Bon et bien, puisqu'il faut bien que quelqu'un inaugure ce concours, je me lance...
Je ne sais pas si vous êtes du même avis que moi mais le sujet de ce concours était particulièrement ... tordu xD. En effet, comment écrire un "bon" navet ? La contradiction est dans le sujet ^^
Enfin bref, tout ça pour dire que j'ai fait avec ce que j'ai pu, je suis donc fière (ou pas ^^) de vous proposer un vrai navet, c'est le cas de le dire... Ne soyez pas trop durs avec moi ;D
Au fait : le pire dans toute cette histoire reste l'illustration, vous constaterez pas vous-mêmes que je ne suis VRAIMENT pas Picasso, une info que je me serais bien passée de délivrer...
Bon allez j'arrête de parler, bonne lecture ! =)
XXX
- La cible s’appelle Eloïse Bishop. Elle a seize ans, elle est en première scientifique au lycée Henri IV. Son père, Olivier Bishop, est le directeur de la société d’armements qui nous fournit nos stocks. Cependant, il semblerait que depuis quelques semaines, Olivier se soit pris de remords. Il ne veut plus alimenter notre trafic.
- Quel rapport avec la fille ?
- Je veux envoyer un petit message à ce cher Olivier.
- Vous voulez que je la tue ?
- Non, jamais il ne collaborera si nous la tuons tout de suite. Je veux simplement trouver un moyen de faire disparaître cette prise de conscience stupide. Par exemple, s’il savait que cela risquait de lui coûter la vie de sa fille…
- Qu’attendez-vous de moi, exactement ?
- Je t’ai inscrit à Henri IV. Dans la même classe qu’elle. J’ai payé suffisamment pour que le directeur ne pose pas de questions.
- J’ai peur de ne pas comprendre.
- Dans les semaines à venir, je veux que tu gardes constamment un œil sur cette fille. Que tu la suives sans arrêt, que tu deviennes son ombre. Nous allons mettre la pression sur Bishop. Il connait ta réputation, il sait de quoi tu es capable. Reste avec cette fille. Et si jamais son père fait un seul pas de travers, s’il fait mine de me désobéir… tues-la.
- Très bien.
- Je t’ai inscrit sous le nom d’Ezéchiel Jones. Tu as 17 ans, tu es mon fils. Avant d’intégrer Henri IV, tu étudiais avec des précepteurs, à la maison. Des questions ?
- Je ne sais pas exactement en quoi consiste la vie d’un lycéen.
- Je ne te demande pas d’être lycéen. Ne te fais pas remarquer, c’est tout, ça n’a rien de compliqué. Fais ce qu’on te dit. N’agresse personne. Ne dévoile rien de personnel. Reste concentré sur ta cible et rien d’autre, rien d’autre n’a d’importance. Je vais laisser Bishop sous surveillance pendant quelques semaines, le temps de m’assurer de sa loyauté.
- Très bien.
- Tu n’es qu’un moyen de pression cette fois-ci, Ezéchiel.
- Oui, monsieur.
- Bien. Dans ce cas tu peux y aller. Les vacances de la Toussaint se terminent demain, tu as cours à huit heures.
- Je pars en reconnaissance.
Et c’est ainsi qu’Ezéchiel Jones, 17 ans, tueur à gage de son état, intégra le lycée Henri IV.
XXX
Le lendemain, Ezéchiel se frayait un chemin entre la foule de ses semblables. Semblables seulement en apparence. Il gravit une volée d’escalier, se repéra dans l’entrelacs de corridors, et identifia la porte immatriculée 406. Les adolescents s’écartaient sur son passage. Peut-être parce qu’il était grand, peut-être parce qu’il était nouveau. Il n’en savait rien et ne s’en préoccupait pas.
La salle était déjà presque pleine lorsqu’il entra. Le silence se fit instantanément. Comme une machine que l’on téléguide, Ezéchiel posa son sac sur une table au fond de la classe, tira une chaise et s’assit, sans un regard à quiconque. La cible n’était pas encore là.
Il y eut d’abord quelques murmures, un instant d’hésitation. Et puis une fille au troisième rang jeta quelques regards autour d’elle, recueillit l’approbation de ses congénères, et enfin se leva pour s’avancer jusqu’à sa table. Ezéchiel la regarda, elle sourit. Il la trouva fade. Grande, élancée, blonde délavée, elle avait tous les critères nécessaires à une bonne intégration dans un milieu saturé en hormones adolescentes. Y compris la dentition parfaite, le sourire calculé au millimètre près, et le tour de poitrine, non négligeable. Ezéchiel retourna à la contemplation du bois de la table. Il avait toutes les informations nécessaires la concernant.
- Salut. Tu es nouveau ?
Ezéchiel ne bougea pas. Comment réagir ? Pourquoi cette fille lui posait-elle une question dont elle connaissait vraisemblablement la réponse ?
L’adolescente commença à se tortiller imperceptiblement. Son langage corporel indiquait qu’elle était gênée. Bon, son attitude ne devait pas être la bonne… Aussi décida-t-il de répondre :
- Oui.
Le sourire se fana sur le visage de la fille :
- Ah… Tu t’appelles comment ? Moi c’est Joanna.
Ezéchiel fronça les sourcils. Lorsque le maître avait dit de ne dévoiler aucune information personnelle, est-ce que cela incluait son prénom ? Il pesa le pour et le contre, et décida que non :
- Ezéchiel.
La fille sembla reprendre confiance :
- Et bien, on te souhaite tous la bienvenue ! Si tu as besoin d’aide pour t’intégrer, rattraper les cours, n’hésite pas à demander.
Elle lui fit un clin d’œil.
- Non. Ça va aller.
Cette fois, Ezéchiel identifia un mélange de surprise et de contrariété. Allons bon, qu’est-ce qui n’allait pas cette fois ? Après quelques secondes de réflexion, il parvint à la conclusion que cela n’avait aucune importance. Il n’était pas là pour obtenir un sourire de cette adolescente manucurée. Il était là pour passer inaperçu.
- Laisse-moi, s’il te plaît.
La fille n’attendit pas que les mots franchissent ses lèvres. Les poings serrés, elle retourna s’asseoir à sa place, et une nuée de filles caquetantes, toutes dressées sur le même modèle, se referma sur elle.
La cible entra à ce moment-là. Ezéchiel l’avait déjà vue en photo, mais rien ne vaut un contact direct. Son œil identifia une multitude de détails en une fraction de seconde.
