C’était terrible, à chaque fois, tes lèvres sur les miennes. Je ne sais pas si tu t’en souviens, ça fait longtemps. C’était terrible par ce que c’était toi, par ce que c’était trop court. La honte, le doute. C’est un souvenir flou, je ne sais pas si je l’aime ou si je le hais. Je m’en souviens très bien, mais l’impression laissée, le sentiment, est mitigée. Ca brûle comme un incendie au napalm, ça explose, ça dévore mes entrailles. Je fuis. Je fuis aussi la douceur de tes lèvres, l’humidité de ta bouche. C’est une bouche ogresse. Je fuis ta mastication, j’ai peur d’être dévoré. Tentante et sanguinaire, je n’ose plus la regarder. Ca fait longtemps. J’aimerais partir, Ophélie discrète, avec fleurs et nénuphars. Oublier tout ça. J’éviscère des crocodiles multicolores, méthodiquement, d’un coup de dent volontaire et précis. La moitié du paquet y est déjà passé, c’est la panique chez les reptiles, leurs cris gélifiés montent à mes oreilles et je jubile, maître du destin de créatures sucrées. La table tremble, tentative de fuite. Je rattrape les évadés et les sacrifient à mon estomac avide. Ca m’a prit par surprise, poupée gigogne vivante, moi qui dévorais, j’ai été dévoré. Je ne peux pas regarder la mort en face, la digestion, je ferme les yeux. Un baiser encore. Affamées comme jamais, elles exigent leur du de chair tes lèvres ! Et quand elles furent rassasiées, par gourmandise, pour le dessert, elles goûtèrent à mes joues, puis elles partirent. Je ne pouvais plus dire que ça faisait longtemps. Tu étais là, devant moi, avec tes lèvres repues mais prêtes à recommencer, à se gaver jusqu'à la lie du festin de mes lèvres à moi. J’étais rongé jusqu'à l’os, avalé. J’étais passé sur la langue, j’avais effleuré la gorge. Je sentais mes intestins jouer aux montagnes russes, effet de la digestion. C’était la fin, j’en étais sûr. Ma cervelle macérée avait finit de s’imbiber et j’avais la solution. Je devenais l’Ogre, je devins affamé. Je me délectais alors du sel de ta peau, de la chaleur de ton ventre, l’acre de tes fluides. Je goûtais ton sang et ton sperme, mon sang et mon sperme, plus toi, plus moi que je ne l’avais jamais été. Je t’absorbais en entier et me retrouvais moi-même. Nous étions un, loups carnivores et émaciés, dévorants leurs semblables. Le matin se leva sur le lit, l’autel de notre sacrifice. J’étais neuf et nouveau né. Je me réveillais et me rendais compte de ma faim. J’eu l’impression qu’elle ne s’arrêterais jamais. J’avais faim à nouveau, et tu m’étais offert. Je fus Dieu, on me délivra l’agneau et n’en fit qu’une bouchée. Faim. |