Des baisers furtivement échangés, pendant que l’autre ne fait pas attention, des mains qui frôlent le corps de l’autre, des sourires, des regards. Il est attiré, inexorablement, par le charme enfantin de l’adolescent, comme par un aimant. Il a ce besoin compulsif de le voir, le regarder, savoir qu’il est là, et pas ailleurs. C’est étrange. Déroutant aussi. Ils parlent peu, préférant s’observer en chien de faïence, pour ne pas dire de bêtises pouvant tout compromettre. Quelques jours qui s’écoulent, dans cette ambiance douce-amère, faite de frôlements et de sourires, de regards et de rêves fugacement ébauchés. Et un jour, le garçon s’approche et s’installe entre les jambes de l’asiatique, comme un chiot quémandant de l’attention. Lui s’était installé ici avec un verre de lait –habitude héritée de son enfance– pour regarder les informations. Toujours l’histoire de l’enlèvement du gamin qui s’était à présent logé entre ses jambes. Les yeux verts se levèrent sur lui alors que le dessin animé stupide suivant les actualités passait à l’écran. Il avait quelque chose à demander, il le sentait. Et il ne se trompait pas.

- Mon père n’a rien à voir avec ça. Je le sais.

Une ébauche de sourire prit place sur les lèvres du brun alors qu’il tirait négligemment sur les mèches trop longues du blond, qui ne cilla pas. Il voulait des réponses. Sans réellement connaître les questions. Le blond grimaça sous les doigts trop secs quand ils agrippaient ses mèches.

- Je sais.
- Tu pourrais le leur dire.

Moment de réflexion. L’adolescent avait répondu du tac au tac, avec cette insolente lueur au fond des yeux, qui lui donnait envie d’être acide et mordant, moqueur et désagréable. Et avec cet infime soupçon d’espoir enfantin. Pourtant, il ne les aimait pas trop jusque là.

- Pour perdre ma liberté ? Plutôt crever.
- Mais… Et il avait l’air désemparé devant cette réponse.
- Et pourquoi vouloir l’aider ? Aux dernières nouvelles, tu ne l’appréciais pas tellement.
- Mais, c’est mon père.

Comme si ça, ça pouvait expliquer toute cette situation.

- Ah oui, j’avais oublié. Excuse-moi, je vais aller me livrer à la police et passer des années en tôle pour t’avoir enlevé. Pousse-toi, j’y vais.

Et il esquissa les gestes, repoussant durement le gamin plus de désespère désormais, se redressant souplement. Avant d’être collé au mur par le corps d’un blond écervelé qui vient seulement de réaliser ce qu’il avait impliqué et sous entendu dans sa phrase.

- Non non ! Reste, me laisse pas… Pardon pardon pardon…

Il résista devant tant de regret, tant de douceur et de désarroi dans cette réaction incongrue. Mais la situation était anormale depuis le début… Un kidnappeur était-il censé éprouver de la sollicitude pour sa victime ? De la tendresse ? Non. Un kidnappé était il censé éprouver cette envie dévorante d’être dans les bras de son ravisseur, de circuler librement dans l’endroit où il était retenu ?

- Tu peux partir si tu veux. Mon contrat ne tient plus.

C’était vrai. Il le lui annonçait, ainsi, de cette voix froide et atone, impersonnelle. Pour lui laisser le choix…

- Mais Il va me tuer si je reviens. Il trouvera une autre solution. Non ?
- … Oui. Les mots lui avaient écorchés la gorge, dire ça, à cet enfant… Un adolescent. Il avait tendance à l’oublier, mais ça lui permettait de garder ces distances. Un peu.
- Alors je ferais mieux de rester ici. C’était vrai, ça aussi.
- Et on vivra tous deux ici, heureux ? Ne me fais pas rire. Cette histoire prendra rapidement fin, et tu retourneras chez toi.
- C’est vrai… Et le bout d’homme baissa la tête, honteux. Triste.

C’était mieux ainsi…

- T’es vraiment pas net comme gosse.

Plaqué contre un mur par un garçon aussi fragile qu’une poupée, le brun réfléchissait. Il n’aimait pas cet air perdu, ce regard troublé.

- Si j’aide ton père… Sortiras-tu de ma vie ?

Les mots étaient surement mal formulés, mal choisis. Il avait du mal à trouver les bons pour dire ses choix… Mais se séparer et ne jamais se revoir, c’était la meilleure des solutions. Pour ne plus être troublé, pour ne plus penser à tout ça. C’était inutile. Le regard vert s’attrista. Mais il ne dit rien, c’aurait été stupide.

- Oui….
- Promet-le.
- … Promis…

Une promesse, un serment. Une fois que cette histoire sera réglée, ils se sépareront. Et plus jamais les souvenirs ne referont surface… C’était le mieux. Le blond le lâcha, s’éloignant d’un pas chancelant pour sortir de la pièce. Le brun se laissa glisser au sol, sortant d’une main prise de tremblement son paquet de cigarette. Il en avait besoin. Vite. Quelque chose qui le distrait, qui le calme. Sortant le fin bâtonnet, il l’alluma avec son briquet, laissant la fumer acre intoxiquer ses poumons. Mais c’était si bon… Et il fumait, inconscient que dans la pièce voisine, un gamin blond était pris d’une crise de larmes, parce tout lui semblait confus, parce qu’il avait promis quelque chose qu’il ne voulait pas.