Cette nuit serait le témoin de son triomphe. Il était parvenu à ses fins ! Les yeux fixés sur l’objet de son obsession, elle s’avançait dans la chambre. Silencieuse mais fébrile. Une longue aiguille ensanglantée dans la main gauche. Il en avait fallu du temps. Ce n’était pas si souvent qu’une de ses proies lui résistait aussi longtemps. Bientôt, elle serait libre ! Elle n’aurait plus jamais à avoir peur. Mais comment aurait-il pu résister à l’envie de voir ces yeux si clairs lui appartenir ? Comment ne pas avoir envie de briser cette petite chose, qui semblait si fragile ? Comment ne pas avoir envie de jouer avec elle ? Peur de ne pas exister, de n’être qu’une poupée…Ou une marionnette plutôt, mais avec des fils solides. C’était son désespoir qui l’avait attiré. Elle semblait si seule au milieu de tous ces gens. Elle lui semblait si belle. Elle s’appelait Elisabeth. Une vie qui semblait ne pas lui appartenir. Une vie orchestrée, organisée par sa famille. Tous les yeux convergeaient sur elle mais elle ne regardait que ses pieds ! Il avait bien ri la première fois qu’il l’avait vue plongeant son regard vers le sol alors qu’un jeune freluquet lui attrapait la main pour y déposer ses lèvres. Elle aurait aimé avoir d’autres yeux, elle aurait aimé avoir un autre visage. Elle aurait pu sans doute avoir une autre vie alors. Il n’aurait pas grand chose à faire, ce serait facile. Une âme aussi pure, son maître serait très content de lui. C’est là que le jeu allait véritablement commencer. C’est pourquoi … Elle se réveillait souvent la nuit, en proie à une sombre angoisse qui lui compressait la poitrine. Elle restait ensuite éveillée jusqu’à l’aube, espérant pourtant que la journée suivante ne viendrait jamais. Et puis ce matin là… Il le déposa, sur le guéridon de la terrasse… Elle trouva un pendentif accompagné d’une lettre. C’était une émeraude en forme de goutte, accrochée à une petite chaîne en or. Le message disait : « Pour celle qui devrait regarder plus souvent vers le ciel ». Une phrase qui avait réchauffé son cœur en un instant. Elle regarda aux alentours, espérant trouver une réponse à cette énigme et passa le pendentif autour de son cou sans plus d’hésitation. Maintenant la chasse allait véritablement commencer… Se disait-il en enfilant une émeraude identique autour de son cou … Dans les rêves de la jeune biche, qu’il se voyait déjà ramener. Le bijou avait provoqué une véritable ire de la part de sa mère qui le trouvait indécent puisque n’ayant pas de provenance connue. Pour la première fois de sa vie, Elisabeth n’avait pas écouté, ni même tenu compte des ordres vociférés. Le bijou ne devait plus quitter son cou gracile. Elle savait que tout irait bien. Il attendit que vienne cette première nuit avec plus d’impatience qu’il ne l’aurait cru. Il avait tellement hâte d’arriver à ce moment si jouissif et si drôle où il verrait dans ses yeux cette lueur d’espoir. Espoir d’un amour romantique fait de mots doux et de baisers passionnés… Toujours les mêmes clichés. Pourtant… Pourtant… Ce ne fut pas le cas. Dans ses cauchemars, elle se retrouvait toujours entourée d’ombres humaines qui la harcelaient sans cesse. L’effleurant d’une main mais la bousculant de l’autre. Lui murmurant des mots incompréhensibles à une oreille mais lui hurlant dessus dans l’autre. Jamais elle ne pouvait distinguer leurs visages. Et puis cette nuit-là, elle vit quelqu’un distinctement pour la première fois. Seulement, il n’était pas humain ! Les choses ne se passèrent pas comme prévu. Il apparaissait toujours sous les traits d’un homme désirable pour ses victimes. Il était assez simple de trouver le plus cher désir tapi au fond du cœur des jeunes donzelles. Mais elle… Il avait une apparence et des habits assez singuliers. Il portait un long manteau de cuir rouge. Ses cheveux courts avaient la même couleur. Son visage semblait taillé dans la pierre et ses oreilles se terminaient en pointe. Il avait surtout un regard qui brillait dans la pénombre, révélant d’étranges pupilles semblables à celles d’un serpent. Tout en lui