« C’était il y a vingt ans. A cette époque, j’étais jeune, je ne croyais pas en l’avenir. Maintenant, je n’y crois pas plus. Cela fait vingt ans que tu m’as quitté, Elena. »

Debout devant la tombe de sa défunte fiancée, Axel lui parlait. C’était un rituel hebdomadaire pour lui, car il lui racontait sa vie, ce qui se passait en son absence, les moments qu’elle manquait… Axel avait répété ce rituel toutes les semaines passées durant ces vingt ans, cela lui permettait de se sentir mieux. Pour un certain temps en tout cas…

Restant un moment silencieux, Axel regardait autour de lui. Il savait qu’il était seul, personne ne venait à cette heure dans le vieux cimetière. Il savait également qu’il ne serait pas entendue quoiqu’il arrive, dans le coin reculé où était enterrée Elena. Ce n’était pas très important en fin de compte, que l’on sache ou pas ce qu’Axel lui racontait, au contraire. Axel aurait voulu en parler à quelqu’un, plus que tout, autre qu’un psychologue, autre qu’Elena elle-même… Mais il n’avait pas su trouver d’aide à son mental. Il arpentait donc sa route seul, sans aide extérieure. Ce qui tenait presque de l’exploit. A sa place, plus d’un aurait choisi un moyen plus radical de vaincre leurs problèmes…

Au bout d’un long moment de silence donc, Axel prit enfin la parole :

« Cette semaine, il s‘est passé quelques choses, ma chérie. Le travail, le temps libre, les sorties… Tu sais ce que c’est, on ne vieillit pas, tant qu’on reste jeune dans sa tête. C’est ce que tu disais, tu te souviens? Je n’ai pas oublié ces mots.

A vrai dire, je n’ai rien oublié de notre aventure. Lorsqu’on s’est rencontré, la première fois qu’on s’est embrassé, les projets d’avenir… Je n’ai pas oublié, pourtant tout ca parait si loin maintenant. Je n’ai pas le droit de l’oublier…

Tu te souviens de notre première rencontre? C’était au lycée. On arrivait tout les deux de collèges différents, on ne connaissait personne et donc on ne savait pas trop où on mettait les pieds. Au début, on ne se parlait pas beaucoup, mais très vite, on a vu qu’on avait énormément de points communs. On partageait la même passion pour la musique, c’est ce qui nous a rapproché le plus je crois.

Lorsque les vacances arrivèrent, je savais que ce n’était que pour deux semaines, mais un pincement au cœur me prenait à chaque fois. Je ne savais pas vraiment pourquoi, il faut dire que je n’avais eu d’expériences amoureuses avant. Mais maintenant, j’aurais tout de suite reconnu le pincement que produit l’amour lorsqu’il tient un homme. A l’époque, je ne savais pas ce qu’était ce sentiment bizarre. Quand tu étais avec moi, j’étais heureux, je me sentais invincible. Quand tu t’en allais, j’étais énervé, car je voulais te garder rien qu’à moi. Quand tu partais loin, j’étais anéanti, et je ne savais pas quand tu allais revenir, ce qui me rendait encore plus malheureux.

Après ça, je pensais que le lycée serait un moyen efficace pour me rapprocher de toi. Je n’avais pas tout à fait tort. Au fur et à mesure que les cours passaient, nous nous rapprochions de plus en plus. J’étais heureux, je savais que toi aussi tu ressentais quelque chose pour moi! C’était magnifique, cette impression de totale euphorie rien qu’à la vue de la personne aimée.

Les années lycées passèrent… Ensuite, direction les études supérieures. Par chance, nous avions décidé de suivre les mêmes études, nous nous sommes donc dirigés vers le Conservatoire. Nous avions alors dix-huit ans.

