Bonjour à tous! Tout d'abord, merci de lire cette fic, écrite spécialement pour le concours "Gepetto '10". Les mots qui devaient y être intégrés sont: dithyrambique, bicéphale, marionnette et gingembre, et sont en gras dans le texte.
Le rating K+ est là à cause de quelques gros mots et insultes, Il n'y a pas de disclaimer ^^
Bonne lecture!
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La Lune éclaire de ses rayons d’argent les arbres de la forêt. Et moi, tourbillon de feuillages, courtisane des nuages, je danse à l’ombre des branches, jouant à cache-cache avec son regard. Dans ces moments-là, mon éternité oublie tout si ce n’est l’instant présent où les ombres des arbres, tantôt menaçantes, tantôt complices, dessinent sur mon corps leurs motifs immémoriaux. Je m’appelle Ishva et je suis la dernière Fille de la Lune.
Les siècles bénis où les Hommes nous vénéraient, mes Sœurs et moi, ont disparu de leurs mémoires comme le printemps fait disparaître le givre. Ainsi mes sœurs ont perdu goût à cette existence terrestre, préférant s’allonger aux côtés de notre Mère à toutes et prendre un repos qu’elles estimaient mérité. Moi, je suis toujours là. Toutes m’ont toujours affirmé que j’étais différente, spéciale. Je prends plaisir à observer les Hommes s’agiter, tels des fourmis, pour quelque construction que leurs fils auront tôt fait d’oublier. Je prends plaisir à jouer avec eux, à modifier les motifs du grand métier à tisser du Destin, à tirer sur un fil plutôt qu’un autre. Cachée par les ombres de la nuit, je les regarde souffrir puis mourir, mes petites marionnettes. Mes chères petites marionnettes…
Mes pas ralentissent alors que le ciel se teinte de gris et de rose. La Lune commence à pâlir, et je retourne auprès d’elle le temps d’une journée, le temps d’observer mon nouveau jouet à distance. La nuit, je suis toute-puissante, mais le Soleil s’emploie chaque matin, tel un balayeur borné, à chasser les Filles de la Lune… Et moi, tout aussi tenace, je reviens chaque soir affermir un peu mon emprise sur mon pantin… Petit pantin de chair et de sang plus résistant que ceux auxquels je m’attaque d’habitude… mais peu m’importe. L’éternité semblerait bien longue sans de petits défis comme celui-ci…
Ce matin-là, Ethan se leva et se prépara comme tous les jours depuis deux semaines à se rendre à la librairie où il travaillait, qui appartenait à son oncle. La chaleur de l’été avait fait fuir le sommeil une grande partie de la nuit précédente, et, en plus, il avait fait un rêve étrange. Il y avait vu une femme, très belle avec ses cheveux plus pâles que l’or le plus fin. Son odeur de gingembre l’avait surpris et charmé. Elle lui avait souri en lui murmurant des mots dont il n’était pas parvenu à saisir le sens. Le regard d’Ethan avait ensuite glissé sur sa tunique vert clair de la femme, qui ne cachait rien de ses formes, et le sens de quelques mots étaient parvenus à son oreille. « Ne me désire pas, Ethan, car par mes immenses pouvoirs, je te ferai rencontrer ton âme sœur… » Ce ne fut pas tant le sens des mots prononcés que le choix de ceux-ci qui l’intrigua. Il n’avait jamais entendu quelqu’un parler de manière aussi dithyrambique. Seul le parler des siècles précédents, qu’il avait parfois croisé dans des romans, approchait des tournures de cette belle inconnue, elle-même fruit de son imagination pensait-il. Pourtant, il n’avait pas lu récemment, et se demandait d’où son esprit avait tiré ce rêve. Mais quelle que fut sa source d’inspiration, Ethan n’avait pas pu se rendormir ensuite, et cela se voyait sur son visage.
Toujours perdu dans ses pensées, le jeune homme arriva à la librairie. Il remit en place une mèche de ses boucles brunes en se regardant dans la vitrine puis entra et s’installa derrière la caisse. Il lui restait dix minutes avant que la librairie ouvre. Il se prépara à attendre tranquillement neuf heures tapantes pour relever le volet et tourner la petite pancarte du côté « ouvert », mais son portable vibra avant qu’il puisse s’installer confortablement. Il songea avec un sourire qu’il n’était pas le seul à se lever tôt, chose plus qu’étonnante connaissant ses amis.
« Envoyé par John à 8h49
Hello toi ! Comment va ? T’as reçu ma carte postale ? :D Je rentre du Caire cet aprèm’, ça te dit qu’on aille boire un verre ? Enfin, dès que t’as fini de vendre tes bouquins ^^ Disons 18h30, si ça te va ? Allez, bonne journée p’tite tête ! John »
Ethan sourit à la lecture du message. C’était du John tout craché. Difficile de trouver plus crâneur et snob que lui, mais un cœur en or et des feintes plus débiles les unes que les autres rattrapaient largement ses défauts, et Ethan le considérait comme l’un de ses meilleurs amis. Un léger sourire aux lèvres, le jeune libraire commença à rédiger une réponse.
« Envoyé par Ethan à 8h53
Coucou ! Ca va aussi moi ! J’ai pas encore reçu ta carte, j’parie que tu l’as envoyée le dernier jour ! Comme d’hab quoi u_u Ok pour 18h30, au « Gold Island » comme l’autre fois ^^ Allez, bon vol ! »
Une fois sa réponse envoyée, Ethan alla relever le volet de la librairie et tourner la pancarte du côté « ouvert ». Il s’installa ensuite derrière la caisse pour attendre ses premiers clients, qui ne tardèrent pas à arriver. Vint tout d’abord un vieux monsieur, un habitué. Habillé d’un gros pull malgré la chaleur et coiffé d’un chapeau de feutre, il avait l’air un peu bourru de ceux qui ont toujours fait honnêtement leur travail, sans chercher à manipuler quiconque. Il s’appelait Paul et adorait discuter. Comme d’habitude, il n’était même pas encore en face du comptoir qu’il engageait la conversation.
- Bonjour mon garçon ! Comment vas-tu ?
- Très bien Paul, et vous ?
- Je me porte comme un charme ! Mon arthrite me laisse en paix aujourd’hui ! Les affaires marchent bien aujourd’hui?
- Vous êtes mon premier client, comme d’habitude, dit Ethan en souriant avec amusement. Le journal « Le Figaro » je suppose ?
- Tu supposes bien mon garçon ! répondit Paul en sortant son porte-monnaie de sa poche. Je te dois 1€65, c’est bien ça ?
- C’est ça oui, vous avez bonne mémoire, répondit Ethan, toujours souriant. Il tendit ensuite le journal à son client et prit la monnaie que celui-ci lui donnait.
- Oh, tu as vu ? Un accident de train à Valenciennes ! Je savais que ça finirait par arriver un jour, ils n’ont pas changé les voies depuis l’accident de 1992 – et je sais de quoi je parle, crois-moi ! D’ailleurs, mon oncle me disait toujours…
Et, comme d’habitude, Paul était intarissable, quel que soit le sujet d’actualité dont il avait choisi de parler. Ethan se désintéressa bien vite de son monologue, acquiesçant de temps à autres et ponctuant les phrases de Paul d’un « C’est bien vrai ! » ou d’un « Oui, c’est sûr ! » lorsqu’il voyait une ouverture. Au bout de dix minutes, par chance pour le jeune homme, une cliente arriva.
- … Donc comme je te le disais, pendant la guerre, tout était très différent mon garçon ! Les trains tout le temps contrôlés, rien à voir avec maintenant, ça non ! Tiens, par exemple…
- Désolé de t’interrompre Paul mais madame attend que je sois libre pour m’occuper d’elle, le coupa Ethan en dissimulant son soulagement derrière un sourire contrit.
- Je comprends tout à fait mon garçon ! Bonne journée alors, et à demain ! Nous continuerons cette passionnante discussion !
Heureusement pour Ethan, la promesse de Paul, renouvelée chaque matin, n’était jamais tenue.
- Bien sûr Paul, passez une bonne journée, répondit-il avec un sourire. Bonjour madame, que puis-je faire pour vous ?
Le départ de Paul, comme d’habitude, marqua le vrai début de la journée de travail dans la librairie. A partir de ce moment, les clients se succédèrent, et Ethan en avait servi pas moins d’une trentaine lorsqu’arriva enfin midi et demi, l’heure bénie de la pause déjeuner. Il s’apprêtait à se lever et à aller retourner le petit panneau sur « Fermé » lorsqu’un client entra. Avec un soupir, Ethan se résigna à attendre cinq minutes de plus. Cinq minutes qui ne manqueraient pourtant pas d’intérêt, au vu du look pour le moins original de l’homme, qui se promenait à présent entre les présentoirs, laissant à Ethan tout le loisir de l’observer. La première chose qui attirait l’attention chez lui était sa manière de s’habiller. Il portait une veste en cuir grise, très ajustée, un pantalon noir non moins ajusté et des Santiag. Ethan se fit la réflexion que cette manière de s’habiller, quoiqu’un peu spéciale, allait bien à cet homme. En effet, il faisait quelques centimètres de plus que le libraire,qui n’était pourtant pas petit avec son mètre soixante-seize. Ses cheveux d’un noir de jais étaient coupés courts, laissant une vue dégagée sur la peau légèrement bronzée du nouveau venu et sur ses yeux d’un bleu intense.
Ethan s’aperçut ensuite qu’il fixait son client depuis plusieurs secondes, et que ce dernier faisait de même. Se sentant rougir, il détourna le regard, rajouta une pile de journaux sur le comptoir pour faire comme s’il était occupé, puis releva les yeux vers l’homme.
- B-bonjour monsieur, que puis-je faire pour vous ? Demanda-t-il en s’efforçant de paraître naturel, malgré la honte d’avoir bégayé, chose totalement inhabituelle, qui s’ajoutait à la gêne d’avoir dévisagé sans vergogne son client.
- Bonjour, dit ce dernier avec un sourire. Moi c’est Maxime, et toi ?
- Ethan…
- Ok, Ethan !
Le sourire de Maxime s’élargit et il reprit, posant un magazine sur le comptoir.
- Je voudrais acheter ceci.
Ethan se pencha pour regarder le magazine… et le regretta aussitôt en sentant ses joues commencer à chauffer. Il imaginait sans peine que son teint était en train de virer au rouge brique. Maxime n’était pas le premier client achetant un magazine pour adultes, mais c’était en revanche le premier à lui présenter un magazine pornographique gay. De plus – pour ne laisser aucune chance à Ethan de surmonter sa gêne – Maxime lui fit un clin d’œil suggestif, son sourire accroché à ses oreilles.
- E-euh… d… d’accord…
- Allez, sois pas gêné mon chou, c’est un magazine comme un autre, ajouta Maxime avec un nouveau clin d’œil, comme pour l’enfoncer encore plus.
- … o-oui…
Puis, Maxime sembla trouver qu’il avait suffisamment embarrassé Ethan. Il lui laissa le temps de réguler la température de ses joues, puis reprit la parole.
- Bon, j’te dois combien ?
- Euh… 5€40…
- Voilà ! (Maxime donna sa monnaie à Ethan sans perdre son sourire) Mh, je peux prendre autre chose ? ^^
- Bien sûr, répondit Ethan en tentant un sourire, à peu près remis de son humiliation précédente.
- J’voudrais aussi un rendez-vous avec toi, dit l’autre en restant tout à fait naturel.
- …
Ethan resta silencieux quelques secondes, puis se reprit. L’autre poussait vraiment le bouchon trop loin, là !
- Non mais ça va pas la tête ? Vous ne m’intéressez absolument pas ! répliqua Ethan avec véhémence, avant d’expirer pour se calmer – service clientèle oblige. Vous avez votre magazine, alors veuillez sortir maintenant. Nous fermons pour midi.
