Voici une fic que j'ai écrite à partir de l'image de Michael Parkes intitulée "Tuesday's Child".Voilà bonne lecture (c'est ma première fiction alors...)
Disclamer : Les personnages et l'histoire sont à moi mais l'image est à l'artiste Michael Parkes. __________________________________________________________________________________ « Rêver mais sans laisser ton rêve être ton maître. » (Rudyard Kipling)
Si Madame de Châtillon, directrice de l’établissement E. Zola, avait tourné la tête à ce moment-là, elle aurait pu apercevoir un jeune homme habillé de noir longer les murs du lycée, regardant tout autour de lui avec appréhension. Elle aurait pu le voir s’immobiliser net et fixer du regard une silhouette au loin, une flamme de pure panique s’allumant dans ses yeux. Elle aurait pu observer toutes les couleurs se retirer de son visage et le voir faire demi-tour précipitamment… Mais Madame de Châtillon ne tourna pas la tête à ce moment-là, et le garçon s’enfuit entre les bâtiments grisâtres… Il s’engouffra par la porte du gymnase et, haletant, s’affaissa contre le mur. Se prenant la tête entre les mains, il tenta de juguler la panique qui montait en lui. Puis il se releva et regarda par la fenêtre. Voyant que personne n’arrivait, l’adolescent poussa un profond soupir de soulagement. Qu’est-ce qu’il faisait là ? Il n’était jamais ici, à cette heure ! Le jeune homme s’assit plus confortablement et sortit un carnet de croquis de son sac. Natan dessinait toujours. Quel que soit le temps, le moment, l’endroit. C’était l’échappatoire de sa vie grise et nerveuse. Son imaginaire merveilleux qu’il pouvait peupler de créatures fantastiques et envoûtantes. Et encore plus maintenant. Maintenant qu’il le poursuivait. Qu’il était partout où il se rendait. Maintenant qu’il le suivait de son regard perçant, toute la journée… Natan baissa les yeux sur sa feuille et ne fut qu’à moitié surpris d’y découvrir la danseuse. Sans qu’il s’en rende compte, sa main avait tracé son visage fin… Toujours le même. Celui qu’il voyait en rêve depuis déjà plusieurs nuits… La danseuse était une jeune fille délicate et douce. Son regard était empreint de mélancolie et elle regardait vers le ciel. Ses cheveux, relevés sur sa nuque, étaient animés par des courants d’air invisibles. Elle lui semblait tellement plus vivante que ces personnes fades et tristes qu’il côtoyait jour après jour… Natan fut tiré de ses rêveries par la sonnerie stridente du lycée. Elle lui annonçait l’heure de retourner au monde réel et de quitter toute magie… * * * « Je suis rentré ! » Le jeune homme avait lancé cette phrase en rentrant chez lui, sachant pertinemment que c’était inutile… Ses parents étaient, une fois de plus, absents ce soir… Il dînera en tête-à-tête avec lui-même. Si dîner il y avait… Natan referma la porte de sa chambre derrière lui et s’y adossa en poussant un long soupir. Il s’assit à son bureau et pressa ses doigts contre ses yeux. Il avait l’impression de sentir encore son regard qui lui brûlait la nuque et le rendait fou…Il resta ainsi un long moment, plongé dans le noir, la lune projetant des ombres fantasques sur les murs blancs de sa chambre. Puis, presque inconsciemment, le jeune homme alluma la lumière du bureau et pris une feuille et un crayon. Ses doigts tracèrent encore une fois les courbes délicates de la danseuse… Et c’est à ce moment-là que le jeune homme ressentit le besoin de la peindre… De peindre la scène qu’il voyait, nuits après nuits… Il fut alors pris d’une frénésie nerveuse. Il ouvrit son armoire et attrapa la toile qu’il avait achetée avec son argent durement gagné. Sans même déplier son chevalet, il posa sa toile sur son bureau et il commença à tracer