Tu te rappelles le bonheur que ca a été pour nous deux, de pouvoir enfin suivre des études qui nous correspondaient? Pour moi, ce fut l’inspiration. Regarde moi, maintenant, je suis devenu chef d’orchestre. Mais, ca ne s’est pas vraiment passé comme je l’aurais voulu ensuite…

Tu te rappelles aussi de cette soirée où je t’ai amené dans ce coin de paradis, où nous étions tous les deux, seulement tous les deux? Je m’en rappellerai toute ma vie, c’était le plus beau jour de celle-ci. Assis dans l’herbe, nous riions, plaisantions, comme deux jeunes adultes de notre âge auraient fait. C’est à ce moment-là que j’ai pris ta main. Je me suis ensuite lentement approché de ton visage. Je pouvais sentir ton parfum. Je pouvais voir chaque détail de ton visage. Je voyais tes lèvres se rapprocher…

Lorsque celles-ci se joignirent, je sentis une merveilleuse euphorie envahir mon corps. J’étais dans un état de transe dont je ne pouvais m’échapper. Je n’avais qu’une envie : ne jamais me défaire de tes lèvres, rester lié à toi pour l’éternité. Je ne voulais plus te quitter. Lorsque nos visages reprirent une certaine distance, je sentais qu’il fallait encore que je te prenne dans mes bras jusqu’à ce que la mort nous prenne. »

A ces mots, Axel sentit les larmes lui monter aux yeux. L’émotion était trop forte, ses souvenirs de jeunesse le remplissait d’une joie indéfinissable. La seule vue de ces souvenirs lui remontait le moral.

« Deux jours après, j’avais pris ma décision. Je tenais à le faire le plus rapidement possible, je n’y tenais plus. J’achetais donc une alliance que je gardais cachée pour te faire une surprise inoubliable. Ce soir-là, je revenais avec un énorme bouquet de fleurs. Je voulais enfin faire ma demande. C’était le soir idéal, nous avions tout notre temps.

Je suis donc passé te prendre en voiture aux alentours de dix-neuf heures trente, tu étais splendide, comme d’habitude. Tu avais suivi mes conseils. Habite-toi comme pour une grande occasion, je t’avais dis. Je me rappelle encore de la robe de soirée que tu portais, elle t’allait à merveille. Vêtu d’un smoking, je m’étais aussi appliqué autant que je pouvais.

Reprenant la route, je me rappelle que tu me harcelais de questions. Où est-ce qu’on va? Pourquoi m’as-tu dis de m’habiller ainsi? Pourquoi souris-tu béatement? Je n’oublierai pas ces mots non plus.

Et à ce moment-là… Un homme en voiture arriva… Bien plus vite que je ne l’aurais pensé… Je n’ai pas eu le temps de ralentir pour l’éviter. Il a percuté la voiture, et tu es… »

C’en était trop pour Axel. Les larmes dans ses yeux commençaient à prendre tellement de place qu’elles en débordaient. Il n’essaya pas de les retenir. Il n’essaya pas de se cacher non plus aux yeux des rares personnes présentes. Il s’effondra à coté de la tombe de sa fiancée, pleurant à chaudes larmes. Un long moment passa. Le cimetière était silencieux, on n’entendait que les sanglots d’Axel qui se faisaient de plus en plus déchirants, tandis que passait le temps.

Reprenant un peu ses esprits, Axel se releva. Les yeux encore rouges, il se retourna vers la tombe de son amie. A sa base se trouvait l’alliance qu’Axel avait acheté vingt ans plus tôt. L’autre se trouvait à son annulaire droit. Après un petit moment, il dit simplement :

« Je reviendrai la semaine prochaine, ma chérie. Je t’aime. »

Sur ce, Axel se détourna et commença à sortir du cimetière. Lorsque sa silhouette fut complètement hors de vue, une forme blanche apparut sur la tombe d’Elena. Cette silhouette était d’une pâleur fantomatique. La silhouette s’assit sur la tombe et dit :

« Très bien, mon chéri. Je t’attendrai. Moi aussi, je t’aime. »

A son annulaire droit se trouvait une alliance.