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au 31 Mai 21 :
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pour 4075 fics écrites
contenant 15226 chapitres
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Ça
Par Natalea
Huis-Clos '10  -  Angoisse/Suspense  -  fr
One Shot - Rating : K (Tout public) Télécharger en PDF Exporter la fiction
    Chapitre 1     9 Reviews    
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Mes mains tremblent lorsque je sens le verrou claquer sous mes doigts. Le bruit mat du métal coulissant dans l’engrenage résonne dans le néant de la pièce. Il fait noir. Les ténèbres se referment sur moi telles les eaux glacées d’un océan engloutissant un navire. Le navire de mon âme.

J’avale ma salive et je sens le goût amer de la bile sur ma langue. Mon sang pulse dans mes veines. La peur comprime ma cage thoracique. La pierre rêche du mur sur ma droite écorche la peau moite de ma main qui la parcourt. J’entends le bois d’un escalier grincer sous mon poids. De fines particules de poussière s’échappent des poutres crevassées, crépitent avant de se perdre, quelque part dans l’abyme, quelques mètres plus bas. 

Lentement, j’entame ma descente. Je n’ai aucun mal à me repérer, je sais parfaitement où je suis. Cela n’empêche pas la peur de me prendre à la gorge. Je sens mon souffle qui s’accélère malgré moi. Je suis en bas de l’escalier. Mes semelles raclent contre le sol de terre battue. Le bruit feutré de mes pas brise le silence du néant, et suffit à faire naître des frissons à la base de ma nuque.

Je ferme les yeux, expire lentement. Si ma mémoire ne m’a pas fait défaut, je devrais être au centre de la pièce. Je m’assois, à même le sol. Ces détails matériels n’ont plus d’importance à présent.

Je tâche de contrôler ma respiration. Mes mains s’ouvrent et se ferment compulsivement. Le tranchant de mes ongles s’enfoncent jusqu’au sang dans le creux de mes paumes. Petit à petit, cependant, mon souffle ralentit. Non pas grâce à mes efforts de volonté, non.

Mais parce que la peur a bloqué ma respiration. Je n’ose plus faire le moindre mouvement. Je n’ose même plus respirer.

Il arrive.

J’aurais dû être seul, pourtant, je le sais. J’ai pris la peine de m’enfermer. Dans la pièce la plus sombre, la plus isolée, la plus terrifiante qui soit. Seulement voilà.

Je ne suis jamais seul.

« Alors…Michael… »

Un gémissement s’échappe de ma gorge. Je tremble, ma peau se couvre de sueur, le sang coule entre mes doigts et déjà je sens la brûlure de mes larmes prêtes à me submerger.

« Ça fait toujours plaisir de voir à quel point tu es … heureux de me voir… »

Cette voix. Rauque et basse. Pas plus haute qu’un murmure. Insidieuse.

Abominable.

Cette voix que j’ai toujours entendu auprès de moi, d’aussi loin que je m’en souvienne. Qui n’a jamais cessé de me suivre, imprimée dans mes pas, noyée dans mon ombre. Cette voix…

C’est la mienne. 

« Alors c’est ici que tout finit, n’est-ce pas ? Je pensais que tu choisirais un endroit plus…rassurant. »

Un rire cruel, mon rire, déchire le néant.

« Remarque, je ne vais pas te blâmer. Quoi de mieux que les ténèbres pour engloutir les ténèbres, c’est ce que tu t’es dit ? »

Une sorte de crissement désapprobateur s’échappe de ma bouche :

« Naïf, naïf Michael… Comme toujours. Je suis parfaitement à mon aise ici. Je suis… dans mon élément. »

Soudain, frénétiquement, je reprends le contrôle. La voix, pendant quelques secondes, retourne se tapir dans les profondeurs de mon être. Je passe une main sur mon front, essuie la sueur qui macule mon visage. L’obscurité n’a plus d’importance à présent, pas plus que la terre battue sous mes pieds.

Physiquement, je suis seul, et prisonnier. La véritable bataille peut commencer. Nul ne viendra me trouver dans les profondeurs de la terre. Personne ne risque d’être blessé.

Lorsque je suis entré dans cette cave humide, sans lumière, sans rien d’ailleurs, et que j’ai senti le verrou coulisser entre mes doigts, je m’appelais Michael Chesnay. J’avais vingt-sept ans, j’étais marié et heureux père d’un enfant de trois mois. J’avais suivi de brillantes études de psychologie, et venait d’obtenir mon diplôme. Mes cheveux étaient bruns, mes yeux bleu clair. La peau un peu trop pâle, le corps un peu trop frêle. Un physique normal, somme toute. J’étais quelqu’un d’ordinaire. En apparence.

En réalité, Michael Chesnay n’avait pas été le seul homme à descendre dans cette cave, il y a quelques minutes à peine, après que le verrou eut été tiré. Michael Chesnay était entré, et avec lui, il y avait …Ça.

Mes doigts se crispent alors que cette syllabe infernale explose dans ma tête. Je respire à fond pour reprendre mon calme, ravaler les sanglots qui me gagnent. Le monde entier s’efface, disparaît autour de moi. Les murs de cette cave ne sont pas ma véritable prison. L’obscurité elle-même se dissout, tout ce qui touche de près ou de loin à la réalité se retire de la perception de mes sens. Les murs de ma véritable prison se referment sur mon propre esprit. Esprit où, par une sinistre ironie de la conscience humaine, je suis prisonnier. Avec Ça.