la danseuse au crayon, debout et tremblant… Il travailla ainsi jusqu’à une heure avancée de la nuit et quand il se coucha, tous les personnages de son tableau étaient déjà placés… Demain, je ferais la couleur, se promit Natan avant de sombrer dans le pays du songe. * * * Une semaine avait passé et le tableau avançait rapidement. Tous les soirs, Natan peignait, changeait des éléments de place, rajoutait des détails, en supprimait… Il se remettait sans cesse en question, ne voulant peindre que son rêve et ne rien y ajouter. Il était comme obsédé par le visage de la danseuse et ne lui trouvait jamais l’expression appropriée. Était-elle plutôt heureuse ? triste ? rêveuse ? mélancolique ? Il passait des heures entières sur son tableau. Son songe était devenu sa réalité… Mais cette réalité qu’il voulait fuir plus que tout le rattrapait toujours, et de la façon la plus violente et écœurante qu’il soit… Ce visage qu’il ne voulait plus jamais voir le poursuivait… « Eh, mais c’est Natan ! » Le jeune homme sursauta en entendant cette voix haïe. Il se retourna. Lui… « Alors, on ne vient plus voir son vieil ami ? » Il s’avança et Natan fit un pas en arrière. Il leva la tête et, en rencontrant ces yeux qui lui avaient tant promis avant de le trahir, un frisson de dégoût lui parcourut le corps. « Ne me touche pas ! », cria-t-il de toutes ses forces quand sa main se tendit vers lui. Un air surpris passa sur son visage une fraction de seconde puis il reprit son expression habituelle, masque d’arrogance et de mépris. « Comment ça « ne me touche pas » ? Tu as oublié tout ce que j’ai fait pour toi ? - Pour moi ?! Tu n’as jamais rien fait pour moi ! Tu t’es servi de moi ! - C’est de ma faute si tu n’as pas été assez intelligent pour assurer tes arrières ? - Tais-toi ! Je ne veux plus jamais rien avoir à faire avec toi ! », hurla Natan, sans tenir compte des regards curieux et moqueurs qui se tournaient vers lui. Comment ? L’insignifiant petit Natan Osborn qui osait élever la voix contre le grand, le puissant, le très respecté Jeff Darret ? Tremblant de rage, Natan jeta au jeune homme un dernier regard chargé d’une haine venimeuse et lui tourna le dos, s’éloignant à grands pas. Dès qu’il eut dépassé le coin du bâtiment, il se mit à courir… À courir en empêchant sa tête d’exploser sous la force des coups de ses pensées dans son crâne. Comment Jeff pouvait-il encore faire comme si de rien n’était et venir le trouver, son sourire narquois et suffisant aux lèvres ? Après tout ce qui s’était passé ? On était en hiver, le froid s’infiltrait partout et le chauffage avait été coupé, il y avait déjà une semaine. Natan écoutait ses parents faire leurs comptes… « Je ne sais pas comment on va faire pour tenir l’hiver… - Il faut absolument que cette entreprise-là m’embauche… - On peut à peine payer la nourriture… - Je n’arrive pas à l’avouer à Natan…». Le garçon serra les dents. Son père était au chômage depuis plusieurs mois et ils n’arrivaient plus à joindre les deux bouts. Si seulement je pouvais faire quelque chose pour les aider ! « Eh, tu veux gagner de l’argent facilement ? » Quand Jeff lui avait proposé un moyen pour rapporter de l’argent à la maison, Natan n’avait pas hésité. Après tout, la seule chose qu’il devait faire, c’était de transporter des paquets d’un endroit à l’autre de la ville… Il s’acquittait de sa tâche impeccablement et ne désobéissait jamais à la règle principale de Jeff : ne jamais regarder ce qu’il y avait à l’intérieur des paquets… Et l’argent était arrivé. Bien sûr, ses parents avaient été sceptiques et méfiants quant à cette soudaine rentrée d’argent, mais l’important était qu’ils aient de quoi manger, après tout... Puis, vint ce