à Camden tous les week-ends quand même. Ça aurait été suspect.

— J'accompagnais David à Charlestown et à la fin de leur séance de révision, il nous laissait seuls.

— Où ça ? insista l'inspecteur de police. Vous venez vous-même de dire qu'ils se voyaient à la bibliothèque ou dans un parc public. Vous n'allez pas me faire croire que Michelle et vous couchiez ensemble dans ces endroits.

— Croyez-le ou non mais ça nous est arrivé. Sinon, on le faisait dans ma voiture. Parfois chez elle quand ses parents n'étaient pas là, ajouta-t-il, en avisant l'expression sceptique du policier.

Il y avait quelque chose de singulièrement perturbant dans les souvenirs que leur livrait Dawson, dans cette perception qu'il semblait avoir de Michelle, en contradiction totale avec ce que ses amis et ses parents disaient d'elle.

Plus troublant encore, selon Matt, il n'arrivait même plus à déterminer si Gregory mentait ou si Michelle avait dissimulé certaines choses à ses proches. Où se situait la vérité ? Perdu dans ses pensées, le substitut du procureur sursauta légèrement en entendant la voix grave et suave de Ronnie Becker.

— Et malgré tout ça, personne ne vous a jamais vu ensemble. Vous ne vous êtes jamais fait prendre.

— Je suppose qu'on a eu de la chance. Ou peut-être que quelqu'un nous a vu mais n'en parle pas, qui sait ? Écoutez, inspecteur, je vois où vous voulez en venir. J'ai réfléchi depuis votre dernière … visite et je me rends compte que j'ai peut-être profité de Michelle, de son manque d'expérience ou de sa jeunesse, je ne sais pas.

— Profité d'elle pour quoi ? Coucher avec elle ?

Gregory hocha la tête. Sa chaise était volontairement inconfortable, plus petite et légèrement plus basse que celle de l'inspecteur Becker, mais il semblait à son aise. Il croisait les bras et ses longues jambes étaient allongées devant lui.

— Mais Michelle était d'accord, non ? Elle a pris ses propres décisions et vous n'avez pas à vous sentir coupable de quoi que ce soit.

— Je ne peux pas m'en empêcher. Plus j'y repense et plus je me dis qu'elle était très attachée à moi – plus que l'inverse pour être honnête. Elle était peut-être même amoureuse.

— Vraiment ?

— Oui. Pour moi, ce n'était qu'une histoire sans importance, juste du sexe, mais je pense qu'elle voyait les choses différemment.

— Qu'est-ce qui vous fait croire ça ?

— La façon dont elle se comportait. Certaines choses qu'elles faisaient pour moi. Sexuellement parlant, je veux dire, crut-il bon de préciser.

Matt leva les yeux au ciel. La manière dont Gregory avait prononcé cette dernière phrase était inutilement provocante. Comme s'il tirait une certaine fierté de ses exploits.

— Vous savez, reprit l'inspecteur Becker, je ne demande qu'à vous croire mais il me faut des preuves. Des SMS, des photos, des e-mails, je ne sais pas… N'importe quoi qui prouve votre liaison. Votre seule parole n'est pas suffisante hélas. Surtout quand tous les proches de Michelle nient férocement l'existence même de cette liaison.

— C'est normal. Ils nient en toute bonne foi. Seulement, ils n'étaient pas au courant, je vous l’ai déjà dit.

— Michelle ne se serait confiée à personne. Ni à son ami d'enfance Elijah ? Ni à Mary Abbott, sa meilleure amie ?

À l'énoncé de chaque nom, Gregory secouait simplement la tête sans se départir de son calme. Le visage de Becker exprimait une incrédulité polie.

— Johnny Wright aurait pété un câble s'il l'avait su. Pour les deux autres, je ne sais pas pourquoi elle leur a menti. Elle craignait sans doute qu'ils crachent le morceau à ce Johnny si elle les mettait au courant. D’après ce que j’ai compris, ils traînaient tous ensemble.