- Ok, ok… céda Maxime leva ses mains devant lui comme pour dire « c’est bon, je me rends ». Je repasserai demain alors, poursuivit-il en souriant à nouveau. Passe une bonne journée Ethan !
Maxime se détourna ensuite, et quitta le magasin sans un regard de plus pour un Ethan encore médusé d’avoir eu affaire à pareil énergumène. Le libraire resta assis encore quelques minutes à analyser la situation plus qu’étrange qu’il venait de vivre. Ensuite, il se leva de sa chaise et se décida à aller tourner la pancarte du côté « fermé » et à prendre sa pause de midi plus que méritée.
L’après-midi se passa sans encombre, et Maxime ne reparut pas, au grand soulagement d’Ethan qui tressaillait à chaque fois qu’il apercevait une veste grise passer dans la rue. Sa montre afficha bientôt 18 heures et Ethan s’occupa rapidement de fermer le magasin, vérifiant ses comptes et réassortissant rapidement les rayons pour que tout soit prêt pour le lendemain. Ensuite, il sortit, abaissa le volet sur la devanture de la librairie et se hâta d’aller au Gold Island. Il espérait y être pour l’heure convenue, car John ne manquerait pas de le charrier s’il arrivait en retard – alors que l’ami d’Ethan était bien le dernier à respecter les horaires.
Il arriva finalement devant le bar… à 18h38. Ethan soupira en voyant l’heure. Il allait finalement devoir supporter les sarcasmes de John. Mais d’un autre côté, c’était de bonne guerre, vu que lui-même ne manquait pas de faire des remarques à son ami lorsqu’il était en retard. Se demandant ce que John pouvait bien lui réserver, Ethan poussa la porte de l’établissement. Il repéra directement son ami, installé à une table non loin.
- Salut p’tite tête ! Alors, en retard ? Tss, tu vois que tu dis n’importe quoi quand tu dis que je suis toujours en retard moi, hein ?
- Salut John, répondit Ethan avec une mine contrite.
- Oh oui, tu fais bien d’être gêné ! Non mais, 8 minutes de retard, tu te rends compte ?
- …
Ni Ethan ni John ne purent plus longtemps retenir le sourire qui luttait pour poindre sur leurs lèvres. Lorsqu’ils se voyaient, cela commençait toujours de cette façon. Et cela terminait toujours de la même façon aussi.
- Allez, avoue que je t’ai manqué ! dit John avec un grand sourire.
- Tu rêves, deux semaines sans t’avoir dans mes pattes c’était le pied !
- Ton mensonge se voit comme ton nez au milieu de ta figure tu sais ?
- … Et puis zut ! (Ethan prit un instant un air vexé, avant de sourire à nouveau) Parle-moi plutôt de ton voyage ! C’était bien le Caire ?
- Oui, c’était vraiment bien !
John commença à raconter ses deux semaines de vacances à un Ethan captivé. Ce dernier se disait que son ami avait bien de la chance d’avoir des parents riches, qui pouvaient lui offrir un tel voyage. Lui, il ne pourrait pas faire un voyage comme celui-là avant plusieurs années, au moins le temps qu’il finisse ses études d’Histoire et se trouve un travail stable et relativement bien payé. Ce n’était en tout cas pas son job de vacances à la librairie de son oncle qui lui permettrait d’économiser assez.
John lui parla des pyramides, du Sphinx, et d’autres merveilles de temps oubliés que son esprit d’historien brûlait de pouvoir contempler pour de bon. Tout en l’écoutant parler, Ethan en profita pour observer son ami. Il était bien plus bronzé que deux semaines auparavant, et son teint hâlé s’accordait bien mieux maintenant avec ses cheveux d’un noir d’encre et ses yeux bruns. Il portait une chemise et un jeans aujourd’hui, et semblait être le parfait opposé de ce Maxime qui était venu le matin même à sa librairie…
- Ethan ? Tu m’écoutes ?
- Hein ? Euh, oui, oui ! répondit-il avec un sourire d’excuse. Je repensais au truc un peu fou qui m’est arrivé aujourd’hui…
- Un truc bizarre
John se pencha légèrement en avant, les yeux pétillants de curiosité. Ethan poussa un léger soupir, sachant qu’en racontant l’histoire à John ce dernier ne pourrait pas s’empêcher de s’en mêler. Mais il savait aussi qu’il ne pouvait pas ne pas la raconter.
- Vas-y, raconte-moi ! poursuivit John, comme pour confirmer les pensées d’Ethan.
- Eh ben en fait… un mec est venu à la librairie où je bosse ce matin et il a essayé de me draguer, comme ça ! Il m’a d’abord demandé comment je m’appelais et tout – je lui ai dit, je savais pas pourquoi il demandait ça moi – puis il a acheté un magazine porno gay exprès pour me mettre mal à l’aise je pense, et puis après il m’a demandé si on pouvait avoir un rendez-vous et tout ! Je l’ai rembarré mais il m’a dit « à demain » …
- … Soit c’est un con qui se fout de ta gueule soit c’est un coup de foudre mon chou, répondit John avec un sourire en coin. Et toi t’en penses quoi ?
- Moi je suis pas intéressé… Et puis franchement s’il m’aborde comme ça il doit être vraiment un boulet quoi… Et puis de toute façon il m’intéresse pas voilà.
- … tu sais que t’es pas très convaincant ?
- Je sais que ça fait des années que tu cherches à me convaincre que je suis un gay refoulé surtout, mais jusqu’à nouvel ordre, je préfère de loin les seins aux couilles...
- Au moins, tu ne nies pas qu’une expérience avec un homme peut être bien, c’est déjà ça, répondit John avec amusement. Tu te souviens avant ? Tu m’aurais probablement hurlé « Je suis pas gay !! » avant de partir en claquant la porte du bar !
- … Mouais. Peut-être. De toute façon, même si tu a-do-re-rais que je couche avec un mec, celui-là franchement ça me dit rien… Et de toute façon, ça doit forcément être une blague…
- Bah, vois s’il se manifeste à nouveau demain. Si c’est pas le cas l’affaire est pliée et tu peux conclure que c’était un con, et s’il se manifeste… Eh bien, on pourra en reparler ? Qui sait, c’est peut-être ton futur grand amour ! T’as mon numéro de toute façon, tu m’appelles quand tu veux !
- « Mon futur grand amour » ? Ca m’étonnerait, répondit Ethan, sceptique. Enfin, si ça peut être un prétexte pour t’appeler à deux heures du matin lorsque tu ramènes une nouvelle conquête chez toi, tu peux être sûr que je le ferai ! poursuivit-il avec plus d’amusement.
- Mh… Non c’est vrai que là je préférerais que t’évites, répliqua John, amusé lui aussi. Enfin bon tu vois ce que je veux dire.
- Oui, t’as raison, déjà faut voir s’il se manifeste demain… répondit Ethan en souriant. Merci du conseil en tout cas.
- De rien p’tite tête !
- Et arrête de m’appeler comme ça !
Ethan et John continuèrent à discuter de choses et d’autres un certain temps, puis ils se séparèrent. Ce fut un Ethan tout ragaillardi qui rentra chez lui ce soir-là. Il réussit à tenir Maxime à l’écart de ses pensées toute la soirée, se disant que de toute façon, il était inutile de conjecturer sur ce qui se passerait le lendemain. Ce dernier arriverait bien assez tôt. Ethan décida de se coucher tôt, pour rattraper le sommeil qu’il avait eu tant de peine à trouver la nuit précédente, et partit rapidement pour le pays de Morphée.
Mon heure est revenue avec celle des étoiles, lorsque la Terre enfile son grand manteau d’obscurité. J’approche et je regarde les hommes dans leurs lits qui, inconscients de ma présence, se laissent aller à un sommeil réparateur. Réparateur, même pour les deux hommes desquels j’ai pris en main la destinée, l’arrachant au grand métier à tisser du Destin. Deux hommes qui seront consumés par le feu des passions chuchotées à leur oreille pendant la nuit. Les rêves des hommes sont mon terrain de jeu, tourbillonnant à leur guise sans prendre d’autre sens que celui que je leur donne. Ceux de mes chères marionnettes n’y échappent pas. Ils passent entre mes mains, comme l’argile qui, assoupli par l’eau, peut être sans cesse remodelé pour former de nouvelles images. Comme j’aime prendre en main la vie de ces petits êtres vains en prenant possession de leurs rêves !
Malheureusement, la nuit touche déjà à sa fin, et mon regard doit se détourner d’eux pour quelques heures… Je sais que le doute est déjà semé dans leurs esprits, et je m’engage à ce qu’il ne fasse qu’y croître, sans cesse ! Mes fils se resserrent autour de vous, chers petits pantins… Profitez bien du peu de liberté que vous avez encore…
Le lendemain, Ethan s’éveilla à la sonnerie de son réveil, contrairement à la nuit précédente. Il se sentait reposé, n’ayant pas fait de rêve – ou du moins il ne s’en souvenait plus. Cependant, après que le sommeil ait complètement déserté son corps, il sentit une sourde appréhension se lover au creux de son ventre. Ce jour-là, Maxime risquait de revenir à la librairie. Et Ethan ne savait pas du tout qu’en penser. Sans doute se foutait-il de sa gueule, c’était à la fois la solution la plus probable et la plus acceptable pour le jeune libraire, mais il ne pouvait pas tout à fait écarter l’éventualité que l’autre soit sérieux. Après quelques minutes de réflexion, Ethan se secoua. Il décida que ce n’était pas le moment d’y penser et qu’il verrait bien en temps et en heure ce qu’il en était.
Il petit-déjeuna assez rapidement puis, comme la veille, se mit en route pour la librairie. A neuf heures, il ouvrit, et comme toujours, Paul apparut à 9h15, fidèle à ses habitudes. Ce jour-là, il disserta longuement sur les bienfaits des médicaments homéopathiques – qui faisaient la une du journal – ainsi que sur l’augmentation du nombre de cancers ces dernières années. Autant de sujets qui semblaient le passionner, contrairement à Ethan. Sauvé une nouvelle fois par un autre client, sa matinée se déroula sans encombre… et sans trace de Maxime.
A l’heure de midi, comme la veille, Ethan ferma le magasin. Il était un peu déçu de n’avoir vu Maxime, déçu également d’avoir pris cette blague tellement à cœur. Car au final, il s’en rendait compte maintenant, cela ne pouvait qu’être une farce. Ethan mordit une fois ou deux dans son sandwich, puis décida qu’il n’avait pas faim mais envie de discuter. La librairie devant rouvrir vingt minutes plus tard, il n’avait pas le temps de s’absenter, et décida d’appeler John pour lui faire part de ses conclusions. Et aussi de sa déception, même s’il se doutait que son ami ne ferait qu’en rire.
- Allô ?
- Salut John, c’est moi, Ethan…
- Ah, Ethan ! Comment ça va ? Ton Maxime est revenu pour tes beaux yeux ?
- Non…
- Tu vois, je t’avais bien dit que tu ne devais pas t’inquiéter, c’était juste une mauvaise blague, dit John, un sourire dans la voix.
- Oui… t’avais raison.
- Mh, je me trompe ou t’es déçu ?
- Euh, un peu…
- Je te l’avais bien dit ! Tu dois laisser ton côté gay libre de s’exprimer !
- Rien à voir, arrête.
Ethan était un peu agacé par la remarque, mais savait d’autre part que John faisait ça uniquement pour l’embêter. Il décida donc de ne pas relever, contrairement à d’habitude. Avec ça, John comprendrait peut-être qu’il n’était pas d’humeur pour ce genre de joute verbale.
- Ca m’embête de m’être cassé la tête pour une connerie pareille, c’est tout, reprit-il.
- … Ca t’a tant travaillé que ça ? répondit John, l’étonnement perçant dans sa voix.
