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Virée Fatale
Par Hysteric-Fairy
Originales  -  Fantaisie  -  fr
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L'Empire de la Vérité

Chapitre 2 : L'Académie, L'Empire de la Vérité.

              Son souvenir me hanta par saccades violentes, lors de nuits agitées, même lorsque je sortis de l'enfance, dans des songes indescriptibles dont je n'arrivai à retenir que son sourire méchant et son regard terrifiant d'enfant monstre. Son odieuse voix résonnait encore à mes oreilles lorsque je me réveillais trempé de sueurs froides, les yeux grands ouverts, avec la crainte de me rendormir. En avais-je fait inconsciemment l'objet de ma propre tourmente ? Je fus tout de même aise que les cauchemars que j'en faisais s'effaçaient avec l'âge pour ne plus me décrire que des traits très flous et lointains de l'enfant terrible. Alors que j'arrivais à l'âge respectable de mille huit cent quatre-vingt-dix-huit ans, l'âge de la maturité chez les Elfes, après une vie tendrement gérée par Mère, loin de Père, ce qui n'était pas pour me déplaire, je fêtais dignement mon passage à l'adolescence officielle.

                Nous attendions par ailleurs une réponse favorable de l'Académie Mixte des Généraux d'Iter Facio, où Père avait insisté pour que je postulas, malgré les très maigres chances que je sois reçu. Et pour cause, l'Académie Mixte n'était plus si mixte que cela, avec la grande majorité d'Anges qui y siégeaient fièrement. Après une longue scolarité où j'appris les bases élémentaires de la connaissance d'un Elfe « de mon rang » sous les bons soins d'un précepteur choisi par Père, qui m'inculqua l'écriture, les sciences, le culte qui impliquait le sens de la hiérarchie et le respect envers les Anges à mon grand damne, mais aussi l'art des armes, surtout des armes à feu. Ici pouvait s'arrêter l'éducation et l'enseignement pour les enfants des familles au même grade que le nôtre dans la société Elfique. Cependant, mes parents m'incitèrent à ambitionner une place des plus convoitées et puissantes : Membre de l'armée Elfique. Et pour cela une seule solution était possible : Entrer dans l'Académie la plus prestigieuse, qui donnait une formation égale pour les Anges et les Elfes. De là seulement pouvaient sortir les Elites, qui gagneraient le respect de leurs pairs, divins dirigeants emplis de connaissances infinis, ayant côtoyés des êtres suprêmes qui comme eux seraient protecteurs de leur ridicule cité grillagée d'or, combattants parmi les meilleurs, détenteurs de grandes puissances de la Nature, participants à l'équilibre du Monde, défenseurs contre des invasions venant d'autres mondes. Ou peut être simplement garants de la condition servile des Hommes finalement. Ces craintes d'une attaque au delà de notre Monde, n'étaient-elles pas finalement qu'un prétexte pour assurer à jamais l'infériorité des Hommes, à la longévité limitée, à l'esprit étroit ?

             Je me souvenais brièvement quelques temps plus tôt d'avoir été en proie à des crises de fièvres soudaines, juste avant l'examen. Peut être fut ce le premier jour où j'expérimentais réellement un trac immense, la crainte de ne pas être reçu, la crainte d'échouer, même si je doutais fort de mes chances de pouvoir intégrer l'Académie. Je ne me souviens pas d'avoir cherché à comprendre les questions que l'on me posait, ni même les capacités qu'on m'avait dûment expliqué attendre de moi. Mère m'apporta le jour des résultats un rouleau de parchemin bleu ciel, scellé de cire verte. Effet de style ou non, j'en tremblai à l'ouverture, lorsque entre mes mains fébriles, une écriture sèche s'étala sur le fond bleu. Bien malgré moi, je lus à voix haute devant ma mère et les domestiques le message bref, mais significatif. Je déchiffrai l'écriture alambiquée, un Ange à n'en point douter. 

            Cher Monsieur Nérento Oreichi, nous avons le plaisir de vous annoncer que vous avez été reçu à l'Académie Mixte après avoir passé brillamment vos épreuves. Nous espérons que votre honneur d'être parmi nous fera le nôtre.

Signé : Rochel Fed-Roscher, Séraphin du Premier Ordre, Directeur de l'Académie Mixte des Généraux.

