"Dis leur, DIS LEUR ! Crie leur que je n'ai rien fait. Explique leur, dans votre langue incomprehensible, que je n'ai rien à voir avec toute cette histoire. Que je ne suis qu'un pantin, on m'a demandé de venir, je suis venu. Rien de plus. Rien de moins. Hurle leur dans les oreilles, comme je le fais à cet instant. Transporte mon désespoir dans une bouteille, que tu leurs feras boire, j'espère. Tout le quartier doit m'entendre à présent. Je te hanterais si tu ne leurs dis pas, je ferais en sorte que tu n'en dormes plus la nuit. Que tu ne puisses fermer l'oeil sans voir mes yeux rougis, bouffis par l'hystérie, sortir de nulle part pour te fusiller. Sans entendre mon dernier cri. Mes derniers cris. Dis leur que tu n'es pas un traitre. Que moi non plus, je n'en suis pas un. Que la guerre, ça n'a jamais été fait pour moi, que je n'avais rien demandé quand on m'a envoyé dans ton pays. Dis leur qu'ils peuvent appeller ton bled comme ils leur semblent, je m'en fous ! Moi, ça ne m'interessait même pas de venir ! Dis leur ! Tu leur exposeras les faits mieux que moi, j'espère. Dis leur que ce n'est pas parce que je porte les couleurs de l'armée, que je suis un tueur, un violeur. Quelqu'un de mauvais, de sanguinaire. Dis leur que j'ai deserté mon camp plusieurs fois. Pas pour trahier les miens, mais pour être neutre. Tu leurs diras que je suis neutre, n'est ce pas ? Que ça ne fait pas de moi quelqu'un d'indécis. Mais d'objéctif. Si ça leur chante, je vomirais mes tripes, pour leur rendre toute la bouffe que j'ai pu manger, ici. Dis leur que je n'ai jamais fait de mal à personne. Je n'ai tué personne, que je n'ai touché personne. Que, depuis que je suis là, je tourne en rond, en evitant tout le monde. Je ne suis pas un lache. Dis leur que je ne recherche pas les problemes, que je ne suis pas leur ennemi. Que je n'ai jamais été l'ennemi de personne. Dis leur que leur religion, leurs villes, leur langue, leur couleur de peau, leurs épices, je n'en veux pas. Je n'en ai jamais voulu ! Pleure, s'il le faut. Dis leur que moi, j'ai pleuré. Que je n'ai pas perdu ma dignité pour autant. Que je ne les supplie pas. Dis leur que le poteau d'électricité auquel ils m'ont enchainé est défectueux, usé. Et que s'ils preferent me menotter à un cocotier, ou je ne sais quel arbre de ton pays ils preferent, ça ne me derangerait pas. Dis leur de ne pas m'egorger, comme un mouton. Comme un moins que rien. Dis leur plutot de me fusiller, en me regardant dans les yeux. Je reste objectif. Dis leur tout ça, en leur précisant le ton que j'ai utilisé, en précisant chaque pause, chaque inflexion, chaque etouffement, la façon dont mes yeux brillent de la folie d'un homme condamné qui sait qu'il n'y a plus d'espoir mais qui continue de crier."