Il est grand. Très grand. Fin, j’aurais dis maigre si son t-shirt moulant ne révélait pas un torse légèrement musclé. Il a les cheveux courts, en bataille, d’un blond très clair, presque blanc. Il a aussi d’immenses yeux bleus, si clairs, un étincelle rouge au fond de la pupille lui valait ce surnom de « démon ». Et sa peau, pour ne rien gâcher, laiteuse, d’un blanc non pas maladif, mais pur, immaculé, magnifique. Alors il a beau avoir les traits fins d’un ange, le corps d’un apollon, la seul chose qui vient à l’esprit de ceux qui posent les yeux sur lui, c’est « blanc ».

Il est tout blanc. Il ne parle à personne, même pas à moi.  Tout le monde l’évite aussi. La première fois que je l’ai vu, j’ai cru apercevoir un fantôme. Transparent. Personne ne le voyait, lui ne voyait personne, comme si notre monde à nous n’avait pas d’existence à ses yeux, et comme si nos yeux ne pouvaient voir ce qu’il voyait. J’ai compris il y a un moment que c’est volontaire, de sa part, et de celle des autres. Cela fait un 7 mois qu’il est dans ma classe, et jamais je n’ai entendu le son de sa voix. En cours, il regarde ses mains, la fenêtre, sa feuille, parfois il écrit une heure sans s’arrêter alors que personne d’autre n’écrit, alors je me demande, bien sur, ce qu’il peut bien inscrire sur ces papiers. Ceux qui l’appellent, enfin ceux qui le désignent dans une conversation plutôt, l’appellent  le Démon blanc  En vérité il ne s'appelle pas, blanc comme la neige.

Il m’arrive parfois de me perdre, je l’imagine, je rêve à lui, allongé dans la neige, sous un ciel clair et lumineux, invisible comme il aime l’être… Mais souvent, le rêve se transforme, sa blancheur toute entière s’enfonce dans la neige, la lumière du soleil se reflète une fois encore dans ses yeux avant que tout ce blanc ne l’engloutisse et qu’il disparaisse.  Depuis que je suis arrivé ici, les choses n’ont pas vraiment changées, pour lui en tout cas. Il ne regarde toujours personne, à mon grand désespoir, parce que moi je le regarde. Tout le temps, d’ailleurs ça m’étonne que personne ne s’en soit rendu compte. Lui en tout cas, ne peut pas savoir. Il faudrait qu’il relève la tête, même un petit peu, de temps en temps. Mais il ne le fait pas. Il garde ses yeux fixés sur ses mains.

Je me sens parfois vexé qu’il trouve ses mains plus intéressantes que mon visage. Mais il a des mains magnifiques aussi. Evidemment. Pales comme le reste de son corps, fines, avec de longs doigts… Souvent je m’interroge, les autres l’ont-ils clairement regardé ? Ou bien se sont arrêtés au mot « albinos » et n’ont pas cherché plus loin, non, ils n’ont pas regardé le reste. Mais moi, le vois tout, je le vois entier, en gros plan, dans ma tête, tout le temps .Je le vois les yeux fermés, je l’imagine rougir parfois, je me demande si une rougeur sur ses joues gâcherait sa peau d’albâtre, ou bien si un peu de couleur ne ferait pas ressortir le lumineux de ses yeux. J’aimerai voir son sourire, je rêve de le voir rire. J’espère que ça arrivera. J’espère parce qu’il y a cette mélancolie dans ses yeux, la mélancolie de ceux qui ont perdu quelque chose. Est-ce que tout est blanc pour lui ? Le monde à ses yeux a-t-il comme lui perdu ses couleurs ? J’aimerai oser, aller vers lui, je voudrais qu’il m’aime, qu’il se fâche même. J’aimerai le voir taper du poing sur la table quand je lui demande ce qui ne va pas, j’aimerai qu’il me dise que ça ne me regarde pas, et qu’il m’avoue tout ensuite. Je voudrais tout savoir de lui. Parce que je voudrais aussi qu’il sache tout de moi.