dégageait une terrible impression de puissance. Et il s’approchait d’elle… Elle se réveilla en hurlant ! Il sentit sa peur. Son recul. Avant qu’il puisse prononcer une seule parole, elle disparut, en se réveillant brusquement. C’est alors qu’il comprit, la jeune femme avait pu le voir sous sa véritable apparence ! oOo Elle ne supportait plus les journées, et les nuits étaient encore plus terrifiantes. Le démon revint souvent la hanter. Dès qu’elle le voyait approcher, elle se réveillait le cœur battant, le cri au bord des lèvres. Au bout de quelques jours, n’y tenant plus mais pourtant avec une certaine répugnance, elle allât demander conseil à ses parents qui la menèrent directement à l’église. Elle réussissait à le maintenir à distance et il l’admirait pour cela. Pas que leur dieu ait jamais eu une quelconque influence sur lui. Parfois pourtant, la force de leur croyance en cette protection divine, en protégeait quelque uns et c’était le cas de sa princesse aux yeux clairs. Alors Elisabeth pria des jours entiers pour le salut de son âme. Elle subit même un exorcisme à la demande pressante de sa mère qui voulait à tout prix chasser cette créature démoniaque de son esprit. Sa mère qui la voulait chaste aussi bien de tête que de corps avait-elle dit. La jeune fille ne comprit que plus tard la véritable signification de ces mots… Il s’attendait au pire lorsqu’il les vit se diriger vers elle et les instants qui suivirent ne firent que confirmer ses craintes… Un jour sa mère vint la trouver dans sa chambre. Elle était accompagnée d’un homme à forte carrure. C’était un comte qu’elle avait déjà vu lors du bal pour le jour de l’an, quelques semaines auparavant. Sa mère déclara sans détour qu’elle était désormais fiancée à cet homme ! Tsss !! Ce n’était pas bon pour ses affaires, çà ! Il était hors de questions qu’il se laisse ravir sa proie ! Elle savait que cela devait arriver un jour pourtant elle ne pensait pas le voir arriver si tôt. Ce comte avait la réputation d’être un homme autoritaire et rigide. Elle ne voulait pas entendre les mots mariage ou épouse. Pas tout de suite, pas avec lui ! Il le connaissait ce bonhomme, il l’avait déjà vu ! Quand il avait passé un pacte avec son maître ! Ha ! Ha ! Ha ! La vieille rombière allait à l’église tous les dimanches mais venait de donner sa fille en mariage à un damné ! Mais un damné à la bourse bien pleine… Il était temps pour lui de passer à la vitesse supérieure. Elisabeth ne mangeait plus, n’arrivait plus à penser. Cette perspective d’avenir déjà tout tracé la terrifiait. Le regard de cet homme répugnant quand il lui avait fait le baisemain n’avait pas apaisé ses craintes. Souvent elle se réfugiait au fond du parc près de l’étang, c’était encore un des seuls endroits où elle pouvait être tranquille. Ce fut là, qu’un soir, elle tomba littéralement d’épuisement. Il pensait avoir compris pourquoi elle pouvait le voir tel qu’il était. Il se risqua à faire quelque chose qu’il n’avait jamais tenté… Elle ouvrit les yeux doucement au son d’une voix grave et rocailleuse. Se retrouvant face au démon habillé de rouge, elle se redressa brusquement, prête à s’enfuir. Il leva les deux mains dans un signe d’apaisement. Il portait dans la main droite une rose qu’il déposa à ses côtés. Elle ne bougea plus. Il lui dit son vrai nom, celui de sa naissance quand il était encore humain, et avant qu’elle ait pu prononcer un seul mot, il s’en alla. Elle se réveilla alors, frissonnante au bord de l’eau. La nuit était encore jeune. Elle retourna à sa chambre. Surprenante cette fille ! Vraiment étonnante. C’était bien la première fois que la vérité mènerait une âme pure à sa perte ! oOo Il était de plus en plus présent, de plus en plus pressant. Impossible de lui échapper ! L’annonce officielle de leurs fiançailles, lors du dîner de la semaine précédente avec la famille, légitimait désormais sa présence et ses gestes devenaient oppressants. Ses craintes de jeune fille n’étaient guère apaisées, ni entendues par une mère en quête d’un titre et de reconnaissances de la part de