 

            Je notai mentalement une nouvelle démonstration de la grande modestie des Anges dans le titre qu'il s'attribuait en signant, ainsi que la vaine prétention  qu'ils se faisaient de deviner les moindres réactions de leurs « inférieurs » que nous étions. Seulement Mère était si heureuse, que j'oubliai vite ces considérations pour lui partager de mon bonheur également. Ces larmes de gaieté mêlée à celles de la douleur de me voir partir de notre foyer pour la première fois me torturaient l'esprit mais me réchauffaient le cœur, tandis que je me mettais à préparer mon entrée à l'Académie.

            Un an plus tard, j'intégrai l'Illustre Formation, renommée Angélique et Elfique faite, une petite valise emplie de souvenirs, des derniers cadeaux de Mère, dont son journal personnel qu'elle n'avait jamais osé montrer à personne. Imbibé de son parfum, il fut le plus précieux de tous, imprégné de douces mémoires, de réminiscences tendres à mon esprit. La Formation serait longue, l'Enseignement mettant à l'épreuve les plus rudes et les plus endurants que ce fût moralement ou physiquement. Je savais que je n'en ressortirai que dans quelques centaines d'années, complètement changé, c'était presque inéluctable. Je ne m'étais guère trompé sur le sort qui m'attendait, peut être que je pourrais regretter les naïfs espoirs que je n'avais pu avoir sur le seuil de l'immense bâtisse, peut être que je regrette l'innocence qui m'était propre, la confiance en notre avenir, peut être que toute une partie de mon âme a disparu à jamais au fond d'un gouffre dont j'ignore le nom, mais à ce moment, que m'importais plus que de tout apprendre, tout découvrir, tout acquérir de ce monde où je pourrais bientôt avoir ma place ?

             J'entrai par une porte principale monumentale, de pierre blanche, et marchai en observant le plafond qui n'avait jamais paru aussi loin de ma tête qu'à cet instant. Même la salle d'examen immense regroupant des candidats de toutes régions, n'avait pas égalé en hauteur la taille de ce hall extraordinairement imposant. Je baissai les yeux pour chercher des repères, et percutai maladroitement un Ange brun qui visiblement pensait à autre chose. « -Pardon, je… commençai-je.-Pour qui te prends-tu, Elfe ? rétorqua immédiatement l'autre.-Je vous PRIE de bien vouloir accepter mes EXCUSES, repris-je avec force, furieux de sa réaction. Je cherchais ma route et n'ai point constaté la présence de votre personne. Pourriez-vous me renseigner que j'évite de bousculer autrui de nouveau ?-Est-il indiqué, AMI Elfe, que je suis un hôte d'accueil ? »Il prit alors un air suffisant et me tourna délibérément le dos pour repartir dans la direction opposée. Ma première désillusion fut charmante, et je ne pris que trop peu de temps à m'en satisfaire. Les suivantes seraient bien pires.

            Je pris rapidement la décision de rejoindre le bureau directorial pour espérer y trouver un peu d'aide, n'ayant ni aperçu, ni même entraperçu l'ombre d'un hôte d'accueil comme me l'avait si gentiment proposé l'Ange brun. Les couloirs sans fin se succédèrent longuement tandis que je suivais des panneaux dont je commençais à douter de la véracité. Je frappai poliment et entrai dans la pièce pour constater que le directeur n'était pas l'homme occupé qu'on aurait pu croire. Occupé à tailler une plante que je n'avais jamais vue en une forme de buisson épineux. Je me présentai, et m'y repris à deux fois pour lui faire comprendre mon nom. Il me tendit un vieux morceau de parchemin où se trouvaient tracés divers traits à moitié effacés, d'après lui censés représenter un plan de l'Université. Il saisit une longue plume de paon, sans manquer de me la faire admirer avec fierté, et entoura soigneusement un carré coloré par dessus les traits incertains. Il me demanda de lui rapporter la « carte » sitôt ma chambre trouvée, et ajouta que l'endroit qu'il m'avait indiqué correspondait à deux chambres doubles, chacune déjà occupée par une personne. Puis il me ferma la porte au nez avec toute la délicatesse dont il était possible de faire renvoyer un Elfe par un Ange. J'atteignis avec moins de labeur les deux chambres et ouvrit dans un bruit sourd la porte de droite où je vis une silhouette familière, et mes pires craintes se confirmèrent tandis que j'apercevais ses cheveux bruns et sa carrure de lutteur. L'Ange brun que j'avais bousculé, ou plutôt qui m'avait percuté au milieu du hall d'entrée ! Je refermai la porte en silence en espérant de tout cœur qu'il n'aurait jamais repéré ma présence et ouvrit la porte à l'opposée avec plus de confiance. Je pénétrai dans la chambre, et observai la pièce d'un œil critique, des menus objets non-identifiables traînaient sur le sol, épars, tandis qu'une jeune fille trônait, allongée sur le ventre sur un lit complètement défait, balançant ses jambes négligemment, de longs cheveux noirs détachés répandus, désordonnés comme ses affaires sur le sol. Je soufflai de soulagement, malgré le fait que j'aie constaté la présence des petites ailes blanches translucides dans son dos. Plongée dans un livre, elle ne tourna même pas la tête tandis que j'entrai. Je laissai choir mon sac sur le lit libre, séparé de l'autre partie de la chambre par un muret.