Je ne sais même plus si mes yeux sont ouverts ou fermés, pourtant un décor se dessine autour de moi. Le décor que mon esprit a choisi pour que je le combatte. Ou plutôt…pour que nous combattions.

Ça n’est pas un être de chair et de sang. Pour tout dire, j’ignore ce qu’il est réellement. Tout ce que je sais, c’est qu’il a toujours été là. Grandissant dans l’ombre, attendant son heure. Il était déjà là lorsque j’ai dit mes premiers mots. Sa voix a toujours résonné en moi, tout près de mon cœur. Comme un serpent resserrant lentement ses anneaux autour de sa proie.

Ça est une part de moi, et c’est sans doute le plus difficile à admettre. Je m’appelle Michael Chesnay, et je suis ce que l’on pourrait raisonnablement appeler un homme bien. Je m’efforce de vivre selon les principes que l’on m’a inculqués, sans vouloir de mal à quiconque. Mais lorsque Ça prend le contrôle…

Il m’a fait commettre les pires abominations. Des actes inavouables, dont le simple souvenir me hante, à chaque seconde. Lorsque je n’arrive plus à le contenir… Sa force noire et sanglante s’empare de moi… et détruit tout. Cependant, la plupart du temps, avec la force et l’habitude, je parviens à reprendre le contrôle. Et à le garder enfermé, dans un compartiment secret, tout au fond de moi.

Jusqu’à aujourd’hui.

J’observe le décor qui s’est créé autour de moi. C’est une petite pièce peinte en blanc du sol au plafond, parfaitement carrée. Je sais que rien de ce que je vois n’est réel, mais je ne m’en inquiète pas : ce n’est pas la première fois que je me laisse entraîner dans les méandres de mon esprit. Mais cette fois, je veux en finir. Ce n’est plus la vie de simples inconnues qui est en danger. Quant à la mienne, je me sais perdu depuis longtemps.

Non, aujourd’hui c’est différent.

Aujourd’hui, Ça a voulu tuer ma famille.

C’est arrivé dans la cuisine. Le déjeuner brûlait. Le bébé pleurait. Le téléphone sonnait. Mon épouse, mon amour, Anna, ne cessait de s’affairer, allant et venant comme une abeille bourdonnant dans sa ruche, ouvrant des placards pour les refermer aussitôt d’un claquement sec, empilant vaisselle et casseroles sur le plan de travail. J’étais assis à la table de la cuisine. Mon ordinateur portable venait de s’éteindre sans aucune raison, supprimant un dossier sur lequel je travaillais depuis plus de deux heures. Il faisait chaud. Et le bébé qui n’arrêtait pas de hurler…

C’est là que je l’ai senti ressurgir. Il se tient toujours prêt, aux aguets juste sous la surface, à l’affut du moindre signe de faiblesse. Je ne peux jamais baisser ma garde. Pourtant aujourd’hui, je l’ai fait.

Ça s’est emparé de moi. J’ai senti sa colère bouillir dans mon ventre. Sa noirceur empoisonner mes veines. Son esprit cruel, coupant comme une lame, tenait mon cœur entre ses mains et le broyait si fort que j’ai cru pendant un instant ne jamais y survivre.

Ma vision était trouble. Ça avait totalement le contrôle. Il a guidé ma main jusqu’au plan de travail, et j’ai senti mes doigts se refermer sur le manche d’un couteau. Anna n’avait rien remarqué. Ni la démarche féline, étrange, ni les étincelles de noirceur qui brûlaient dans les yeux de Ça. Car si les yeux sont les fenêtres de l’âme, alors, lorsque Ça me submerge, mes yeux deviennent les siens.

Ça a approché le couteau de la gorge de la seule personne que je me sois jamais autorisé à aimer. Auparavant, je me l’étais toujours interdit. Je me souviens avoir longtemps hésité avant d’épouser Anna, elle qui, au final, n’a jamais rien su de moi, de mon vrai moi. Ça n’est pas une personne étrangère qui se serait infiltrée dans ma tête, il est bel et bien une part de moi. Il est moi et je suis Ça. Ce qui s’est passé tout à l’heure dans la cuisine m’a ouvert les yeux. Je n’aurais jamais du épouser Anna. Ça détruit tout ce que je touche. Tout ce à quoi je tiens. Il s’y est toujours employé, dans l’espoir qu’un jour, il me briserait. Si cela devait arriver…

Je n’ai suspendu mon geste qu’au dernier instant. Mon esprit engourdi par la douleur et la malveillance de Ça a crevé la surface comme un naufragé luttant contre l’océan déchaîné et glacial. L’esprit de Ça est glacé comme la Mort.

Mes yeux se sont écarquillés, l’air s’est mis à me manquer subitement, et j’ai lâché le couteau.

Anna s’est retournée. Son visage était l’incarnation même de la douceur. Elle m’a contemplé, inquiète, m’aidant à me rassoir le temps de reprendre mes esprits, me demandant ce qu’il se passait. Je n’ai pas répondu. Déjà, Ça revenait.

Je me suis enfui de la cuisine, sans un mot, sans une explication, et j’ai couru. Couru jusque dans cette cave, à deux mètres sous terre. Là où Anna ne pensera jamais à venir me chercher. Et j’ai laissé venir Ça.

