Une petite histoire basée sur l’univers des « Âmes Croisées »
De Pierre Bottero
Il regardait la ville cendre du haut de son bel étalon noir. Les rues étaient bondées de monde mais tous s’écartaient fébrilement sur son passage, n’osant lever les yeux pour le regarder. Il était craint et il l’appréciait. Il n’éprouvait que du mépris pour les Cendres ; pour cette petite vermine crasseuse et repoussante, habillée de lambeaux tâchés à l’odeur suspecte… Non, il ne pouvait ressentir de pitié pour ces malsaines créatures, il ne faisait pas parti de leur monde et heureusement. Lui était un Perle. Il faisait partie de l’élite, des un millièmes de la population des Sept Royaumes qui possédait le Pouvoir, les Pouvoirs…
Il talonna sa monture au pelage soyeux et partit au galop, fendant la foule qui se piétinait pour ne pas rester sur son passage comme autant de petites fourmis se dispersant en désordre lorsque l’on pose le doigt sur leur file infinie. Il en aurait ri ; il ne faisait jamais attention à ce qui se passait devant Lui, ça ne servait à rien.
Mais cette fois fut différente.
Soudain, un enfant apparu sur son chemin.
Il le vit s’arrêter,
Les yeux arrondis par la surprise et la peur ;
Le temps ralentit.
Il vit le petit garçon approcher
De plus en plus…
Brusquement Il tira sur les rênes, le cheval se cabra et hennit, Lui perdit l’équilibre et tomba à terre. Autour il y eut des cris suivis d’une vague de murmures effrayés. Il resta un moment au sol, hébété, puis des mains le soulevèrent avec respect et servitude. Sa tête bourdonnait furieusement.
- Vous allez bien Monseigneur ?
Deux gardes L’entouraient, tandis qu’un troisième tentait de calmer son destrier. Il se frotta la le front alors qu’une rage sans nom naissait en Lui. Le petit garçon était recroquevillé sur les pierres froides, il tremblait. Il se posta face au gamin.
- Relève-toi, dit-Il sèchement.
L’enfant sursauta en sanglotant.
- Debout ! Hurla-t-Il.
Sa voix résonna dans le silence tendu qui s’était installé dans la rue.
L’enfant se leva, les yeux rivés au sol, le visage en larmes, du sang coulant de son nez et de ses lèvres, se mêlant à la crasse qui barbouillait ses joues pâles. Il était sale, les cheveux en bataille, les vêtements déchirés, les pieds nus et couverts de boue, Il retroussa les narines de dégoût.
- Gardes ! Héla-t-Il.
- Oui Monseigneur ?
- Avez-vous un…fouet ?
- …
- Et bien ?
- Euh, oui Monseigneur, mais…
- Donnez-lui dix coups de fouet, ordonna-t-Il froidement.
Un terrible frisson parcourut l’assemblée des Cendres rassemblés autour de la scène.
- Mais Monsieur, ce n’est qu’un enfant, risqua le garde.
- Vous contredites mes ordres soldats !? Peut-être préférez-vous prendre sa place ? Tonna-t-Il.
- Non Monsieur, à vos ordres. Apportez un fouet vous autres !
Un des gardes prit un court fouet de cuir composé de plusieurs lanières pendu à sa ceinture, il en testa la flexibilité. Pendant ce temps les deux autres avaient attrapé le petit garçon, trop terrifié pour tenter de fuir, à moins qu’il ne comprît pas ce qui allait lui arriver. Il respirait par saccades, le corps frêles et tremblant, les yeux embués. On arracha sa chemise trouée, laissant son dos nu. A ce moment il se réveilla, cria, essaya en vain de s’échapper mais les gardes l’empoignaient fermement sous les bras et calaient ses jambes écartées afin qu’il ne bougeât pas.
Le fouet claqua. Les lanières ne formaient qu’un seul son, sec et violent.
