Remords tardifs
Je ne comprenais pas ce qui était en train de m’arriver. Je perdais complètement la tête, je faisais, je disais des choses horribles que jamais je n’aurais fait ou dit en temps normal. Elle représentait tout pour moi.Elle occupait sans problème la totalité de l’espace de mon cœur. Elle était si jolie, si parfaite… Cependant, à ce moment-là, la folie envahissait pleinement mon esprit. Je l’avais trahie, blessée… Je l’avais tuée.
Me voici à présent, pauvre de moi, enfermé dans un cachot à l’atmosphère maussade. A vrai dire, cette ambiance convenait divinement à un homme de ma nature.
Deux ans que j’y suis resté, dans ma cellule, que je considère maintenant comme mon chez moi. Deux ans que je me suis répugné, lamenté. Deux ans que j’ai fait sortir de mes yeux, réclamant vainement la lumière du jour, des larmes de solitude. Deux ans que je suis aussi pathétique. Deux ans que je suis mort, intérieurement…
A chaque journée, le gardien m’apporte un petit morceau de pain, dont je n’ai jamais avalé une miette, d’ailleurs. Il fallait que je déniche une manière convenable de me punir, et je l’ai trouvée. Je ne mérite absolument pas qu’on me donne un traitement de faveur. Je ne suis qu’un monstre, après tout, qui n’a pas hésité une seule seconde à faire du mal à la personne qui lui était la plus chère à ses yeux, sous l’emprise de la démence.
Comment puis-je rester en vie en n’ayant rien mangé pendant ces années qui me paraissent si longues, qui ressemblent à des siècles, à des millénaires… Je n’ai aucun mental pourtant. De plus, je suis déjà décédé au plus profond de moi. Néanmoins mes yeux ne souhaitent pas se clore afin de mettre finalement un terme à cette existence insensée... Peut-être parce qu’ils ont encore espoir, et qu’ils croient en un nouvel avenir… Non, c’est impossible. Et non seulement c’est inconcevable, mais je ne dois pas me permettre aussi de recommencer une nouvelle vie comme si de rien n’était. Dans ces cas là, je trahirais une fois de plus ma pauvre femme… Je ne veux pas commettre la même erreur, surtout pas, certainement pas.
Ah, Eléonore… Je me souviens, quand elle me forçait à aller dévaliser les boutiques avec elle… Même à 36 ans, elle conservait toute sa beauté, toute sa jeunesse… Toute la présence masculine qui nous entourait était jalouse à en mourir, ils m’enviaient, et moi, j’étais fier et heureux comme n’importe quel homme qui vivrait avec une telle faiseuse, créatrice de bonheur… Ses longs cheveux roux ondulés, ses yeux ayant une profondeur similaire à celui d’un océan… Tout chez elle me plaisait, m’attirait, m’absorbait. Une foulée de mots flatteurs submergeait mon esprit quand j’apercevais, même en l’espace d’une seconde, son sourire… Un jour, on s’était promené dans le parc de notre village natal, qui était si reposant, si apaisant avec ses mélodies naturelles, telles que la valse des feuilles d’automne, la fontaine avec ses jets d’eau impressionnants, les oiseaux faisant part de leur bonne humeur par le chant… Bref, un endroit où le calme régnait, où la paix dominait.
Ce fut ici alors qu’elle m’avait raconté brièvement son enfance, et ses rêves d’enfant. Elle me confia que quand elle avait 5 ans, elle harcelait ses parents en leur demandant de manière incessante de lui offrir un poney. Elle avait apparemment des petites étoiles éblouissantes dans son regard lorsqu’elle pensait aux nombreuses promenades qu’elle ferait en compagnie de son animal. Certains pouvaient s’ennuyer en écoutant cette histoire. En revanche, moi, je voulais toujours en savoir davantage sur elle. Ce qu’elle adorait, ce qu’elle méprisait… Je me répète, sans doute, mais elle était parfaite.
Un autre jour, en se baladant en ville, elle et moi aperçûmes un magasin regorgeant de petits accessoires et de fanfreluches. Nous y entrâmes, par simple curiosité. Nous nous tenions par la main à ce moment là, ce qui me rendait particulièrement enthousiaste. Puis, peu après avoir décidé de se séparer afin de scruter de notre côté les divers éléments de la boutique, je vis quelque chose qui, selon moi, irait parfaitement à ma femme.
« Regarde Eléonore, je suis certain que cela t’irait à ravir. Essaye-le !
- Une…une mantille ? Tu plaisantes ! La dentelle…très peu pour moi ! Je n’ai pas envie de ressembler à…oh, je suis confuse, madame ! »
Eléonore se comportait de temps en temps de manière enfantine, néanmoins il y avait également cet aspect d’elle qui la rendait attachante. La vendeuse, elle, semblant très aimable au premier abord, nous fixa d’un air horripilé. Elle se forçait à garder son sourire courtois pour éviter de nous faire déguerpir en s’apercevant de sa rage intérieure. Il fallait bien qu’elle réussisse à gagner sa vie, la pauvre dame.
JE L’AI TUEE.
Cette cruelle pensée suffit, malheureusement, à me faire retourner à la triste réalité.