             « -Bonjour. Je m'appelle Nérento, je… je balbutiai. »

             Il fallait bien que je pris de l'assurance. Je n'allais pas me laisser impressionner par une Ange, il en était hors de question.

             « -Je partagerai la chambre avec vo… avec toi. »

             Voyant qu'elle ne se décidait pas à parler ni à lever la tête de son passionnant manuel, je repris de plus belle.

             « -Comment tu t'appelles ? J'imagine que si on doit partager cette chambre, on devrait en venir à s'appeler par nos noms.

-Harmonya. »

             Alors que j'extrayais consciencieusement mes possessions de mon sac, ce nom jeta dans mon cerveau un trouble profond qui me fit frémir. J'avais déjà ressenti cette sensation au fond de mon corps, ce genre de frisson douloureux et effrayant, j'essayai alors de me rappeler du moment où j'avais déjà entendu ce mot qui provoquait autant de violence dans mes pensées. Quand la vérité me vint. Malheureusement pour moi, les Elfes étaient réputés pour leur mémoire infinie.

             « -Harmonya… Harmonya…

-Genoko, finit-elle.

-C'était ça. Genoko. » 

              Elle leva le nez de son livre et s'assit sur son lit, me considérant avec toute la prétention du monde.

              « -Tu connais mon nom, Elfe ?

-Nous nous sommes déjà rencontrés. »

             Elle me fixa intensément, plissant les yeux.

             « -Effectivement. Tu me rappelles un jeune elfe qui n'avait pas ses yeux dans ses poches. N'attends pas de traitement de faveur, ni de moi parce que nous nous sommes déjà vus ou parce que nous sommes dans la même chambre, ni de cette école parce que tu y as été reçu. N'y vois là ni menace, ni injure, vous ne méritez sans doute même pas l'honneur de l'enseignement ici, vois y juste un avertissement clair et net d'entrée de jeu. Alors ne t'avises pas de désordonner mes affaires, ni même d'en avoir la pensée. Compris ? »

              La longue tirade de ma désormais co-habitante de chambre me laissa totalement coi. Et ce ne fut plus une quelconque haine que je lui vouai, mais une véritable affaire personnelle que je me fis de sa petite personne. Je demandai à changer immédiatement de place, lorsque je sortis de la pièce en trombe et vis à côté de la porte qu'il était apparu deux noms. Genoko, Oreichi. Charmante école. Adorable Académie dans laquelle j'abandonnerai une partie de mon existence. L'amertume me rongea toute la nuit de mon arrivée, maussade et bien différente de tout ce à quoi j'avais pu m'attendre. Comment pouvait-on obliger un nouvel arrivant à assumer une faute dont il n'était pas même coupable ?

             Le monde ne bascula pas lorsque j'entrai ici. Ma vie non plus. Au contraire, je me heurtai à une réalité affolante de ségrégation et de bizutage que je soupçonnais que mon propre Père n'avait jamais subi étant intermédiaire entre Anges et Elfes. Je trouvai dans mon infortune des compagnons de misère parmi la minorité d'Elfes présents à l'Université. Tous progéniture d'une Elite d'Elfes dont les noms ne m'étaient pas inconnus, mais presque. Père lui même devait ignorer leur existence. Nous ne nous risquions guère auprès des groupes d'Anges, et jamais il ne nous serait venu à l'esprit de seulement espérer en devenir les amis. Amis avec des Anges, pour subir leur courroux dès la moindre erreur, dès le moindre geste mal placé, dès le moindre mot suspicieux, et devenir la victime de leurs idées étranges, ou d'un bizutage qui nous forcerait à leur offrir sur un plateau notre dignité, très peu pour moi. Mon honneur comptait plus que mon sentiment de solitude, tel que me l'avait enseigné mon précepteur.