Un mètre soixante, 45 kilos, longs cheveux raides jusqu’à la poitrine, auburn, les yeux verts, grain de beauté juste en-dessous de l’œil gauche, vêtue et maquillée selon les canons de la mode actuelle. Ezéchiel tiqua. Son sourcil s’arqua imperceptiblement. Qu’est-ce que c’était que cette histoire de grain de beauté ?
La cible s’assit et très vite, l’attention se reporta sur elle. Joanna regarda les jeunes oies la délaisser pour aller pavoiser aux côtés de la cible. Etonnamment, elle en sembla encore plus contrariée. Ezéchiel se sentit soudain satisfait de ne pas avoir hérité de Joanna pour cible.
Un homme d’une cinquantaine d’années entra alors dans la salle. Les cheveux totalement blancs, aussi grand qu’Ezéchiel du haut de son mètre quatre-vingt-dix, il lâcha sur son bureau une vieille sacoche élimée et en sortit tout un tas de notes et de chemises au bord de l’explosion. Sans s’asseoir, il parcourut un document des yeux, et son regard balaya la classe pour se poser sur Ezéchiel :
- Ah, c’est vous l’étudiant transféré ? Je suis M. Belfanso, votre nouveau professeur principal. Et bien. Levez-vous, présentez-vous.
Ezéchiel obéit aussitôt :
- Je m’appelle Ezéchiel Jones. J’ai 17 ans, je suis le fils de Patrick Jones. Avant d’intégrer Henri IV, j’étudiais avec des précepteurs, à la maison.
Il se rassit, le regard droit devant lui. M. Belfanso le scruta bizarrement, mais n’insista pas. Au lieu de cela, il se tourna vers le tableau, qui se couvrit rapidement d’une multitude d’équations. Le bruit de la craie ne devait cesser que quatre heures plus tard, à l’heure du déjeuner.
XXX
Ezéchiel évoluait dans le monde étrange de la cantine. Un monde où chacun se bat pour sa survie, pour une tranche de pain ou une portion de gâteau plus volumineuse qu’une autre. Il ne quittait pas la cible des yeux. Elle évoluait au milieu du groupe d’oies, cherchant une table où s’asseoir. En quelques enjambées, Ezéchiel avala la distance qui les séparait, et lorsqu’elle posa son plateau sur la table de droite, il posa le sien en face d’elle. Elle sursauta et leva les yeux sur lui, surprise. Autour d’elle, les oies s’immobilisèrent.
La cible se fendit d’un sourire hésitant. Elle ne savait pas comment réagir. Au lieu de cela, elle tira la chaise et s’assit. Ezéchiel fit de même, et elle suivit le mouvement des yeux. Son visage se fendit soudain d’un sourire différent. De l’amusement. De l’amusement qui éclaira ses traits, ses yeux. Ezéchiel contempla le phénomène avec fascination.
- Salut, dit-elle sans perdre cette aura inconnue. Tu es le nouveau qui a déjà réussi à énerver Joanna.
Ezéchiel eut du mal à réaliser qu’elle lui avait parlé. Ce n’était pas une question. Ce n’était pas comme Joanna.
- Je suppose, répondit-il avec prudence.
Le sourire de la cible s’agrandit, s’illumina encore si c’était possible. Les oies y virent comme un signe de consentement et prirent place de part et d’autre des jeunes gens. Ezéchiel ne les regarda pas. Concentré, il décomposait chaque mouvement de la cible. Avec de petits gestes précis, elle découpait de parfaits carrés dans sa pièce de viande. Elle sentit qu’il l’observait, sans bouger.
- J’ai beaucoup aimé ta présentation, dit-elle. C’était…original.
Ezéchiel fronça les sourcils :
- Pourquoi ?
- Et bien…
Elle rit :
- Tu aurais eu la même expression si on t’avait demandé de lire une liste de course.
Ezéchiel était perdu :
- Qui me demanderait de lire une liste de course ?
La cible le fixa dans les yeux quelques secondes, et vit que sa question était sincère. Cela raviva l’amusement dans son regard, et Ezéchiel eut la pensée étrange, incongrue, qu’il s’agissait là d’une bonne chose.
- D’où est-ce que tu sors ? demanda-t-elle enfin.
- Je sors de ta salle de classe.
- Non, mais…
Elle enfouit son visage dans sa main pour cacher son sourire, geste qu’il ne comprit pas.
- D’où est-ce que tu viens ?
- Avant d’intégrer Henri IV, je prenais des cours avec des précepteurs, à la maison, récita-t-il aussitôt.
Elle le regarda, pensive :
- Et c’est où, la maison ?
Un signal d’alarme s’alluma dans l’esprit d’Ezéchiel. Aucune information personnelle. De toute façon, il ne voyait pas ce qu’il aurait pu répondre. Il déploya sa technique de défense classique : l’attaque.
- Pourquoi tu poses toutes ces questions ?
Elle haussa les épaules :
- Pour te connaître.
Ezéchiel se pencha en avant, scrutant son visage d’une façon qui sembla la déranger. Pourquoi chacune de ses réponses entraînait-elle d’avantage de questions ?
- Pourquoi ? demanda-t-il avec un réel intérêt.
- Je ne sais pas… Pour être sympathique. Pour que tu te sentes à l’aise. Tu ne veux pas me connaître ?
- Toi, si. Mais pas Joanna.
Un lien s’établit soudain dans son esprit :
- C’est pour ça qu’elle est contrariée ?
La cible éclata de rire et cette fois, Ezéchiel put apercevoir son sourire franc, rafraîchissant. C’était si naturel. Ezéchiel n’avait jamais vu une personne sourire autant de toute sa vie.
- Oui. C’est pour ça qu’elle est contrariée.
La cible se perdit dans la contemplation de la salle et ne dit plus rien. Ezéchiel suivit son regard, observa ce qu’elle observait. Elle avait les yeux fixés sur une autre table à quelques mètres devant eux. Une bande d’individus mâles y déjeunait copieusement, en remplissant la cantine de leurs rires rocailleux. D’après ce qu’il pouvait lire sur leurs lèvres, ils discutaient des changements qu’avaient adoptés les filles de leur classe pendant les vacances. Ezéchiel perçut soudain le nom de la cible sur les lèvres de l’un des intervenants.
- L’individu blond à la table de gauche dit que tu es toujours aussi jolie, crut-il nécessaire de préciser.