- … Un peu quand même, j’y pense depuis ce matin, avoua Ethan en réponse à cette question.
- Ecoute, comme je te l’ai dit tout à l’heure, plus besoin de te tracasser avec ça, c’était une blague à la con, c’est tout. Il a dû repérer que t’avais l’air jeune et voulait voir comment tu réagirais s’il achetait devant toi un porno gay, c’est tout.
- Ouais, t’as sans doute raison...
- Rectification, j’ai toujours raison.
Ethan émit un léger rire à cette remarque. C’était du John tout craché. Pince-sans-rire, il passait pour prétentieux aux yeux de beaucoup à cause de ces remarques qui ne servaient qu’à détendre l’atmosphère, fait évident lorsqu’on le connaissait un peu.
- Mais oui mais oui, comme d’habitude hein ? Répondit Ethan, revigoré par cette conversation.
- Exactement.
- Ha là là… répondit Ethan en levant les yeux au ciel. T’es vraiment irrécupérable, tu sais ça hein ?
- Mais c’est pour ça que tu m’aimes, non ?
- C’est ça… Au fait, je t’ai pas demandé si je te dérangeais… j’espère que t’étais pas occupé, dit Ethan avec un embarras soudain.
- Mh, j’étais sur le point de demander son numéro à un canon qui passait dans la rue, mais c’est pas grave… Je m’en remettrai, répondit-il avec un sourire.
- Espèce de dépravé, le sermonna Ethan sans aucune conviction. Bon, ben désolé pour ta conquête, je vais te laisser…
- Ok, à plus tard p’tite tête ! Et soit pas désolé, tu sais, des canons on en trouve à la pelle quand on sait où chercher.
Ethan rit à nouveau à cette remarque, puis prit congé de John. Il reprit quelques bouchées de son sandwich, revigoré par la conversation, puis alla indiquer que le magasin rouvrait. Il regarda à travers la vitre de la porte… Et se figea. Ne venait-il pas d’apercevoir une veste grise tourner au coin de la rue ? Était-ce Maxime ? Le jeune libraire secoua la tête pour se débarrasser de ses questions. Il se faisait des idées, Maxime n’était pas venu et ne viendrait certainement pas.
Le magasin rouvert, Ethan se replaça derrière son comptoir et servit un client, puis un deuxième, en s’efforçant d’oublier ses questions. Il n’avait pas beaucoup de succès dans ses tentatives jusqu’à ce qu’une dame pousse la porte du magasin, vêtue d’une tenue tellement excentrique qu’elle éclipsa toutes les autres pensées du libraire. Elle portait de hautes bottes en cuir noir, prolongées par des bas résille bleu vif, eux-mêmes surmontés par une minijupe d’un jaune n’ayant rien à envier aux « gilets de sécurité » que portent parfois les cyclistes. Le haut était non moins folklorique. Une sorte de chemisier rouge à manches courtes avec un décolleté si profond qu’Ethan faillit se perdre dedans – on est un homme ou on ne l’est pas. Une étole mauve jetée sur ses épaules, un maquillage à outrance et des cheveux de feu complétaient le tableau.
- Bonjour Monsieur, dit l’inconnue, forçant Ethan à se reprendre. Ce dernier se donna une claque mentalement avant de fixer résolument ses yeux sur le visage de la femme – qui devait avoir la quarantaine, ce qui rendait sa tenue d’autant plus incongrue – et pas plus bas.
- … Bonjour Madame… Puis-je vous aider.. ? Répondit-il en tentant de se reprendre.
- Un exemplaire du Canard Enchaîné et deux paquets de Marlboro s’il vous plaît, demanda-t-elle à Ethan, ce dernier se faisant la réflexion que sa commande était tout à fait en accord avec son apparence.
Il prit à côté de lui un exemplaire du Canard pour le poser sur le comptoir. Il se retourna ensuite pour prendre deux paquets de cigarettes derrière lui, puis fit à nouveau face à sa cliente… et se figea. Derrière elle se trouvait la veste grise et son possesseur auxquels il n’avait que trop pensé depuis la veille. Finalement, il était venu ! Les questions se mirent à nouveau à tourbillonner dans le crâne d’Ethan. Était-ce vraiment une farce ? Que faisait-il là ? Pourquoi était-il venu l’après-midi et pas le matin ?
- Monsieur ?
Ethan secoua la tête pour se reprendre. Il avait une cliente à servir, et après il pourrait avoir toutes les explications qu’il voulait – du moins, si ce Maxime se donnait la peine de les lui fournir.
- Oui, excusez-moi… Voici, cela vous fait 7€90.
- Voici.
- Merci beaucoup, passez une bonne journée, répondit-il comme la politesse l’exigeait, son esprit déjà tourné ailleurs.
- Bonne journée à vous aussi, au revoir.
La cliente sortit sans qu’Ethan la regarde, déjà presque absorbé par son client suivant. Client qui ne manqua pas de le remarquer, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres.
- Hello Ethan ! Je t’ai manqué ?
- Bonjour Monsieur… répondit Ethan en faisant son possible pour se comporter avec lui comme avec un client lambda. En quoi puis-je vous aider ?
- Pff, t’es pas drôle… Enfin, je voudrais ceci, répondit Maxime avec un grand sourire, posant sur le comptoir un magazine.
Ethan jeta un œil au magazine, surpris que ce ne soit pas un porno comme celui de la veille. Il pencha la tête sur le côté pour voir le titre.
- « Science & Vie… Manipulations génétiques : ils réussissent à créer des animaux bicéphales viables ! »
- Oui, c’est ça, répondit Maxime en souriant. Tu sais lire, bravo !
- … Je ne pensais pas que le sujet vous intéressait, répondit Ethan en restant plus ou moins neutre.
- En fait non, le sujet ne m’intéresse pas du tout, mais les photos dedans sont bien mieux que celles d’internet ! Je les découpe et je les accroche au plafond de ma chambre. Des animaux à deux têtes, ça déchire grave !
A ces propos, Ethan ne put réprimer une moue de dégoût. De telles créatures n’étaient pas naturelles, pensait-il, il était donc absurde d’essayer d’en créer ! Comme si l’homme ne faisait pas assez de dégâts sur Terre comme ça !
- En fait non je déconne, reprit Maxime, souriant toujours, visiblement amusé. J’ai pris un magazine au hasard pour pouvoir venir te voir et te parler. Toi aussi tu brûlais de me revoir, hein ?
- …
- Je prends ça pour un oui ! Je le savais ! Tu ne peux pas résister à mon magnétisme puissant !
- …
- Tu veux bien qu’on se voie en dehors de ton boulot alors ? J’te propose demain, 19h30, au café « Gloria », qu’est-ce que t’en dis ?
- …
- Bon je prends ça pour un oui aussi ! Le magazine coûte 3€70 c’est ça ? Voilà 4, pas besoin de me rendre la monnaie !
- … ok…
- Allez, à demain !
- …
Et Ethan, toujours sous le choc, vit Maxime sortir de la librairie son magazine dans son sac, se retourner pour lui faire un signe de main puis s’en aller tranquillement, les mains dans les poches. Après seulement, il se rendit vraiment compte de ce qui venait de se passer. Il avait convenu d’un lieu et d’une heure de rendez-vous avec Maxime ! Enfin, c’était plutôt Maxime qui lui avait proposé un lieu et une heure, mais il n’avait rien objecté. Rien du tout ! Était-il devenu fou ? Ethan se posa en tout cas la question. Il se dit qu’au moins l’autre avait payé le magazine, question accessoire mais seule « réalité » qu’il parvenait à dégager de la situation.
3€70… Ethan rangea correctement les pièces dans la caisse puis s’abîma dans la contemplation de l’étagère en face de lui. Il se demandait comment il avait pu être assez stupide pour accepter un rendez-vous avec ce taré ! Cependant, il devait lui reconnaître une certaine originalité : jusqu’à présent, personne ne lui avait fait croire être un déséquilibré mental – il faut l’être pour placarder des photos d’animaux à deux têtes sur ses murs – dans le but de sortir avec lui. Ethan soupira à cette pensée. C’était toujours la même chose : il se demandait comment il avait pu accepter, pointait en pensée un des défauts de Maxime puis le réfutait. Pourquoi donc ne parvenait-il pas à admettre que c’était un connard fini ? Il se pencha sur cette question entre deux clients de la fin d’après-midi. La solution la plus plausible qu’il trouva fut qu’il était revenu, comme il l’avait dit… Il tentait de se modérer cependant : deux jours ça ne voulait rien dire, cela pouvait toujours être une vaste blague dans laquelle il était en train de foncer tête la première ! Cela au moins, il le voyait… Aucun autre moyen de justifier le non-dialogue ayant abouti à un rendez-vous, de toute manière.
Le jeune libraire fut donc perdu dans ses réflexions le reste de l’après-midi, suscitant chez certains clients l’inquiétude, chez d’autres le mécontentement de le voir si peu dégourdi, et chez tous les autres une certaine bonne humeur, car il rendit beaucoup plus de monnaie qu’il ne le devait cet après-midi-là.
Comme la veille, Ethan ferma le magasin à 18h mais prit tout son temps cette fois-ci. Il rentra ensuite directement chez lui, sans parvenir à s’ôter de la tête le souvenir de Maxime et de leur rendez-vous du lendemain. Il hésita à appeler John puis finalement renonça, et tenta de se convaincre qu’il ne l’appelait pas pour ne pas plus l’ennuyer avec cette histoire plutôt que parce qu’il avait honte de ce qui s’était passé. La nuit tombée, il décida d’aller se coucher, malgré qu’il doute de pouvoir dormir cette nuit-là… Trop de questions se bousculaient encore dans sa tête. Mais pourquoi diable avait-il accepté ?
Ma machine est en branle, leur route est tracée. Qu’il est plaisant de rapprocher deux petites marionnettes pour ensuite mieux les séparer, et se repaître de leur souffrance ! Ils sont à moi maintenant et ne pourront rien faire contre moi, ni contre le Destin que je suis en train de tisser ! Les fils sont tous entre mes mains… Profitez du bonheur avant le malheur, petites marionnettes… Car personne, personne ne désobéira jamais à la dernière Fille de la Lune.
Comme il l’avait prédit, Ethan ne dormit pas beaucoup cette nuit-là. Il se leva au petit jour, bien avant que son réveil fasse son travail du matin, autant troublé par ses interrogations toujours vivaces que par le rêve qu’il avait fait. Il se força à avaler quelque chose, rapidement, puis décida d’aller courir pour se changer les idées. Il avait eu une période où il faisait son jogging tous les jours, mais cette dernière avait été relativement brève, et cela faisait longtemps qu’il n’avait plus enfilé un training. Ethan vit rapidement les effets de ce long arrêt à sa reprise. Vite essoufflé, il fut obligé de ralentir après quelques minutes. Il voulait travailler son endurance, et préférait donc éviter d’être épuisé dès le début de son jogging.
Au détour d’une rue, après vingt minutes de course, Ethan vit arriver en sens inverse un homme portant une veste grise, marchant tranquillement sur l’autre trottoir. Son cœur manqua un battement. Que devait-il faire ? Si Maxime le voyait comme cela, rouge et dégoulinant, quelle image aurait-il de lui ? Il hésita un instant à faire demi-tour puis se raisonna. Maxime ne pourrait pas le reconnaître, pas alors qu’il ne l’avait vu que deux fois et qu’Ethan portait une tenue si différente que d’ordinaire.
Il continua donc à courir, surveillant anxieusement du regard l’homme… Et se rendit compte lorsqu’il se fut suffisamment approché que ce n’était pas Maxime ! Ethan manqua de s’arrêter de soulagement. Puis il se rendit compte de ce qu’il avait pensé, et se maudit lui-même. Pourquoi donc faisait-il tout un plat de ce que Maxime pourrait penser de lui ? Que lui arrivait-il donc ? Peut-être était-il seulement intimidé par ce Maxime… Peut-être était-ce aussi dû au rêve qu’il avait fait cette nuit-là, qu’il s’efforçait d’oublier car ses principaux protagonistes étaient Maxime et lui, le décor une chambre, et l’action telle qu’il ne pouvait y repenser sans prendre une jolie teinte « tomate ».