              De ce fait s'était formé une pseudo bataille de gangs entre certains groupes d'Anges, mais surtout des insultes et des piques lancées à l'unique groupe Elfique. Je ne pus m'empêcher de remarquer qu'Harmonya traînait fréquemment avec la première personne que j'avais rencontrée en arrivant dans l'Académie, vraisemblablement un sportif qui n'avait sans doute pour seul mérite d'être là qu'une excellente relation avec la direction, et qui ne semblait avoir pour conversation qu'une utilisation limitée de mots pour chaque phrase qu'il daignait bien prononcer. J'en déduisis naturellement qu'Harmonya ne devait guère être beaucoup plus élevée au niveau mental pour bien vouloir accepter la compagnie d'un tel individu, ce qui conforta les prédictions que j'avais faites étant enfant à son propos. Et cela me donnait une excellente raison de m'enfermer dans ma partie de chambre, lorsque je revenais de cours pratiques exténuants, où l'aimable Ange brun ne se privait pas de me montrer une supériorité physique écrasante, véritable masse de muscles ambulante sans doute plus liée à l'absorption de substances peu adaptées, qu'à l'existence d'un entraînement véritable. Bien que la honte et l'humiliation que me faisait subir régulièrement mon voisin de chambre m'eurent étouffé de rage et d'une colère que je devais taire à défaut de pouvoir l'hurler à travers une Académie peu soucieuse de mes états d'âme, je me refusais à montrer des sentiments, ni même la moindre douleur devant ma colocataire, bien décidé à lui faire démonstration que j'avais plus ma place ici que celui qui lui tenait lieu de garde du corps, plus que figure de compagnon. Ma haine se mua en une indifférence cinglante, au fur et à mesure que j'étais agressé par les Anges plus âgés, mais que je ne laissai rien transparaître de mon âme sur mon visage. Cependant la Nature m'accorda dans son immense charité, le répit d'être compris par les quelques Elfes de l'Ecole, eux-mêmes victimes des brutalités –le mot était faible– de la population majoritaire qui se prétendait la plus apte à recevoir l'enseignement ici-bas. Ainsi entrais-je dans l'Académie, et rejoignis rapidement le groupe des Elfes, dans un instinct semblable au leur, qui poussait naturellement les êtres faibles dans un environnement hostile, à se rassembler pour mieux faire face à l'adversité et se soutenir mutuellement contre des violences verbales auxquelles il était difficile de s'opposer sous peine de voir succéder à l'insulte le geste inamical qui en clarifiait le sens. Je n'étais pas faible. Mais n'importe qui, sous les coups répétés, aurait cherché un moyen de ne plus souffrir, surtout lorsqu'un groupe lui tendait la main. Nous en profitions pour partager nos connaissances et mieux survivre dans une Ecole qui ne laissait pas de chance aux moins qu'excellents parmi les Elfes. Il fut presque rassurant de constater que je n'étais pas seul, pour moi comme pour les autres Elfes qui arrivèrent quelques mois après moi. Nous rivalisions d'ingéniosité particulièrement pour nous entraîner et pour nous cacher dans les recoins inconnus de l'Académie aux yeux des Anges.

             Je passais les quatre-cents premières années de ma formation dans le Sanctuaire du Temps. Le domaine de l'absolue patience, le début de tout, et notamment de ma souffrance, tout commençait dans cette partie méconnue et instable de l'immense bâtisse qui formait l'Académie. Cependant, comparée à l'abomination que  je subissais à vivre constamment entouré d'Anges qui psalmodiaient à mon passage des chants qui n'étaient guère des plus plaisants, ni des plus religieux, contrairement à leur réputation, le temps passé dans le Sanctuaire me paraissait réellement plus reposant que le sommeil même que m'offrait le lit de ma propre chambre.

Franchir la première étape de la formation consistait en une véritable épreuve d'endurance, autant mentale que physique. Le monde matériel dans lequel nous vivions était corrompu par le Temps, d'où le nom du Sanctuaire, dans lequel il s'agissait de se rendre Maître de son corps matériel en maîtrisant cette in-substance corruptrice de l'essence même des êtres. La première limite à franchir paraissait simple, mais me prit bien à elle seule une dizaine d'années, bien que lorsqu'on se concentre sur une tâche paraissant inaccessible, le temps paraît moins long, les efforts que je dus fournir furent colossaux par rapport à l'enseignement que j'avais reçu de mon précepteur. Malgré ce temps relativement long pour arriver à un pseudo-résultat, je fus évalué comme « de bon niveau » par les professeurs en charge du Sanctuaire, dont un des Généraux, l'Ange Exterminateur du Temps, qui nous accordait, grâce à ses pouvoirs en la matière, une formation des plus instructives. Il s'agissait au début de s'appuyer sur un objet simple, métallique, le métal étant la matière la plus facile à manier par des débutants en maîtrise du Temps. D'abord se concentrer sur l'objet, puis s'en rendre Maître en établissant un lien particulier tel qu'on ne « voit » plus que lui, qu'on ne sente plus que lui, en le fixant de sa propre âme. Le véritable but de l'épreuve étant de nous entraîner à ouvrir notre âme, oublier le temps, et notre corps. Nous ignorions de ce fait tous, ce à quoi devait aboutir cette première étape, que ce soit au niveau de l'effet, comme du pouvoir ou de la conséquence que cela aurait pu avoir sur nous.