Pour la première fois de ma vie, je vais le laisser surgir en moi, et l’affronter face à face. C’est le seul moyen d’en finir. J’ai étudié la psychologie et il l’a étudiée avec moi. Lui comme moi savons que celui qui obtiendra le contrôle sera celui qui brisera l’autre. Mais comment briser le Mal incarné ?

Savoir de quoi je souffre ne m’aide en rien. Un psychologue aguerri décèlerait immédiatement le schizophrène en moi. Dédoublement de la personnalité. J’en suis parfaitement conscient, et cela ne m’avance à rien. Moi, je vis ce dédoublement de l’intérieur.

Imaginez. Si la même chose vous arrivait. Enfermé, jour après jour, dans votre propre esprit, en compagnie d’un monstre. Partager votre corps avec un être si abominable qu’il est même impossible de le nommer.  Vivre dans la crainte, constante. La crainte de soi-même. En temps normal, notre conscience, notre voix intérieure, constitue notre être, ce que nous pensons, ce que nous éprouvons, ce que nous sommes. Personne n’a accès à cette intimité suprême. A présent, imaginez partager cette intimité avec Ça. Imaginez-vous. Touché, au plus profond de votre âme, par le démon. Alors, peut-être aurez-vous une idée de l’angoisse qui me prend, alors que dans un coin de la pièce, les contours deçase dessinent.

Comme à son habitude lorsqu’il décide de se dévoiler, Ça me vole mon apparence. Sa façon de me rappeler que son but ultime est et a toujours été : prendre le contrôle de mon…de notre corps. Jusqu’à présent, j’ai toujours été plus fort que lui et il le sait. Les quelques fois où il est parvenu à m’évincer ont toujours été brèves, rares et accidentelles. Pas assez brèves, cependant, pour l’empêcher de commettre l’irréparable. A ce jour, le sang de dix-huit victimes de Ça souille mes mains. Souille mon âme.

« Toujours aussi pitoyable, Michael. »                                                                       

Je lève les yeux vers la voix. Je croise le regard de Ça.

Il me ressemble, pourtant ce n’est pas moi. Il est plus fort et plus…séduisant. Le Mal et cette mystérieuse fascination qu’il exerce sur les gens. Sa peau est hâlée, ses cheveux plus longs que les miens tombent en mèches éparses le long de mon visage. Il porte un jean et une chemise noirs dont il a retroussées les manches. L’air assuré, la tête haute, il se fait le reflet de tout ce que je ne suis pas. De tout ce que je serais s’il prenait le contrôle.

Nos yeux sont la seule chose qui nous distingue, lui et moi. Enfermés dans cet esprit que nous partageons depuis toujours, mes yeux apparaissent bleu azur, plus purs qu’ils ne le sont en réalité, tandis que les siens sont noirs comme le fond d’un gouffre, prêt à m’engloutir.

Avec le temps, j’ai fini par élaborer ma théorie à propos de Ça. Là où la plupart des gens possèdent une conscience unique à multiples facettes, certaines plus louables que d’autres, mon esprit, lui, s’est totalement scindé en eux. L’origine d’un tel manichéisme, je l’ignore. Même Ça ne doit pas le savoir. La seule chose que j’ai pu déduire, c’est que je suis le Bien et qu’il est le Mal. Comme l’eau et l’huile, ces deux composantes de ma personnalité ne se mélangent pas comme c’est le cas chez un individu normal. Au lieu de se fondre l’une dans l’autre et de se compenser, elles agissent comme deux âmes à part, chacune cherchant à éliminer l’autre.

Lorsque je suis pleinement conscient, un peu de Ça réside perpétuellement en moi, d’où l’habituel bleu délavé de mes yeux. De même lorsque Ça prend le contrôle, il ne parvient jamais à se débarrasser d’une minuscule goutte de Michael Chesnay, qui teinte l’abyme de ses yeux d’une note de bleu marine. Mais lorsque nous nous réfugions tous les deux dans les profondeurs de notre prison, notre séparation est totale.

« Tu aurais dû me laisser tuer Anna. Tu aurais pu finir ce dossier au calme. »

La voix est tranchante, sarcastique. Je sens la colère monter en moi, mais je la jugule. Me mettre en colère, c’est exactement ce qu’il cherche. Hors de question de laisser Ça faire de moi ce qu’il veut. A mon tour, je prends la parole. La plupart des gens trouveraient cette expérience étrange, parler avec son propre esprit. J’en ai malheureusement pris l’habitude. Ma voix, plus faible que celle de Ça, résonne dans la petite pièce :

« Tu ne gagneras pas cette fois. Plus jamais d’ailleurs. C’est terminé.

- Parce que tu l’as décidé ?

- Exactement. »

Ça se fend d’un sourire goguenard qui déforme mes traits et m’horrifie.

« Ce n’est pas si facile et tu le sais. Tout serait fini depuis longtemps sinon. Tu n’imagines pas le nombre de fois où j’ai souhaité que tu disparaisses, simplement parce que je l’avaisdécidé. ça ne marche pas, je te le garantis.