Troublé par cette rencontre autant que par les pensées qui en découlèrent, Ethan retrouva néanmoins un certain calme intérieur à l’issue des quarante minutes de course restantes. Ensuite il rentra chez lui, se doucha et se prépara à aller travailler – samedi, dernier jour de sa semaine de travail avant un jour de repos bien mérité.
Sa matinée se déroula plutôt bien, malgré qu’il se surprît parfois à guetter du coin de l’œil l’éventuelle arrivée de Maxime dans sa boutique, et à se demander s’il ne ferait pas mieux d’en parler à John. A la pause de midi, Ethan n’avait vu aucune trace de « veste grise », comme il l’appelait parfois mentalement, et se résolut à appeler John… jusqu’à ce qu’il constate l’écran complètement noir de son téléphone et l’impossibilité de le rallumer.
- Merde, plus de batterie… murmura-t-il entre ses dents.
Comme son rendez-vous était à 19h30, il n’aurait pas le temps de parler à John avant de s’y rendre – il lui fallait bien l’heure et demie comprise entre la fermeture du magasin et l’heure du rendez-vous pour rentrer chez lui, se préparer et se mettre en route vers le café. Il se maudit pour son manque de prévoyance, puis se fit une raison : il n’avait pas besoin de John pour chaque chose qu’il faisait ! Et il avait tendance à l’oublier ces derniers temps. Mais ce rendez-vous, il se convainquit qu’il pourrait le gérer seul.
L’après-midi à la librairie se déroula tout aussi calmement, sans trace de Maxime. Avec la satisfaction du travail bien fait, quoique voilée par une appréhension grandissante du fait de son rendez-vous le soir même, Ethan ferma le magasin puis rentra chez lui.
Il prit sur lui pour faire un récurage total : une bonne douche, un shampooing senteur menthe, un décrassage en profondeur des oreilles, ainsi qu’une coupe parfaite des ongles, même ceux des orteils – mais pourquoi diable Maxime voudrait-il regarder en profondeur ses orteils ? Il s’occupa ensuite de la tenue et passa au moins un quart d’heure devant sa garde-robe à s’interroger à voix haute avant de se décider.
- … Chemise ou col roulé… ? Mh, chemise… La bleue ? La blanche ? Ou alors le col roulé rouge avec un pantalon noir ? Non, ça fait trop officiel, un peu vampire même… Je mettrais ma chemise blanche avec un jeans alors.. ? Mh non, elle est au lavage, merde… Bon, la noire alors.. ? Avec un jeans.. ? Ok, disons ça…
Ethan enfila finalement sa tenue, brancha son portable pour qu’il se recharge – de toute façon, ça ne lui servait à rien de le prendre avec lui – et constata qu’il était déjà 19h10.
- Merde, j’vais arriver en retard !!
Ethan se dépêcha de partir de chez lui et parcourut le trajet aussi vite qu’il le put – sans toutefois courir, il n’avait aucune envie d’arriver dégoulinant à son rendez-vous, cela aurait un peu cassé son image et le soin qu’il avait pris à se préparer. Heureusement pour lui qui fit la majeure partie du trajet à pied, il ne plut pas. Ethan arriva quand même au café dix minutes en retard. Il avait l’impression désagréable d’être une fille, car « les filles ça passe toujours tant de temps à se préparer que ça arrive en retard », selon John du moins. Il poussa la porte et entra.
Il balaya une première fois la salle du regard sans voir celui qu’il cherchait. Aucune veste grise en vue. Ensuite seulement il pensa que Maxime ne portait peut-être pas de veste grise. Il refit une fois le tour de la salle des yeux… et ne put manquer le jeune homme, très élégant dans sa chemise bleue et son pantalon noir, qui lui faisait de grands signes de main avec un immense sourire. Il ne manqua pas non plus que la moitié des tables du café le fixaient maintenant, leur attention attirée elle aussi par les gestes de Maxime.
- C’est bon c’est bon, j’arrive, pitié ! grommela Ethan entre ses dents, trop bas pour que d’autres que lui l’entendent, en se sentant rougir. Il n’aimait pas être le centre de l’attention comme maintenant.
Il s’approcha de la table où était installé Maxime, et ce dernier se leva pour l’accueillir. Voyant qu’il voulait lui faire la bise, Ethan tendit résolument sa main devant lui. Il vit l’étonnement passer dans les yeux de Maxime, puis ce dernier la serra sans parler ni cesser de sourire.
- Bonsoir…
- Bonsoir Ethan ! Comment tu vas ?
- Bien, et v… toi ? répondit-il, un peu hésitant quant au tutoiement résolument adopté par Maxime.
- Très bien très bien ! T’es en retard de dix minutes, il y a eu un souci ?
- Problème de métro… désolé, grommela Ethan en réponse, un peu contrarié par la question – il n’aimait pas qu’on pointe quelque chose qu’il faisait mal – et en même temps gêné d’être arrivé en retard.
- Ah, ok, pas de problème tu sais ! Je commençais à me demander si tu viendrais… Bon, le quart d’heure académique n’était pas passé mais je suis plutôt impatient, désolé, répondit Maxime avec un sourire un peu contrit.
- Bah, je me suis engagé donc je suis là, c’est normal non ?
- Tout le monde ne pense pas comme ça, répondit Maxime avec un sourire. Même si moi j’trouve que c’est normal oui.
- Bon alors, pourquoi tu voulais qu’on se voie ?
- Eh ben… j’aimerais bien te connaître un peu mieux ! Parce que dans ta librairie nos contacts sont un peu limités tu trouves pas ?
- … T’as pas tort non.
- Alors, tu veux bien me parler de toi ? demanda Maxime, des étoiles dans les yeux, l’air de ne pas croire à sa chance.
- Bah, si je suis là, oui, répondit Ethan d’un air un peu blasé.
- Ok ! Alors parle-moi de toi !
- … Bah pose tes questions…
- Ok ! Alors, pour commencer, t’as quel âge ?
- 21… et toi ?
- Moi 23, répondit-il avec un sourire. C’est bizarre, je t’aurais donné un ou deux ans de plus...
- Merci…
- Roh, le prends pas mal, dit Maxime, visiblement amusé. A toi de poser une question.
- Euh… tu fais quoi dans la vie ?
- Mh, pour le moment je cherche un job. Je viens de décrocher mon diplôme de prof de collège.
- … Toi, prof ? demanda Ethan, étonné.
- Eh oui, prof d’anglais pour être plus précis. Répète après moi : « My teacher is beautiful ! »
- … No comments, répondit plutôt Ethan, pince-sans-rire.
- … Ok, à moi de poser ma question ! T’as le sens de l’humour ?
- … Fourbe. Oui j’ai le sens de l’humour, en général, sauf pour des situations comme ton histoire d’animaux bicéphales hier…
- Ah, désolé pour ça, répondit Maxime avec un sourire d’excuse. Mais c’était trop tentant, reprit-il avec un sourire encore plus large. A toi de poser une question !
Ethan passa ainsi sa soirée à discuter avec Maxime, la méfiance et la légère raideur du début laissant place à une bonne entente visible. Ils se séparèrent une heure et demie plus tard, après trois verres chacun – heureusement qu’Ethan n’avait pas de voiture. Il fut par contre surpris qu’au moment de se séparer, Maxime ne lui demande pas de sortir avec lui. Surpris, et ressentant à la fois un mélange de soulagement et de regrets, mélange qu’il ne s’expliquait pas vraiment. Une relation avec un autre homme lui faisait encore peur, d’où le soulagement, mais d’autre part, il s’entendait plutôt bien avec Maxime, qui lui avait semblé si peu fréquentable à leur première rencontre. Il rentra chez lui, content de sa soirée, et Maxime en fit de même de son côté, après que chacun ait donné à l’autre son numéro de téléphone.
Une fois arrivé à son appartement, le premier geste d’Ethan fut de débrancher son portable et de l’allumer. Il espérait que personne n’avait tenté de l’appeler durant la journée. Malheureusement, cet espoir fut vite déçu.
« Vous avez 2 nouveaux messages et 3 appels en absence. »
Ethan constata bien vite que les trois appels venaient de John, et les deux messages également. Il décida de lire d’abord les messages, avant de le rappeler.
« Envoyé par John à 11h54
Salut p’tite tête !
Dis, on se fait un resto avec Axel, Lucas et Raf’ ! Ca te dit d’en être ? C’est moi qui invite ^^ Confirme-moi si tu viens ! C’est à 19h au « Fleur d’Orient », comme toujours quoi xD Allez, à plus ! »
« Envoyé par John à 17h39
Hey, tu réponds pas ? T’es mort ou quoi ? XD Enfin, appelle-moi toujours si tu viens, on s’arrangera ^^ A plus ! »
Ethan fut déçu d’avoir raté cette occasion de revoir tous ses amis. Au moins, il était bien puni de n’avoir pas rechargé son portable en temps et en heure ! En plus, ils s’inquiétaient peut-être de son absence de réponse. Ethan décida de rappeler John pour lui dire que tout allait bien.
- Allô ?
- John ? (Le brouhaha du restaurant, qu’Ethan entendait en bruit de fond, rendait la communication un peu difficile.) C’est moi, Ethan…
- Ah, Ethan ! Je suis content de t’entendre, j’me demandais si t’étais pas mort, dit John, amusé.
- Mon portable était plat, désolé, répondit Ethan sur un ton d’excuse.
- Pas grave, pas grave. Tu t’es pas senti trop seul ce soir alors ?
- En fait non… j’ai été prendre un verre – enfin, plusieurs – avec Maxime…
- Non ! (A en croire sa voix, l’ami d’Ethan était plus que surpris.) Avec Maxime ? C’est vrai ?
- Bah, oui… Il est même plutôt sympa en fait…
- Ah, l’amour…
Ethan pouvait tout à fait imaginer John en train de joindre les mains et de battre des cils à outrance après cette phrase. Il leva les yeux au ciel. Avait-il déjà dit que son ami était incorrigible ?
- Raconte pas n’importe quoi… il s’est rien passé.
- … Quoi, il t’a même pas demandé de sortir avec lui ou un truc du genre ?
- Non…
- Eh beh, c’est qu’il est vraiment raide dingue de toi le bonhomme !
- Arrête de délirer John…
- Non non, je suis sérieux ! Méfie-toi p’tite tête, tu vas te faire bouffer sinon, dit John avec un sourire.
- C’est ça, c’est ça…
- Bon allez, je vais te laisser, téléphoner au resto c’est pas le top quand même. (John sourit.) Bonne nuit, t’auras touuuut le temps pour me raconter ça plus tard, hein ?
- Oui… si t’es sage, répondit Ethan, pince-sans-rire.
- Mais je suis tou-jours sage ! Allez, à plus !
- Bye !
Ethan raccrocha. Il était content d’avoir pu parler à John finalement, même si le fait que Maxime soit « raide dingue de lui » n’était pas vraiment pour le rassurer. Mais même ces inquiétudes ne pouvaient ternir le bon souvenir que cette soirée avait imprimé en lui. Ethan mangea rapidement quelque chose – à 21h30, il commençait à avoir faim – puis alla se coucher, bien plus calme que les jours précédents.
Le lendemain, Ethan passa une majeure partie de sa journée à se reposer, interrompu uniquement par la sonnerie de son portable en début de soirée.
- Allô ?
- Allô… Ethan ?
- Oui, c’est moi… (Ethan ne reconnaissait pas la voix au bout du fil.) Qui est à l’appareil ?
