Assise dans un fauteuil, j’attendais que mon ami Théo arrive. Je lui avais demandé de passer parce que j’avais envie de parler à quelqu’un, de me confier. Je ne savais pas vraiment pourquoi je le faisais, mais je savais néanmoins qu’il fallait que je le fasse… Les minutes passaient et il n’arrivait toujours pas. Je ne paniquais pas, car je savais qu’il avait du avoir un petit empêchement, il n’allait pas tarder à arriver. En attendant, je me devais de lui aménager un petit espace propice à la conversation. Je rangeais donc un peu mon bazar que je déposa dans un coin, faute de temps. Au moins, il avait une place où s’asseoir désormais. Quelques minutes passèrent encore lorsque j’entendis quelqu’un frapper à la porte. Je suis allée lui ouvrir après avoir vérifié qui se tenait sur le palier. Théo était là. Après m’avoir fait la bise, il prit la parole : « Bonjour, ma petite Candice. Comment vas-tu aujourd’hui? Il ne manquait pas de culot! J’avais peut-être trois ans de moins que lui, mais il me considérait néanmoins comme une naine à coté de lui. Cela faisait longtemps qu’il m’appelait ainsi, aussi, je passais outre. -Ca peut aller mon grand Théo. Puis-je t’offrir quelque chose à boire ou à grignoter? -Et bien écoute, je ne dirai pas non à un café, si tu as. -Oui, je t’amène ca tout de suite. Allant dans la cuisine, j’en revenais avec une tasse de café et du sucre. M’asseyant ensuite dans mon fauteuil, je regardais Théo boire quelques gorgées de son café avant de reposer sa tasse et de me demander, du tout au tout : -Alors, Candice, pourquoi m’as-tu appelé aujourd’hui? Il y a quelque chose qui ne va pas? -Et bien, ce n’est pas tout à fait ca… Enfin, si au fait, je voulais te parler à propos de… A propos de Mathis. Théo semblait mi-étonné, mi-heureux. Je suppose qu’il ne s’attendait pas à ce que je lui demande de venir pour ca, mais il se ressaisit rapidement et m’offrit son plus beau sourire. -Je vois. C’est vrai que tu n’en as pas vraiment parlé jusqu’à maintenant, bien que je sois à peu près au courant de tout. Tu veux en parler donc? Tu pense que ca te soulagera? Théo avait une qualité : il était vraiment à l’écoute. Il pouvait être fêtard un jour comme il pouvait être sérieux un autre jour s’il voyait que ses amis étaient dans le besoin. -Oui, je pense que ca me fera du bien d’en parler. Je préfère t’en parler à toi parce que tu es au courant, tu pourras mieux me comprendre. En plus, tu es l’ami qui est le plus à mon écoute. -Je suis très touché, ma petite! Maintenant, parle, et ne t’arrête que lorsque tu aura terminé. Il voulait que je parle maintenant parce qu’il savait que plus vite on se débarrasse de choses qui nous touchent, plus vite elles nous laissaient tranquilles. Je crois que la réalité est un peu plus compliquée que ca, néanmoins, je désirais lui en parler parce que ce serait un début. -C’était donc il y a deux ans environ. Une nouvelle année débutait, avec toutes ses nouvelles têtes. Je connaissais déjà quelques personnes, ce qui m’a permis de me rabattre sur eux en attendant de faire de nouvelles connaissances. C’est cette année là que j’ai connu Mathis. Au début, je ne l’aimais pas tellement. Une petite boule de nerfs surexcitée qui faisait le coq dès que l’occasion se présentait. Il s’est avéré néanmoins que nous somme devenus amis au fil du temps. Plus nous nous parlions, plus nous nous trouvions des points communs. Comme quoi, il ne faut jamais dire du mal d’une personne avant de la connaitre, sinon ca n’a absolument aucun sens. Les mois passèrent, et nous nous rapprochions de jour en jour. Je ne le savais pas, mais Mathis m’aimait en secret, et ce depuis le jour où il m’avait vu. Une vraie preuve d’amour, certes, mais je crains malheureusement avoir brisé ses espoirs… Car après qu’il m’ait déclaré sa flamme, je l’ai repoussé. Pas méchamment, bien entendu, mais suffisamment durement pour qu’il en devienne infiniment triste. Je crois que je n’oublierai jamais l’expression de son visage lorsque je lui disais que lui et moi ce n’était pas possible. Je revois encore son sourire s’évanouir lentement d’abord, pour devenir rapidement une expression de pure incrédulité. Je revois encore ses yeux, pétillants de malice et d’amour, devenir peu à peu gris et ternes, presque vitreux, tandis qu’ils se remplissaient de larmes. Je revois son bonheur apparent, presque palpable, s’envoler au loin lorsque de ma bouche sortaient les mots qui l’ont tant blessé… Je ne voulais pas le blesser à ce point, ce n’étais pas du tout mon intention. Je voulais simplement qu’il comprenne que je préférais le conserver en tant qu’ami et non en tant que fiancé. Je sais que dans une relation de couple, il y a une chance sur deux pour que ca se termine mal, et il y a ensuite neuf chances sur dix que les deux anciens amants ne s’adressent plus jamais la parole. Peut-être était-ce une forme cachée d’amour que je montrais alors, parce que je ne voulais absolument pas que cela arrive. Dès lors, Mathis ne m’évitait pas pour autant, ce dont je lui fut reconnaissante, mais je savais que quelque chose en lui était brisé, et qu’il faudrait du temps avant de pouvoir en recoller les morceaux. Il n’était pas nécessaire que je lui en reparle, ca lui aurait fait plus de mal que du bien. A la fin de l’année, Mathis est parti. Je ne le revoyais plus aussi souvent qu’avant, une