- Tu as toujours été plus faible que moi », je rétorque. « Il doit bien y avoir une raison. Rends-toi à l’évidence, tu ne parviendras jamais à me vaincre. »

Mes sourcils se froncent sur le visage de Ça. Ses yeux se font plus noirs qu’ils ne le sont déjà. Je tremble. Non pas physiquement, mais mentalement. Mon esprit tremble en croisant ce regard de néant. C’est comme plonger au fond d’un trou noir. On bascule, aspiré, inéluctablement. Le néant nous écrase, étire notre âme, torture notre essence jusqu’à ce qu’elle échoue sur les bords de la folie. Tout un univers de souffrance, contenu dans le regard de Ça.

« Je suis tellement faible que tu m’as donné l’occasion de tuer dix-huit personnes. »

Sa voix est dure. Je l’ai provoqué. Il ne joue plus à présent.

J’avale ma salive en empêchant le souvenir de ses meurtres de remonter à la surface. Mais Ça a perçu ma faiblesse. Il me connait mieux que moi-même.

« Tu te souviens de cette fille, près du lac ? Comme elle t’a supplié de l’épargner ? Que disait-elle déjà ?

- Tais-toi. Tu ne m’auras pas avec ça. C’est toi qui l’as tuée.

- Que disait-elle, Michael ? »

Je ferme les yeux, mais il est déjà trop tard. La voix, terrible et spectrale, comme tout droit revenue du monde des morts, hurle dans mon esprit, envahit la petite salle :

« Non ! Arrêtez ! Je vous en supplie, j’ai une petite fille ! J’ai une petite fille ! »

Puis des pleurs, des pleurs inqualifiables. Le désespoir dans son horreur la plus pure.

« Je vous en prie… »

Je n’y tiens plus. Les cris de ma victime franchissent mes lèvres :

« Je t’en prie… Arrête ! »

Je me suis brusquement redressé. La voix s’est tue dans ma tête. Ça me regarde et sourit, sans qu’aucun sentiment ne transparaisse sur son visage. Il sait qu’afficher un air de triomphe raviverait mon courage.

La culpabilité et la haine me compriment la gorge. Ma voix rauque s’échappe d’entre mes lèvres à peine entrouvertes :

« Ce sont tes crimes… C’est toi qui devrais avoir honte… espèce de monstre.

- C’est toi le monstre, Michael. Tu l’es tout autant que moi. Si tu es aussi fort que tu le prétends, pourquoi tu ne m’as pas arrêté ce jour-là ? Et les dix-sept autres fois ? »

J’enfouis mon visage dans mes mains. J’ai conscience d’entrer dans le jeu de Ça mais je n’ai plus la force d’en sortir, je m’y enfonce comme aspiré par des sables mouvants. Aspiré par le trou noir.

« J’étais épuisé, mort de chagrin, je… Papa venait de mourir… Et tu n’arrêtais pas de me harceler ! J’ai flanché, une seule seconde, et tu en as profité pour t’engouffrer dans la faille ! Pendant des heures, j’ai tout fait pour reprendre le contrôle… Mais quand j’y suis enfin arrivé, il était trop tard…

- Tu n’y es même pas arrivé. C’est moi qui t’ai laissé revenir.

- Oui. Pour que je reprenne conscience au beau milieu du lac, avec le cadavre de cette fille dans les bras ! C’est toi qui l’as tuée ! C’est toi le monstre ! Je n’ai rien à voir avec toi ! »

Je sens une larme rouler sur ma joue. Une larme d’esprit.

« J’ai tout fait pour t’en empêcher… »

Un frôlement. Lorsque je rouvre les yeux, le terrible regard de Ça est au même niveau que le mien.

« Tu en es sûr ? »

Il incline la tête sur le côté. Je peux sentir son souffle glacial courir sur mon visage.

« Admets-le. Toi et moi savons que si tu avais vraiment voulu sauver cette fille, tu y serais parvenu.

- Non… Je ne pouvais pas, je …

- Mais peut-être qu’au fond tu n’avais pas la volonté de la sauver. Alors tu m’as laissé faire. Tu t’es débattu quelques instants histoire de te donner bonne conscience, mais regarde la vérité en face. Je ne suis pas le seul responsable. Tu pouvais reprendre le contrôle. Reste à savoir … si tu le voulais. »

Avant même de réaliser, mon bras s’élance et saisit le visage de Ça, mon visage, dans une étreinte de fer :

« Comment oses-tu me dire ça ? » je murmure.

« C’est ça, Michael… »

Ses yeux sont à deux centimètres des miens.

« Abandonne-toi à la colère… Révèle ta vraie nature. Toi et moi, nous ne faisons qu’un.

- Je ne croirai jamais un mot de ce que tu dis. Je sais ce que j’ai ressenti pendant que tu tuais cette fille.

- De la jubilation ? »

Mon visage se plisse de dégoût : 

« De l’impuissance. »

La voix de Ça se fait sournoise :

« De la haine… ?

- Envers toi ! »

L’envie me prend soudain de lui cracher au visage, mais je me mords les lèvres et le libère de mon emprise. Il se redresse en se massant doucement la mâchoire, diaboliquement impassible, comme à son habitude.

« Tu sais Michael, la plupart des gens ont un côté sombre. Il serait même anormal de ne pas en avoir.

- Je crois être au courant, merci », je raille en détachant mon regard du sien.

« Pourtant, souvent, ce côté sombre se résume à : « vole l’argent de ton patron », « drague la femme de ton voisin », « donne un coup de pied au chien »… Le côté sombre des gens ne leur murmure pas à l’oreille : « Tiens, j’irai bien noyer cette femme au bord du lac ».