— Ce qui est étrange, c'est que Michelle n'a pas caché toute la vérité à son amie. Le soir de sa mort, elle a menti à ses parents et à Johnny, c'est vrai, mais elle a dit à Mary qu'elle retrouvait son tuteur. Il fit semblant d'hésiter avant de poursuivre. En fait, … Mary pense que Michelle voulait davantage se cacher de Johnny que de ses parents.

L'espace d'un instant, Greg arbora une expression satisfaite, presque triomphante mais ce fut si fugace que Matt n'était pas sûr de ce qu'il avait vu. Il l'avait peut-être imaginé.

— Eh bien, ça prouve que je disais la vérité depuis le début, non ? Elle voulait se cacher de son copain à cause de notre liaison.

— Mais Mary est certaine qu'elle ne l'a pas trompé.

— Et moi, je suis certain qu'elle a tort.

— Michelle lui a aussi dit que c'était David, et non vous, qui lui plaisait de toute façon.

Cette dernière assertion le laissa sans voix un bon moment.

— Encore une fois, je pense qu'elle a tort, dit-il d'un ton égal.

— Mais pourquoi Michelle aurait-elle menti à sa meilleure amie ? Sur cette partie et pas sur le reste ?

Gregory haussa les épaules en marmonnant dans sa barbe inexistante.

— Pardon ? Je n'ai pas bien compris.

— Je disais que Mary Abbott devait se tromper. Elle n'a pas dû bien comprendre ce que Michelle lui a dit parce que, pour le meilleur ou pour le pire, c'était moi que Michelle voulait. Croyez-moi. Elle me l’a prouvé, et plusieurs fois.

Gregory réalisait-il à quel point son arrogance pouvait le rendre insupportable aux yeux d'un observateur extérieur ? Mais Matt se méfiait, il devinait le jeune homme suffisamment intelligent pour ne jamais dévoiler cette facette de lui-même lors d'un éventuel procès.

— Récapitulons Gregory. Michelle couchait avec vous depuis le mois de janvier. Elle n'en a parlé à personne, pas même à sa meilleure amie. Et pour on ne sait quelle raison, elle lui a dit être attirée par son tuteur David alors que c'est avec vous qu'elle sortait. C'est bien ça, je n'ai rien oublié ?

— Apparemment.

— Et pourquoi a-t-elle prétendu avoir le béguin pour votre copain David si elle sortait avec vous ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, inspecteur, répondit-il poliment.

OOoOo

Dans l'autre salle d'interrogatoire du commissariat, David Fitzgerald s'en sortait beaucoup moins bien que son comparse, comme on pouvait s’y attendre.

Avachi sur sa chaise, la tête dans les mains, il devait pourtant avoir conscience de la présence de l'inspecteur Lansky. Celle-ci lui tournait autour, les mains sur les hanches.

David étant clairement le maillon faible du duo, le plus à même de craquer sous la pression, Fran avait adopté une position différente de celle de Becker et se montrait bien plus agressive.

— Et si on parlait de Carmen Ross ? proposa-t-elle. Tu te rappelles, cette fille que ton pote Greg et toi avez violée lors d'une fête ?

— Quoi ? Il n'y a pas eu de viol.

— C'est pas ce que Carmen dit. Vous l'avez droguée et vous l'avez violée à tour de rôle, avoue.

— Non. Je vous dis qu'il n'y a pas eu de viol, répéta David.

— Si, insista Lansky en se penchant vers lui. Toi et ton cinglé de copain vous avez mis ça au point ensemble, n'est-ce pas ? Vous l'avez choisie parce que c'était une jeune fille sans défense, une pauvre première année qui n'oserait jamais s'en prendre aux stars de l'université.

Sans mot dire, David secouait la tête.