             Rachel, l'Ange du Temps, ne nous fit jamais démonstration de ses véritables pouvoirs durant les trois-cents premières années. A aucun moment. J'imaginais que nous n'aurions même pas été capables de le comprendre ou même de constater l'étendue de ceux-ci. Ma naïveté fut générale, j'en fus même presque rassuré lorsque un millier d'années plus tard je découvrirais l'ampleur de notre bêtise. Cependant je fus particulièrement aise de la voir régulièrement se pencher sur le cas de notre cher voisin de chambre, pour ne pas le nommer, qu'elle jugeait de nullité incurable en matière de concentration. L'ignominie sans nom provoquée par les diverses tentatives de celui-ci se limitait généralement à des objets brisés par la seule force de concentration de ses doigts, et à des cris étouffés de rage des professeurs, ainsi qu'à une indignation non retenue de la part de Rachel, et à un rire intérieur de la mienne accessoirement. J'évoluais bien au milieu des Anges et des Elfes, malgré la difficulté que j'eus au départ pour ouvrir mon âme, l'idée même de soumettre mon esprit sur un objet, dénué de vie et de sens, me répugna d'abord au plus haut point, avant que je ne comprenne qu'il fallait en saisir l'essence pour s'en approprier. Une fois saisie, il me fut impossible de ne pas systématiser le procédé tant la sensation qu'on en ressentait était puissante et nouvelle. Je renouvelai les expériences hors de la salle, avec moins de succès, sur les moindres objets que je rencontrai, perdant parfois pied avec la réalité lorsque j'y parvenais, ou plus souvent avec ma dignité lorsqu'un Ange venait se moquer de ma pseudo-concentration qu'il ressentait, grâce aux pouvoirs astraux innés de leur race – Dieu que ce monde était bien créé, ceux appelés à dominer étaient dès leur naissance doté des plus utiles des pouvoirs pour soumettre les autres – dès que je voyais sa silhouette dans mon champ de vision. Dès lors où je pus faire échapper au temps l'objet, je fus pris d'une frénésie de contrôler cet objet, après mes dix premières années de travail forcé et de migraines atroces après des concentrations physiques. Après ma dixième année je constatai avec satisfaction que la nullité abyssale de mon ennemi du moment était restée au même niveau pendant ce court laps de temps. Tandis que les professeurs se démenaient comme des beaux diables ne supportant pas qu'un Ange ait pu rentrer à l'Académie avec ce niveau déplorable, oubliant même que les relations hautes placées pouvaient jouer de manière démesurée, notamment dans la Société Angélique, je continuai dans ma soif d'apprendre et de manipuler quelque chose qui m'était pourtant si inconnu.