- La plupart des gens n’ont pas le Démon dans leur tête. Et ils ne se parlent pas à eux-mêmes.

- Mais tu ne t’es jamais demandé pourquoi ton côté sombre était si…disproportionné, Michael ? Pourquoi est-ce que je tue alors que les démons des autres ne font que trahir, mentir ou voler ?

- Parce que tu es le Mal absolu ?

- Non, Michael. Parce que tu as un problème. Quelque chose enfoui en toi.

- C’est toi qui es enfoui en moi. »

Il écarte ma remarque d’un signe de la main :

« C’est cette chose enfouie en toi qui nous a séparés, Michael…et qui m’a créé moi ! »

Désemparé, je passe une main devant mes yeux pour empêcher la pièce de tourner.

« Pourquoi tu me dis ça maintenant ? » je demande en relevant péniblement les yeux sur Ça.

Son visage se rapproche à nouveau du mien avec une sorte de compassion. On pourrait presque y croire. Presque.

« Puisque c’est aujourd’hui que nous sommes censés en finir, autant que tu saches tout. Tu vois, je suis miséricordieux. Je veux bien t’accorder les réponses à tes questions avant de te détruire.

- Tu n’es qu’une pourriture. Tu ne me détruiras jamais !

- Une pourriture qui infecte ton âme, Michael. Qui la ronge. Tu ne veux pas savoir pourquoi ? »

De nouveau, je me mords les lèvres.

« Si tu tiens tellement à me le dire, c’est que ça doit être néfaste pour moi. »

Ça éclate d’un rire métallique :

« Ne sois pas si suspicieux, Michael ! »

Et sans me laisser le temps de répondre, les murs de la pièce s’obscurcissent soudain autour de moi et tout se met à tourner.

« Laisse-moi te ramener vingt-cinq ans en arrière… »

Ça n’est plus qu’une ombre parmi les ombres. Je peux voir son sourire étinceler dans les ténèbres de mon esprit. La nuit se renverse tout autour de moi. Les murs, la pièce n’existent plus,çarepousse les limites de mes souvenirs enterrés. Comme un cadavre que l’on exhume, des images prennent forme et déchirent le néant. Les couleurs, les odeurs, les sons envahissent mon esprit. Me voilà de retour chez moi, dans la petite maison où j’ai grandi, en pleine campagne. Je suis debout au milieu du champ qui borde le jardin. Au loin, la forêt coure sur la lande, et un lac aux eaux miroitantes troue le paysage de son immense œil bleu. Les blés aux épis naissant caressent mes bras à chaque mouvement du vent. Le Soleil est éclatant. C’est une journée magnifique dont je ne garde aucun souvenir, et pourtant, une chose viscérale en moi me murmure que c’est là que tout a commencé.

Une silhouette fend les hautes herbes à côté de moi. Je ne suis même pas surpris. Ça contemple le paysage qui ne trouve aucun écho dans ses yeux noirs.

« C’est par là », dit-il en pointant le doigt vers la maison.

« Comme si je ne le savais pas.

- On ne sait jamais. Je t’ai toujours trouvé un peu lent. »

Il rit de sa propre remarque. Je me contente de l’ignorer. La maison de mon enfance me fascine, elle m’attire comme un courant de montagne remontant à sa source. La source du Mal.

Je traverse le champ, je me retrouve très vite devant la grande porte de bois, à l’ombre du cerisier. J’aperçois alors ma haute silhouette vêtue de noir qui me dépasse et sourit. Ça contourne la maison. Sans me poser de questions, je m’élance pour le suivre. Les pavés moussus et inégaux de mon enfance claquent sous le cuir de mes semelles d’homme. Nous arrivons tout au bout du jardin, là où l’herbe verdoyante laisse la place à une plage de terre et de pierres fracturées. Mes jambes font le trajet d’elles-mêmes, comme si la mémoire des lieux était restée ancrée en elle. Je me souviens de ces promenades que je faisais le long du lac. A l’époque, les pierres coupantes de la rive avaient entaillé mes chevilles un bon nombre de fois. Cela ne m’empêchait jamais d’y retourner. Tout au bout de la plage, il y avait une large bande de terre dégagée, presque du sable. On pouvait y courir et y jouer à loisir, et l’eau glacée du lac venait lécher les plaies de mes pieds endoloris.

Soudain, j’entends des rires, juste devant moi. Quelques pas encore. Ça y est, je les vois. Deux enfants sont en train de jouer le long de la rive. Deux petits garçons aux cheveux bruns et en maillot blanc, qui tournent en rond en essayant de s’attraper l’un l’autre. Deux frères, à l’évidence. Le plus grand doit avoir environ six ans. Il a de beaux yeux verts et des cheveux bruns qui bouclent à l’arrière de sa nuque. Son cadet, avec ses grands yeux bleus remplis de curiosité, n’a pas plus de deux ans. Une jeune femme reste auprès des enfants, endormie à l’ombre d’un arbre. Elle semble épuisée mais comblée, l’arrondi que forme son ventre justifie sa fatigue. Je la reconnais aussitôt. Ma mère. Je ne peux me détacher d’elle. Si douce et si belle… Un trésor enfoui au plus profond de ma mémoire. Jusqu’à présent, je pensais n’avoir aucun souvenir d’elle.

