De nombreux mois étaient passés et un hiver tout aussi rigoureux que les précédents avait contraint les habitants à rester au chaud entre les murs de leur sanctuaire.

L'automne avait été fructueux en informations. Ainsi, avaient-ils appris, par les autres sanctuaires et les autres fédérations, qu'ils avaient tous été visités par les représentants des deux gouvernements. A part, demander à ce que les sanctuaires les rejoignent, ils n'avaient émis aucune proposition et aucun projet pour le devenir des survivants. A part, faire des projets impossibles à mettre en place, rien de vraiment concret n'avait été proposé par les deux présidents. Il n'était même pas question de l'avenir des rôdeurs, de la maladie les ayant tous atteints, ni même des nombreux bandits de grand chemin s'attaquant régulièrement aux sanctuaires, ni de projets de reconstruction ou de production alimentaire.

Si bien qu'après plus d'un an, ils n'avaient réussi qu'une chose, que les chefs de sanctuaires puis les chefs de fédérations se soient réunis pour prendre une décision commune, et à part quelques voix dissonantes, c'est quasiment l'unanimité qui s'était fait entendre. A tel point, qu'ils créèrent deux confédérations, celles du nord-ouest et celle du sud-est. Ils créèrent un écu pour chacune d'elle. Ainsi, pour le nord-ouest, il était d'argent à une carte de gueule du nord-ouest de la France coupé de Pau à Nancy, au chef d'azur à deux mains d'argent aux doigts croisés formant toit, et celui du sud-est avec la carte inversée.

Évidemment, la plupart des sanctuarisés étaient beaucoup moins militarisés que les gouvernements. Ces derniers avaient réuni autour d'eux des renégats, des mercenaires, d'anciens militaires et tous ceux qui pouvaient avoir des armes.

Au bout du compte, les sanctuarisés avaient beaucoup craint d'être punis par les gouvernements pour ne pas avoir pris parti pour l'un ou l'autre. Ils découvrirent qu'avant même de s'en prendre aux fédérations, ils étaient déjà en guerre.

C'est alors que deux ans après les premiers contacts, les confédérations créées s'attendaient à être incluses dans le conflit opposant les deux gouvernements. Les pigeons voyageurs ne cessaient de circuler par toute la France. Et c'est ainsi qu'après le "temps de la survie", puis du "temps de l'espoir", puis du "temps de la néo-civilisation" arrivait le "temps de l'attente". Pour certains, elle était aussi insupportable que l'époque, finalement pas si stressante, de la submersion par les mordeurs.

D'autres décidèrent de reprendre la petite vie routinière laissant l'inquiétude aux sentinelles, aux espions et aux fédérations..

Landry fut enfin heureux de choisir le prénom de son troisième enfant, qu'il appela Alexandre. Manue avait fini par abandonner les patrouilles et les combats pour devenir un simple instructeur et un facteur d'arcs.

Après l'étonnement qu'une voix ait permis à Romain d'entrer au Conseil Municipal, il avait appris que c'était Inès qui avait voté pour lui. En toute discrétion, il l'avait de plus en plus souvent abordée, et avait flirté avec elle. Puis d'un commun accord, ils avaient décidé d'en parler à Emmanuelle et même de lui parler mariage. Cette dernière les surpris en se raidissant à leurs propos. Elle leur assena qu'Inès n'avait que dix-sept ans, que Romain était un officier militaire, etc. Ils lui promirent de ne pas se précipiter et de voir comment évoluait leur histoire avant d'aller plus loin. Et qu'ils en reparleraient aux dix-huit ans de la jeune fille. Cela rasséréna la tante mais elle les surveilla plusieurs semaines, les mettant souvent mal à l'aise.

Rodolphe, lui, était tombé amoureux d'une habitante de la Hunaudaye mais ne prévoyait rien de plus que le flirt car il se considérait comme un soldat avant tout, même s'il avait poursuivit sa formation de maçon sous l'égide de Hugues et Gwen.

Svein, quant à lui, s'il aimait bien partir avec ses amis en patrouille ou en bataille, préférait de beaucoup être un messager. Il était devenu coutumier du fait d'emmener des courriers officiels entre les sanctuaires et appréciait énormément retourner en Normandie pour rencontrer les gens de cette fédération.

Cela faisait déjà quinze jours qu'il était en mission quand il revint au galop au château et hurla après sa tante : "Manue, Manue !". Il balança ses rênes au garde qui se trouvait à l'entrée et courut vers l'atelier de sa tante qui était accoté à l'enceinte extérieure.

"Qu'y-a-t-il ?

- Il faut que tu prennes ton cheval, je vais prendre celui de Rodophe s'il est là, j'ai quelque chose d'important à te montrer.

- Ok, ok !"

A peine, avait-elle posé ses outils qu'elle dut courir après lui vers l'écurie. Elle le trouvait déjà en train de seller son cheval à elle car celui de Rodolphe était toujours prêt dès le matin au cas où une mission devait l'obliger à sortir. Elle prit son vieux chapeau pendu à la patère, enfila ses bottes après avoir balancé ses sabots qu'elle portait régulièrement. Tous les deux se regardèrent et sautèrent à cheval dans un parfait ensemble et rejoignirent au petit trot les portes des remparts.