la noblesse. Et ce soir là encore…le comte se fit très entreprenant. Alors le démon la guida, lui souffla les bons mots, ceux qui ont un pouvoir…Il l’exhorta à garder le contrôle. Lui soufflant les bonnes paroles…Lui disant à quel moment frapper ! Cette voix dans sa tête, était-ce de la fatigue ? Ou bien une hallucination due à la panique ? En tous cas, elle ressemblait à celle du démon rouge. Comment avait-elle pu lui sembler si rassurante tout à coup ? Pourtant, pour la première fois la peur céda face à l’audace et le fiancé remis à sa place prit congé, sa fierté malmenée dans sa poche et la joue enflée après la gifle magistrale qu’elle lui avait administrée. Cette nuit… Elle ne fut pas surprise de le revoir cette fois. Et des questions lui brûlaient les lèvres : suis-je en train de devenir folle ? Non. Est-ce moi qui t’aies créé ? Ha ha ha ! Que veux-tu de moi ? Ton âme. Que peut bien valoir une âme comme la mienne ? Je n’ai qu’un beau visage et des mains fines. Et « des yeux aussi limpides qu’un printemps d’été », ainsi récita-t-elle les mots qu’elle avait entendus maintes fois. D’autres auraient eu peur. Pas elle. Sans doute ne réalisait-elle pas encore ce que j’avais à lui offrir en échange, ce que je voulais vraiment d’elle. Sans doute, n’était-elle pas encore sûre de mon existence. Il lui sourit. Non, je ne dois pas…. Je ne te laisserai pas t’échapper cette fois, tu es à moi ! Ne pas écouter ses paroles ! Laisse-moi te montrer. *oOo* Son fiancé s’était sans doute plaint de son comportement de la veille à sa mère. Car cette dernière débarqua au petit matin en lui hurlant dessus. C’était son fiancé et elle l’humiliait ! Elle jetait la honte sur sa famille ! L’invectivant, la rabrouant toujours et encore… Elle était déjà au bord des larmes quand elle entendit la voix rocailleuse. Ne laisse pas les mots de cette femme t’atteindre! Elle te manipule ! C’est faux ! Elle se préoccupe de mon avenir voilà tout ! Tout ce qui l’intéresse c’est le bénéfice qu’elle, elle va retirer de ton mariage ! C’est la renommée qu’elle désire ! Tu te trompes ! C’est ma mère ! Elle m’aime ! Et moi je deviens folle. Dis-moi ? Essayes de te souvenir… Continua-t-il, implacable. A quand remonte la dernière fois où ta mère a eu un geste d’affection pour toi. Des mots gentils, spontanés. Te rappelles-tu la dernière fois où elle ne t’a rien demandé sitôt après ! Tu mens, démon ! Laisses-moi tranquille ! Ne se rendant pas compte qu’elle avait crié les derniers mots à haute voix. Elisabeth s’enfuit de la pièce, abandonnant là sa mère qui la regarda partir avec des yeux ronds. La vérité n’est pas toujours belle, ma princesse… Et tu as fait de moi son messager. Moi le plus grand menteur de cette partie du monde ! Voilà un rôle auquel je ne suis pas habitué. Elle s’était réfugiée dans le grenier. Ce fut là qu’il la découvrit, assise dans un vieux fauteuil, les genoux ramenés contre sa poitrine. Elle ne pleurait pas. Elle regardait droit devant elle. Elle était calme. Tu penses trouver des réponses dans les grains de poussière ? Lui demanda-t-il en la contemplant dans la lumière qui perçait à travers la petite fenêtre. Elle le chercha des yeux sans pouvoir le voir et elle se mit à rire. Non. Lui répondit-elle dans un demi-sourire. Mais dans le silence au moins, je retrouverai mes esprits. Et je suis sûre que ma mère ne montera jamais jusqu’ici, je peux être tranquille. Elle était maligne en fait la petite ! Que vas-tu vouloir me montrer cette fois ? Lui demanda-t-elle en levant à nouveau les yeux. Dans la faible lumière, il lui semblait distinguer sa silhouette. Si elle ne l’avait pas déjà vu en rêve, elle aurait cru avoir rêvé. Elle commence à me voir… Elle m’accepte enfin. Je te montrerai simplement ce que tu désires le plus. Lui répondit-il doucement. Elle ne pouvait pas rester indéfiniment cachée là. Elle redescendit donc. Elle croisa la gouvernante dans l’escalier, qui l’informa que son père souhaitait la voir immédiatement. Il la suivit alors qu’elle longeait les longs couloirs du manoir. Il était sûr qu’elle se