Cependant, je ne l’ai pas supprimée sans raison particulière…
Le téléphone de notre domicile sonnait assez souvent. Eléonore n’avait pas en sa possession un portable, et pourtant elle était consciente qu’à chaque fois, l’appel lui était adressé. Je trouvais ce fait extrêmement étrange. Je tentais tant bien que mal à l’espionner. Mais elle m’ordonnait tout le temps de me mettre à l’écart, ses conversations à distance s’avérant apparemment personnelles. Je me disais donc que cela était horriblement suspect. Chaque jour, ma crainte ne faisait qu’augmenter, s’accentuer. Elle souriait, riait, s’amusait… Je scrutais en elle des expressions qu’elle n’avait jamais adopté en ma compagnie auparavant. Avec qui parlait-elle constamment, m’ignorant à plusieurs reprises ? Pourquoi avait-elle l’air plus heureuse qu’avec moi lorsqu’elle discutait avec cette personne ? Qu’est-ce que celle-ci avait-elle de plus que moi ?
Je compris alors que j’étais jaloux. Affreusement jaloux. Tellement jaloux que j’étais prêt à casser tous les vases, à rayer tous les meubles, à arracher les rideaux, comme un enfant désespéré désirant par tous les moyens obtenir l’attention de sa mère. J’étais capable de démolir toute l’habitation pour prouver à Eléonore que je la chérissais au point de ne plus connaître ses propres limites… Bien évidemment, je me devais de me contrôler, car adopter un tel comportement était en mesure de transformer l’amour qu’elle me portait en haine…
Je retenais ma colère, ma tristesse. Au départ, ce n’était pas très difficile.
MAIS… quelques temps après, ce n’était plus possible. Je n’étais vraiment plus capable de supporter cette atmosphère agréable pour ma femme, cependant excessivement pesante pour moi.
Lorsque celle-ci faisait ENCORE la conversation avec cet homme, SON homme, l’homme avec lequel elle avait la méchante intention de me TRAHIR, je lui pris violemment le téléphone afin de lui faire COMPRENDRE qu’Eléonore était MA femme,la MIENNE, et à personne d’autre. Elle M’appartenait.
Elle était pétrifiée. Ses yeux s’exorbitaient presque. Elle tremblait. Etais-je si effrayant que ça, quand j’essayais de la protéger de cet harceleur ? Etais-je si agressif, si horrible ? Oui, je voulais juste la protéger, et lui faire couper les liens avec cette ORDURE, qui, comparé à moi, la rendrait sûrement malheureuse !
Elle pleurait. Ses larmes coulaient infiniment, telles des fines cascades. On aurait cru que c’était moi, le méchant de l’histoire, à partir de ce moment. Ce n’était peut-être pas faux… Après tout, tout ce à quoi je pensais, c’était de LA garder pour MOI, rien que pour MOI.
Me voyant perdre le contrôle de moi-même, elle me gifla, par réflexe, et surtout, parce qu’elle était terrorisée. Elle était tout simplement épouvantée de ce que j’étais capable de faire.
Je ne m’en rendais pas compte, mais je devenais complètement fou, voire totalement inconscient. Dans tous les sens de ce terme.
Je me mis à m’esclaffer de manière méprisable, machiavélique. Eléonore souhaitait s’enfuir, elle ne voulait pas rester avec un monstre tel que moi. Cependant, ses membres ne lui permettaient pas de s’échapper. Ils ne trouvaient pas la force de faire le moindre mouvement. Ma femme paniqua, à en s’arracher brutalement les cheveux. Je pris un couteau de cuisine, puis m’approcha dangereusement d’elle, toujours le sourire démoniaque aux lèvres. Si seulement cet homme n’avait jamais existé, si seulement il ne lui avait jamais adressé la parole… SI SEULEMENT ELLE ACCORDAIT PLUS D’ATTENTION A MOI… Tous ces mots, toutes ces atrocités dominaient entièrement et sans pitié mon esprit.
Lorsque je me retrouvais face à Eléonore, celle-ci ne criait pas, bien qu’à son visage apeuré, on pouvait facilement voir qu’elle en avait envie.
Ma main gauche l’enlaça tendrement, sentant la douceur de sa peau et la bonne odeur de ses cheveux roux. Ma main droite, elle, conclut mon instant de folie…
Elle était maintenant allongée sur le dos par terre, le sang inondant pratiquement son corps. Lorsque je vis cet horrible spectacle, je retrouvai instinctivement mon état normal. J’eus à peine le temps de réaliser ce que je venais de commettre que les larmes coururent directement sur mes joues.
Je m’aperçus ensuite que l’homme en question était toujours au bout du fil. J’attrapai alors le téléphone pour au moins entendre sa voix.
« Eléonore ? Tu es là ? »
Je raccrochai automatiquement, le désespoir tellement grand qu’il fit disparaître toutes mes émotions.
Je me dirigeai à nouveau vers Eléonore. Je vis alors un papier qui dépassait d’une des poches de sa jupe. Je le lis, puis, m’abominant, je le remis dans son vêtement.
« Penser à appeler Hélène pour lui demander quel genre de cadeaux apprécierait un homme »
Moi-même, je l’avais complètement oublié, à cause de la tournure que les choses avaient décidé de prendre…Mon anniversaire… |