Mon regard retourne auprès des deux enfants. Le plus jeune, évidemment, c’est moi. Michael Chesnay, dans la pureté de l’innocence. Mes yeux ne brûlent pas encore de cet éclat de crainte et de Mal.

Soudain, l’angoisse me saisit. Ça se tient auprès de la berge et il contemple l’eau, sans bouger. S’il m’a amené ici, il doit bien y avoir une raison. C’est ici qu’il est né. Le choc me paralyse entièrement. La peur me déchire le ventre, et à nouveau, j’ai la sensation de tomber, tomber là où il n’y a même plus de fond pour m’arrêter. Mes yeux font sans cesse l’aller-retour entre ma mère et ces deux enfants qui jouent sur la berge. J’avais bel et bien vu juste, l’enfant que je suis dans ce souvenir doit avoir deux ans tout au plus. Et le petit garçon aux yeux verts qui ramasse des pierres polies au bord de l’eau, ce ne peut-être que mon frère, Ethan. Je me retourne vers Ça.Je sais ce qui va se passer. Je le sais et je ne veux pas le voir. Je suis déjà horrifié que ma mémoire en ait conservé le souvenir.çasent mon regard qui coure sur sa nuque, qui refuse d’assister à ce qui va suivre. Il détache un bref instant ses yeux de l’eau, et je comprends à présent pourquoi il la contemplait avec autant d’attention.

« Observe, Michael. C’est pour ça que nous sommes là.

- Je sais déjà ce qui va arriver. Pourquoi est-ce que tu m’infliges ça ? »

Ma voix n’est qu’un murmure étranglé.

« Tu voulais comprendre, Michael. Tout ceci est la clé. Ça - il désigne les enfants derrière moi du doigt - a fait de toi ce que tu es. »  

Alors, irrésistiblement, je me retourne. Je vois Ethan lâcher ses pierres et se précipiter dans l’eau glaciale. A quelques mètres de là, mon minuscule corps d’enfant se débat contre les eaux qui l’aspirent. Je vis la scène au ralenti. J’ai l’impression que la mémoire me revient au fur et à mesure que je la regarde, sans pouvoir rien faire.

Petit Michael a deux ans, ce jour-là, et il a cru voir un reflet au fond de l’eau. Or il se souvient parfaitement de cette histoire de pirates que sa mère lui lit souvent le soir, celle où les pièces d’or brillent comme des Soleils au fond de l’océan. Et s’il y avait un trésor au fond du lac ? Alors petit Michael s’avance vers l’eau. Il a froid, ses membres grelottent sous le maillot qui colle à son corps, mais il continue quand même. Il s’est enfoncé jusqu’aux épaules lorsque soudain arrive la frontière où les eaux deviennent noires.

Et là, petit Michael a peur.

Il se tourne vers la berge, où sa maman dort toujours à l’ombre de l’arbre. Il se sent soudain seul et il a très peur et très froid. Il voudrait se serrer contre le ventre chaud de maman, avec le bébé qui donne des coups contre son oreille lorsqu’il y pose sa tête. Alors Michael veut retourner vers la berge, mais les pierres tranchantes du lac glissent sous ses pieds. Michael tombe au fond de l’eau, là où le noir devient plus noir que la nuit.

« Non… », je murmure.

Depuis la berge, je vois mon grand frère Ethan se jeter de tout son corps dans l’eau glacée. Il vient tout juste d’apprendre à nager, il est très fier de ses jambes qui s’agitent et le propulsent comme celles d’une grenouille. Mais aujourd’hui, c’est différent. Aujourd’hui, son petit frère est au fond de l’eau, et l’écume de sa vie disparaît lentement mais sûrement de la surface du lac. Alors Ethan nage, nage plus vite que son petit corps ne l’a jamais fait. Il arrive là où Michael a sombré et il plonge, sans hésiter. Le froid lui taillade les chairs. Le noir est total. Ethan nage vers le fond et rencontre très vite le sol sous ses mains. Où est passé Michael ? Il n’est sous l’eau que depuis quelques secondes, mais déjà le manque d’oxygène oppresse ses poumons d’enfant. La tête lui tourne. Il faut trouver Michael. Ethan se débat, agite les bras pour lutter contre l’eau qui le force à remonter, remue la vase encore et encore. Ca y est ! Il l’a senti ! Un bras minuscule, inerte. Poussant une dernière fois sur ses jambes durcies par le froid, Ethan s’agrippe à ce bras perdu au fond de l’eau et il se propulse pour crever la surface. Michael est en vie ! Il tousse mais il respire, il est encore conscient, il est resté moins d’une minute dans l’eau glaciale. Ethan pleure de joie, de peur et de soulagement. Tout aurait pu se finir là.

S’il n’y avait pas eu ça.

A l’instant où Ethan passe les bras de son petit frère autour de son cou pour les ramener vers la berge, le poids de Michael lui fait perdre l’équilibre et il glisse sur les pierres qui maculent le fond de l’eau.

Je sais ce qui va se passer. Je dois empêcher ça ! Je sers les poings, prêt à m’élancer à mon tour dans l’eau, lorsque la voix de Ça, très calme, me retient :

« Ça ne sert à rien, Michael. Ce n’est qu’un souvenir. »

Je ne l’écoute pas.Le cri de mon frère vient juste de résonner à mes oreilles. Comme le cri de cette fille que j’ai noyée. Abominable.