rendait compte de sa présence… En entrant dans le vaste bureau de son père, elle le trouva en train de consulter plusieurs documents. Il ne leva pas la tête à son entrée même si elle était sûre qu’il avait entendue arriver. Un léger craquement du parquet lui permit de constater que sa mère était également présente. Le regard qu’elle lui jeta était glacial. Hummm, il n’a pas l’air content ton paternel ! Lui chuchota-t-il à l’oreille. Elle laissa échapper un petit rire. Son père leva enfin les yeux à ce son, bien incongru en la circonstance. Oups… Le discours qu’il fit, elle en connaissait déjà le contenu. Il suffisait pour cela d’avoir vu le regard de sa mère. Elle tenta bien de s’expliquer mais son père ne lui permit pas de prononcer le moindre mot. Le comte humilié avait été sur le point de rompre les fiançailles. Et son père de lui expliquer comment il avait réussit à le convaincre que c’était là, la conséquence de son innocence, de son inexpérience en matière d’hommes. Tu es une affaire commerciale en déroute qu’il a âprement négocié on dirait … Il continuait sur la place qui était la sienne. Sur son devoir envers sa famille. Il aurait aimé avoir un fils. Il aurait eu moins de travail. Cet homme austère avait toujours été un inconnu pour elle. Elle ne le voyait que pour les dîners en famille où le dimanche quand ils allaient à la messe. Elle l’avait souvent observé par les fenêtres de son bureau quand elle se promenait dans le parc. Tu es née femme et n’as point de frère… Et ta mère qui ne lui a pas donné d’autres enfants. Pas un seul fils. Et en plus elle n’a pas réussi à faire de toi une bonne fille bien obéissante. Son regard ne laissait aucun doute sur le peu d’estime qu’il avait pour elle. Il a été obligé d’interrompre ses affaires courantes à cause toi ! Tu as commis le terrible impair de lui rappeler ton existence. Ce fut sans surprises qu’elle apprit, de sa bouche qu’elle serait consignée dans ses appartements jusqu’à ce qu’elle se comportât enfin comme une femme de son rang. Elle accueillit cette nouvelle sans ciller, avec une légère pointe d’exaspération même. Ce qui la surprit elle-même d’ailleurs. Te voilà devenue un objet de honte alors qu’hier encore, tu étais au centre de toutes les attentions… Pécuniaires ou sexuelles. Elisabeth s’était imaginée que sa punition lui permettrait d’avoir un peu de tranquillité. Malheureusement sa mère se fit encore plus présente. Elle lui en voulait beaucoup de l’avoir mise en position de faiblesse face à son mari. La gouvernante habituellement souriante devint plus distante… Sans doute agacée par le surcroît de travail qu’était la surveillance de la jeune fille. Les bonnes murmuraient presque ouvertement sur son passage désormais. La voilà à présent mise aux bans de la bonne société ! Elle est plus isolée que jamais et sera bientôt mienne ! Elle ne supportait plus les journées qui étaient devenues particulièrement longues. Le reste de la famille s’était sans doute donné le mot car elle reçut de nombreuses visites plus moralisatrices les unes que les autres. De la part de ses grands-mères surtout. Un de ses oncles était venu également lui vanter les mérites de ce comte si charmant et intéressant… Elle s’ennuyait. Les rares amis qu’elle avait n’étaient pas autorisés à lui rendre visite, en revanche. Ils auraient pu lui mettre des idées subversives dans la tête, comme s’enfuir par exemple. Continuez, vous faites tout le travail à ma place. Vous êtes en train de la jeter dans mes bras. Continuez comme ça. Les nuits, elles, étaient devenues des amies. Elle sortait de plus en plus souvent de ses appartements, se baladant dans le parc et discutant avec le démon pendant de nombreuses heures. Elle avait bien des idées à débattre. Son innocence n’ayant d’égal que sa fougue à défendre ses théories utopiques, il ne s’en lassait jamais. Il lui démontrait par l’exemple, au coeur des heures sombres ce qu’il savait des humains. Il devenait son indispensable compagnon. Pourtant elle avait peur parfois de ce qu’il lui montrait. Elle lui en voulait un peu