La cible sourit sans le regarder. Ezéchiel comprit que ce sourire-là ne lui était pas destiné.
- Vraiment ?
- Mais il dit qu’il préfère la poitrine de Joanna.
- Oh.
La cible baissa les yeux sur son assiette, réaction de défense qu’il ne sut comment interpréter. Il n’était pas bon pour ce genre de mission, décidément. Comme pour confirmer ses pensées, la cible se leva sans lui laisser le temps de réagir et débarrassa son plateau, disparaissant dans les méandres de l’école.
XXX
Deux heures plus tard, Ezéchiel dut faire face à l’énigmatique séance de « travaux pratiques ». Ces deux petits mots faisaient planer sur lui le mystère de l’inconnu. Qu’entendaient-ils exactement par « travaux pratiques » ? S’il s’en tenait à sa propre définition, cela pouvait signifier « entraînement au combat ». Mais à en juger par ce que lui avait dit le maître, il n’allait pas pouvoir participer. Il ne devait agresser personne.
Il s’avéra que les travaux pratiques étaient en réalité l’application des principes mêmes de la physique étudiés en classe le matin. Les élèves devaient procéder par binôme. Ezéchiel y vit là une occasion intéressante. Il attendit que la cible dépose ses affaires le long d’une paillasse, puis il réquisitionna d’autorité le deuxième tabouret à sa droite :
- Je me mets avec toi.
Une nouvelle fois, la cible sursauta :
- Je suis déjà avec Charlotte.
- Je me mets avec toi.
- Pourquoi avec moi ?
Ezéchiel la détailla longuement, fit appel à ce qu’il avait appris :
- Pour te connaître.
Elle soupira :
- Très bien. Tu te mets avec moi.
Elle commença alors à déballer ses affaires en silence et enfila sa blouse. Ezéchiel fit de même sans la quitter des yeux. M. Belfanso entra dans la salle et leur distribua à tous un questionnaire suivi d’un protocole explicatif. Ezéchiel trouva cette partie de l’après-midi parfaitement claire et limpide. Il suffisait de suivre les ordres. Il y avait un objectif à atteindre, net et précis. Quelques complications, mais tous les outils étaient là pour les surmonter. Sans avoir besoin de réfléchir, il rassembla tout une série d’ustensiles sur la paillasse, sous le regard de la cible qui l’observait d’un œil méfiant.
- Tu as déjà fait de la chimie ?
- Avant d’intégrer Henri IV…
- Tu étudiais avec des précepteurs à la maison, oui, je sais.
Elle s’était emparée d’une fiole et sa main tremblait dangereusement. Ezéchiel la lui prit doucement et commença à remplir le tube :
- Je sais faire de la chimie.
Elle le regarda faire, la méfiance quittant peu à peu ses traits. Le reste du protocole s’enchaîna de lui-même, et bientôt, Ezéchiel découvrit que selon les critères de l’éducation nationale, il était doué. Ce qui n’était pas le cas de la cible. Elle était maladroite, anxieuse face à tous ces petits ustensiles de verre sans qu’Ezéchiel ne comprenne pourquoi. Lui se retrouvait dans chacun des gestes qu’il avait à accomplir. Rapide, précis. Il n’hésitait pas, il ne voyait pas où était la difficulté.
Ils devaient ensuite répondre à une série de questions. Toutes se rapportaient au cours qu’ils avaient vu précédemment. Et là, Ezéchiel se demanda sincèrement où était l’intérêt. Pourquoi poser des questions sur des éléments que l’on venait d’expérimenter, dont on venait de constater les réactions et les effets ? Les réponses s’étaient données d’elle-même au fur et à mesure du protocole. Il répondit parce qu’il fallait bien répondre quelque chose, et constata que de son côté, la cible s’en sortait beaucoup mieux avec un stylo qu’avec un tube à essai.
A la fin du cours, elle leva sur lui un regard étrange, un peu triste, un peu coupable :
- Ça a été pour toi ? Je me rends compte que je ne t’ai pas beaucoup aidé.
- Je n’ai pas besoin d’aide.
- Ah. D’accord.
Elle fit un pas pour sortir de la rangée, mais Ezéchiel fit une chose qui le surprit lui-même :
- Attends !
Elle se retourna.
- Pourquoi est-ce que ça ne plait pas aux gens, quand je leur dis que je n’ai pas besoin d’aide ?
Elle le contempla quelques secondes, puis enfin, retrouva son sourire. Un sourire toujours amusé, un sourire indulgent.
- Tu ne serais pas un peu autiste, toi ?
Ezéchiel réfléchit bien à la question :
- Non.
- Tu as l’air complètement à l’Ouest.
Il regarda autour de lui :
- Je peux me décaler si tu veux.
- Mais non…
Même ses yeux souriaient. Son grain de beauté venait souligner la ligne de son visage.
- Je veux dire que tu t’y prends différemment avec les gens. Comme si c’était la toute première fois que tu te retrouves en société.
- Je n’ai pas l’habitude de ce genre de situation. Je suis le protocole, mais ça finit toujours par bloquer à un moment ou à un autre.
Elle tendit la main et lui pressa l’épaule :
- Ce n’est pas un protocole. Tu dis ce que tu penses et c’est très bien. Sois naturel, c’est tout. Et si les gens se méprennent, explique-leur.
- Pourquoi ?
- Pour qu’ils puissent te connaître.
- Mais je ne veux pas qu’ils me connaissent.
La cible hocha la tête, intriguée :
- Là tu vois, je n’arrive pas à te suivre…
Ezéchiel prit le temps de chercher ses mots. Il réfléchit à ses ordres, à ce qu’il avait le droit de dire ou non. Il ne pouvait pas révéler à cette fille qu’elle était l’objet de la mission d’un tueur à gage destinée à faire pression sur son père fournisseur de trafiquants d’armes.
- Les autres n’ont pas d’importance, dit-il enfin. C’est avec toi que le protocole… que la situation doit réussir.
Elle secoua la tête :
- Les autres sont très intéressants aussi tu sais.
Ezéchiel ne trouva rien à répondre. Il prit ses affaires, sortit de la salle, et suivit la cible jusqu’à l’arrêt de bus.
- Qu’est-ce que tu fais ?
- Je te suis.
- Ça je le vois bien. Arrête.
- Non. C’est l’hiver, il fait nuit. C’est dangereux pour une fille d’être seule.
