" Je suis las de jouer un rôle qui n'est pas moi". " Je te jure que tu ne me reverras plus jamais"... Ces phrases tournaient et retournaient dans ma tête comme emportées par la tempête à l'intérieur de moi. Je le revoyais encore me les dire la nuit, quand je fermais les yeux pour essayer de dormir. Je revoyais ses prunelles topazes qui me semblaient si douces et si chaleureuses autrefois. Maintenant qu'il était partit, me laissant seule et perdue, il me semblait y voir le froid et la glace qui y brillaient. Pourquoi ne l'avais-je jamais vu avant? Pourquoi n'avais-je pas vu venir le désastre? Parce que j'étais aveugle... l'amour rend aveugle dit-on. Comme c'est vrai! La maladie d'amour n'était apparemment pas une excuse valable pour ne pas aller en cours puisque Charlie m'obligea à y retourner deux jours après le drame. Ne voyait-il pas que j'allais mal? Tout le monde autour de moi le voyait pourtant. Jours après jours on me demandait comment j'allais, on me prenait par les épaules, me serrait contre soi. J'avais horreur de ce genre de démonstration d'affection mais je ne le voyais même pas. La vie continue disait Charlie. La vie oui mais pas la mienne ne cessais-je de penser. Un mois qu'il était partit et j'avais encore du mal à prononcer son nom sans sentir ce trou béant en moi s'agrandir encore plus. Et puis le temps passa. Semaines. Mois. Quatre mois... c'était impossible que le temps continu de poursuivre sa route et pourtant... décembre venait de s'achever sans que je ne m'en rende compte. Charlie me harcelait sur mon comportement tant et si bien que je fini par l'éviter, affirmant que je sortais avec des amis. Cela semblait lui faire plaisir. Tant mieux. Aujourd'hui j'étais censée être à Port Angeles avec Jess. Après-midi shopping entre filles juste après les cours avais-je prétendu. Et il y avait cru. Tout le monde avait quitté le lycée sauf moi. Mains dans les poches je déambulais dans les couloirs silencieux et je réfléchissais. Finalement le lycée n'étais pas si mal, une fois qu'on y était seule et tranquille. Mes pas me conduisirent dans des recoins que je ne connaissais pas. Depuis quand avions-nous une bibliothèque? Je continuais de marcher, regardant machinalement dans certaine salle quand mon regard accrocha sur une chose totalement incongrue. Un piano. Ma main glissa vers la poignée et avant même que je m'en rende compte j'étais devant l'instrument, à effleurer le bois chaud du couvercle cachant les cordes. Un sourire étira un coin de mes lèvres. C'était une sensation bizarre que de sourire. Doucement je me glissais entre l'instrument et le tabouret. Mon cœur battait plus vite. C'était d'autant plus étrange que je n'étais plus habituée à cela depuis... depuis lui... Je posa mes mains à plat sur le piano, ferma les yeux, m'attendant à sentir le néant en moi rugir à nouveau mais rien ne vint. Peut être avais-je dépassé cela maintenant... Lentement je découvris les touches. Une légère odeur d'épicéa monta jusqu'à mes narines, faisant ressurgir des souvenirs disparut depuis des années. J'avais aimé jouer de la musique autrefois. Mes doigts se firent légers sur le clavier et quelques notes volèrent dans la pièce. Le cœur battant, avec toujours sur le visage cette stupide expression mi-figée mi-heureuse, je ferma les yeux. Je revoyais Mme Harris, mon ancienne voisine. Son sourire quand elle m'avait appris à jouer. A mes oreilles résonnaient les mélodies et les rires de cette époque où j'étais enfant, où avec Mérédith, la fille de Mme Harris et ma meilleure amie, nous jouions à quatre mains sur le vieux piano de sa mère. Oui j'avais aimé faire de la musique. C'était toute ma vie autrefois. Jusqu'à l'accident. Jusqu'à ce que Mérédith disparaisse. Depuis je n'avais plus osé toucher à un seul instrument. Mes doigts s'agitaient sur les touches, comme animé d'une vie propre. La musique résonnait dans la pièce. Mon pieds frappait la pédale en rythme. Je ne m'en rendais que vaguement compte. Je me replongeais dans mes souvenirs. Ils ne me faisaient plus autant souffrir qu'avant. En serait-il de même avec Edward? Oui peut être. Cela me semblait tellement improbable aujourd'hui. Et puis soudain j'entendis la mélodie que je jouais. Celle qu'il m'avait écrit et m'avait repris. Celle que je pensais ne plus jamais entendre. Mon cœur se serra et je m'arrêta brusquement, relevant les mains comme si le piano m'avait brûlé. - Non... ne t'arrêtes pas. Je fit brusquement volte face et croisa le regard chocolat de l'importun derrière moi. Je ne l'avais pas entendu arriver. Je pris une minute pour l'étudier. Grand, plus que moi mais ce n'étais pas bien difficile, les cheveux foncé en bataille, sa tête me disais vaguement quelque chose mais il m'était impossible de remettre un nom sur ce visage. - Je ne savais qu'il y avait encore quelqu'un. Il sourit. Il était plutôt attirant quand il souriait. Et il s'avança vers moi. - Nous sommes deux alors. D'habitude à cette heure-ci tout le monde s'est carapaté depuis longtemps. C'est pratique pour répéter. C'est joli ce que tu jouais. C'était quoi? - Un... un cadeau... Il hocha la tête. - De ton Edward j'imagine? Je fronça les sourcils et il rit. - Je suis de ce lycée n'oublies pas. Tout le monde ici connais ton histoire avec Cullen. C'est la tragédie du siècle. Son ton amusé m'agaça prodigieusement. Comme si qui que ce soit pouvait connaître la réalité de mon histoire avec Edward. Ils n'en connaissaient même pas le centième! Peut être mais voilà, une fois encore je me retrouvais à être le point de mire de tout un lycée! N'avaient-ils rien de mieux à faire? - Je ne savais pas que tu jouais. Je releva les yeux vers lui. Je l'avais presque oublié. - Je ne joue pas. Il sourit à nouveau. Ma colère s'estompa. - Pour quelqu'un qui ne joue pas tu tapotes drôlement bien. Enfin... il y a encore des progrès à faire mais bon... Je grommela et me levais, attrapant mon sac au passage pour sortir. J'allais passer la porte quand il m'interpella. - Oh Bella! Si d'aventure tu souhaitais continuer à... tapoter... la porte de la salle de musique est ouverte jusqu'à 18 heures... Pourquoi me disait-il cela? Sans répondre je disparus dans le couloir. Instinctivement je serra mes bras autour de moi. Faisait-il plus froid dans le couloir? Doucement je rentra à la maison. Il était tout juste l'heure de préparer le dîner. Ce soir... Enchilada... Le repas se passait en silence, Charlie fixant son regard sur moi comme presque tous les jours depuis plusieurs mois. - Cette sortie t'a fait du bien on dirai... Je relevais vers lui un regard interrogateur. - Tu as l'air moins abattu qu'avant. Cette nuit ce fut cette phrase là qui me poursuivit jusque dans mes rêves. Je ne vis pas Edward. Je ne vis pas de regard topaze, ne sentit pas son odeur... cette nuit là, j'avais la tête pleine de musique. |