o A nos Chimères o (La réalité implacable me conduirait au suicide si le rêve ne me permettait d'attendre. Guy de Maupassant) o Je marche dans cette rue piétonne, les devantures de magasins sont toutes fermées. Les rues ne sont pas désertes mais peu de personnes osent sortir des trous où tous se terrent. Je me promène en espérant que cela n'est pas la réalité. Je me promène et admire le silence coupé par mes pas. Je marche lentement et le soleil me suit, l'étoile imite tellement bien leur couardise. Il n'apparaît pas lui non plus. L'allée dallée traverse tout le quartier et j'arrive devant la taverne qui m'héberge quelques temps, avant que je ne reparte. Je ne me cache pas, je pars. Ce n'est pas par peur mais par courage, je tourne une page de ma vie et c'est ce qui m'importe. J'entre par cette porte que j'ai tant de fois poussée, je la referme et regarde ce que je vais quitter dans quelques instants. Ma vie d'antan, mon existence ici qui n'a plus lieu d'être. Les tables et chaises en bois sont vides, les clients n'arrivent pas et peu veulent s'aventurer ici. Le gérant m'aperçoit, il me fait signe. Je lui rends sa salutation. Il est loin le temps où j'arrivais ici en souriant pour me désaltérer après ma dure journée de shopping. Je m'avance toujours lentement, je crois parfois être un vieillard. Peut-être à cause de cet air empli de lassitude. Les escaliers craquent sous mes pas, ma chambre porte le numéro 13. Mes affaires sont éparpillées un partout, mon essence se dégage des murs. J'habite dans cette chambre pourtant je n'ai plus de chez moi. Je me suis toujours demandé pourquoi l'être humain était devenu sédentaire. Un lieu n'avait donc pas assez d'importance avant, où peut-être la curiosité, le danger, la peur, l'inconnu les attiraient. Ces hommes avaient des lois et des principes, certes primitifs, mais ils vivaient. Ils étaient peu nombreux et leur monde se limitait à la survie de leur communauté mais ils étaient vivants. Ils appartenaient à leur famille et non pas à un monde. C'est le monde qui les suivait et non l'inverse. Le temps parfois nous met de drôles de choses en tête. Pourquoi donc l'homme est-il devenu sédentaire si cela amène toutes les folies qui l'entoure ? Je pense qu'il ne le savait pas. L'expérience n'a pas toujours de bons côtés, elle laisse une trace pesante et j'imagine qu'elle m'a profondément brûlé. Je n'ai plus rien à part mon esprit, mon corps et mes habits. Normalement cela suffit, mais avec le temps on en veut toujours plus. J'invente mon esprit car je crois qu'il est devenu malade à force d'être confiné. Je regarde mon corps et je ne sais pas quoi en faire. J'observe mes habits mais je suis mieux nu. Aucune épaisseur ne devrait toucher mon esprit et mon coeur. Alors que les principes inculqués essayent de percer les barrières mises, je ressens pourtant le besoin évident de partir. Ma raison lavée de tout, mon corps redevenu pur. Je suis certain que mon départ est proche. Je fais mon lit aux doux draps blancs et qui m'a accueilli avec simplicité. Je range avec respect toutes mes affaires passées dans une valise un peu abîmée. La chambre après mon passage est propre et saine. Ma respiration se fait soupir. Je ne sais pas comment décrire ces soupirs, peut-être sont-ils las, peut-être peinés, peut-être heureux, peut-être troublés, peut-être simples. Je sais que la meilleure solution est celle que j'ai décidé pour moi, pour les autres, pour le monde mais surtout pour mon monde. Je n'avais pas forcément envie que le monde me suive, j'avais surtout envie de suivre mon monde. C'est par ces mots que mon esprit s'éteint après de nombreux doutes, mon obstination m'emmène parfois si loin qu'avant j'avais un jour peur qu'elle me perde. Ce jour que je craignais un peu est sûrement survenu aujourd'hui mais je ne me suis pas toujours souvenu de mes propres mises en garde. On me l'a dit parfois, je suis un imprudent courageux naïf. Tom était un homme qui avait vu des choses, beaucoup de choses et il n'avait presque jamais pleuré, il savait exactement la plupart du temps comment rassurer les gens. Il n'était pas un homme très beau mais il était sympathique. Tom était le gérant d'une célèbre auberge un peu miteuse. Il veillait toujours sur le bon vouloir de ses clients. Il était la personne que tout le monde connaissait plus ou moins. Les temps étaient durs mais il tenait bon, un client pourtant avait fait son apparition et le gérant lui vouait une attention toute particulière, non parce que le nouveau venu était populaire mais parce qu'il était jeune. Tom avait eu la tentation d'appeler ses responsables mais le petit avait refusé. Le vieil homme avait alors pensé qu'il voulait respirer un peu. Le petit était brave et il en avait vu aussi, trop peut-être. Il était jeune et beau, il était vivant et aimant. Un adorable jeune homme qui parfois lui parlait lorsqu'il n'était pas plongé dans un livre. Tom parfois l'admirait lorsqu'il regardait par une fenêtre le Londres moldu, peu à peu, ils s'étaient entretenu entre eux, une complicité. Pourtant aujourd'hui, il ne savait pas pourquoi mais il avait un pressentiment. Il allait partir. Il lui en avait parlé et n'avait pas eu son mot à dire. Il pouvait faire ce qui lui plaisait mais ensuite Tom se retrouverait seul, vieux et peut-être triste. Comment allait-il faire ensuite? Ce soir-là, il ne le vit pas mais par pure curiosité et tiraillé par son angoisse, il alla frapper à sa porte. La permission d'entrer n'ayant pas été obtenu, le gérant voulut demander si son jeune client voulait un dîner. La nuit était tombée et ce soir il fit une macabre découverte. Les yeux révulsés, son visage figé, ses poings serrés, ses cheveux ébouriffés, sa manière qu'il avait à rire doucement, plus jamais le son ne transpercerait ses lèvres jeunes, ses oreilles n'entendraient rien, ses doigts ne toucheraient plus, son esprit si riche ne donnerait pas son opinion, ses yeux ne verraient plus, il ne serait plus capable de ressentir, il ne serait plus capable d'être là et de vivre. Il était jeune, il avait une vie, certes pas facile mais elle n'est jamais sans embûches. Lui était vieux, avait vécu, il n'avait plus l'habitude de pleurer mais chamboulé, il ne comprenait pas. Les larmes perlaient sur ces joues fades, un cri silencieux lui arrachait la gorge. Il ne comprenait pas pourquoi le corps sans vie de celui qu'on appelait le Survivant pendait au bout d'une corde. Tom était un gérant qui avait vécu bien des choses mais elles l'avaient toutes rendu plus fort, plus adulte et plus compatissant. Sa belle auberge à laquelle il tenait tant fut vendue, il n'avait plus de biens, il n'avait plus de chez lui. Maintenant, il habitait une chambre blanche et vide dans un bâtiment que l'on appelait hôpital. Cette soirée le détruisit. Il était dès à présent bien plus que seul, vieux et triste, il n'était plus qu'un cadavre envahi par la vision de cette soirée qui s'engouffrait dans chaque partie de son esprit le tourmentant à chaque instant. Et pourtant le monde, lui, il continuait de tourner, sans eux. The END |