— Tu as invité Carmen à la fête de la fraternité et tu l'as fait boire, continua Fran. Tu lui as donné du LSD et de l'alcool sans lui dire quelqu'un avait versé de la drogue dans son verre. Qu'est-ce que c'était ? Du GHB ?

— Rien, il n'y avait rien. Jamais je ne ferais une chose pareille !

— Mais tu l'as bien fait boire ?

— Quand elle est arrivée à la résidence, je lui ai servi un verre et c'est tout. Je n'avais rien mis dedans, je vous le jure. Et pour le LSD, certains en prenaient mais pas moi.

L'inspecteur Lansky se redressa et le toisa de toute sa hauteur.

— Et pourtant, quand Carmen Ross s'est réveillée, elle était dans une chambre à l'étage, nue avec tout un tas de mecs inconnus autour d’elle. Ils étaient en train de la violer David. Comment tu expliques ça ?

— Je ne suis jamais monté, je ne sais pas ce qui s'est passé dans cette fichue chambre.

— Bon, dans ce cas, dis-moi ce que tu sais.

— J'ai vu Carmen monter avec Gregory et deux autres types, je crois. Je suis sorti acheter des bières et quand je suis revenu, elle n'était plus là. Le lendemain, Greg m'a dit qu'ils avaient couché avec elle mais il n'y a pas eu de viol, je vous assure.

— Alors, tu prétends qu'elle a contrairement couché avec ces types. Que c'était un rapport consenti.

— C'est ce qu'ils m'ont dit.

Fran Lansky le considéra d'un œil nouveau. Matt comprit qu'elle préparait un nouvel angle d'attaque.

— Dis-moi, David, ça ne t'a pas mis en colère toute cette histoire ? C'est vrai, c'est toi qui as invité Carmen Ross à la soirée, c’est toi qui l’as repérée et ce sont tes potes qui ont pris du bon temps avec elle. Moi, ça m'aurait mise en rogne.

L'intéressée haussa les épaules.

— Un peu comme avec Michelle, fit remarquer l'inspecteur Lansky d'un ton goguenard, comme si elle partageait une bonne plaisanterie. C'était ton élève et elle a fini dans les bras, enfin surtout dans le lit, de ton meilleur pote. C'est comme si l'histoire se répétait. Et dans les deux cas, tu te retrouves soupçonné d'un crime.

— C'est ridicule ! Je n'ai rien fait à Michelle. Et je n’ai rien fait à Carmen non plus.

— Carmen Ross n'est pas de cet avis, Michelle Duncan n'est plus là pour nous parler. Et on t'a vu balancer quelque chose dans le fleuve le soir de sa mort. Peut-être son cadavre, qui sait ?

David releva brusquement la tête. Matt n'avait pas besoin de s'approcher pour comprendre qu'il avait brusquement pâli.

OOoOo

— Un SDF ? répéta Gregory.

— Oui. Il vous a vus, David et vous, sur le pont samedi soir, expliqua l'inspecteur Becker. D'après ses déclarations, un SUV noir s'est arrêté, deux hommes en sont descendus et ont jeté quelque chose de lourd dans le fleuve.

— Je pense qu'il confond avec quelqu'un d'autre. David et moi n'étions pas là-bas. Nous étions chez les Fitzgerald cette nuit-là. D'ailleurs en parlant de ça, vous êtes sûr qu'il n'avait pas un peu picolé votre SDF ?

Ronnie l'ignora.

— Vous n'êtes pas passés par le pont ?

— Non, inspecteur Becker.

— Très bien. Parlons de Carmen Ross maintenant. C'est une ancienne étudiante de Sullivan Lawrence qui vous accuse, vous et vos copains de fraternité, de l'avoir violée lors d'une fête.

Gregory Dawson s'esclaffa bruyamment.

— Quoi, vous n'étiez pas au courant ?

— Absolument pas.

— Je suis content que ça vous fasse rire en tout cas, déclara âprement le policier.