             Loin de me décourager, le mystère de ce qu'on nous dissimulait, le secret du pouvoir des Anges Exterminateurs qui ne nous étaient jamais apparus, l'étrange illusion qui se créait autour de nous dès lors où l'on pénétrait le Sanctuaire du Temps, m'attirait plus que de raison, même si mes résultats n'égalaient pas ceux d'Harmonya. Je garde toujours l'impression de n'avoir jamais pu saisir l'aura de la Chose, qu'elle soit un objet de métal, ou un mécanisme complexe sur lequel on nous faisait travailler. Je me contentai de m'exercer dessus, obéissant comme un bon soldat, sans pouvoir m'emparer d'un quelconque sens. Le jour où je pus traverser de ma main chaque objet métallique que l'on me présentait, je compris seulement que cette formation initiale révélait notre aptitude à la magie du Temps : Rendre les molécules de l'objet aussi vieilles qu'elles ne soient plus liées, de manière à ce qu'on puisse passer facilement l'obstacle qu'il pourrait représenter. Ou en faire revenir les molécules à un état si jeune qu'elles n'étaient pas liées pour former cet objet solide. A partir de ce jour, nous pûmes passer à un autre exercice sur toute matière, aisément, et apprendre à en manipuler l'essence. Le rendre aussi dur qu'une lame d'épée céleste. Le décomposer pour mieux le détruire. Cependant ce genre de magie ne fonctionnait que sur les objets inanimés, dépourvus de vie, quelle qu'elle soit. Ainsi, j'eus une bien mauvaise surprise lorsque je tentai l'expérience sur une plante dans les couloirs de l'Académie. Le rejet de la matière vitale provoqua une petite explosion qui me projeta contre le mur opposé, et tandis que je me frottai le crâne, je me promis de ne jamais plus réessayer une notion non abordée dans le Sanctuaire. A l'issue de la cent cinquantième année, nous étions soumis à une épreuve intermédiaire avant de continuer l'apprentissage de la maîtrise de la magie, du dépassement des limites sensibles du monde. Un petit sablier nous était confié, mais la jonction entre les deux réservoirs était scellée d'un anneau de verre recouvert de cuivre, ainsi, la substance contenue circulait pas comme dans un objet standard de ce type. Je conserve même maintenant, ce sablier autour de mon bras, attaché par une chaîne à l'anneau complexe, autour de mon doigt. Qui pourrait comprendre l'importance que le matériel et le symbole ont pour moi ? Il était clé de la suite de notre initiation.

             Hors du Sanctuaire, il était possible de continuer à s'exercer sur le sablier, comme sur les petits objets métalliques. Malgré les sarcasmes que ma divine voisine de chambre ne manquait pas de me lancer, et les opinions sur mon travail qu'elle ne se privait pas de partager, je trouvais divers moments auprès du groupe d'Elfes qui se trouvait au même niveau que moi, pour me concentrer avec eux sur comment retirer l'anneau, en conservant le sablier intact, et l'anneau complet, pas seulement la partie cuivrée. Jial, qualifiée de « moins déplorable des Elfes » par les Anges, qui avaient sans doute oublié de compter un certain brun dans leurs rangs, nous y aidât grandement. Ainsi, au bout de quelques dix séances intensives jusqu'au milieu des nuits, nous fûmes trois à parvenir l'exploit de concentration gigantesque pour retirer l'anneau, nous rendions compte par ce même acte que le procédé n'était finalement pas si difficile, même si nous perlions de sueur à grosses gouttes. Désormais nous étions quatre Elfes qualifiés, mais était-ce suffisant pour espérer une estime de la part de nos camarades Anges ?

              Jial n'avait pas évolué très vite, enfin, en ce qui concerne ses débuts dans le Sanctuaire, il lui fallut trois fois plus de temps que moi pour maîtriser l'essence du métal, mais après ses trente ans passés à comprendre, elle progressa sans s'arrêter, comme portée par une force magique inconnue. J'en avais déduis qu'elle avait sans doute, à ma différence, capturé le Sens du monde qui nous entourait. Ce qui lui permit de terminer vite la première partie de l'enseignement des Anges en s'attirant même des félicitations personnelles de la part de Rachel et de quelques professeurs. La seconde partie de l'entraînement se révéla réellement plus complexe, car il faudrait désormais maîtriser les objets informes et non visibles. La libération de son âme sur les objets que l'on pouvait toucher n'était que les prémices de la maîtrise d'une magie qui nécessitait de scinder corps et esprit pour la concentration, mais réclamait fusion de ces deux entités pour produire enfin la magie pure.