- C’est moi, Maxime, tu m’as déjà oublié ?
- Maxime ? Bien sûr que non, boulet. Pourquoi tu appelles ?
- Oh, pour rien, je voulais savoir comment tu allais…
- Bah bien… Je regarde le Seigneur des Anneaux, et en même temps je prends les paris sur les sujets de conversation de la semaine de mon premier client.
- Ton premier client ?
- Paul… Chaque jour il me tient la jambe autant qu’il peut pour me parler de tout et n’importe quoi, on dirait que tout l’intéresse, des accidents de train aux techniques d’élevage du poulet, en passant par la fonte des glaces…
- La vache, ça a l’air d’être un phénomène, répondit Maxime, amusé.
- Pour ça, oui… il vient tous les matins vers 9h15 et impossible de s’en débarrasser avant qu’un autre client arrive. Enfin, assez raconté ma vie. Quoi de neuf de ton côté ?
- Eh bien, pas grand-chose non plus… Je suis en train de lire un bon bouquin, « L’élégance du Hérisson », tu connais ?
- Euh non, pas du tout…
- C’est excellent !
- Ah bon ?
La conversation dévia rapidement sur les mérites de tel ou tel livre, et les qualités de tel ou tel auteur. Ethan ne raccrocha qu’une demi-heure plus tard, animé d’une furieuse envie de lire. Il regarda la fin du deuxième film, puis éteignit la télévision au profit d’un bon vieux roman. Il lut jusqu’à minuit, avec une seule pause pour avaler son souper, puis décida d’aller se coucher. Le lendemain, il avait à nouveau du travail, et il ne s’agissait pas d’être fatigué.
Il faut que je les rapproche maintenant… Toutes m’ont dit que l’impatience était un vilain défaut, à un moment ou à un autre, mais ne sont-elles pas toutes parties avant moi ? Je suis impatiente et le sais. Mais les délices de la souffrance de mes pantins sont tellement irrésistibles ! Je ne peux qu’être impatiente et vouloir hâter les choses… Faites-vous plaisir, petites marionnettes, écoutez les rêves que je murmure à votre oreille… Ecoutez-les tant que vous le pouvez, tant que j’œuvre à votre rapprochement pour que la douleur de la séparation n’en soit que plus grande ! Riez, dansez, marionnettes ! Bientôt vous n’aurez plus que vos larmes pour pleurer…
Ethan se leva de bonne heure ce jour-là, troublé par le souvenir persistant de son rêve de la nuit. Il ne savait trop qu’en penser. Ce dernier montrait Maxime dans sa vie de tous les jours, confectionnant un petit pantin de bois, choisissant une écharpe parmi la dizaine qu’il possédait, écoutant une musique qu’Ethan identifia comme une chanson de U2, une douce odeur de gingembre flottant dans l’air. Pourquoi diable avait-il passé sa nuit à imaginer les moindres détails de la vie privée de Maxime ! Il y avait au moins une chance sur deux qu’il n’aime ni U2, ni les écharpes. De plus, depuis son réveil, Ethan était intimement persuadé qu’il devait faire quelque chose pour remercier Maxime de la soirée qu’ils avaient passée ensemble l’avant-veille.
Jusqu’à quel point pouvait-il faire confiance à son rêve ? Ethan ne le savait pas, mais il lui sembla tout naturel de faire un saut dans un grand dépôt de vêtements avant d’aller à la librairie, de choisir une écharpe pour Maxime – l’idée qu’ils étaient en plein mois de juillet ne lui effleura même pas l’esprit – et de l’emballer soigneusement dans du papier cadeau. Après tout, « qui ne tente rien n’a rien », se disait-il.
Il se rendit ensuite à la librairie et ouvrit à neuf heures, comme d’habitude. Paul ne tarda pas à arriver et à demander son journal, dont il lut le titre à voix haute. « Réformes de l’enseignement : où s’arrêtera-t-on ? » Ce sujet sembla l’inspirer, comme bien d’autres, et Paul commença à critiquer les réformes en cours.
- C’est tout à fait inadmissible, tu te rends compte mon garçon ? 40 élèves par classe, comment veux-tu apprendre quelque chose dans des conditions comme ça ?
- C’est sûr… , répondit Ethan, sans aucune tentative pour paraître intéressé – ce qui ne semblait pas déranger Paul outre mesure.
- Oui, surtout à cet âge-là en plus ! Et le chahut qu’il doit y avoir en classe ! Je n’ose même pas l’imaginer !
- Mh…
- Oui, à 12 ou 13 ans, on ne leur apprend plus le respect aux jeunes !
- Vous avez raison…
- Et ils insultent leurs professeurs, d’ailleurs de plus en plus tombent en dépression… Ah là là, les jeunes de nos jours, je t’assure…
- C’est vrai… tout se perd…
- C’est bien vrai ça ! Le respect, la politesse, les valeurs…
- Hum, excusez-moi, Monsieur ? Intervint une troisième personne.
Ethan se décala un peu pour apercevoir le client qui se tenait derrière Paul. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il reconnut Maxime ! Il écarquilla légèrement les yeux alors que ce dernier lui faisait un clin d’œil. Il se reprit ensuite, et reporta son attention sur Paul.
- Mh, désolé de devoir vous interrompre Paul… mais le travail, vous savez… expliqua-t-il, faussement gêné.
- Pas de problème mon garçon, je comprends tout à fait ! Il faudra qu’on poursuive cette conversation un jour !
- Oui…
- Allez, à demain !
- Au revoir Paul, répondit Ethan avec un sourire.
Il regarda Paul sortir de la librairie puis laissa son regard revenir vers Maxime. Ce dernier avait un sourcil légèrement levé, et un sourire flottait sur ses lèvres.
- Quoi ?
- Alors, c’est lui ton Paul ?
- Oui… il est gentil…
- Mais il est bavard ?
- oui, c’est tout à fait ça, répondit Ethan, l’air un peu gêné.
- Je me disais bien, répondit Maxime, un sourire amusé aux lèvres. Alors, quoi de neuf ?
- … Qu’est-ce que tu fais là ?
- Je suis venu te sauver du grand méchant Paul dont tu m’as parlé hier au téléphone !
- … Merci…
- …
- …
- J’ai un cadeau pour toi, dirent-ils tous les deux en même temps.
Ils se regardèrent quelques instants en silence, puis éclatèrent tous les deux de rire. Une fois calmés, un sourire flottant toujours sur leurs lèvres, Ethan reprit la parole en premier.
- Je voulais te remercier pour samedi soir… c’était vraiment chouette, dit-il avec un sourire.
- Moi pareil, répondit Maxime, souriant également.
- … T’as pas à me remercier, tu m’as invité…
- Non, mais je veux te remercier d’être venu !
- … Ok… Voilà, dit Ethan en tendant à son vis-à-vis un paquet cadeau bariolé.
- Merci ! Voilà le tien, répondit Maxime, tendant à Ethan un paquet rouge plus sobre.
Ils ouvrirent tous les deux leur cadeau. Ethan attendit un peu avant de terminer de déballer le sien, pour pouvoir voir la réaction de Maxime. Ce dernier, en découvrant l’écharpe, resta un instant stupéfait, puis ses yeux se mirent à briller de plaisir. Content que son cadeau plaise, le libraire ouvrit celui qui lui était destiné, et découvrit une magnifique édition reliée des « Fleurs du mal » de Baudelaire.
- Merci, j’en rêvais de ce bouquin ! dit-il, sous le charme.
- Et moi j’adore les écharpes ! Mais… comment tu l’as su ? demanda Maxime, intrigué.
- Euh…
Ethan hésita. Il ne pouvait quand même pas dire qu’il en avait rêvé, pour qui Maxime le prendrait-il ?
- J’ai trouvé que ça collait bien à ton style, reprit-il, gêné.
- Et t’y as pensé en plein juillet ?
- Bah, oui… Et toi, comment t’as su pour ce recueil ? rétorqua Ethan, ne souhaitant pas s’attarder sur le sujet.
- Vu que tu fais des études littéraires, j’ai pensé que ça te plairait, répondit tout naturellement Maxime.
- C’est le cas, merci en tout cas…
- Merci à toi aussi !
Ils discutèrent encore quelques minutes puis Maxime prit congé. Ethan travailla toute la matinée sans voir le temps passer, admirant de temps à autres son cadeau, bien rangé sur l’étagère en dessous du comptoir. La pause de midi fut bientôt là, et alors qu’il allait tourner la pancarte à l’entrée de la librairie sur « Fermé », son téléphone vibra. Il le sortit de sa poche pour y jeter un œil, et vit qu’il avait un nouveau message.
Le message était de John – évidemment – et lui proposait d’aller boire un verre avec « Axel, Lucas et toute la clique » ce soir-là, comme il avait raté le rendez-vous de l’avant-veille. Il lui proposait également d’emmener Maxime s’il le souhaitait. Ethan hésita, puis se dit que ce n’était pas une si mauvaise idée.
Ethan appela Maxime pour le prévenir, et reçut une réponse encore plus enthousiaste que ce à quoi il s’attendait. Maxime semblait vraiment heureux qu’Ethan l’invite – ou qu’il lui présente ses amis, ou qu’il prenne une initiative… ou un peu des trois.
Le soir venu, après une après-midi qui parut filer comme un éclair, Ethan se rendit au Gold Island pour la deuxième fois en quelques jours. Même pendant l’année, il ne s’y rendait qu’une fois par semaine, tout au plus, mais le changement n’était pas pour lui déplaire. Il aimait ce bar, avec son atmosphère chaleureuse, due en grande partie à une décoration du siècle passé toujours en excellent état, et au sourire perpétuel du patron.
Il poussa la porte du bar, un peu en avance cette fois-ci, et repéra immédiatement Lucas et Axel, assis à une table près de l’entrée. Souriant, Ethan s’approcha d’eux. Les voir tous les deux l’un en face de l’autre ne manquait jamais de le faire sourire, car on ne pouvait imaginer deux styles plus différents. Lucas, avec ses cheveux blonds, ses yeux bleus, ses fines lunettes carrées et sa chemise boutonnée jusqu’en haut incarnait l’étudiant modèle, les boutons et l’appareil dentaire en moins. Axel au contraire ressemblait bien plus à John, avec sa tenue juste négligée ce qu’il faut pour lui donner l’air classe, son regard de braise et ses mèches rouges dans sa chevelure d’ébène.
- Ethan !
Ethan s’arracha à sa contemplation – il était souvent dans la lune ces temps-ci – et sourit en retour à Lucas qui le regardait. Axel se retourna à l’appel de ce dernier, pour pouvoir lui aussi regarder le nouveau venu.
- Salut Lucas, Axel… répondit-il avec un sourire.
- Alors, comment tu vas ? T’es en avance dis-moi !
- Bah oui, ça t’étonne ?
- John avait dit que t’avais pris la mauvaise habitude d’arriver en retard, répondit Lucas, amusé.
- Bah, c’est John, quoi, intervint Axel.
Ethan sourit, amusé, et alla s’installer avec eux, avant de commencer à discuter tranquillement. Lucas était intarissable sur le chaton qu’il avait acheté récemment, complètement noir avec le bout des pattes blanc. Pire que Paul. Axel, lui, ne parlait pas beaucoup mais regardait attentivement Lucas. Plus la conversation avançait, plus Ethan se demandait pourquoi rien ne s’était encore passé entre ces deux-là, vu la manière dont ils se regardaient.
John arriva ensuite, suivi de près par Maxime. A son entrée, toutes les têtes se tournèrent vers lui, autant à cause de sa veste de cuir grise rutilante que de l’incongruité de sa présence lors d’une réunion entre amis. Visiblement, John n’avait rien dit aux autres.
- Euh… t’es qui ? demanda Lucas, surpris.
- C’est Maxime, c’est un… ami à moi, répondit Ethan, un peu embêté.