jour, poisseux de honte, où les policiers toquèrent à leur porte… Ils l’arrêtèrent et ses parents durent payer une caution pour le faire sortir… Jeff l’avait dénoncé, pour se couvrir. Et quelques jours plus tard, il vint le trouver : « Tu as intérêt à ne rien dire aux flics, sinon c’est ta petite famille qui va le payer ! ». Et depuis il était toujours surveillé, il sentait le regard de Jeff qui le transperçait, partout où il allait. Son regard narquois qui semblait lui dire « Tu ne peux rien contre moi… Alors laisse-toi un peu faire… ». Et il essayait de le faire revenir dans ses affaires ! Jamais ! Il n’avait pas oublié sa honte quand ses parents avaient tout compris et qu’ils avaient dû payer, sa peur quand les policiers étaient arrivés chez lui, et sa rage devant la trahison de Jeff. Il n’avait jamais vraiment participé à son trafic, il ne savait rien, il n’avait rien voulu savoir… Et ça lui avait coûté tellement… Ses parents qui ne lui faisaient plus confiance et qui s’éloignaient si vite de lui, son isolement et ses cauchemars… Il rentra chez lui et sa gorge se serra. Ses parents n’étaient jamais présents. Il aurait tant voulu leur dire qu’il était désolé, qu’il avait mal agi mais qu’il avait maintenant besoin de leur pardon… En voyant son tableau, un grand calme se fit en lui. Sa colère et sa peine parurent s’envoler quand il regarda le visage doux de la danseuse… Mais… Quelque chose avait changé… La dernière fois, hier soir, elle n’avait pas cette expression. Il en était sûr. Elle n’avait pas les yeux tournés vers le bas, son visage n’était pas éclairé de cette façon… Elle avait bougé… Un sourire se forma doucement sur les lèvres deNatan… C’est normal puisqu’elle est vivante… * * * Quelques jours plus tard, Natan était en train de peindre le ciel… Il faisait glisser son pinceau sur la toile, y déposant un mauve pâle. Il avait déjà terminé le décor. Sur le côté droit, une jeune femme perchée sur le bord du mur lançait une colombe vers les airs. À côté d’elle un singe avec un chapeau de clown était assis. Au bas du tableau, une corde était suspendue dans les airs. Elle formait un cercle qui tenait dans le vide, par on ne sait quelle magie. Sur l’extrémité droite de la corde, un autre singe était assis. Il tenait à la main un bouquet de fleurs blanches. Des nuages mauves, roses et blancs formaient l’arrière-plan. Et, au centre, la danseuse attendait patiemment d’être peinte… Elle se tenait sur une jambe cambrée et sa robe volait au vent. Elle était de profil et l’on voyait une partie de son dos nu auquel s’accrochaient deux rubans, tirés par deux colombes immaculées, telles des ailes immenses et douces. Elle posait ses doigts sur sa bouche, pensive, et regardait vers le bas. Ses cheveux, retenus par une fleur blanche, dégageaient l’ovale de son visage. Une impression de pureté et d’irréel se dégageait du tableau… Natan peignait fiévreusement. Quel besoin avait-il d’aller dehors ? Pour revoir ce monde gris et morose, pour revoir Jeff et son air sûr de lui ? La danseuse était là. Elle lui chuchotait ses secrets, elle lui souriait tendrement et elle le comprenait… Elle lui ouvrait les portes du monde fantastique qu’il avait créé jour après jour, elle l’invitait à le rejoindre… Un jour, elle tournait vers lui ses yeux pâles et celui d’après elle les refermait doucement. Elle était si belle… Natan ne sortait plus que très rarement de chez lui, et quand il le faisait son esprit entier était tourné vers la danseuse. Il griffonnait son visage sur toutes les pages de ses cahiers, il rêvait de s’envoler vers elle… Il ne regardait plus de chaque côté avant de s’engager dans un couloir pour voir si Jeff arrivait, il marchait les yeux rivés