             La méthode en elle-même ne fut guère plus compliquée que celle des objets physiques et solides, seulement, les substances étaient si diverses qu'il me fallût tout le reste de ma formation pour les acquérir toutes, une par une, avec la patience qu'il fallait ; avec l'aide de Jial et de Fried, deux Elfes, comme moi, devenus mes compagnons de travail et d'amitié, de résistance et de soutien ; et avec les efforts dont je me rendais compte à chaque fois un peu plus qu'ils n'étaient que futilités devant la puissance à posséder. Nos résultats respectifs au sein de l'Institution stricte se maintenaient à un niveau plus que correct, et les professeurs Angéliques, bien qu'ils ne nous montraient que peu d'attention et de considération en raison de notre race, ne pouvaient s'empêcher de nous jeter de temps à autre des regards fascinés, notamment envers Jial qui acquit bien vite une haute maîtrise de la magie élémentaire de l'Eau. Je m'en pâmais, à l'observer des heures durant avec nos amis Elfes, faire virevolter l'eau de nos verres, faire apparaître du néant des gouttelettes de rosée pour nous rafraîchir pendant les Décennies Chaleureuses, ou valser dans les couloirs, emportée par une transe irrésistible, une magnifique ceinture aqueuse rythmant ses gestes, entourant son corps d'une élégante parure immatérielle, faisant briller son sourire d'argent et ses courbes graciles. Peut être que sans m'en rendre compte, j'étais pour la première fois en admiration devant un être qui n'était pour moi ni Ange, ni Elfe, ni Humain, peut être une créature à la fois irréelle et cruellement attirante par le fait que je perdais pied avec sa réalité et la mienne. Lorsque la transe la possédait, soudainement, je ne pouvais plus la reconnaître, incapable de prononcer son nom, les paroles se perdaient au fond de ma gorge, tandis qu'une cécité partielle me privait de la vision de tout ce qui m'entourait, de la magie sur la Chose, et de mes propres moyens. Mais lorsque la magnificence s'achevait, que je retrouvais mes sens et contemplait nos compagnons, je me rendais compte à quel point le trouble qui m'avait touché était faible face au leur. Leur cécité totale duraient bien un couple de jours avant qu'ils ne retrouvent l'usage de leurs yeux.

              Bien sûr que la fascination que nous avions tous pour Jial qui s'imposa naturellement comme l'Elfe la plus studieuse et la plus douée, ne plut guère aux Anges, qui ne la partageaient pas, et pour cause, les capacités d'Harmonya et d'Eden, perfectionnistes Angéliques la dépassaient de loin. Dès la trois centième année après mon entrée, ils avaient fini la formation initiale de la Salle du Temps, et bien que je n'avais jamais pu contempler les démonstrations de transe d'Harmonya, qui m'avait confié, dans un instant d'extrême condescendance, que son domaine de magie était celui de la glace, je me doutais fort aisément que la vision de ses capacités risquait de m'aveugler pour une bonne année.

             Ma maîtrise de l'air fut la plus rapide parmi l'apprentissage de toutes les substances. Régulièrement je passais des après midi entières en compagnie de Jial et Fried pour m'améliorer, seuls dans l'intimité d'un trio insondable, protégés des insultes, des menaces et des critiques méprisantes par l'unique force de notre complicité. Le silence entretenait notre concentration, jusqu'à ce que nous fassions un pas en avant, en attrapant, Fried et moi-même, enfin un pan de nouvelle substance. Alors, le silence se brisait, nous riions aux éclats de notre performance avec notre meilleure amie, et parlions. Parlions de nos vies, de nos enfances, de nos passés croisés, de ce que nous pensions. Car dans un climat aussi tendu entretenu par une majorité d'Anges écrasante et étouffante, et par un programme d'instruction aussi strict, nous avions besoin de discussion pour oublier, d'amis pour s'entraider, de connaissances de l'autre pour mieux se faire confiance.

              « -Jial, ne le prends pas pour toi, mais une question me torture l'esprit… dit un jour Fried, après trois heures intensives de fixation sur l'élément immatériel de l'eau.

-A quel sujet ? demanda-elle avec un sourire.

-A propos de ta rapidité à assimiler les éléments. Lorsque nous étions entrés, tu avais eu tellement de mal à acquérir le métal, et maintenant…

-Le talent ne se commande pas, rétorquai-je plaisamment.

-Ce n'est pas faux, ajouta la jeune femme. Cela dit, quelque chose a changé dès que je l'ai « possédé ».

-Quoi donc ? nous reprîmes en cœur.

-Je vais vous confier un secret, mes garçons, chuchota-t-elle. Le secret de la Magie du Temps. Mais avant cela, peut être qu'il me faudrait parler d'un passé qu'il ne me plaît pas de faire revenir à ces jours.

-Ces moments plutôt. Ces moments que je passe avec vous deux sont peut être les meilleurs que je n'ai jamais eus de mes presque deux millénaires d'Elfe, marmonna Fried.

-Je ne dirais pas peut être pour ma part, reprit-elle. J'en suis certaine. Il faut dire que mon enfance n'a pas toujours été une partie de plaisir. Jusqu'à mes trois cents ans, j'ai été abandonnée à une nourrice par des parents peu scrupuleux, prétendument très occupés par des Hautes Affaires Angéliques. »

                Son récit me rappela ma vie. Excepté sans doute qu'elle avait été bien plus marquée que moi-même par une vie infantile troublante.

