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Ezéchiel [Sous contrat d'édition]
Par Natalea
Originales  -  Fantastique  -  fr
16 chapitres - Complète - Rating : K+ (10ans et plus) Télécharger en PDF Exporter la fiction
    Chapitre 15     Les chapitres     7 Reviews    
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2. Trois Années de Rêve

Les spéculations de Ryu s'étaient réalisées au-delà de toutes ses espérances. En six mois, Anthony Mariaquer avait fait déménager sa famille à l'autre bout du pays, lancé tous ses hommes à la recherche de Ryu, et acquis la réputation d'un vieillard sénile. Plusieurs de ses seconds s'étaient ligués contre lui pour l'éliminer, avant de s'entre-déchirer pour prendre la tête de l'organisation. Privé de leader, le réseau de Mariaquer s'était effondré comme un château de cartes, à moitié démantelé par la police, laissant une immense place vide dans le commerce de stupéfiants de la ville.

Un vide que Ryu avait vite repris à son avantage : il avait été le seul à prédire les événements, le seul capable de réagir en conséquence. Les six premiers mois écoulés n'avaient servi que pour cet instant : il avait écumé tous les lycées de la ville pour recruter des adolescents paumés, facilement influençables, au-dessus de tout soupçon et pourtant plus utiles qu'ils ne le croyaient. Chaque jour lui avait apporté plus d'hommes, et quand il en avait eu assez, il avait capturé leur loyauté par la plus persuasive des manières : la culpabilité.

Les batailles déclenchées entre gangs de lycéens étaient devenues de plus en plus violentes au vu du nombre d'assaillants. Une rixe avait eu lieu un soir à la sortie d'une boîte. Ryu avait rassemblé toutes ses recrues pour l'occasion, et délibérément provoqué ceux qui refusaient encore de se ranger de son côté. La soirée avait tourné au vrai désastre : le club entièrement ravagé, excités par l'alcool et le sang, certains jeunes avaient fini par commettre l'irréparable. Dix-huit morts en tout, cinquante-six arrestations, sans compter les blessés.

Une fois le chaos terminé, Ryu avait payé la caution de tous ses fidèles. Les caméras de vidéosurveillance avaient été miraculeusement détruites, aucun témoin de la scène n'avait été en mesure d'identifier les coupables. Ce jour-là, ceux qui n'avaient pas encore rejoint Ryu l'avaient supplié de les aider à sortir de prison.

Ryu avait payé pour tout : les cautions, les frais d'avocat, jusqu'à ce que tous soient relaxés avec une simple peine de sursis. Ézéchiel avait regardé son ami, petit à petit, étendre son emprise sur la ville comme on enserre la nuque d'un animal sans défense. Ryu s'était entouré d'hommes qui avaient commis le crime dont on ne revient jamais, l'unique acte qui les liait définitivement à lui, sans aucune échappatoire possible. Il s'était rendu indispensable à leur existence. Le seul capable de les protéger.

La longue croisade d'intimidation avait pu prendre fin. Ryu était passé aux choses sérieuses en confrontant ses recrues à de véritables gangs, des monstres deux fois plus âgés qu'eux qui les avaient taillés en pièce. En faisant cela, il avait tissé un second niveau d'allégeance entre ses hommes : il les avait liés par la haine. La haine que ces gosses avaient dû éprouver en voyant leurs amis se faire étriper par des barbares sans une once de conscience. Ryu avait donné une cause juste à leur engagement : tous ces gamins terrifiés, assaillis par leur culpabilité, perdus par leurs actes, avaient pu voir en leurs adversaires de véritables criminels. Ryu leur avait insufflé l'envie de les vaincre, de se venger, de les anéantir eux aussi ; il n'avait fait qu'exploiter leur mal-être croissant pour qu'ils le canalisent sur une cible souhaitée.

À partir de cet instant, Ryu avait hérité d'hommes loyaux, et même reconnaissants. Ils avaient l'impression d'avoir libéré leur conscience en ayant été confrontés à plus terrible qu'eux. Ce qu'ils ne savaient pas, c'était que Ryu les conduisait déjà sur des chemins bien plus sombres.

Était arrivé le jour où Anthony Mariaquer avait été défait de son trône. Pendant que ses successeurs se disputaient les commandes, Ryu avait attaqué les points névralgiques de l'organisation inlassablement. Tous les clubs, tous les bars, toutes les sociétés autrefois sous contrôle de Mariaquer avaient fait l'objet d'une véritable guerre d'usure, un harcèlement qui avait duré une année entière, jusqu'à ce que rien de ce que Mariaquer avait bâti ne puisse se relever de ses cendres. Ryu avait récupéré les établissements les uns après les autres. Il avait fait éliminer les prétendants éventuels au pouvoir, et tandis qu'il gagnait en force et en influence, il avait convaincu une grande partie de ses ennemis de se rallier à lui.