vers le ciel. Et il regardait tellement les nuages qu’il ne vit pas Jeff lui arriver dessus. Ses yeux étincelaient de rage et une veine battait dangereusement à sa tempe. « OSBORN !! Tu as parlé !! - Hein ?! Qu’est-ce qui se passe ? - Qu’est-ce qui se passe ? Tu te fous de moi !! Tu es allé nous dénoncer et les flics sont venus nous arrêter ! » Jeff plaqua Natan contre le mur et grogna : « Tu vas le payer… Je te jure que tu vas le payer… - Non ! Ce n’est pas moi ! Je n’ai rien dit ! Je te le jure ! - Ah ouais ? En tout cas, tu es prévenu, je sais où tu habites alors attend-toi à ce que tes parents reçoivent une petite visite dans pas très longtemps ! » Il lâcha Natan et s’éloigna à grands pas. Le jeune homme se mit à trembler violemment. Quelqu’un avait dénoncé Jeff ! Et il croyait que c’était lui ! Il fallait qu’il prévienne ses parents ! Le soir venu, il entra en trombe chez lui. Personne. En attendant que ses parents reviennent, Natan se mit à s’agiter dans tous les sens. Il était plus qu’angoissé, nerveux et paniqué. Il fit alors la seule chose capable de le calmer. Il alla voir son tableau… En retrouvant son univers onirique et surréel, les battements de son cœur se calmèrent aussitôt. Natan regarda amoureusement la danseuse et finit de lui donner la vie… Le temps sembla s’arrêter tandis qu’il peignait. Il avait oublié Jeff et le reste. Car elle était enfin terminée… Il recula alors de quelques pas pour l’admirer. La danseuse, aérienne et féerique, semblait flotter dans les airs et l’inviter à le rejoindre. Il se rapprocha du tableau et sentit la douce caresse du vent sur sa peau. Il en était sûr maintenant, sa place était avec elle, ailleurs… Des cris en provenance du dehors le tirèrent de sa contemplation. Il s’avança jusqu’à la fenêtre : Jeff. Jeff et sa bande. Jeff qui était là ce soir pour prouver sa supériorité, sa totale domination sur ceux qu’il contrôlait et qu’il écrasait. Natan se sentit vidé de toutes ses forces. Il aurait dû descendre, aller s’expliquer avec Jeff, supporter les coups s’il le fallait… Mais non. Il restait immobile devant sa fenêtre, lâche, observant le destin décider de son sort. Il vit la voiture de son père arriver, celui-ci en descendre et discuter violemment avec Jeff. Il le regarda rentrer dans la maison, apparemment furieux et il l’entendit l’appeler : « Nate ! Qu’est-ce que c’est encore que ces histoires ?! Qui sont ces voyous dehors ?! » Natan sentit son pouls s’accélérer. Non, pas maintenant. Alors que cette histoire commençait à tomber dans l’oubli, que leur confiance revenait… Il entendit les cris de son père et de Jeff qui fusaient du rez-de-chaussée… Après tout que pouvait-il faire ? Se défendre ? Se battre, encore ?… Il se sentait si las et si fatigué… Et il ne trouvait plus en lui le courage nécessaire pour bloquer la machine qui se mettait en route. Pourquoi espérer changer le cours des choses quand tout se liguait contre soi ? Pourquoi se démener ? Pour qui ? Il serait tellement plus facile d’oublier et de partir enfin… Natan se rapprocha du tableau et posa son regard sur la danseuse. Elle ne criait pas elle… Elle lui souriait tendrement… En transe, le jeune homme s’approcha lentement du tableau, n’entendant plus les cris… Il entendait le doux bruissement du vent dans sa robe et le battement des ailes des colombes… Son visage s’apaisa et il tendit la main vers le tableau… Ses doigts effleurèrent la danseuse… « NATE !! TU VAS M’EXPLIQUER MAINTENANT !! » cria Monsieur Osborn. Il agrippa la poignée de la porte, la tira violemment… Et resta figé sur le seuil… … Natan n’était plus là… Et, sur le tableau, un jeune homme souriait… FIN
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