- Euh… ami-ami, ou… ? ajouta Axel, intrigué.
- Amis comme toi et Lucas, répondit John avec un grand sourire, ayant visiblement les mêmes idées là-dessus qu’Ethan.
Lucas et Axel se regardèrent sans comprendre, tout comme Maxime dont le regard un peu perdu faisait des allers-et-retours entre Ethan et les deux autres. John, lui, regardait avec un grand sourire Ethan, qui lui rendait un regard dans lequel l’envie de tuer et l’amusement se disputaient la première place. Il se croyait tout permis ou quoi, ce John? Même si personne n’avait compris ce qu’il avait insinué ! Mais, à défaut de faire preuve d’un peu de délicatesse, John brisa le silence qui s’était installé.
- Maxime, assieds-toi enfin ! Tu vas pas rester debout…
- Oui, c’est vrai, pose tes fesses quelque part, renchérit Ethan.
Maxime s’assit, et la conversation se mit tout de suite à tourner autour de lui.
- Je t’imaginais pas comme ça, dit John, toujours aussi délicat.
- … Tu m’imaginais comment alors ?
- Bah, plus grand, déjà… plus impressionnant, aussi. Je comprends pas comment t’as pu intimider à ce point Ethan la première fois qu’il t’a vu, répondit-il comme si de rien n’était.
Ethan sentit ses joues chauffer à cette remarque, et prit note mentalement de tuer John à la fin de la soirée.
- Ta gueule, John…
- … C’était à ce point-là, Ethan ?
- Euh… si vous nous expliquiez ce qui s’est passé ? tenta Lucas.
Malgré les protestations d’Ethan, John finit par raconter leur rencontre. Axel, Lucas et ce dernier posèrent quelques questions à Maxime, puis la conversation dévia et se fractionna, et chacun trouva un interlocuteur et un sujet intéressant. Seul Ethan semblait encore une peu mal à l’aise. Tout en discutant, il ne cessait de jeter des regards à Maxime, et lui trouvait une telle assurance au milieu de quasi-inconnus, une telle aisance ! Il tenta de se secouer mentalement et d’arrêter de l’idéaliser, mais il ne fit qu’aggraver le problème, reportant son observation sur des critères purement physiques. Les yeux bleus de Maxime semblaient s’illuminer d’un éclat tout particulier lorsque la conversation l’intéressait – il semblait d’ailleurs avoir trouvé un interlocuteur privilégié en la personne de Lucas – et ses cheveux, coiffés rapidement, lui donnaient un petit air de rebelle tout à fait irrésistible. Sans qu’il s’en rende compte, les joues d’Ethan avaient rosi, et rougirent franchement lorsque le regard du dévisagé se posa sur lui.
- Ethan, tout va bien.. ? demanda ce dernier, visiblement inquiet.
- Euh, oui, oui, répondit-il, gêné. J’ai un peu chaud… je reviens…
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, Ethan se leva et s’éclipsa rapidement vers les toilettes du bar. Il entendit les conversations reprendre derrière lui avant de descendre la volée de marches et d’accéder à ces dernières, au sous-sol. Il s’approcha des lavabos et se regarda dans le miroir, surpris de constater qu’il avait les cheveux légèrement ébouriffés – certainement parce qu’il avait trop souvent passé sa main dedans – les joues rouges et les yeux légèrement brillants. Il se demanda un instant s’il avait de la fièvre, mais il ne se sentait pas mal pourtant.
- ‘tain… Qu’est-ce qui m’arrive.. ?
Il s’approcha encore, ouvrit l’eau et s’en passa un peu sur le visage. Il releva ensuite la tête pour se regarder dans le miroir, et vit que cela n’avait pas arrangé les choses, loin de là. Ses joues étaient toujours rosées – quoiqu’un peu moins que précédemment – et maintenant, des gouttelettes d’eau étaient accrochées aux pointes de ses cheveux, lui donnant un air sexy absolument pas désiré. Il se dirigea vers les serviettes pour se sécher le visage, puis se figea : il venait d’entendre la porte des toilettes, dans son dos, s’ouvrir.
- Ethan, ça va ?
Maxime, il aurait dû s’en douter, et pourtant, il sentit son cœur accélérer dans sa poitrine. Il s’était vu dans le miroir et ne pouvait que trop bien imaginer l’état dans lequel sa dégaine mettrait Maxime. Il commençait à peine à l’apprécier, et ne voulait pas tout faire rater rien qu’en allant trop vite ! Il ne voulait ni se retourner, ni rester dos à lui… et son stress augmentait au fur et à mesure qu’il entendait les pas de Maxime se rapprocher. Finalement, ce dernier s’arrêta et posa sa main sur l’épaule d’Ethan, qui sentit tout son corps se tendre à ce contact.
- Ethan, qu’est-ce qui se passe ? Il y a un problème ?
Maxime fit pression sur l’épaule d’Ethan, et il fut bien obligé de se retourner, révélant à son vis-à-vis ses joues rouges, ses yeux brillants et son regard un peu perdu. Ethan vit sans vraiment comprendre un sourire se dessiner sur les lèvres de Maxime, puis ne put plus détacher son regard de celles-ci alors qu’elles se rapprochaient… se rapprochaient… et se posaient sur les siennes.
Ethan mit cinq bonnes secondes à assimiler ce qui se passait, et dans l’intervalle, le baiser qui était au départ doux était devenu bien plus passionné, et son corps avait pris les commandes, faisant danser sa langue avec celle de Maxime sans que son cerveau ait quoi que ce soit à dire. Il reprit à peu près ses esprits, à défaut de son souffle, lorsque le baiser prit fin – pour un temps du moins.
- hh… Arrête, on va nous voir…
- C’est grave ?
Maxime reprit avidement possession de ses lèvres et Ethan se dit que non, ce n’était pas si grave. Il n’opposa aucune résistance lorsqu’il fut repoussé contre le mur le plus proche, bien trop absorbé par ces lèvres taquines qui jouaient avec les siennes, et par les frissons que ce jeu suscitait au creux de ses reins. Ses mains trouvèrent tout naturellement le chemin du dos de son vis-à-vis, de sa nuque, de ses cheveux où elles se perdirent. Leurs souffles devinrent erratiques, leurs yeux se fermèrent, et lorsqu’Ethan sentit une main brûlante commencer à déboutonner sa chemise, il sut qu’il ne pourrait tout simplement pas résister. C’était bien trop fort pour qu’il y résiste.
- Euh… Ahem… fit une voix qui n’appartenait ni à l’un ni a l’autre.
Ethan sursauta vivement et rompit le baiser, essoufflé, avant de chercher à voir qui les avait interrompus. Malgré la gêne d’avoir été surpris – et l’envie latente de tuer celui qui avait osé les interrompre – il fut soulagé d’apercevoir un John visiblement gêné lui aussi sur le pas de la porte. Maxime, bien qu’il ait eu un léger sursaut, semblait seulement un peu contrarié par l’interruption. Il glissa son bras autour de la taille d’Ethan, qui ne savait plus trop s’il devait se contenter de rougir et de frissonner, ou s’il devait en plus le repousser.
- Mh, désolé de vous interrompre mais on se demande où vous restez en haut… Et les toilettes d’un bar ne sont pas l’endroit idéal pour une première fois, je vous parle d’expérience, reprit John, ayant le mérite de réussir à les faire tous les deux sourire par sa dernière remarque.
- Tu fais chier, John… dit Ethan en guise de réponse, ce qui ne fit qu’agrandir le sourire de John, tout comme celui de Maxime.
- Bon, je vous laisse vous remettre les tourtereaux, ne traînez pas trop hein ? Sinon je reviens vous interrompre ! reprit l’ami d’Ethan, avant de tourner les talons et de sortir de la pièce.
Une fois John sorti, Ethan s’adossa à nouveau au mur et reprit son souffle, repensant au baiser qu’il venait d’échanger avec Maxime. C’était tout simplement dément. Il en avait embrassé des filles, enfin quelques-unes au moins, mais cela n’était jamais arrivé à la cheville de ce qu’il avait ressenti ici. Peut-être parce qu’avec elles il avait toujours dû engager les choses, alors que là tout de suite, il s’était simplement laissé entraîner par Maxime… Maxime, son mec ? Il releva des yeux interrogateurs vers ce dernier, qui lui rendit son regard.
- Dis… on est ensemble ?
A sa question, Ethan vit les yeux de Maxime s’agrandir d’étonnement, puis les coins de sa bouche frémir. Lorsqu’il ne put plus se retenir et se mit à rire franchement, Ethan croisa les bras, vexé que sa question entraine cette réaction chez son vis-à-vis. Ce dernier se calma finalement et sourit, l’amusement toujours visible dans son regard.
- On peut dire ça comme ça, oui.
- Mh… on y va ?
- Tu devrais peut-être refermer ta chemise avant…
- Fais-le, toi, rétorqua Ethan, la confirmation qu’ils étaient en couple lui ayant donné une assurance toute nouvelle.
Avec un sourire, Maxime commença à reboutonner la chemise d’Ethan, non sans en profiter pour lui caresser un peu le torse au passage.
- Mh, arrête ça… demanda bien vite Ethan, que ces caresses douces et certainement sans suite frustraient plus qu’autre chose.
- Tu m’as demandé de reboutonner ta chemise, reçut-il comme réponse d’un Maxime imperturbable.
- Oui, bon, hein ?
- Regarde, j’ai déjà fini, dit-il avec un sourire désarmant.
- Mh… ça va pour cette fois, répondit Ethan avec une moue faussement contrariée.
Ils retournèrent tous les deux avec les amis d’Ethan et ce dernier constata avec horreur que John s’était empressé de raconter ce qu’il avait vu aux deux autres. Il se prêta aux taquineries de ceux-ci de mauvaise grâce, puis la conversation revint à la normale comme avant l’épisode « toilettes », la seule différence étant la main qu’Ethan avait dû abandonner à celle de Maxime, son mec. Il avait encore du mal à y croire, pourtant cette sensation était loin d’être déplaisante, contrairement à tout ce qu’il en pensait trois jours plus tôt.
Ils prolongèrent l’apéritif par un restaurant, puis chacun retourna chez lui de son côté, Lucas se proposant – Dieu, John et Ethan seuls savaient pourquoi – pour ramener Axel qui accepta. Ethan et Maxime s’étaient regardés un instant avant de se quitter, cherchant dans les yeux l’un de l’autre la conduite à adopter, puis avaient décidé de rentrer chacun chez eux. Ethan vit Maxime hésiter à cause de la présence de John, puis l’embrasser doucement avant de partir, au plus grand plaisir tant d’Ethan que de John. Ce dernier était heureux de voir enfin Ethan en couple avec quelqu’un qui semblait lui plaire.
Ethan rentra chez lui et alla se coucher, encore un peu perturbé par cette soudaine évolution dans sa relation mais heureux. Lui qui avait eu peur de tout gâcher en allant trop vite, il ne comprenait plus pourquoi. Il éteignit la lumière et fit taire ses réflexions par la même occasion, et porté par l’agréable souvenir de la soirée, sombra bien vite dans le sommeil.
Il est temps de commencer à tirer sur la ligne, mes petits pantins, maintenant que vous êtes bien ferrés… Il me tarde de goûter à nouveau à la satisfaction délicieuse d’une séparation douloureuse ! L’un de vous deux est faible, je le sais… Petit pantin, tu n’as besoin que d’un petit choc pour te décrocher et basculer dans le vide ! Ce choc, je vais le chercher dans les rues de Paris, aux heures où personne n’ose sortir dans les quartiers de non-loi… Des hommes prêts à être convaincus, il y en a tant… Je murmure à leurs oreilles éveillées et m’évapore dès qu’ils essayent de m’apercevoir. Une ombre est ma cachette, un rai de lumière, mon manteau. La Lune ne permettrait jamais que mes desseins soient contrariés !