La cible avait dit qu’Ezéchiel était franc. Mais il savait également mentir. D’ailleurs, ce n’était même pas un mensonge.
- Je rentre comme ça tous les soirs, je peux très bien…
- Raison de plus. Tu es facilement repérable. Crois-moi, j’en sais quelque chose.
Elle le regarda bizarrement, et il sut qu’il s’agissait là d’un détail qu’il n’aurait pas dû divulguer dans une conversation décente.
- Je reste avec toi, déclara-t-il néanmoins.
- Ecoute je… Je ne te connais pas, alors arrête de me suivre !
- Pourquoi ?
- Parce que je n’en ai pas envie !
Sur ce, le bus arriva, et Ezéchiel monta le premier :
- Si tu ne veux pas que je reste avec toi, tu vas devoir attendre le suivant.
Alors à sa plus grande stupéfaction, la cible tourna les talons et alla s’asseoir sous l’arrêt de bus.
- Le prochain est dans une demi-heure !
Mais il était trop tard. Les portes du véhicule se refermèrent. Ezéchiel tapa du poing sur la vitre, se rua sur le chauffeur :
- Ouvrez la porte ! Laissez-moi descendre !
Ses ordres retentirent aussitôt dans son esprit. « N’agresse personne ». Résigné, il fut donc obligé d’avoir recours à une méthode plus contraignante. Sous les cris des autres passagers, il saisit le marteau brise-glace, défonça la vitre, et se jeta sur la chaussée.
Il lui fallut dix bonnes minutes pour rejoindre l’arrêt de bus devant l’école, et la cible n’était plus là. Ezéchiel avait bluffé en affirmant qu’il n’y avait qu’un bus toutes les demi-heures. Il soupira, et puisqu’il n’avait pas d’autre choix, il rentra faire son rapport au maître.
XXX
Dans les semaines qui suivirent, Ezéchiel baigna dans une sorte de routine qui ne lui était pas familière. Les horaires étaient fixes, toujours les mêmes enseignements, les mêmes gens. Ses camarades le laissèrent très vite en paix. Il n’adressait la parole à personne, et ne répondait pas lorsqu’on lui parlait, sauf s’il s’agissait d’une question d’un professeur. Dans ce cas-là, il relevait brièvement les yeux vers le tableau, analysait le problème, et donnait une réponse invariablement correcte et concise. Aux examens écrits, il obtint des résultats surprenants. Ezéchiel n’avait pas menti lorsqu’il avait dit avoir étudié avec des précepteurs. Le niveau de cette école lui semblait d’une simplicité toute logique, enfantine.
Ezéchiel n’était pas apprécié et il le sentait, mais cela lui convenait parfaitement. Dans le langage lycéen, il était entré dans la catégorie « intello asocial ». Mais ce confortable statut s’était changé en « beau gosse sexy, mystérieux et réservé » lorsque la moitié de l’école avait assisté à son premier match de basket. Ezéchiel avait suivi un entraînement intensif depuis son plus jeune âge. Il était grand, fort, remarquablement bien bâti, endurant et précis. En clair, quel que soit le sport, il terrassait ses ennemis sans que son rythme cardiaque ne dépasse les 90 pulsations par minute.
Ezéchiel s’aperçut également que lui aussi correspondait aux canons masculins du moment. Il n’avait jamais accordé beaucoup d’attention à son apparence, mais histoire de faire court, il avait les cheveux noirs, désordonnés, « rebelles », d’après certaines jeunes filles. Le teint pâle, le visage pointu et fin, les yeux gris clair. Il avait remarqué que son regard avait tendance à mettre les gens mal à l’aise, surtout les membres de la gente féminine. Il avait même entendu l’une d’entre elles affirmer que « ses prunelles étaient comme deux billes de mercure en fusion qui faisaient fondre son cœur ». Il n’était pas sûr d’avoir compris le sens de la phrase, et n’avait pas cherché plus loin. Seules les paroles de la cible étaient importantes.
Sans lui laisser la possibilité de refuser, Ezéchiel était resté attaché à ses pas jour après jour. Il déposait toujours son plateau à côté du sien à la cantine, et il était son partenaire de TP. En revanche, il n’essaya plus de la raccompagner après l’école. Le maître lui avait dit que ce n’était pas nécessaire.
Sa présence ne semblait pas déranger la cible. Ezéchiel la trouvait d’une étonnante gentillesse. Personne n’avait jamais fait preuve d’autant de prévenance à son égard. Elle souriait tout le temps, elle avait toujours quelque chose à dire, à faire, à lui montrer, elle ne se lassait jamais. Ezéchiel se surprit à penser, un jour qu’il l’observait, qu’elle était comme un nectar de vie à l’état pur. Il avait conscience de ne pas être quelqu’un de facile. Il ne parlait pas beaucoup, il l’accompagnait tout le temps, mais ne révélait rien de lui-même. Et pourtant, c’était comme si elle comprenait. Elle faisait des efforts avec lui, alors qu’il n’avait rien fait pour les mériter.
Ezéchiel avait une mission et il s’y tenait, ses objectifs étaient clairs dans son esprit. Mais il trouvait cette opération intéressante. Pour la première fois de sa vie, il avait l’occasion d’étudier ses semblables. Le maître lui avait toujours interdit tout contact humain auparavant. Sans doute pour qu’il ne ressente aucune émotion. Aujourd’hui, Ezéchiel demeurait l’être implacable qu’il avait toujours été. Mais lorsqu’Eloïse lui souriait, il avait cette impression étrange, inconnue, qu’un rayon de Soleil dissipait l’abyme de son cœur.
XXX
Un jour, la cible apprit à Ezéchiel que l’individu blond qui préférait la poitrine de Joanna l’avait invitée à une soirée qu’il donnait chez lui. Ils étaient au beau milieu de la cantine. Ezéchiel se leva, marcha jusqu’à la table des mâles, et dit simplement :
- J’ai appris que tu faisais une soirée chez toi. Je peux venir ?
Le blond le fixa avec étonnement. Ses acolytes échangèrent entre eux des sourires amusés.
- Et bien oui, pourquoi pas ? Plus on est de fous, plus on rit. Et comme tu m’as déjà l’air bien arrangé…
Les individus mâles s’esclaffèrent joyeusement.
- Je ne comprends pas pourquoi vous riez.
Le blond leva les yeux sur lui :
- C’est bien ce que je dis. T’es cinglé.
Ezéchiel tourna les talons et se rassit en face de la cible.