aussi. Sa foi en la bonté humaine se disputant avec la réalité de ce qu’elle avait devant les yeux. Il lui fit découvrir le monde de la nuit et ses secrets. Lui révélant l’autre visage des humains quand ils ne dormaient pas. Il l’emmena au-delà du domaine de ses parents et lui ouvrit les portes d’un monde qu’elle n’avait fait que soupçonner jusque là. Elle était souvent choquée de ce qu’elle voyait. Il voyait son cœur et sa résolution flancher à mesure que sa confiance en lui grandissait. Je savais depuis longtemps qu’il n’y avait plus beaucoup d’amour entre mes parents mais tout de même… Et dans le couloir en plus ! Tout le monde pourrait les surprendre ! Il ne put s’empêcher de rire aux éclats quand elle rougit face au spectacle de son père honorant fort bruyamment de son ardeur, la gouvernante. Mais elle nous vole depuis combien de temps ? Elle a commencé un mois après son arrivé au service de ta famille. Ce n’est qu’un homme fatigué par une dure journée de labeur à la ferme. Oui, c’est sûr. C’est pour cette raison qu’il passe ses soirées à la taverne à dépenser l’argent si durement gagné, avec ces putains au lieu d’honorer sa femme et d’en faire profiter ses enfants. Elle ne lui dira jamais qu’elle a perdu tout leur argent à la table de jeux, n’est-ce pas ? Non. Il ne peut pas voler le tronc des pauvres ! Il n’a personne à qui rendre des comptes. Du moins, personne d’autre pour vérifier combien il y a exactement dedans quand il le vide. Ce n’est pas possible ! Ce ne peut pas être elle dans ce lit ! Maintenant, tu sais comment a été négocié ton mariage. Ton fiancé a testé et apprécié l’expérience de ta mère et il a hâte maintenant de savourer ta jeunesse et ta beauté ! Et demain, elle me répètera encore comment je dois honorer mon fiancé et ma future famille ! Enfin… A quel point, il est crucial d’être parfaite ! Voilà ce que j’attendais… Je passerai encore des heures à faire des essayages pour la robe de mariée, sous sa surveillance. A répéter les vœux qu’elle m’a écrit car je suis, bien entendu incapable de choisir les mots qui conviennent La colère, la rancœur… Ma mère aura ses entrées dans les salons les plus privés de la noblesse. Lui pourra se vanter d’avoir obtenu une belle épouse et une dot considérable ! Les terres au nord de notre domaine seront désormais à lui ! La haine. Le mariage approchait et la pression se fit plus forte. Son ressentiment aussi. Elle surprit de nombreux regards inquiets sur son passage et d’autres empreints de pitié aussi. Elle était en train de changer et tous pouvaient le constater. La jeune fille timide faisait place à une jeune femme qui ne souriait plus aussi souvent qu’avant et certains le regrettaient. Bientôt … oOo La soirée avait été longue et la nuit était déjà tombée quand elle retourna dans sa chambre. Elle s’apprêtait à se déshabiller quand il fit son apparition par les portes fenêtres de sa terrasse restées ouvertes. Ses intentions ne laissaient guère de doutes, il ne voulait plus attendre la nuit de noces pour goûter à la jolie fleur qu’il avait sous les yeux depuis plusieurs semaines. Il ne va pas me la prendre maintenant ! Et je ne peux pas intervenir, cet humain appartient à mon maître. Il s’avança vers elle, ce n’était pas une gamine qui allait lui résister longtemps ! Elle lui ordonna de partir d’une voix ferme mais fit un pas en arrière et buta contre une petite table ronde. C’était pour lui, l’aveu de faiblesse qu’il attendait. Ne le laisse pas t’approcher ! Lui cria le démon. Fuis, bon sang ! Les fenêtres de la terrasse sont toujours ouvertes ! Le comte n’était pas si saoul qu’il en avait l’air car il se jeta brusquement sur elle en riant. Mais elle fut plus rapide et lui échappa en reculant derrière la petite table. Il renversa cette dernière d’un geste brusque faisant tomber à terre le chapeau qu’elle avait choisi cet après-midi même, pour aller avec sa tenue de mariée. C’est alors qu’il remarqua deux choses. D’une part le regard d’Elisabeth ne trahissait aucune peur, d’autre part, elle s’était saisie d’un objet sur la table avant