J’observe les hommes se mettre en mouvement, exposant dans un discours enflammé les arguments que je leur ai soufflé, sans un instant se douter que l’idée vient d’un autre qu’eux. Leurs préjugés sont la plus forte de toutes les armes, et ils sont si prompts à entamer le combat contre quelqu’un de différent… Les gens différents méritent toujours les injures, pour eux ! Que ce soit « Sale bougnoul », « Sale marlouf » ou « Sale pédé »… Ils me font rire, ces petits humains si bêtes… Ils marchent dans la nuit, et le bruit du verre, des semelles, des coups ! Ces bruits je les aime car ils parachèvent mon œuvre, même si ces barbares d’humains ne peuvent sentir la portée de ce qu’ils accomplissent pour mes desseins ! Déchaînez-vous ce soir, demain, seules les larmes atteindront cet endroit…
Lorsqu’Ethan approcha de la librairie ce matin-là, après une bonne nuit de sommeil, il vit tout de suite que quelque chose n’allait pas. D’habitude, il voyait de loin les volets gris fermés... Pas des volets gris et rouge. Plissant un peu les yeux, il s’approcha. Rêvait-il ?
Ethan fit encore quelques pas, puis se figea, étant assez près pour distinguer parfaitement la devanture… et pour que son esprit n’assimile pas ce qu’il voyait. Il voyait bien de grandes traces rouges sur les volets, qui s’assemblaient lettres, lettres qui elles-mêmes délivraient un message très clair. « Dégage, sale pédé. » Le deuxième volet n’avait pas été épargné, marqué d’un poétique « Tapette ! » et enfoncé au point de le faire sortir de ses gonds. Mais le pire était indéniablement la porte, au centre, dont la vitre avait été brisée et la serrure, forcée.
Sous le choc, Ethan recommença à s’approcher. Il ne savait absolument pas comment quelqu’un avait pu apprendre qu’il était en couple avec Maxime, alors que ça ne datait que de la veille ! Si quelqu’un l’avait appris, il était peut-être au bar la veille… Il le guettait peut-être… Pour cela, Ethan décida d’être prudent, ne sachant pas s’il y avait encore quelqu’un à l’intérieur… Il arriva juste en face de la librairie et, n’ayant constaté aucun mouvement, poussa d’un bras légèrement tremblant la porte. Celle-ci s’ouvrit sans difficulté et en grinçant, certainement malmenée par les vandales pendant la nuit.
Le carnage à l’intérieur de la librairie n’était pas moindre. Des étagères renversées, des magazines déchirés, la caisse forcée et vidée – oh, il n’y avait « pas grand-chose », un fonds de caisse de 500€, mais le geste faisait presque aussi mal que s’il y avait eu dedans la recette du jour. Ethan se tenait au milieu de cette dévastation, avec l’impression que son monde s’écroulait autour de lui. Il sentit les larmes lui monter aux yeux. Mais il ne devait pas pleurer ! Ca ferait bien trop plaisir aux responsables de tout ce bazar !
Ethan sortit son portable, et appela non pas la police mais John… Il ne savait pas du tout comment réagir dans une telle situation.
- Allô.. ? fit l’appelé d’une voix toute endormie, visiblement réveillé par la sonnerie du téléphone.
- John.. ? répondit Ethan d’une petite voix.
- Ethan ? Qu’est-ce qui se passe ? dit un John beaucoup plus alerte d’un seul coup, entendant dans la voix d’Ethan que quelque chose n’allait pas.
- … D-désolé de te réveiller… quelqu’un a… vandalisé la librairie… je sais pas quoi faire…, répondit Ethan, désemparé.
- Ok… Ecoute… ne touche à rien et appelle la police… ton oncle doit avoir une assurance non ?
- Je crois…
- Il faudra faire un état des lieux je pense, je me charge de prendre un appareil photo pour l’assurance… Je suis là dans la demi-heure, ça va aller ?
- Oui, merci… t’es… pas obligé tu sais…
- Allez, raconte pas de conneries p’tite tête, je viens, un point c’est tout.
A cette phrase, Ethan sourit légèrement.
- Ok… répondit-il, je t’attends…
- Allez, à tout de suite !
- Bye…
Ethan raccrocha puis, comme son ami le lui avait conseillé, appela la police. Comme « ce n’était pas urgent », selon les dires de celle-ci, John arriva bien avant elle. Ethan le suivit des yeux alors qu’il arrivait à grands pas depuis sa voiture garée non loin, ne sachant trop comment se comporter. C’aurait été le comble de la puérilité s’il avait couru vers John avant de se jeter dans ses bras, mais Dieu seul sait comme il en avait envie… Il se fit cependant violence et resta sur place, alors que John arrivait.
- Ouille, c’est vrai que c’est pas joli-joli… fut son premier commentaire en arrivant.
- Non… c’est sûr…
La détresse d’Ethan était visible, et John s’approcha pour passer son bras autour des épaules de son ami, qui se laissa faire sans broncher. Il avait besoin de soutien.
- Ecoute, ça va aller… On va déjà faire ce qu’on peut en attendant la police, ok ?
- On commence à ranger.. ?
- Non, il faut qu’ils puissent constater, mais on va déjà faire le tour de tout ce qui est à terre sans trop y toucher, pour faire la différence entre ce qu’il faut simplement nettoyer ou remettre debout, et ce qu’il faudra remplacer parce que c’est cassé, d’accord ?
- Moui…
Le pragmatisme de John – une autre de ses qualités cachées – réconforta un peu Ethan. Ils se mirent ensemble à estimer l’ampleur des dégâts jusqu’à l’arrivée de la police, un quart d’heure plus tard. Les deux policiers qui arrivèrent n’étaient pas très loquaces, se contentant de demander ce qui s’était passé. Pendant qu’ils prenaient note de la déclaration d’Ethan, ce dernier aperçut Paul de l’autre côté de la rue, qui regardait attentivement en direction du magasin. Il resta là une bonne minute puis s’en alla, et Ethan eut un pincement au cœur. Il pourrait endurer une journée du babillage incessant de Paul, si cela pouvait effacer le carnage qui avait eu lieu dans sa librairie. Après avoir terminé l’inventaire, les policiers lui donnèrent un papier pour l’assurance et promirent de doubler les rondes de nuit dans le quartier.
Maxime arriva lorsqu’ils s’apprêtaient à partir. Il s’approcha à grands pas en voyant la devanture du magasin ainsi abîmée, et sa mine se fit encore plus inquiète lorsqu’il vit un policier sortir de la librairie, et l’autre toujours sur le seuil de la porte.
- Circulez Monsieur, il n’y a rien à voir ! dit ce dernier d’un ton bourru.
- Je suis un ami…
- Maxime ?! Intervint Ethan depuis l’intérieur, se décalant sur le côté pour voir à travers la porte que le policier barrait de son corps.
- Oui c’est moi… répondit l’intéressé.
Le policier, voyant que ce n’était pas un voyou, avança pour laisser entrer Maxime et, après un bref salut de la main, rentra dans la voiture à la suite de son collègue. Ethan entendit le bruit de la voiture qui démarrait tout en voyant Maxime approcher et poser avec légèreté ses lèvres sur les siennes. Ethan se tendit légèrement et Maxime, surpris, se recula.
- Qu’est-ce qui s’est passé Ethan.. ? Demanda-t-il, inquiet.
- Je sais pas comment ils l’ont su, des gens… des gens sont venus tout casser… ils ont écrit « Sale pédé » à la bombe sur les volets…
A ces mots, Maxime s’approcha encore et vint enlacer avec douceur Ethan, qui posa sa tête dans son cou. Ce dernier sentait les mains de Maxime posées contre lui de manière réconfortante, l’une entre ses épaules, l’autre au creux de ses reins, et songea que même pour « protéger » le magasin, il ne pourrait quitter ces bras…
Contrairement à Maxime, Ethan ne vit pas le clin d’œil de John, qui s’éclipsa discrètement dans la réserve du magasin, pour laisser un peu de tranquillité aux deux tourtereaux. Il sentit par contre la main de Maxime commencer à caresser son dos de manière apaisante avant que celui-ci se mette à parler.
- Ecoute, des volets ça se répare… S’ils ont réussi à tout forcer, c’est que la sécurité du magasin n’était pas bonne, et il n’aurait pas été à l’abri d’un braquage à un autre moment… Avec l’assurance, c’est un bon moment pour mettre à jour la sécurité du magasin, et pourquoi pas pour refaire l’intérieur ?
- … c’est pas faux… mais…
- Mais quoi ?
- … si on était pas ensemble ce serait pas arrivé…
- Raconte pas de conneries Ethan, regarde-moi.
- …
- Ethan, regarde-moi, reprit Maxime, plus ferme.
Ethan finit par relever la tête et par poser des yeux humides sur son vis-à-vis. Maxime poussa un léger soupir et posa doucement ses lèvres sur celles d’un Ethan qui, cette fois, se laissa faire.
- Ecoute, je vais te donner un coup de main pour remettre tout ça en état, ok ? Arrête de déprimer, tu ne fais que rentrer dans le jeu de cette bande de cons. Ok ?
- … Oui…
- Parfait, répondit Maxime avec un sourire.
Ethan se laissa câliner encore quelques minutes, puis John fit à nouveau irruption dans la pièce et les interrompit.
- Bon, c’est pas tout ça mais on doit se mettre au boulot si on veut que tu puisses ouvrir cet aprèm’ Ethan !
- O-ouvrir cet aprèm’.. ?
- Bah oui, reprit John avec un sourire, ça devrait le faire ! Lucas et Axel sont en route, ils ont rien à faire aujourd’hui. Si on s’y met tous ensemble on y arrivera !
- Bon, chef, on fait quoi alors ? répliqua Maxime d’un air amusé – il semblait apprécier John et son indécrottable optimisme, surtout dans des situations comme celle-ci.
- Ecoutez, vous deux vous remettez les étagères à l’intérieur debout, et vous remettez dessus les magazines qui sont en état. Les autres vous les mettez dans les sacs, là, dit John en désignant deux grands sacs poubelle à l’entrée de la réserve.
Ethan acquiesça, et se mit au travail suivi de Maxime. John, quant à lui, vérifia que le volet qui n’était pas enfoncé fonctionnait toujours – ce qui était le cas – et se mit à son nettoyage à l’extérieur. Trois quarts d’heure plus tard, une voiture se gara devant la librairie et Lucas et Axel en sortirent. Tous deux tirèrent de grands sacs en plastique remplis du coffre, sous l’œil intrigué d’Ethan qui s’était interrompu dans son tri pour les regarder. John abandonna son volet presque rutilant pour saluer ses deux amis, et rentra dans la boutique à leur suite.
- Salut Ethan, Maxime… dit Lucas, imité juste après par Axel. Tout d’abord, reprit-il avec un sourire, qui veut du café ?
Ethan le dévisagea avec des yeux ronds, et même Maxime semblait surpris, alors que John arborait un sourire en coin. Et en effet, Lucas sortit de l’un des sacs un thermos et plusieurs gobelets, qu’il posa sur le comptoir de la librairie.
- Du… café ? demanda Ethan.
- Bah oui, vous avez déjà bien travaillé, c’est l’heure de la pause, dit Axel avec le même sourire que John.
- C’est gentil, répondit Maxime avec un sourire.
- Bon alors, qui en prend ? redemanda Lucas.
Les réponses ne tardèrent pas à venir. Pendant qu’Ethan, Maxime et Lucas discutaient en buvant leur café, John et Axel déplacèrent les magazines déjà triés dans la réserve et s’attaquèrent au nettoyage de l’autre volet.
Le reste de la matinée se déroula dans une atmosphère presque joyeuse malgré les événements de la nuit, chacun y mettant du sien pour que le magasin soit présentable. Lucas mit une bâche devant la vitre brisée pendant qu’Ethan balayait le sol pour en enlever tous les morceaux de verre. Maxime termina de trier les magazines, et les deux derniers firent rutiler la façade, toute trace de tag effacée.
