Bonjour Lectrices,
Ceci est une ori, mais promis, vraiment pas longue. Je l'avais écrit l'an passé, elle traînait... Je partage!
Profitez,
Masamiya
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Quand on a appris que le régulateur était arrivé dans le Val, j’ai été un des rares habitants à ne pas m’inquiéter. Nul ne savait encore qui l’avait envoyé, ni quelle affaire il était venu régler. La conscience des Valois travaillait dur : qui pensait à ses infidélités, qui à ses dettes ; certains regardaient, l’œil inquiet, des bibelots volés paraissant si visibles à présent sur leurs étagères. Tout finit par se savoir dans les petits villages.
J’ai regardé la nervosité grandir autour de moi. Jusque dans le café du vieux Samie, où normalement les villageois pouvaient toujours trouver de l’insouciance dans un bon demi ou dans la noirceur des recoins de la pièce. Mais ce jour-là, même les poutres du café étaient gonflées par l’angoisse. Les paumes moites faisaient glisser les verres crasseux dans nos mains pendant que le Samie trafiquait son cahier de comptes pour cacher l’argent qu’il détourne depuis dix ans sur les doses de pastis.
Je voyais autour de moi les gens fouiller dans leur mémoire avec inquiétude, lister sur des feuilles entières les raisons pour lesquelles ils pourraient avoir affaire au nouveau venu. Moi, je n’avais rien à me reprocher, alors je me divertissais à chercher pour qui le Régulateur était là, et c’était pas une mince affaire : chaque Valois me répétait plus où moins la même chose.
« J’suis foutu, c’est moi qu’il cherche. Si il me trouve, je sais pas ce qu’il va me faire… Qui exactement sait comment ces gars-là agissent ? ».
La panique dans chaque foyer. Le garde-champêtre assailli par les citoyens voulant savoir si leurs actes avaient bien été conformes à la loi, sous les yeux hostiles et jaloux du curé qui avait attendu en vain leurs confessions chaque dimanche.
J’ai passé la soirée à comparer les angoisses de mes concitoyens, à chercher celui qui mettrait le plus d’ardeur à camoufler ses combines, avant d’avoir une idée. Pour connaître celui qui était la cible du Régulateur, fallait trouver l’employeur. Je voyais bien la femme de Joe lui en coller un sur le dos, parce qu’il faut avouer que le Joe, il a plutôt le poing leste quand il a bu, et qu’il fait tourner le commerce de Samie à lui tout seul, aussi. Mais je trouvais que la régulière du Joe avait pas l’air tranquille non plus, à la voir planquer la télé qu’elle avait pas déclarée aux impôts. Ca pouvait pas être elle.
C’est Samie qui a noté que j’étais quand même plutôt calme pour un gars censé être dans le même bateau qu’eux ; pt’être bien que c’était moi qui avais envoyé le Suppôt de la Loi, après tout. Et, tranquillement, il est retourné à ses chiffres, sans voir que tous les regards se plantaient sur moi et que le Joe serrait son verre en lorgnant mon cou.
Deux jours plus tard, on était déjà tous divisés. Le bar de Samie était déserté par la plupart des Valois sans Winchester. Le Régulateur commençait à venir boire son verre au fond de la salle, il s’installait parmi nous lentement, son regard mouvant s’attardant sur tous, et sur tout. Il en imposait pas mal, avec son costume neuf, qu’il réussissait à conserver propre, y compris après être allé au café dont on n’avait pourtant pas fait le ménage annuel. Personne n’osait aller lui parler, mais on se vantait beaucoup de l’avoir fait ; c’est à ce moment-là que des rumeurs ont commencé à se propager au sujet de sa venue.
Une histoire de femme convoitée par un homme qui ne devrait pas, certains disaient. Toutes les jeunes Valoises se sont mises en jupe, rougissant au passage de ces messieurs. Cuisses au vent, viande au soleil- Sans s’avarier !, s’émerveillait le boucher. Puis la population s’est emballée à propos d’une histoire crapuleuse entre le curé aigri par les ans et le fils d’un notable qui avait toujours le corps couvert de bleus (mais je n’y ai jamais cru, je savais bien que le sale gosse se blessait en faisant des batailles de clémentines devant chez l’épicier. Je l’ai vu !).
Mais les rumeurs n’ont pas eu le temps de s’épaissir. Devant tous les piliers du bar, le Régulateur a abordé le Mulot. Il lui a donné jusqu’au lendemain ; rendez-vous même lieu, même heure, pour régler ses comptes. On en revenait pas. Le mulot ! Un type si discret, un amateur de saucisson qui plus est, un bon client du tripot, enfin un type bien ! Transporté d’un seul coup dans un mauvais scénario de western, il en a pâli comme un pastis qui se fait trop délayer, puis il a rougi, parce qu’il avait trébuché en se précipitant un peu trop de partir.
On a vite aidé le Samie à ôter les miroirs, verres et autres victimes principales des règlements de comptes, sur les conseils avisés d’une BD de Lucky Luke. Le tout en plaignant de bon cœur le Mulot, franchement soulagés d’être restés assez discrets pour échapper au regard de la Justice. Les gars ont bien tenté quelques bravades, prétendant n’avoir jamais eu peur, mais personne n’était dupe : le chat noir de Joe avait pas été nourri depuis trois jours et tous les chevaux de la ferme d’à côté avaient été déferrés par des voleurs une nuit de grande panique.
D’ailleurs personne n’a poussé la bravoure jusqu’à soutenir le Mulot, le lendemain ; y’avait que le Samie, et moi, pour l’aider à replacer ses bibelots après le grabuge. Le gamin buvait coup sur coup au fond de la salle, on lui avait laissé la bouteille pour qu’il s’embête pas à revenir au comptoir qu’on faisait semblant de décrasser d’un coup de chiffon en guettant du coin de l’œil si le Régulateur arrivait pas, et sur le cou de trois heures, où un peu plus, on sait jamais avec l’horloge qui est un peu déréglée, il est arrivé.
Sans un regard pour nous, qui avions de toute manière baissé les nôtres, il a rejoint Celui Qui Devait Régler Ses Comptes. Nous, on suait à grande eau, pour pas grand-chose d’ailleurs, on a été très déçus ; en cinq minutes c’était fini, et le Régulateur est parti, son chèque signé à la main. |