Svein partit alors au grand galop et la jeune femme dut s'aligner sur son rythme et piquer un sprint pour le rattraper. Ils galopèrent une petite quinzaine de kilomètres puis ralentirent le rythme.

Emmanuelle interrogea plusieurs fois son neveu sur le but de cette course intense et il lui répondait invariablement : "Tu verras !"

Elle s'impatienta mais savait que le jeune homme ne la décevait jamais quand il lui prenait une lubie. Finalement, elle se laissa aller à sourire et à profiter de cette course endiablée. Arrivés à quelques centaines de mètres de la forêt de St Aubin, ils laissèrent leurs chevaux avec des vaches dans un champ parfaitement protégé des rôdeurs. Ils continuèrent à pied et arrivèrent à la lisière de la forêt.

Ils marchèrent une bonne demi-heure dans les sous-bois quand Svein l'obligea à s'allonger aux abords d'une toute petite clairière traversée d'un minuscule ruisseau. Elle vit un cerf à l'imposante ramure et pensait que c'était ce qu'il voulait lui montrer mais il lui posa un doigt sur la bouche. Ils attendirent encore quelques minutes et le cerf, très attentif, partit en courant échappant de peu à cinq prédateurs.

Ce n'était pas n'importe quels prédateurs, c'était une petite meute de loups. Ils étaient musclés, bien nourris, et se consolèrent de l'évasion de leur proie en courant au devant de deux toutes petites silhouettes grises. La meute avait la chance d'avoir deux tout jeunes louveteaux bien rondouillards et clairement en bonne santé. L'ensemble des loups baguenauda, joua, raffermit ses liens hiérarchiques, pendant de nombreuses minutes. Le spectacle avait amené des pleurs abondants sur les joues de l'ancienne guerrière. Son neveu n'ignorait rien de son amour immense des loups.

Le bonheur la consumait, elle qui pendant toute sa jeunesse s'était inquiétée de voir la nature, la faune et la flore abominablement détruites, avait vouée cette passion aux loups dès toute jeune. Depuis que les hommes puis les rôdeurs avaient cessé leur pression démographique sur la planète, elle avait constaté, que depuis deux-trois ans la nature avait repris ses droits et que les prélèvements humains n'avaient plus d'impact négatif.

Alors voir revenir dans l'Ouest une espèce qui en avait disparu depuis presque deux cent ans la mettait dans un état proche de la transe. Les larmes ruisselaient abondamment et elle portait en permanence la main à sa bouche en regardant Svein et en secouant la tête.

"Merci, mon chéri, c'est un cadeau magnifique, je ne l'oublierai jamais !"

A peine avait-elle prononcé ces mots qu'elle vit la meute lever la tête vers eux dans un ensemble parfait, puis partir en courant dans le sens opposé. Elle s'assit alors par terre puis attira son neveu à elle et le câlina.

"Merci, encore ! Je peux mourir après avoir vu ce spectacle. Elle a gagné, si cela se trouve, c'est elle qui a créé ce virus !

- Qui Elle ?

- La Terre ! La Nature ! Gaïa ! Que sais-je ?

- Ben alors, Manue, je croyais que tu étais chrétienne ?

- Bof, l'un n'empêche pas l'autre, y'a pas à avoir de jalousie entre les dieux, je les aime autant. C'est comme mes enfants et mes neveux, ma famille, mes amis, mon cœur grandit au fur et à mesure que ceux que j'aime augmentent et ainsi il y a toujours de la place pour tous.

- Pfff, tu te moques de Landry en le traitant de poète mais tu n'es pas mieux !"

Elle ne lui répondit pas et l'embrassa et le prit dans ses bras. Depuis tout petit, il avait toujours eu ce genre d'action déstabilisant ses proches par cette empathie et ce goût de la surprise. Ils retrouvèrent leurs pénates, le jour commençait à baisser. Ils furent accueillis par les membres du château qui les questionnèrent avidement. Emmanuelle n'était capable de réponde que : "C'était magnifique !" et quand ils se tournaient vers Svein, il leur donnait un sourire sibyllin.

Finalement, la "patrouilleuse" finit par s'écrier ravie : "Les loups sont revenus !". Les discussions roulèrent alors sur l'écologie, les risques naturels et de prédations autres que les mordeurs et le repas fut avalé sans que personne ne s'en rende compte, passionnés qu'ils étaient par cette nouvelle qui démontrait que la vie avait pris le dessus.

Les habitants des sanctuaires continuaient à vivre et à améliorer le niveau de vie. Eux aussi avaient fini par reprendre le dessus. L'espoir fleurissait sur tout le territoire français.

Hélas comme toujours, il y avait ceux qui n'en avaient jamais assez. Ils n'avaient jamais assez de pouvoir, assez de terres, assez de biens. Et commença alors la fameuse "Guerre des Deux Républiques" !