Ils mirent la dernière main au nettoyage en remplaçant provisoirement la caisse enregistreuse cassée par une boîte de fer blanc comme dans les commerces amateurs –ils n’avaient pas mieux sous la main – et en collant une grande affiche avec les horaires de la librairie sur la porte cassée, pour faire illusion du dehors. Seul le volet enfoncé n’avait pu être relevé et restait tel quel mais, cela excepté, les traces du vandalisme de la veille avaient quasiment disparu.
- Eh bien, je pense qu’on a bien travaillé, dit John avec un sourire une fois qu’ils se furent tous réunis dans la librairie, leur labeur achevé.
- Oui, c’est le moins qu’on puisse dire, surenchérit Maxime.
- Merci à tous en tout cas… vraiment… dit Ethan, arrivant à peine à croire le « miracle » de la transformation du magasin, qui en quelques heures était passé du chaos le plus total à un état presque normal.
- De rien, c’est normal voyons, répondit Lucas affectueusement.
- Mh, nous on va y aller par contre, intervint Axel. Lucas et moi allons au cinéma cet aprèm’, ce serait bien qu’on ne soit pas en retard…
- Bien sûr allez-y, répondit Ethan avec un sourire gêné. Je ne veux pas vous retenir…
- Ca ne nous a pas dérangé, reprit Axel avec un sourire, c’est juste qu’on va y aller maintenant.
Axel et Lucas prirent congé, et une fois qu’ils furent sortis, John leva les yeux au ciel en secouant la tête de droite à gauche.
- Ah là là, ces deux-là… Ils vous jureraient de bonne foi qu’ils ne sont « rien que des amis », alors que c’est évident qu’ils sont amoureux l’un de l’autre…
Ce commentaire réussit à faire sourire Ethan, bien qu’il reste préoccupé par les événements de la matinée et par le volet qu’ils n’avaient pas pu réparer, en dépit de tous leurs efforts.
- C’est bien vrai, approuva-t-il, malgré sa préoccupation.
- Allez, moi je vais y aller aussi… si t’as encore besoin de moi Ethan, t’as qu’à appeler, reprit John avec un sourire.
- Oui, t’en fais pas, je sais… Allez, à plus !
- Bye bye !
John sortit, se retourna pour faire signe de la main à Ethan et Maxime, puis partit à son tour, laissant les deux tourtereaux seuls dans la librairie.
- Mh, toi tu fais quoi.. ? Demanda Ethan en regardant Maxime, interrogatif.
- Bah, je tiens la caisse pendant que tu remets des magazines en rayon, ou l’inverse, c’est un peu vide là…
Ethan sourit à cette manière délicate de dire qu’il restait. Il se dit subitement qu’il avait de la chance d’avoir quelqu’un comme ça… et se trouva bien bête d’avoir pensé à le laisser tomber pour ce problème de librairie, qu’ils avaient arrangé en une matinée.
- Ok, je fais ça, répondit-il avec un sourire.
Il alla dans la réserve rechercher des magazines, et en ressortit cinq minutes plus tard une grande caisse dans les bras… pour voir Maxime en train de pianoter sur son clavier de téléphone.
- … Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il, curieux.
- Je réserve le resto puis le ciné pour ce soir, dit tout naturellement Maxime.
- … Tu fais des folies pour moi… répondit Ethan sans pouvoir contenir un sourire.
- Non, ça me fait plaisir parce que c’est toi.
- C’est gentil en tout cas, merci…
Ethan s’approcha et, après une brève hésitation, posa ses lèvres sur celles de Maxime. Cela eut pour effet d’agrandir encore le sourire de ce dernier, qui lui ébouriffa les cheveux.
- Pas de quoi Ethan ! Mais les magazines ne se rangeront pas tout seuls, tu sais ?
- … Depuis quand c’est toi le boss ici ? rétorqua l’interpellé, plus décidé que jamais à ne pas se laisser abattre.
- Depuis jamais mais il faut ranger ces magazines, reprit Maxime avec un sourire.
- Bon ok, j’ai compris, j’y vais chef ! répondit Ethan avec une mauvaise humeur feinte, qui se changea bien vite en sourire.
Ils tinrent à deux la librairie tout l’après-midi, et Ethan put constater avec plaisir que les clients continuaient à venir, malgré le volet enfoncé – certes, il y en avait un peu moins qu’en temps normal, mais un certain nombre était présent quand même. Avant de quitter le magasin pour la nuit, Maxime suggéra de bloquer la porte de l’intérieur grâce à une étagère, et de sortir par derrière. Ethan, qui n’y avait même pas pensé, trouva l’idée excellente et une fois cette précaution prise, les deux tourtereaux quittèrent la librairie.
Si le début de la journée avait été un cauchemar, la soirée, elle, se déroula comme un rêve. Ils allèrent tout d’abord dans un excellent restaurant chinois, où Ethan dut batailler ferme pour pouvoir payer l’addition. Ensuite, ils allèrent sans se presser à la séance du soir au cinéma, voir un film d’action prenant qui eut pour lui de faire totalement oublier ses soucis à Ethan pendant une grosse heure et demie.
A la fin du film, ils suivirent la masse pour sortir de la salle et se retrouvèrent bientôt à l’extérieur, sous les étoiles.
- Mh, j’habite à un quart d’heure à pied… tu viens ? demanda Maxime avec douceur, une fois qu’ils se furent un peu éloignés de la sortie du cinéma.
- Euh…
Ethan hésita un peu. Il trouvait cette invitation plutôt rapide, mais en même temps, il savait qu’il n’allait pas pouvoir dormir s’il rentrait chez lui, les éléments de la nuit précédente encore trop vivaces dans son esprit pour qu’il n’y pense pas. Il pesa le pour et le contre pendant quelques secondes, conscient du regard de Maxime fixé sur lui.
- D’accord, je viens… poursuivit-il avec un sourire un peu hésitant.
Il vit les yeux de Maxime s’illuminer à sa réponse. Ce dernier prit délicatement la main d’Ethan dans la sienne, qui la lui abandonna à contrecœur, le bras et l’épaule un peu raides de tension. A chaque pas, il avait l’impression d’être suivi du regard, la nuit ravivant les images de la librairie dans son esprit. La prochaine fois, viendrait-on écrire « Sale pédé » sur sa porte ?
- Détends-toi… lui fit Maxime, rien ne va se passer… Personne ne te connaît ici, c’est loin de chez toi…
Un peu rassuré par ces paroles, la tension de son bras se relâcha peu à peu, et Ethan put apprécier la balade nocturne. Ils marchaient en silence, dans une obscurité seulement troublée par les halos des réverbères et la lumière de la Lune.
Je scrute avec impatience la Terre, prête à prélever mon dû en larmes et en souffrance, la souffrance de mes chers petits patins qui doivent-être brisés comme des poupées de papier à l’heure qu’il est… Je les cherche, je les cherche, mes yeux parcourent la ville des hommes et pourtant, je ne les aperçois point… Ni chez eux, ni aux autres endroits où ils seraient susceptibles d’aller. Où vous cachez-vous donc, petits pantins ? Venez, montrez-vous à moi, montrez-moi votre souffrance et votre solitude…
Je t’aperçois, petit pantin, passer dans le halo de ces lumières artificielles qui font pâle figure devant ma Mère ! Laisse-moi me rapprocher et voir ta douleur…
… Mais vous êtes… ensemble.. ?
- Dis-moi, sérieusement, demanda Ethan, pourquoi t’es venu pile dans ma librairie jeudi passé.. ?
- Eh bien, répondit Maxime, l’air un peu gêné, tu ne vas pas me croire…
- Dis toujours…
- En fait… j’ai rêvé de toi, il y a presque deux semaines… Et comme j’avais rien de mieux à faire, j’ai fait le tour des librairies de Paris jusqu’à trouver celle qui correspondait à mon rêve, répondit-il, gêné. Il reprit ensuite avec un léger sourire : Et je suis loin d’être mécontent de l’avoir fait…
Que s’est-il passé ? C’est impossible, IMPOSSIBLE ! Mon plan était tout simplement infaillible, sans défaut ! Je vole, telle une tornade, à la recherche de ce qui aurait pu m’échapper ! Tout ce qui a été fait l’a été impeccablement ! Il n’y a aucune faille dans mes actes qu’ils aient pu exploiter ! Alors pourquoi, pourquoi diable sont-ils toujours là ?
- C’est étrange, l’influence que les rêves peuvent avoir sur la vie des gens, tu ne trouves pas ? On jurerait qu’ils nous manipulent… regarde, tu vas trouver ça aussi loufoque que ton histoire mais… C’est dans un rêve que j’ai vu que tu aimais les écharpes…
- Et moi, que tu voulais un recueil de poésie… C’est tout bonnement incroyable… Tu ne me l’avais jamais dit avant, n’est-ce pas ?
- Bah, non… et toi non plus…
- Non…
- …
- En tout cas… moi je les remercie, ces rêves. Parce que sans eux, on n’en serait pas là… reprit Maxime en caressant du pouce le dos de la main d’Ethan, qui sourit à cette attention.
- C’est vrai, tu as bien raison…
Il n’y a qu’une explication… A vouloir en faire des pantins, j’ai négligé la force des hommes ! Le cœur de ceux-ci est la meilleure paire de ciseaux qui existe contre les fils du marionnettiste, ils sont autant bornés dans leurs sentiments que le pire des ânes ! Moi qui prenais plaisir à les contrôler, maintenant je ne peux plus rien faire pour eux ! Les fils sont coupés et ma lassitude est grande ! A quoi bon intriguer, à quoi bon manipuler si chaque chose que je fais peut être déjouée par ces stupides marionnettes ? Et pire, moi qui ne cherche que leur souffrance, voilà qu’elles me remercient pour ce que j’ai fait pour elles ! C’est impensable… Impensable…
Et au fond… Peut-être était-ce écrit mon existence devait se terminer là, sur cet ultime pied-de-nez fait par des pantins à leur marionnettiste, marionnettiste qui n’a plus de raison d’être sans pantin ? La fatigue me prend, petits pantins qui n’en sont plus… Finalement, mon impatience m’aura perdue, comme me le disaient mes Sœurs…
- Dis, il y a encore quelque chose de bizarre… dit Ethan après une hésitation. Dans mes rêves, il y avait cette odeur comme maintenant…
- Oui… une odeur de… gingembre ?
Ils se retournèrent tous les deux pour tenter de percevoir l’origine de cette effluve qui embaumait doucement l’air depuis quelques minutes, mais ne virent rien si ce n’est l’éclat doré d’une chevelure et celui, vert clair, d’un vêtement, tellement fugaces que cela aurait pu être une hallucination.
Il est temps que j’aille me reposer maintenant, enfin… J’ai compris, petits pantins. Vivez seulement votre vie, lorsque je me réveillerai aux côtés de mes Sœurs, sous la protection de notre Mère à toutes, je serai à nouveau pleine d’une cruauté sans limites… Mais vous avez de la chance ! Vous ne serez sans doute plus là pour le voir… Mais vos familles, vos descendants, vos neveux et nièces paieront pour ces fils que vous avez coupés !
Un courant d’air glacial et désagréable souffla soudainement, et Ethan frissonna, se rapprochant inconsciemment de Maxime.
- Dis Maxime, il fait froid tu trouves pas.. ? demanda-t-il, sentant avec un peu de satisfaction le bras de l’interpellé entourer ses épaules.
- Oui, tu as raison, rentrons…
Ethan et Maxime pressèrent le pas pour rentrer chez ce dernier, et n’apprirent jamais que leurs sentiments, un peu trop forts peut-être, mirent fin à l’existence de la dernière Fille de la Lune.
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