                « -Ma nourrice Angélique me battait très souvent, sous prétexte que je ne méritais pas de l'avoir comme nourrice. Ma sœur de lait profitait de la vie, tandis que je n'eus jamais accès au plaisir simple de courir dans les prés avec elle. Mes parents dont je ne me rappelle pas le visage, avaient employé un précepteur pour moi, que je partageais avec elle, mais il passait bien plus de temps à ses côtés qu'aux miens. Les coups et les blessures que je recevais ont disparu maintenant, mais jamais l'absence d'affection n'a été comblée par quiconque. J'aimais sincèrement ma sœur de lait qui ne me montrait de sentiments qu'un petit caillou qu'elle ramassait au détour d'un chemin parfois, pour moi. Elle restait impassible, mais j'imaginais une pensée pour moi qu'elle avait alors qu'il ne s'agissait sans doute que d'une preuve de mépris. Lorsqu'elle s'inscrivit à l'Académie, je tentai ma chance également, que pouvais-je y perdre ? Mais je fus reçue, et pas elle… Alors je revis un bref instant mes parents me félicitant et tout le reste de l'année avant mon entrée ici, ma nourrice me battit et ma sœur de lait se tut, son silence exprimant son dépit et son dégoût. Nérento, Fried, vous savez… Je ne lui en veux pas. Peut être que ceci m'a sauvée, mais c'est aussi l'absence d'un amour qui m'a rendue insensible à la rancœur que j'aurais dû témoigner à cette Ange. Mais elle avait été relégué à un rang si bas des Anges qu'elle en était réduite à être nourrice d'Elfe. Sa honte se mua en une colère sourde et une haine de son système, qu'elle reporta sur moi. Je ne suis pas responsable, et elle ne l'est pas plus. Je ne l'aime pas certes et la réciproque est exacte également. Mais à partir du moment où j'ai compris cela, rien ne m'importe plus que de rendre justice. Je me suis fixée comme objectif de changer ce monde. Changer le système qui peut transformer les esprits et réduire à néant des êtres vivants. »

                 Fried ouvrit lentement la bouche, puis la referma. Une longue minute silencieuse suivit. Et je pris alors la parole.

                « -J'ai déjà pensé à cela. Regardons les humains… 

-C'est un peu injuste.

-De se dire que les Anges réservent le même traitement aux leurs est intolérable, ajouta Jial.

-Cependant tu n'as pas répondu à notre question.

-Eh bien, le moment où j'ai enfin compris comment se constituait l'Empire de la Vérité des Anges, se situe exactement au moment où j'ai maîtrisé le métal. Mes garçons, le secret de mon apprentissage est la rage. La rage d'atteindre mon objectif. Il n'y a que cela à mon esprit.

-N'y a-t-il que cela ? demanda Fried avec un sourire en coin.

-Pas exactement que cela. Mais l'essentiel du pouvoir du Temps réside dans le sentiment. Le sentiment dépasse les sens tout en restant ancré dans le corps et dans l'âme à la fois. C'est cela que j'ai compris, et c'est cela qui permet la maîtrise de la Magie. » 

                   Après ma quatre centième année, je pus sortir du Sanctuaire du Temps, et commencer la véritable formation de combat qui nous vouait à devenir des Généraux. Ma maîtrise de l'Air se mua en une magie du Feu qui me faisait parfois entrer dans des transes délicieusement inflammables, provoquant même une certaine crainte parmi les Anges. Une partie majeure des Anges et des Elfes qui n'avaient pas passé le cap du Sanctuaire après cinq cents ans furent renvoyés chez eux tandis que de nouveaux arrivants entrèrent dans l'Académie. Nous reçûmes les armes, et il ne fut alors plus question de chercher à tâtons la possession de la Chose, mais de l'attraper sans même la chercher, sans même se poser de question, pendant chaque combat, chaque seconde, chaque instant de notre vie. Je reçus une épée blanche, ornée d'un chapelet avec une petite croix rouge. La lame bien que souple, me parut particulièrement faible et émoussée qui plus était. Jial fut dotée d'une rapière plus courte que mon épée, mais pas plus tranchante, tandis que Fried eut droit à un arc. Une rumeur courait parmi les Elfes que les Anges, eux, pouvaient choisir leurs armes parmi une diversité infinie, des haches jusqu'aux épées géantes célestes, en passant par les fouets et les nunchakus exotiques. Cependant nous devions nous contenter de notre petite quincaillerie avec pour seule consolation qu'elle avait été choisie comme ce qui nous conviendrait le mieux. L'apprentissage d'autres armes serait pour plus tard hélas… Bientôt, il ne resterait que six Elfes dans le groupe de la seconde partie de l'enseignement.

 
 
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