fois par semaine tout au plus, mais à chaque fois, j’étais très heureuse de le voir. Il attendait que j’ai fini ma journée pour pouvoir passer du temps avec moi. Il avait une fiancée, cela voulait donc dire qu’il m’avait oublié. Ce n’étais pas plus mal. Pour lui, j’entend. Si ca pouvait lui éviter d’autres souffrances… Mais voila, un jour qu’il décida de passer avec moi, il m’avoua qu’il était toujours amoureux de moi. Que ses sentiments pour moi n’avaient pas changé d’un iota et que si l’occasion se présentait, si par un heureux hasard je venais à l’aimer moi aussi, il lâcherait sa fiancée et partirait avec moi… Aussi, je ne sais plus tellement quoi faire. Je sais quels sont mes sentiments à son égard, et ce sont ceux d’une amie. Je ne sais pas tellement quoi faire pour qu’il m’oublie, c’est pourquoi je t’ai appelé… Théo avait écouté toutes mes paroles avec attention. J’adorais ce garçon. Sous son apparence d’éternel rigolard, il paraissait tellement sérieux que je me demandais parfois si c’était bien lui qui était assis en face de moi. Songeur, il reprit alors la parole : -Je connaissais cette histoire, dans la mesure où j’étais présent pour la première partie. J’ai donc vu tout ce qui s’était passé, et j’avais compris aussitôt. Je ne te l’ai jamais dit, parce que je pensais que tu l’avais compris toi aussi, mais il s’est avéré que non. Au final, Mathis s’est senti horriblement mal pendant l’année qui a suivi et il ressent encore quelque chose pour toi. Je comprend tout ca. Je comprend également que tu avais besoin d’en parler. Mais en revanche, je ne comprend pas pourquoi tu avais envie de ressasser tout ca. Tu pensais que ca ferait changer les choses de m’en parler? -Je ne sais pas. En tout cas, ca aurait permis de me soulager d’un poids. -C’est compréhensible… En revanche, Candice, tu ne crois pas que Mathis a également envie de se soulager d’un poids? Je ne le comprenais pas. Pourquoi me disait-il cela? Ca n’avait pas vraiment de sens… -Ce que je veux dire, reprit-il, c’est que Mathis aussi a souffert de cet « entretien ». Il en souffre depuis qu’il sait que ses sentiments n’ont pas eu de réponse. Personne ne peut forcer quelqu’un à l’aimer, et ce serait malhonnête si c’était possible. Mathis n’aurait surement pas été heureux que tu sois devenue sa petite amie par la force. Après ca, je ne peux pas vraiment faire grand-chose, à part te dire ceci. L’amour est une chose horriblement compliquée et changeante. Elle peut illuminer la journée d’un homme comme elle peut pousser un autre homme au suicide. L’amour est totalement imprévisible, on ne peut jamais savoir quand il te tombera dessus ou au contraire quand il te laissera tomber. Mathis peut te paraitre monstrueux lorsqu’il dit qu’il est prêt à lâcher sa fiancée pour toi si tu lui rendais son amour, mais ce n’est pas du tout monstrueux. C’est humain. L’amour est peut-être un sentiment imprévisible et potentiellement malsain, il n’en reste pas un sentiment, une émotion. Une émotion humaine. Mathis t’aime vraiment, voila ce que ca nous prouve. Quand à savoir s’il sera à la hauteur de tes attentes, personne ne le sait, pas même lui. C’est pour cela que c’est sa plus grande peur. Une dernière chose. Pour l’instant, tu sais où tu en es vis-à-vis de lui. Mais plus tard, il y a nombre de possibilités. Peut-être que tu seras avec lui et que vous aurez des enfants, peut-être que vous serez ensemble mais que vous que vous ne voudrez pas d’enfants, ou alors peut-être que vous ne serez tout simplement pas ensemble, qui sait? Personne ne peut prédire l’avenir, personne. Tu ne peux donc pas savoir ce qui se passera plus tard. Peut-être que tes sentiments vis-à-vis de lui changeront, je n’en sais rien… Sur ce, je pense que je vais te laisser penser à tout cela, Candice. Tu n’as pas besoin de moi, et dans tout les cas je ne te serai d’aucune utilité. C’est à toi de savoir ce qui est le mieux pour toi. Se levant, Théo s’approcha de moi et déposa un baiser sur mon front. Se détournant, il déposa sa main sur la poignée, me remercia pour le café et s’en alla, me laissant seule avec mes pensées. Après tout, il n’avait pas tout à fait tort, mais je ne savais plus trop quoi penser. Dans ma tête se trouvaient nombre de pensées, et faire le tri dans tout cela relèverait de l’exploit. Je décidais donc d’aller me coucher, afin de pouvoir réfléchir à tout cela en ayant les idées claires au réveil. Je n’arrivais pas à m’endormir cependant. Toutes ces pensées dans ma tête se bousculaient contre ma boite crânienne, à tel point qu’un violent mal de tête survint par la suite. Me relevant pour prendre un cachet d’aspirine, je me disais que tout cela devait être tiré au clair… Décrochant mon téléphone, je composais le numéro de Mathis et attendit une réponse. Celle-ci ne vint pas cependant, et je fis plus ample connaissance avec son répondeur. Je laissais donc un message où je disais que je devais lui parler, que c’était important. Je lui proposais une date et attendit de ses nouvelles. Repartant me coucher, je m’écroula sur le lit et cette fois, le sommeil vint à moi sans grande difficulté. Je voulais que tout cela s’arrête, qu’il me considère comme une amie tout simplement. Mais Théo avait raison : l’amour était un sentiment imprévisible, et quoi qu’on fasse, il parviendra toujours à nous surprendre… Toujours… |