Le hurlement désespéré d’Ethan a réveillé ma mère qui se relève aussi vite que son état le lui permet. Elle voit ses deux enfants à plus de vingt mètres de la rive et elle court, mais il est déjà trop tard. En tombant, Ethan s’est entaillé la jambe sur une des pierres du fond. Le rebord de la roche lui a brisé l’os. Il ne peut plus supporter à la fois son poids et celui de Michael. Il voit sa mère courir vers lui mais il sait qu’il ne tiendra pas. S’il continue à les maintenir tous les deux hors de l’eau, il perdra connaissance et son frère et lui se noieront. Alors, Ethan, du haut de ses six ans, fait un choix que bien des adultes se seraient refusés à faire. L’eau du lac n’est pas très profonde à l’endroit où ils se tiennent, juste assez pour les noyer si jamais il cesse de nager. Il ne manque que quelques centimètres pour que lui et son frère puissent prendre pied. Seulement Michael ne sait pas nager, et l’extrême froideur de l’eau le plonge dans une semi torpeur. Ethan, lui, est incapable d’avancer. Sa mère vient d’entrer dans l’eau mais elle a les pieds nus, les roches glissent sous ses pieds, écorchent sa chair. Elle avance lentement. Ethan essaye de se tenir conscient mais ses bras n’ont plus la force de soutenir le corps de son frère qu’il laisse peu à peu s’enfoncer dans l’eau. Il n’a plus le choix. Juste avant que le voile de l’inconscience ne vienne obturer ses yeux, Ethan se laisse tomber au fond de l’eau et s’y recroqueville. Il use de ses dernières forces pour asseoir son frère sur la tranche de son épaule, point le plus haut de son corps. Puis la douleur a raison de lui. Ethan perd connaissance dans le lit du lac, et ses poumons se remplissent d’eau noire.

Depuis la berge, j’entends ma mère hurler. Je tombe à genoux. Dans l’eau, perché sur le corps de son frère, le bébé que je suis n’a même plus la force de crier sa peur et sa douleur. Ma mère parvient enfin jusqu’à lui et commence par le prendre sous son bras pour le sortir de l’eau. Puis elle se penche, le sol instable, très en pente, glisse sous son poids. Elle sent le corps de mon frère juste à ses pieds et elle tente, de toutes ses forces, de se baisser et de le hisser à l’air libre. Une mare de sang a remplacé la surface de l’eau. Petit Michael et sa mère baignent dans le sang d’Ethan. Lorsqu’elle parvient enfin à le remonter, elle revient vers la berge, aussi vite qu’elle le peut. Elle abandonne Michael sur la rive et allonge le corps d’Ethan sur la plage. La traînée de sang l’a suivi jusque-là. L’os du tibia a transpercé sa jambe. Il est pâle et froid comme la Mort. Il ne respire plus. Les cris de ma mère déchirent la splendeur du paysage. Le rêve est devenu cauchemar. Petit Michael pleure à côté du cadavre de son frère qui a donné sa vie pour lui, et pour une histoire de pirates.

J’assiste à la scène à genoux dans le sable, le regard vide. Je ne retiens plus les larmes d’horreur qui coulent sur mes joues. Il y a comme un trou béant à la place de ma poitrine. Je regarde ma mère qui tente encore et encore de faire battre ce cœur qu’elle a elle-même mis au monde. Pendant plus d’une heure, elle comprime la poitrine inerte d’Ethan. Puis, voyant que tous ses efforts restent vains, elle s’allonge à côté du corps de son fils, caresse son visage, arrange ses cheveux, ferme et embrasse ses yeux, chacun de ses traits. Puis elle se recroqueville contre lui, pose sa tête sur le sol sablonneux, ses jambes entaillées encore à moitié enfouies sous l’eau, et elle ferme les yeux à son tour. Elle n’entend plus les cris de petit Michael qui résonneront longtemps dans le silence, jusqu’à ce que son père ne les trouve.

Le souvenir commence à s’effacer. Le paysage devient flou, l’œil noir du lac se mélange à l’immensité de la forêt. Juste avant que tout ne disparaisse, je vois Ça s’approcher du bébé qui hurle en suppliant sa mère et son frère de bouger. Il s’accroupit sur le sol, et sans savoir pourquoi, je me rapproche moi aussi. Ça plonge son regard dans mes yeux d’enfant envahis de larmes, et doucement, il murmure :

« Bonjour…petit moi. »

Et au fond de mes propres yeux, je vois apparaître, presque indécelable, une minuscule teinte de noir. Le reflet des eaux noires où mon frère a péri, et où j’ai laissé mon âme.

Les contours de la petite pièce blanche réapparaissent brusquement autour de moi. Je suis toujours à genoux. Il y a du sable sur mon pantalon, un peu du sang de mon frère sur mes mains. Mes yeux me brûlent, quelque chose de chaud coule sur mes joues. Des larmes. Mon esprit est vide. Je ne suis plus capable de réfléchir. Ça m’a fait traverser les ténèbres de ma mémoire, et m’y a brisé.