- Qu’est-ce qui t’as pris ?
- Je suis invité moi aussi.
La cible haussa un sourcil :
- Evan t’a invité ?
- J’ai demandé, il a dit oui. C’est aussi simple que ça.
Ezéchiel jeta un coup d’œil vers les mâles qui le fixaient toujours sans cacher leur fou rire.
- Je crois qu’ils se moquent de moi.
- Oh, Ezéchiel.
Elle lui pressa doucement le poignet.
- Pourquoi tu as l’air désolée ?
- Evan est un peu idiot par moment, mais il… il n’est pas méchant.
Ezéchiel étudia le blond d’un œil attentif :
- C’est vrai que son quotient intellectuel me semble légèrement en-dessous de la normal. Mais ça ne t’empêche pas d’être attirée par lui.
- Ezéchiel ! Qu’est-ce qui te prend de dire ça ?
Pour la première fois, Ezéchiel vit le voile de la colère sur le visage de la cible. Ce fut comme si le Soleil avait volé en cendres. Il se sentit soudain froid, vide. Presque… effrayé.
- Je le lis dans tous les gestes de ton corps. Je n’y peux rien.
- Oui, et bien tu n’es pas censé dire ce genre de choses…
- Pourquoi ?
- Parce que ça me gêne, voilà pourquoi !
La cible se leva et le laissa seul à la table. Ezéchiel la regarda partir, puis la suivit jusqu’à la salle de classe. Une fois de plus, il ne comprenait pas.
XXX
Le soir venu, Ezéchiel se retrouva assis sur un canapé de cuir rembourré dans une pièce surchauffée, surchargée, avec de la musique tellement forte qu’il en ressentait les pulsations au creux de son ventre. Cela faisait un quart d’heure qu’il tentait de repousser une fille totalement ivre qui s’acharnait à vouloir s’asseoir sur ses genoux, en vain.
Il observait la cible de loin. Elle avait passé la soirée auprès du mâle blond, à essayer sans succès d’attirer son attention. Ezéchiel se demanda pourquoi elle s’acharnait. Il était clair qu’elle n’avait aucune chance. Il n’arrivait pas à comprendre les motivations qui l’animaient. Que ressentait-elle, pour accorder tant d’importance à un être qui ne le lui rendait pas du tout ? Qui ne le méritait pas du tout…
Ezéchiel se leva du canapé, préférant battre en retraite du côté des toilettes, seul endroit où la fille ivre morte n’oserait pas le suivre, du moins l’espérait-il. En retournant dans le couloir, quelques minutes plus tard, le blond était là, à discuter avec deux autres de ses congénères.
- Mec, t’as un ticket avec Eloïse. Pas mal.
- Ouais, elle passe. Mais je vise plus gros, si tu vois ce que je veux dire. Je te la laisserai peut-être.
- Ah, je suis preneur.
Ezéchiel traversa le couloir et s’arrêta au milieu des trois individus mâles.
- Tu n’as pas le droit de parler d’Eloïse comme ça.
- Nan mais attends, qu’est-ce qui lui arrive au cinglé ? Tu te la ferais bien toi, c’est ça ?
- Eloïse est toujours là quand tu en as besoin, et toi, tu te sers d’elle. Ça j’ai au moins réussi à le comprendre. Tu n’essayes même pas de lui cacher que tu n’en as rien à faire d’elle. Elle est gentille, elle est juste, avec tout le monde. Même avec toi, une espèce de ramassis d’imbécillité sans le moindre intérêt. Même avec moi, un … cinglé. Tu n’as pas le droit de parler d’elle comme ça, parce qu’elle est loin d’être idiote, et qu’elle mérite mieux qu’un sale pervers de ton espèce.
Sans réfléchir, Ezéchiel agrippa la chemise du blond et le plaqua de toutes ses forces contre le mur :
- Est-ce que je me suis bien fait comprendre ? Si tu la blesses, si tu lui manques de respect, si je vois son sourire disparaître à cause de toi… je vais t’agresser.
Il lut la peur dans les yeux de l’adolescent, et en ressentit une étrange pointe de plaisir sadique. Il le lâcha, le cœur battant un peu trop vite, incapable de comprendre ce qu’il venait de faire et pourquoi il avait réagi ainsi. Son regard tomba sur elle. La cible était à l’autre bout du couloir, et les observait. Depuis combien de temps était-elle là ?
Ezéchiel ressentit soudain un besoin viscéral, inexpliqué. Il traversa le couloir à toutes jambes et dépassa la cible.
- Ezéchiel…
Trop tard. Il avait déjà descendu l’escalier, et sortit se réfugier dans les ténèbres de la nuit.
XXX
Dans l’air frais du soir, Ezéchiel retrouva enfin la paix froide et sereine qui le caractérisait d’habitude. Cette émotion violente qu’il avait ressentie quittait ses veines. C’était de la colère. Ezéchiel connaissait, la colère. C’était l’émotion dont il se servait pour tuer. Une haine qu’il avait appris à faire jaillir et à canaliser. Une haine contre quoi exactement, il n’en savait rien. Il savait simplement qu’il en était rempli.
Ezéchiel ne ressentait pas grand-chose, il contemplait le monde qui l’entourait avec une profonde indifférence. Il était conscient que sa vie n’était pas normale. Il n’avait pas la prétention de savoir pourquoi. Son enfance s’était perdue, avalée par le gouffre de l’oubli, et d’aussi loin qu’il s’en souvenait, il avait toujours servi le maître. Il ne savait pas d’où il venait, et on lui avait enseigné à ne pas s’en préoccuper. Ne pas se poser de questions inutiles. Ezéchiel n’avait pas de passé, pas d’avenir. Il n’était qu’un pion que des gens plus importants que lui utilisaient pour manœuvrer dans le marécage du monde. Il obéissait aux ordres, il ne s’enfuyait pas, ne cherchait pas à comprendre quoi que ce soit. Tout simplement parce qu’il n’avait rien, rien à rechercher, rien à retrouver. Il n’avait nulle part où aller, aucun but, personne pour l’attendre. Il n’avait pas de maison.