— Non, pas du tout ! Écoutez, Carmen avait une sacrée réputation quand même. C'est toujours le cas d'ailleurs. Je veux dire, elle a dû coucher avec une dizaine de types de la fraternité et elle n'était là que depuis deux mois ! L'entendre crier au viol après ça est risible.

Becker le fusilla du regard.

— Donc, comme elle avait soi-disant couché avec quelques-uns de vos amis, vous aviez le droit de la violer, c'est ça que vous êtes en train de me dire ? C’est une défense intéressante.

— Il n'y a pas eu de viol ! Si Carmen dit ça, elle ment.

— Pourquoi ferait-elle ça ?

— Je n'en ai aucune idée. Peut-être pour obtenir un … dédommagement. Les Fitzgerald ont beaucoup d'argent, tout comme ma famille.

— Mais Carmen n'a pas porté plainte, objecta Becker. Elle n'en a parlé qu'à quelques proches et a quitté le campus sans faire de tapage. Ce n'est pas l'attitude d'une fille qui veut gagner de l'argent en intentant un procès frauduleux pour viol.

Gregory fit la moue.

— Je ne sais pas, inspecteur mais une chose est certaine : Carmen n'a pas été violée lors de cette fête.

OOoOo

— Tu sais, David, je crois que tu es dans une sacrée merde.

L'inspecteur Fran Lansky énonça cette phrase d'un ton tranquille, à la limite de la moquerie, comme si en fin de compte, toute cette histoire ne le concernait pas vraiment.

— Tu risques de payer seul les pots cassés. Une innocente jeune fille a été tuée d’une manière horrible et le public veut que les coupables soient sévèrement punis. En plus, on est au période électorale et le procureur est candidat à la mairie de Charlestown. Il voudra un procès et une peine exemplaire.

De l'autre côté de la vitre, Matt ne put s'empêcher de sourire. Quelle ironie dans les propos de Fran ! C'était précisément à cause des échéances électorales que cette affaire était si délicate et que le procureur Clemmons rechignait tellement à la tâche.

— C'est vrai, les preuves t'incriminent toi, plus que Gregory Dawson. Michelle était ton élève, c'est ta voiture que ce sans-abri a vu et c'est dans ta maison que la défunte se rendait le soir de sa mort, énuméra Fran, implacable. Peu importe ce qui s'est passé, tu es foutu.

La jeune femme faisait les cent pas dans la minuscule pièce. Matt, qui commençait à être fatigué et avait faim, regarda sa montre. Il était presque vingt-deux heures et l'interrogatoire avait commencé six heures plus tôt. Si David devait craquer, c'était maintenant ou jamais.

Elle se pencha vers lui, ne laissant qu'une poignée de centimètres entre leurs deux visages. La peur suintait de tous les pores de la peau du jeune étudiant.

Puis, Fran abattit leurs deux cartes maîtresses, qu'elle gardait pour elle depuis le début.

— On sait que vous n'êtes pas allés au Stripp samedi soir. On a interrogé tous les serveurs et regardé les caméras. Et devine quoi ? Pas de traces de votre passage. Parce que vous n'y êtes jamais allés, asséna-t-elle. Ce n'est pas pour aller au bar que vous êtes ressortis.

— Je …

— Quoi ? Tu as perdu ta langue, c'est ça ?

Il se tut, de plus en plus blême.

— Et le LSD, David ? Il y en avait dans le sang de Michelle mais ses amis jurent qu'elle n'en aurait jamais pris volontairement. Tiens, ça me rappelle quelque chose. Vous l'avez droguée et violée elle aussi ?

— Non, non !

— Alors pourquoi le légiste a trouvé des traces de LSD dans son corps ? Qu'est-ce qui s'est passé ? tonna-t-elle en tapant soudain du poing sur la table.

David sursauta.

— Je ne … C'était un accident, murmura-t-il alors. Un accident.

Et il expliqua tout.

 
 
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