Huit ans
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Je me rappelle encore de l’expression de son visage quand on me l’a pris brusquement, c’était un mélange de surprise, de peur et d’horreur. Je me rappelle encore de la façon dont elle était habillée ce jour-là. Comme moi, elle portait une petite robe bleue à volants blancs, de petits souliers vernis noirs, de chaussettes d’une blancheur immaculée à son extrémité de petit ruban de couleur bleu ciel. Cette robe avait des manches courtes car nous étions en été à ce moment-là. Sur ses cheveux blond doré, un chapeau de paille avait élu domicile pour te protéger des rayons de soleil.
Tu étais la plus fragile de nous deux. Ta santé ne te permettait pas de sortir à tout moment comme tout enfant normal de notre âge. C’est pourquoi, je m’amusais, je riais, je jouais, j’étais heureuse pour nous deux.
Mais, il a fallu que ce jour-là que nos jeux d’enfants nous forçâmes à s’approcher trop près du ruisseau. J’avais fait tomber mon chapeau dans l’eau. Alors que j’essayais de le récupérer avec une branche, tu avais décidé d’aller me le chercher à la main. Tu avais décrété que comme tu étais l’aînée, c’était ton devoir de me protéger et de me prendre soin de mon bien être. Nous avions seulement 8 ans quand tu es partie en me laissant seule derrière toi. Je me rappelle que tu avais remonté ta robe et enlevé tes chaussettes et chaussures. Puis, tu avais commencé à se diriger vers mon chapeau. Quand tu as réussi à l’attraper, tu me l’avais tendu en souriant. Au moment où je l’attrapais, un courant d’eau te déstabilisa et tu tombas à l’eau. Sauf que tu ne savais pas nager, car ta santé ne favorisait pas cette activité.
En te voyant couler, je me mis à hurler pour alerter nos parents qui se trouvaient plus loin dans le jardin. J’essayai de te rattraper mais je n’arrivais pas à atteindre ta main car le courant t’emmenait déjà au loin. Nos parents alertés par mes hurlements arriérèrent rapidement, mais pas assez pour te sauver. Notre père plongea dans l’eau du ruisseau pour te rattraper mais en vain. Maman pleurait à côté de moi, tandis que dans mon innocence d’enfant, je restai stoïque en pensant que tu allais remonter à la surface dans les bras de papa, puis me sourire pour me rassurer. Ce fut exactement ce qui se passa, sauf que tu étais inerte dans les bras de notre père. Il remonta la berge, les larmes coulant le long des joues et il te déposa délicatement au sol entre maman et moi.
De mes petites mains, je te secouais pour te réveiller. Je commençais à sangloter en voyant que tu ne bougeas toujours pas. C’est à ce moment-là que maman me prit dans ses bras et me dit que tu étais partis rejoindre papy Gustav au ciel avec Dieu et ses anges. En comprenant le sens de sa phrase, je me suis mise à pleurer plus fort et à me débattre de l’étreinte de notre mère. Quand j’arrivai à me défaire de ses bras, je me jetai sur toi pour te secouer fort en clamant cette litanie « Non, non, tu ne peux pas partir, tu avais juré de rester toujours avec moi ».
Au moment de ton enterrement, avec toi j’enterrai une partie de mon innocence d’enfant. Je compris que la vie n’était pas toujours faite en rose. Quand je compris ça, j’avais 8 ans et ma sœur jumelle venait d’être enterrée.
A partir de ce jour-là, je parlai plus car la seule personne qui pouvait me comprendre n’étais plus de ce monde. |