que le comte ne la renverse. Et elle le dissimulait derrière son dos. Il sourit. Elle était décidée depuis plusieurs jours déjà. Il était hors de questions qu’elle épouse cet homme ! Quoiqu’il lui en coûte. Elle avait devant les yeux ce que serait son avenir pour le reste de ses jours si elle suivait le chemin qu’on avait tracé pour elle à ses dépens. Tu ne seras pas une bonne petite femme qui attendra sagement que son mari rentre à la maison, ça non … L’assaut suivant devait être le dernier. Alors qu’il avait réussi à lui saisir le poignet droit, il ne vit pas sa main gauche descendre, armée d’une aiguille à chapeau. Celle-là même qui aurait dû servir à fixer sa coiffe, le jour de ses noces. Elle l’enfonça dans son œil, complètement. Joli ! Il s’écroula sur elle. Si elle n’avait pas été dos au mur, elle serait sans doute tombée. Elle se dégagea. Elle avait du mal à respirer, son souffle était rapide et court. Elle ne pouvait détacher son regard du corps, qui gisait sur le parquet de sa chambre. Elle laissa échapper un petit rire. Ta vie de petite bourgeoise s’arrête ce soir, ma belle. Viens avec moi ! Lui demanda-il doucement. Mais elle ne semblait pas l’entendre, elle était comme perdue dans un autre monde. Elle rejeta sa tête en arrière et rit à gorge déployée. Elle s’approcha doucement du cadavre et récupéra l’aiguille. La moisson ne serait-elle pas terminée ? Tu ferais mieux de sortir par l’extérieur. Avec tout ce boucan, quelqu’un va sûrement venir. Il n’était pas sûr qu’elle l’ait entendu pourtant elle se dirigea vers la terrasse. Son pas était ferme et rapide. Elle cheminait dans la pénombre du parc avec assurance. La lune éclairant son chemin. Malheureusement pour elle, sa mère avait également laissé sa fenêtre de chambre ouverte. Il suivit tranquillement Elisabeth… pour la retrouver devant son lit. Elle qui dormait déjà sans doute aidée par tout le vin qu’elle avait bu, elle aussi. Dommage pour elle. Il avait atteint son but ce soir, il aurait dû jubiler !! Pourtant… Elle ne ressentait plus rien d’autre qu’une joie sauvage qui montait dans sa poitrine. Pourtant … Il ne ressentait pas autant de joie qu’il l’aurait souhaité. Pourquoi ? Elle hésitait encore. Comme on hésite à s’approcher trop près du bord de la falaise. Il suffisait d’un pas. Il avait obtenu ce qu’il voulait. Car c’était bien ce qu’il désirait, non ? Franchir cette frontière et tout changerait. On est toujours aveugle face à ses propres vérités. Et elle n’avait plus peur en cet instant. Bientôt il devrait la ramener à son maître. Qui en ferait sans doute une des leurs. Un vrai chef-d’œuvre ! Il serait bien récompensé, il le savait. Pourtant, il ne voulait pas la lui donner ! Elle ferma les yeux un instant, respira profondément. Il lui sembla sentir une légère caresse sur son épaule. Il voulait encore discuter des heures avec elle. Il voulait la faire rougir. Il voulait encore la voir s’émerveiller devant un coucher de soleil où se plonger dans un de ses livres préférés comme une affamée. Il voulait pouvoir toucher sa peau. Il voulait qu’elle le regarde de ses yeux si clairs et dans le monde réel cette fois. Il voulait l’entendre rire. Elle s’approcha doucement du lit, sans un bruit. Elle leva son bras armé bien haut au dessus de sa tête et l’abattit sans plus aucune hésitation vers la gorge de sa mère. oOo Elisabeth marchait rapidement sur le chemin, toujours guidée par la lune claire. Elle avait presque envie de courir. Elle entendait une grande agitation dans son dos. Des cris également. On allumait les bougies, on courrait dans les couloirs. Elle ne ralentit l’allure qu’une fois arrivée à l’extérieure du domaine. Elle entendit des pas derrière elle. Elle s’arrêta et le chercha des yeux. Il était là, elle le savait. Tout près d’elle. Comme pour répondre à son souhait, sa silhouette sembla émerger de la nuit elle-même. Il s’avançait vers elle, silencieux. Elle approcha une main pour caresser sa joue. Il attrapa ses doigts au vol pour la serrer dans la sienne. - Dis-moi Eldrid ? Où allons-nous maintenant ? FIN |