Marie regarda avec pitié la silhouette allongée dans le lit. L'homme semblait endormi, mais son état était proche de l'inconcience. La police le leur avait confié trois heures auparavant. Il n'avaient pas eu besoin d'expertise médicale pour comprendre qu'il avait un problème.
Fetnat, son collègue à la peau d'ébène et sujet principal de conversation dans les vestiaires des femmes, l'avait aidé à le mettre au lit en attendant qu'un psy se libère, et Marie était restée à ses côtés tout ce temps. Il s'était endormi, tout tremblant, en position foetale, une jambe au dessus des draps.
Après quinze ans passés comme infirmière en hopital psychiatrique, Marie en avait vu de belles. Les poignets bandés, les hurlements nocturnes, et les crises de fureur inexpliquées étaient son lot quotidien. Aucun des patients qu'elle avait suivi et assisté ne l'avait jamais émue comme celui là.
Il n'avait pas de papiers sur lui, et il ne parlait pas. Fetnat, en bon amateur de polars américains, l'avait surnommé John Doe.
John Doe n'avait rien voulu dire au psy, quand celui-ci était venu lui rendre visite. Il n'avait fait que dessiner; d'abord la tête d'un chat, à la façon dont les dessinnent les enfants, puis un ours en peluche, qu'il avait frappé plusieurs fois de la pointe de son crayon de couleur, jusqu'à ce que Marie lui cède une de ses peluches personnelles qu'elle gardait dans son casier, un ours d'un rose bonbon qu'il serrait à présent dans ses bras.
Le pantalon qu'il portait quand le brigadier l'avait amené était pendu à une patère dans un coin de la chambre. Il était couvert de terre séchée, comme s'il était tombé à plusieurs reprises dans une flaque de boue. Les flics avaient dit qu'étant donné son état de fatigue, il avait dû courir pendant plusieurs heures avant d'être découvert, à moitié nu galopant sur la départementale.
De longs poils de chat gris étaient collés sur le jean au niveau du mollet, comme si l'animal s'était frotté contre ses jambes. Il y en avait aussi une certaine quantité au niveau des cuisses, qui avaient dû y être déposés alors que le chat était roulé en boule sur ses genoux. Cela expliquait le dessin. Le pauvre homme devait beaucoup tenir à son compagnon.
Elle fouilla dans la poche avant et en tira un bout de papier chiffonné. Dessus, un message manuscrit : "Séance dédicace le 18/06 à l'espace culturel Clermont, avec Florimont. RDV 10h au café d'en face."
Marie regarda sa montre à cadran. On était le 17 juin, et demain, elle n'était pas de service. Parfait ! Elle avait rendez-vous avec un certain Florimont.
Un gémissement parvint de la chambre d'à côté. Le cri était lugubre, presque... fantomatique. John Doe se leva d'un bond et se mit à pleurnicher. Elle s'assit sur le lit à côté de lui et le serra dans les bras, maternelle. Les larmes de John Doe percèrent sa blouse et mouillèrent son épaule. "Allons, allons, mon grand, ce n'est que Paul, c'est ton voisin. Tu n'as rien à craindre, rien du tout..."
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