Pour Ezéchiel, le bien et le mal avaient toujours été des concepts abstraits. Il fallait une certaine force pour regarder quelqu’un dans les yeux et le tuer sans que sa main ne tremble. Une certaine dureté. Ezéchiel avait cela en lui, et il savait que c’était « mal ». Que sa vie ne servait qu’à en détruire des dizaines d’autres, que le monde se porterait mieux sans lui. Il n’avait jamais eu de problèmes de conscience, pourtant. Il avait en lui cette force redoutable, qui le rendait capable de vivre avec le plus atroce des actes. Mais aujourd’hui, ce soir… c’était la première fois qu’il ressentait une telle colère, une telle haine, véritablement dirigée contre sa cible. Il haïssait ce garçon blond. Pour la première fois de sa vie, Ezéchiel avait eu envie de tuer. Et il savait que c’était dangereux, parce qu’il en était capable.
Ce soir-là, Ezéchiel comprit également autre chose. Il prit conscience de ce qu’il était. Un monstre dépourvu de conscience. Un monstre qui tuait sans la moindre pitié. Alors, si Evan n’était pas digne d’Eloïse… Ezéchiel comprit ce soir-là qu’il ne la méritait pas non plus.
Son téléphone se mit à vibrer dans sa poche. Un message. « 22 rue Saint-Donatien, l’homme à la queue de cheval, tatouage en forme de croix sur le bras gauche ».
Ezéchiel referma le clapet d’un coup sec. Voilà qui allait lui changer les idées. Sa volonté glacée était de retour. Sans prévenir personne, il s’engouffra dans les méandres des ruelles, et rejoignit l’adresse indiquée une vingtaine de minutes plus tard. Le 22, c’était la terrasse d’un café. C’était vendredi soir, il était tard, il y avait du monde. Un homme d’une quarantaine d’années, corpulent, avec une épaisse queue de cheval graisseuse, discutait avec un individu tout aussi peu recommandable en face d’un pichet de bière.
Ezéchiel ne prévint pas, ne réfléchit même pas. Il s’avança jusqu’à la table, s’empara de la chope en verre et l’abattit de toutes ses forces sur le crâne de l’homme. Des cris retentirent autour de lui, les gens s’écartèrent précipitamment, remontèrent la rue en courant, d’autres saisirent leur téléphone pour appeler la police. Le compagnon de l’homme à la queue de cheval ne demanda pas son reste et s’enfuit. Ezéchiel, lui, se retrouvait enfin dans son élément. Mais pour la première fois, il avait la sensation d’être le Mal absolu. Il abattit son poing sur la mâchoire de l’homme, encore et encore, jusqu’à ce qu’il s’effondre sur le sol. Alors, il le roua de coups de pied, au visage, à l’abdomen, à tel point qu’il pouvait entendre les os s’écraser sous l’impact. Ses poings lui faisaient mal, ses poings saignaient, le visage de l’homme n’était plus qu’une bouillie informe d’où ne s’échappait plus le moindre gémissement. Ezéchiel poussa un cri de rage et balança le corps sur la chaussée. Il disparut dans l’entrelacs des ruelles obscures. Il n’avait été qu’une ombre dans la nuit, une ombre barbare, sanglante, et mortelle.
XXX
Ezéchiel refit le chemin en sens inverse, sans même s’en rendre compte. Il arriva devant la maison d’Evan sans comprendre ce qu’il lui était arrivé. Eloïse était au milieu de la rue, il vit à son expression qu’elle le cherchait.
- Ezéchiel ! Mon Dieu, qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Il jeta un coup d’œil à ses poings écorchés, au sang qui maculait ses vêtements.
- Je me suis battu.
- Battu ? Avec qui ?
- J’en sais rien.
Elle prit ses mains entre les siennes pour les examiner, mais il fit un pas en arrière. Il ne voulait pas la voir. Pas comme ça.
- Je suis désolé Eloïse, je ne peux pas… Je pars.
- Quoi ? Non ! Attends !
Il ne l’écouta pas. Ezéchiel repartit en courant, et se souvint au milieu du chemin qu’il n’avait pas de maison. Il s’arrêta sous la voûte étoilé, totalement perdu alors qu’il pensait se sentir apaisé. Toutes ses certitudes s’écroulaient, il ne savait plus rien.
XXX
- Tu as très bien mené ta mission, Ezéchiel. Tu devrais en être libéré d’ici demain, je pense.
- Comment ça ?
- Nous avons un coup décisif demain. Si Bishop nous est loyal, tout se passera bien. S’il désobéit à nos ordres et n’apporte pas le matériel à temps… tu sais ce que tu auras à faire.
- Oui, monsieur.
XXX
Ezéchiel posa son plateau à la première table qu’il vit ce jour-là. Il ne chercha pas la cible des yeux, espéra seulement se fondre dans la masse comme il l’avait toujours fait, avec plus ou moins de succès. Ce fut elle qui posa son plateau en face de lui.
- Salut.
Il leva les yeux sur elle, mais ne répondit pas. Elle s’assit pourtant, sans cesser de l’observer.
- Comment vont tes mains ? Tu ne les as même pas bandées.
- Elles vont bien. Elles ont déjà plus souffert que ça.
- Tout ce sang, tu avais l’air…
- Ce n’était pas le mien.
La cible baissa les yeux. Ezéchiel se rendit compte que pour une fois, elle avait compris ce qu’il ressentait. Elle avait compris qu’il ne voulait pas en parler.
- Je voulais te remercier. Pour ce que tu as dit hier soir. Je…
- Je t’en prie.
- Non, laisse-moi finir.
Ezéchiel la regarda dans les yeux, détaillant son hésitation, ses sentiments. Que pouvait-elle bien ressentir à cet instant ? Pourquoi est-ce qu’elle le remerciait d’avoir insulté celui qui l’intéressait ?
- Tu m’as ouvert les yeux. Evan est un sombre idiot, il … Il ne m’a jamais accordé la moindre importance. Je crois qu’une part de moi le savait, mais… Je ne voulais pas l’accepter. Il suffisait qu’il me sourit, et j’avais tout oublié… J’arrêtais de penser.
- Et tu penses, aujourd’hui ?
Son visage s’éclaira de ce sourire qui l’avait intrigué, à la première seconde :
- Oui. Grâce à toi. Je te remercie. Je ne savais pas que tu avais… une telle foi en moi. Je ne suis pas aussi parfaite que tu l’as dit.
- Si tu étais parfaite, tu ne te serais pas intéressée à un crétin comme lui.
Il pensait qu’elle s’offusquerait, mais elle éclata de rire. Décidément, ce petit Soleil le surprendrait toujours.
- C’est vrai. Tu as raison.