Les murs se remettent à bouger autour de moi. Des dizaines d’images s’affichent les unes à côté des autres, en parallèle, comme si je me trouvais dans une salle remplie d’écrans. Ça se tient devant moi, son éternel sourire infernal plaqué sur mon visage, et soudain, les cris explosent. Les images hurlent tout autour de moi. Ce sont toutes des femmes. Trempées, en pleurs, criant et suppliant, elles se ressemblent et pourtant chacune d’entre elles est différente. Au milieu d’elles, il y a ma mère allongée sur la rive. Ma mère qui crie en sortant mon frère de l’eau. Ethan qui disparait dans les eaux noires. Je me prends la tête à deux mains. Je hurle moi aussi des paroles incompréhensibles. Des paroles de supplique. Je ne veux plus voir ça ! C’est insoutenable !

Brusquement, je me relève. J’ignore où je vais. Une trouée s’est ouverte dans le mur de mon esprit, je m’y engouffre. Je suis dans un couloir lui aussi tapissé d’écrans. Je m’enfuis à nouveau. Je cours, je cours sans m’arrêter dans les méandres de mon esprit, et partout les cris de mes victimes me poursuivent, me torturent, encore et encore, mélangés aux supplications de ma mère. Un labyrinthe de noirceur s’ouvre devant moi et il n’y a ni entrée ni sortie. Je suis à l’intérieur, condamné à errer dans la monstruosité qui me tient lieu d’âme. Je ne veux plus subir ça. Je n’en ai plus la force. Tout à coup, je cesse de courir. Les cris s’éteignent tout autour de moi. Les murs fondent, le sol se dérobe sous mes pieds. J’entends quelque chose comme le mugissement de l’eau qui déferle sur moi. Les eaux noires inondent mon esprit.

 

Lorsque j’ouvre les yeux, je suis de nouveau dans la cave, dans le noir complet. Mais l’obscurité n’est pas un problème, mes yeux s’y sont habitués. Je m’accorde quelques secondes le temps de récupérer mes esprits. Ou plutôt devrais-je dire mon esprit. Mes muscles sont crispés à l’extrême, traumatisés par l’expérience que je viens de vivre. J’en ressors éprouvé, encore tremblant et mort de fatigue. Mais je suis là. C’est l’essentiel. J’ignore comment j’ai réussi après toutes ces années de lutte acharnée, mais aujourd’hui, je suis enfin en paix, libéré de lui, et seul.

J’essuie la sueur qui a coulé tout le long de mon dos et je me relève lentement, les membres endoloris d’être resté si longtemps à même le sol. Je remonte les escaliers de la cave et je sors, en pleine lumière. Anna est toujours dans la cuisine, et elle chantonne. Le bébé a cessé de pleurer. Je souris. Je vais jusqu’au salon et je contemple les photos de famille qui s’étalent sur le rebord de la cheminée. L’une d’elles m’interpelle en particulier. C'est une photo d'un Noël, il y a des années. On y voit mes parents, mon frère et moi-même, debout dans le hall de l’immeuble où j’ai vécu toute mon enfance. Dans ses bras, ma mère tient un nourrisson âgé de quelques semaines. Mon sourire se transforme. Un rictus carnassier défigure mes traits harmonieux. Michael avait toujours été fort. Mais il ne soupçonnait pas les pouvoirs de l’esprit. Implanter dans sa mémoire de faux souvenirs, l’espace de quelques minutes, n’avait rien de bien compliqué. Lui faire croire à la mort de son frère. A cette maison, près du lac, toute droit sortie de mon imagination. Il n’y a jamais eu de lac. Ethan n’est jamais mort englouti par les eaux noires. Ce n’était qu’un mensonge. Une manipulation de l’esprit. Je n’ai jamais su pourquoi j’existais. J’ignore ce qui m’a créé.

Michael a fait l’erreur de croire à quelque chose que je lui montrais. Il a enfreint la seule et unique règle à ne jamais, jamais transgresser. Il m’a fait confiance.  

Je croise mon reflet dans un miroir. Dans mes yeux, aucune trace de bleu. Rien que l’abyme dans lequel Michael a sombré. Je suis Ça.

Je me détourne, je me rends jusqu’à la cuisine, et je passe mes bras autour de la taille d’Anna. Je dépose un baiser dans son cou. Ma main se referme sur le manche du couteau qu’elle tient entre ses doigts.

Michael Chesnay n’est jamais remonté de cette cave où il s’était enfermé. Il a tout simplement cessé d’exister. Les murs de notre esprit se sont à jamais refermés sur lui. A vous qui lisez ces lignes, je sais que vous m’observez. Je vous mets en garde. Méfiez-vous de vous-mêmes. Il se pourrait bien que je vous rende une petite visite, très prochainement… Je sommeille en chacun d’entre vous. Je suis le Mal que personne n’ose s’avouer. Je guette, à chaque instant, la moindre faille qui vous fera basculer. Sondez votre esprit. Plongez dans la noirceur de votre être. Au détour d’un méandre… Je suis là, et je vous attends.

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Et voilà, j'espère que ça vous a plu ;D

Je tiens également à vous dire que si vous aimez ce que je fais, mon premier roman papier, Ezéchiel, est paru aux éditions Edelweiss le 27 janvier 2021 ! 

C'est un roman psychologique qui parle de la frontière entre le rêve et la réalité, et de la façon dont notre subconscient peut nous manipuler. Avec une jolie romance en prime ! ;D

N'hésitez pas à jeter un coup d'œil aux premiers chapitres que j'ai gratuitement mis en ligne sur ce site si vous souhaitez vous en faire une idée, et à en parler autour de vous pour me soutenir dans mon travail et m'encourager !

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Nat'

 

 

 

 

 
     
     
 
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