Dix-huit mois après la mort de Mariaquer, Ryu avait acquis la totalité de son empire, qu'il lui avait fallu une vie pour construire. Son nom était désormais connu partout dans le monde souterrain. Il était un incontournable du marché noir, mais pas seulement : son ambition l'avait conduit dans d'autres directions.

Son principal revenu restait bien évidemment la drogue : il vendait la meilleure, la plus pure, et de toutes les sortes. Mais il y avait aussi les armes. Les night-clubs, les bars, les hôtels, les restaurants. Sa réussite tenait en une chose : une confiance inébranlable de la part de ses hommes. Il ne laissait jamais tomber personne. Il ne trahissait pas, n'assassinait pas au sein de son propre camp, du moins officiellement.

Dans un milieu où le profit personnel guettait au moindre coin de rue, travailler pour Ryu Hinata était une valeur sûre. La garantie de faire partie d'un clan, qui soutiendrait ses frères coûte que coûte.

Au sortir du conflit avec les successeurs de Mariaquer, Ryu avait abandonné à la police ceux qui refusaient de le suivre. Son nom avait alors été délivré aux autorités, immanquablement. Mais l'organisation qu'il avait créée réservait bien des surprises aux enquêteurs de la brigade des stups : malgré de multiples arrestations, de multiples perquisitions... la ligne de conduite de Ryu portait ses fruits. Aucun de ses hommes ne parlait. En trois années de machinations sordides pour s'élever des profondeurs, Ryu ne fut pas une seule fois impliqué pour ses crimes. Et Dieu savait qu'ils étaient nombreux.

Et puis, il lui restait son atout secret. Ézéchiel.

Ryu avait conservé le hangar, même s'il n'y logeait plus depuis longtemps : il préférait son hôtel particulier avec vue sur le CBD, en plein centre-ville. Très peu de personnes étaient au courant de son existence. Ryu y entreposait les marchandises les plus rares et les plus chères, celles qu'il ne pouvait confier à aucun autre homme de confiance, celles qui lui permettraient de remettre le pied à l'étrier si jamais il faisait faillite.

Mais il y gardait surtout son meilleur élément. Son assassin privé, comme il se plaisait à l'appeler secrètement — car Ézéchiel aurait risqué de mal le prendre.

Pendant les trois années qui s'étaient écoulées, Ézéchiel avait déblayé le chemin pour permettre à Ryu d'obtenir tout ce qu'il voulait. Il avait été l'instrument de toutes les menaces, de toutes les exécutions. Tous les successeurs de Mariaquer étaient passés entre ses mains. Quelques dirigeants de clubs, aussi. Les junkies qui ne payaient pas leurs dettes, car Ryu ne pouvait pas se permettre d'avoir une image laxiste.

Le visage d'Ézéchiel n'était connu que de très peu d'hommes au sein de l'organisation. Uniquement les plus haut placés. Il était pourtant le second, celui qui dirigeait quand Ryu n'était pas aux commandes. Tous connaissaient son existence, mais il était devenu une sorte de légende urbaine. Une malédiction que l'on sortait du placard dans les situations extrêmes. L'avoir contre soi était synonyme de mort.

Dans l'imagination populaire, dans les multiples rumeurs qui agitaient les bas-fonds de la ville, Ézéchiel était presque devenu un nom de code pour désigner une menace fatale et imminente. La plupart ignoraient s'il fallait y voir l'œuvre d'un seul homme. C'était Ryu qui avait répandu ce nom comme on inocule la peste à l'intérieur d'une cité : parce qu'il avait créé un fantôme, une terreur dont on ne savait rien si ce n'était qu'elle travaillait pour lui. La peur était la plus persuasive des armes.

À mesure que le temps passait, Ézéchiel avait perdu tout ce qui faisait de lui un être de chair et de sang. Il était devenu exactement ce que l'on disait de lui : une créature insaisissable, éthérée, sans la moindre volonté propre. Ses hommes refusaient de croiser son regard, car ils n'y voyaient que du vide. Il se jetait à corps perdu dans tout ce qu'il faisait avec la détermination de celui qui n'a rien à perdre. Son esprit et son cœur demeuraient loin sous la surface, dans un ailleurs que nul ne pouvait appréhender.

Ézéchiel avait vingt-six ans, et c'était un meurtrier, plus que jamais.

Mais il y avait pourtant une chose qu'il ne savait pas. Une chose qui était encore en mesure d'ébranler ce qui restait de brisé au fond de lui. Ce matin-là ne serait pas comme les autres, car il allait rencontrer la personne qui marquerait le tout dernier tournant de sa vie.

 

 
 
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