Elle posa sa main sur la sienne :
- Tu n’es pas un cinglé, Ezéchiel.
Il ne répondit rien. Il sentit qu’il ne devait rien répondre. Les paroles de la cible lui semblaient étranges, dangereuses. Elles ressemblaient à ce qu’il avait dit sur elle lorsqu’il avait menacé Evan. C’étaient des paroles…sentimentales.
- Tu te mets toujours avec moi d’habitude…
La cible était nerveuse, pour une raison qu’il n’identifiait pas. Etait-ce à cause de sa main sur la sienne ?
- J’ai cru comprendre que je te dérangeais.
- Non ! Bien sûr que non !
Son visage prit un air peiné :
- Je suis vraiment désolée.
- Ce n’est pas grave. Je n’ai plus l’intention de te déranger, de toute façon.
Cette remarque la fit taire pendant plusieurs secondes.
- Quoi ?
- Je te connais assez maintenant. Je peux arrêter.
- Quoi ? Je…
Elle fronça les sourcils, et perdit définitivement son sourire :
- Non ! Comment ça tu me connais assez ? Tu ne sais encore rien de moi, rien du tout !
- Alors disons que je ne veux plus rien apprendre.
- Pourquoi ? Est-ce que c’est à cause d’Evan ?
- Non.
- Alors pourquoi ?
Ezéchiel la regarda longuement.
- J’en sais assez, c’est tout.
La cible plaqua ses mains contre la table, et il vit des larmes perler au coin de ses yeux verts. L’une d’elle roula le long de sa joue, accrocha la lumière sur son grain de beauté.
- Est-ce que tu sais ce que ça fait de glisser tes doigts entre les miens ? De sentir mon odeur, la texture de ma peau ? Mes cheveux… Mes lèvres… Est-ce que tu sais tout ça ?
Ezéchiel ne se posa plus de question. Il comprit instantanément quelle émotion Eloïse ressentait. Il comprit l’écho que cela entraînait dans sa poitrine. Il regarda cette jeune fille, sa cible, Eloïse. Il prit sa décision, et il dit simplement :
- Je ne m’appelle pas Ezéchiel Jones. En fait je ne connais pas mon véritable nom. Je n’ai pas de famille, je ne sais pas d’où je viens. J’ai été élevé par un homme qui se fait appeler mon maître et qui dirige de manière illégale un important trafic d’armes jusqu’en Europe de l’Est. Cet homme se sert de moi comme tueur à gage. Il m’a entraîné depuis mon enfance, et je tue ses ennemis pour lui. Ton père est le fabriquant qui lui fournit ses stocks d’armes. Pour s’assurer de sa loyauté, mon maître m’a demandé de te suivre partout où tu allais. Si ton père fait mine de lui désobéir, j’avais pour ordre de te tuer.
Ezéchiel se leva et quitta la cantine, sans laisser à Eloïse le temps de réagir.
XXX
Il s’était réfugié à l’arrière de l’école. Là où personne ne viendrait le chercher. Les cours avaient repris à présent, c’était la première fois qu’il séchait. Une chose aussi simple, aussi anodine…
Il gardait la main crispée sur son téléphone. L’objet diabolique qui délivrerait bientôt son verdict. Le maître avait dit que l’opération était prévue pour 15 heures. Il avait exigé la présence de Bishop lors de la transaction. Si les armes n’étaient pas là, Ezéchiel recevrait un coup de fil…
- Ezéchiel ?
Il tourna la tête. Il aurait dû s’enfuir tant qu’il en était encore temps. Parce qu’elle était là, encore. Celle qu’il risquait de devoir tuer.
- Ezéchiel, je ne suis pas sûre que tu ailles très bien…
- Eloïse, tu aurais dû rester à l’intérieur !
- Pourquoi tu as dit toutes ces choses, tout à l’heure ?
- Tu ne me crois pas, c’est ça ?
- Mais enfin, comment tu veux que…
A cet instant-là, le téléphone sonna.
Ezéchiel décrocha instinctivement, automatiquement.
- Ezéchiel. C’est moi. Je suis avec monsieur Bishop. Et toi, tu as la fille sous la main ?
Il jeta un œil à Eloïse qui l’observait, en suspens.
- Oui.
- Très bien. Amène-là, qu’elle dise un petit mot à son père.
Ezéchiel soupira. Il tendit le téléphone à la cible :
- Tiens. Parle à ton père.
- Mon père ?
- Prends le téléphone, s’il te plait.
Elle prit le portable, du bout des doigts.
- Allô ?
- Eloïse ! Mon Dieu ma chérie !
- Papa ?
- Est-ce que tout va bien ? Il ne t’a pas fait de mal ?
- Ezéchiel ? Mais…
- Eloigne-toi de lui, Eloïse ! Ne le laisse pas s’approcher de toi, cours !
Ezéchiel récupéra le téléphone. Il distinguait les voix des deux hommes à l’autre bout du fil. A côté de lui, Eloïse le regardait sans comprendre :
- Ezéchiel… Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Très bien M. Bishop, fit la voix du maître. Maintenant que vous savez que votre fille est entre de bonnes mains… où sont les armes ?
Ezéchiel entendit des sanglots de l’autre côté de la ligne.
- Je… je ne les ai pas.
- Où sont les armes, M. Bishop ?
- Je suis désolé, je… Vous ne pouvez plus m’obliger à faire ça ! Trouvez quelqu’un d’autre ! Je ne vous dénoncerai pas, je vous le jure ! Ne faites pas de mal à ma fille, elle n’a rien à voir avec tout ça !
- Ezéchiel. Tues-là.
- Oui.
Ezéchiel garda le téléphone dans une main. De l’autre, il sortit un petit revolver qu’il conservait en permanence, sous sa chemise. Eloïse se pétrifia, ouvrit la bouche pour hurler. Il la plaqua contre le mur, posa la main qui tenait le téléphone contre ses lèvres et tira. Le bruit se répercuta dans toute l’école, dans les rues alentour. Il sentit la jeune fille trembler sous ses doigts. Ses yeux verts, écarquillés par la terreur, ne le lâchaient pas. Très doucement, il lui fit signe de se taire. Il obstrua le micro du téléphone :
- Tu me crois maintenant ?
Elle ne répondit pas. Elle était en état de choc, il le voyait bien. Et pour une fois, il la comprenait. L’impact de la balle avait creusé un large trou dans le mur derrière elle. Il porta à nouveau le téléphone à son oreille :
- Elle est morte.
