Vendredi 12 décembre, 23h56,

Quelque part en France

Le vent soufflait beaucoup cette nuit là, annonçant la tempête que si préparait. Un homme était agenouillé devant une tombe. Les larmes se mêlaient aux gouttes de pluie sur son visage. Devant lui, écrit en lettre d'imprimerie :

June Heaven

1856-1878

Tout ça était de sa faute. Il s'en voulait tellement aujourd'hui de l'avoir entrainé dans son histoire. « Un autre ange dans le ciel » : cette phrase lui semblait trop déplacé sur une pierre tombale, car elle était juste. On se demande souvent ce qu'il y a après la mort. Lui savait. Ange déchu, il connaissait toute la vérité. Elle aussi la connaissait. Il n'était pas le premier banni qu'elle rencontrait : elle sauvait les anges « virés », et les aidait à se réadapter. Elle était si parfaite qu'il en tomba amoureux au premier regard. June était de taille moyenne, fine, gracieuse. Elle souriait tout le temps et avait de sublimes yeux vert en amende, mit en valeur par sa chevelure d'ébène. Elle se déplaçait avec souplesse, sans bruit, ce qui l'étonnait toujours. Elle ne l'a jamais obligé à parler, et c'est ce qu'il préférait chez elle : elle attendait que les gens s'ouvrent à elle.

Perdu dans ses pensées, l'homme ne sentit pas l'ombre s'approcher furtivement. Ce ne fut que lorsqu'un main le saisit par l'épaule qu'il se retourna, en sursautant.

« Jacques, commença-t-il en reconnaissant l'homme derrière lui, tu m'as fais peur.

-Désolé. Pourquoi es-tu encore ici, s'interrogea le vieillard?

-Elle me manque...

-Écoute moi gamin, tenta-t-il de nouveau, je t'ai répété que tout ça n'était pas de ta faute.

-Quand même, rétorqua ce dernier en laissant de nouveau couler ses larmes, elle est morte à ma place, elle s'est sacrifiée pour moi. Pourquoi elle a fait ça?

-Elle t'aimait gamin. Et je suis certain que là où elle est à présent, elle te regarde et t'aime toujours.

-Tu penses, demanda le jeune homme, essayant de se rattacher à cet espoir?

-J'en suis certain.

-Si seulement... Si seulement je pouvais les récupérer...

-Tu as perdu tes ailes car tu as menti et tu as tué. Tu as quitté le monde d'en haut pour vivre sur Terre. Et tu t'es perdu toi même. Rien ne pourra plus te les rendre.

-Mais, Jacques... Je ne peux pas vivre sans elle.

-Je le sais gamin, je le sais. »

Le vieillard s'abaissa à la hauteur de son protéger et le serra contre lui. Ce dernier laissa couler ses larmes, en se répétant que tout ça était injuste. Il avait perdu l'amour de sa vie, par sa faute. On dit qu'on ne voit que ce qu'on n'a pas : il l'avait pour lui, tous les deux sur Terre, il ne pouvait rêver mieux. Mais non, il voulait plus, toujours plus. L'argent, les dettes, les règlements de compte : le monde des hommes est dangereux, il le savait. Mais il ne s'arrêta pas et elle fut tuée. Elle se sacrifia pour lui laisser la vie sauve. Il se détestait : elle l'aimait et lui ne l'a jamais protégé. Il voulait tellement lui dire qu'il était désolé, la serrer dans ses bras encore une dernière fois et lui répéter au creux de l'oreille qu'il l'aimerait toujours, plus que tout au monde, plus que n'importe qui d'autre, plus que lui même. À présent, sa seule obsession était de trouver un moyen pour la retrouver au ciel. Mais sans ses ailes, il ne pouvait rien faire. Et s'il mourrait, il verrait ses refermer les portes de l'Enfer sur son ombre. Et, à cet instant, il se promit de venger la vie de sa bien aimée. Une lueur de haine s'ajouta à la tristesse dans son regard. Entre le bien et le mal, la frontière est très étroite. Et, à minuit, l'ange déchu qu'il était laissa ses démons intérieurs prendre le dessus sur son esprit. Il devint un homme guidé par sa colère et son chagrin. Un homme qui gardait cependant des aptitudes que le ciel lui avait laissé.