L’enfant poussa un hurlement déchirant, surréaliste venant d’une si petite gorge.
Le fouet claqua.
L’enfant cria de nouveau. Supplia qu’on arrête ces souffrances.
Le fouet claqua.
L’enfant gémit, pleura des excuses dont il ne percevait pas le sens.
Le fouet claqua.
Une femme étouffa ses sanglots.
Le fouet claqua.
Au loin, un bébé enveloppa la scène de ses vagissements stridents.
Le fouet fendit l’air
Mais il ne s’abattit pas sur sa cible.
Une jeune fille était sortie de la foule et s’était jetée sur le petit garçon, entraînant les gardes, surpris, avec elle. Ils tombèrent tous ensemble, la fille recevant le coup près de la nuque. Les badauds reculèrent d’un pas, craignant les représailles. La jeune fille tenait tendrement le garçon dont le sang coulait sur ses bras et imbibait sa robe claire. Les soldats le lui arrachèrent et le troisième La retint par les cheveux vigoureusement. Le garçon était à la limite de l’inconscience.
- Non arrêtez je vous en supplie, cria-t-Elle. Ce n’est qu’un enfant.
- Il n’a que ce qu’il mérite, répliqua-t-Il.
Elle leva la tête vers Lui.
Il était assez grand, les cheveux noirs tombant élégamment sur ses épaules, quelques mèches ébouriffées à cause de sa chute Lui donnaient un air encore plus dur et terrifiant, presque sauvage. Il était vêtu d’habits simples mais de belle facture ; son visage, séduisant, parfaitement sculpté ne rendait qu’un masque impassible et sévère. Mais seul son regard La frappa réellement, Ses yeux gris étaient glacials et remplis de colère, il n’y avait aucune pitié dans ces prunelles, aucun regret, que de la haine et de la suffisance…
- Je vous en pris, supplia-t-Elle, des larmes translucides coulant sur ses joues blanches comme le marbre. Laissez-moi prendre sa place sinon…
Il L’observa, étonné ; elle devait avoir à peine seize ans.
- Très bien, si c’est ce que tu désires, souffrir à sa place. Tu auras donc les cinq coups qui lui restent, plus dix pour me faire perdre encore plus mon temps, lâcha-t-Il avec mépris.
La jeune cendre pâlit d’avantage mais ne dit rien.
Les soldats l’amenèrent devant Lui après avoir laissé le garçon sur les pavés, puis ils coupèrent les lacets qui attachaient sa robe, découvrant ses épaules d’albâtre.
Le fouet claqua.
Elle eut un violent soubresaut mais ne cria pas.
Le fouet claqua.
Un filet de sang s’échappa de sa lèvre inférieure.
Le fouet claqua.
Un gémissement jaillit de sa gorge.
Le fouet claqua.
Elle hurla à la mort. Son cri insupportable n’exprimant que douleur.
Au dixième coup elle tomba à genoux.
Le fouet claqua.
Elle releva la tête, Il fut surpris par l’expression de son visage, nulle haine, nul mépris, seulement de la douleur, du chagrin, de la peur. Mais pas uniquement… quelque chose de plus, quelque chose de profond qui lui enserra le cœur.
Le fouet claqua, une quinzième fois. Le soldat leva le bras pour un nouveau coup.
- Cela suffit ! Cria-t-Il.
Ils laissèrent tomber la jeune fille qui s’effondra à terre, le dos en charpie, du sang s’écoulant des plaies, la peau découpée en lambeaux pendant mollement sur elle.
Il passa près de la sacrifiée, lentement. Elle respirait ave difficulté, le corps couvert de sueur et de sang, collant ses cheveux dorés sur les plaies.
Il monta en selle et partit sans un regard alentours, les gens s’écartèrent précipitamment sur son passage.
Les gardes dispersèrent la foule, laissant deux corps inertes sur le sol
Le petit garçon avait fermé les yeux.
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