A l’autre bout du fil, Bishop poussa un cri déchirant.
- Très bien, Ezéchiel. Rentre à la maison. Il est temps de s’occuper du père à présent. Et ramène-nous un petit souvenir, tant que tu y es.
- Très bien.
Ezéchiel raccrocha. Eloïse se laissa glisser le long du mur, des larmes de panique débordant de ses yeux. Il rangea l’arme et le portable dans ses poches, passa un bras sous ses épaules et l’aida à se relever :
- Viens Eloïse. Faut pas rester là.
Elle l’arrêta :
- Ezéchiel, tu… Le sang qu’il y avait sur toi, hier soir…
- Je ne t’ai pas menti, Eloïse. Pas une fois.
- Mais tu… Je n’arrive pas à croire que je vais dire ça… Depuis tout ce temps, tu devais me tuer ?
Ezéchiel baissa les yeux. Il ressentait des dizaines d’émotions contradictoires en même temps et ne savait pas comment faire le tri. Le plus important pour l’instant, c’était l’urgence. Il lui pressa doucement l’épaule, comme elle l’avait fait le jour où il l’avait rencontrée :
- Je sais. Je suis désolé.
Elle aussi devait être totalement perdue. Mais il lut dans ses yeux qu’elle avait compris à quel point, pour, lui, ces paroles étaient vraies et profondes.
- Allons-y maintenant. Il faut aider ton père, d’accord ?
- Oui…
- Aies confiance.
Il ne l’avait pas, cette confiance, et il le savait. Il ne la méritait pas non plus. Néanmoins, il la prit par la main et l’entraîna dans le premier bus qui s’arrêta sur leur chemin.
XXX
- Ah, Ezéchiel. Enfin.
Le maître était là, debout au milieu de la pièce, M. Bishop effondré sur le sol. Ezéchiel entra. Derrière lui, il y avait Eloïse.
- Eloïse ! Ma chérie tu es vivante !
- Papa !
Elle traversa la pièce et se jeta au chevet de son père, sous les yeux médusés du maître.
- Qu’est-ce que ça veut dire ? Je croyais t’avoir dit de la tuer ?
- C’est vrai, monsieur. J’ai désobéi.
- Quoi ? Comment ça désobéi ?
- Je suis désolé, monsieur.
Et Ezéchiel pointa son arme sur le maître. Derrière lui, Eloïse plaqua ses mains sur ses lèvres.
- Ezéchiel ! Mais qu’est-ce qui te prend ? Est-ce que tu te rends compte de ce que tu fais ?
- Je crois que j’ai conscience de ce que je fais pour la première fois de ma vie.
En face de lui, le visage du maître se décomposa. Ezéchiel pouvait presque lire ses pensées à mesure qu’elles naissaient dans son esprit. Son arme mortelle venait de se retourner contre lui.
- Ezéchiel… Prends le temps de réfléchir une seconde… Tu ne vas pas tirer sur ton propre père ?
- Vous n’êtes rien d’autre que le maître.
- Non, Ezéchiel… Je suis bien ton père, je t’assure. Ton vrai père.
Ezéchiel inclina la tête et détailla chacun de ses traits, pendant de longues secondes. L’espoir refit surface sur le visage du maître, qui fit un pas en avant. Ezéchiel releva le cran du revolver :
- Vous m’avez appris à ne pas me préoccuper de ce genre de choses.
Et il tira. Eloïse le regarda faire tandis qu’il tuait son père de sang-froid. Il sut à cet instant qu’il venait de la marquer à jamais. Et il se détesta pour cela.
Le maître s’effondra sur le sol dans un gargouillis étranglé. Et Ezéchiel se sentit libre.
XXX
Dans les minutes qui suivirent, il s’affaira dans les affaires du maître. Il força le coffre-fort et récupéra tout l’argent qu’il contenait. Il n’avait plus besoin de réfléchir à quoi que ce soit. Et il n’osait surtout pas regarder Eloïse.
Elle se tenait crispée à son père, comme une enfant perdue au beau milieu d’un orage. M. Bishop, lui, ne pouvait détacher son regard du cadavre du maître.
- Vous nous avez sauvé la vie…, murmura-t-il finalement. Je ne comprends rien…
Ezéchiel rassembla l’argent dans un sac et vint s’agenouiller en face d’Eloïse. Il n’esquissa pas un geste pour la toucher, il savait qu’elle le repousserait.
- Je suis vraiment désolé.
Cela restait son unique moyen d’exprimer ce qu’il ressentait. Il le lui dit les yeux à travers les siens, en espérant qu’un jour, elle serait capable de repenser à ce qu’il s’était passé, et qu’elle comprendrait.
- M. Bishop. Vous devez partir. Vous voulez reprendre une vie honnête et c’est tout à votre honneur, mais ces gens-là ne vous laisseront pas faire. Partez-loin, et ne revenez jamais, vous entendez ? Ne revenez jamais. Protégez-là.
Ezéchiel se leva, fit demi-tour pour sortir.
- Merci…
Il hocha la tête. Eloïse, elle, ne dit rien. Ezéchiel comprit. Il disparut.
XXX
Après ces sombres évènements, Eloïse et son père s’envolèrent pour les Etats-Unis sans prévenir quiconque. Là-bas, ils se bâtirent une nouvelle vie. Avec du temps et de la patience, Eloïse finit par comprendre ce qu’il s’était passé ce jour-là. Elle redevint la lycéenne ordinaire et souriante qu’elle avait toujours été avant de rencontrer Ezéchiel. Mais il l’avait changée, de bien des façons. C’était comme s’il avait laissé une petite part de lui-même en elle. Ce mélange de naïveté, de franchise, et de dureté. Il ne pouvait pas quitter son esprit. Elle était persuadée que d’une façon ou d’une autre, Ezéchiel était toujours là, dans l’ombre sans qu’elle le voit, et qu’il veillait sur elle. Et même si leurs destins semblaient bien différents, elle espérait qu’un jour, il aurait de nouveau envie de la connaître.
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Et voilà, j'espère que ça vous a plu !
Je tiens également à vous dire que si vous aimez ce que je fais, mon premier roman papier, Ezéchiel, est paru aux éditions Edelweiss le 27 janvier 2021 !
C'est un roman psychologique qui parle de la frontière entre le rêve et la réalité, et de la façon dont notre subconscient peut nous manipuler. Avec une jolie romance en prime ! ;D
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Nat'
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