Bettie était née entre les deux guerres. Coudre, coiffer et rire furent facile pour elle. Trouvant le temps d’étudier beaucoup et de rire beaucoup trop, elle devint femme sans s’en rendre compte. Elle alla à l’Université, où elle fut la meilleure élève de ses classes, pouvant enfin aspirer à son rêve de cinéma pour pouvoir devenir une Bette Davis flamboyante. La jeune femme déménagea à New York pour y être secrétaire où elle finit par dactylographier des textes, Bettie trouvait le calme sur la plage de Coney Island ; un photographe amateur y remarqua la mince femme souple. Elle était membre d’un club de photographie et perdait toute inhibition dès qu’elle évoluait devant l’objectif, sur le canapé de velours vert chez sa grand-mère dans les bikinis qu’elle cousait elle-même quand elle finissait par reposer la machine à écrire qui lui servait de boulot. Mise en scène, ses photos en couverture de Playboy, photos offertes sur un plateau à une sous-culture chaines et fouets. Portfolio de pin-up, devenue modèle intemporelle, mais ne sachant pas la gloire qui l’attend. Photos provocantes, mais sans sens pour celle qui préférait jouer la star plutôt que se prendre pour une starlette. Elle séduisait avec la fausse innocence aux yeux bleus qu’elle représentait si bien ; paraissant idiote, mais ne l’étant pas. Frange emblématique qu’elle passait des heures à façonner pour lui donner l’arrondi parfait, qui rebondirait juste au dessus de ses yeux ravageurs. Bettie avait été couronnée Reine des Pin-up grâce à sa grâce et à son style unique. Son innocence était son signe distinctif, tout comme l’était la fausse blondeur de Marylin. Elle était arrivée innocente dans ce monde d’excès, mais était consciente de ce qu’elle y accomplissait et était beaucoup, beaucoup trop dangereuse pour avoir peur de la censure. Cette censure incontrôlable, comme un démon qui rendait tabou tout ce qui pouvait détourner l’Homme d’une vie rangée. Le démon frappa, détruisant d’un coup le travail d’années libres et faciles, passées devant l’objectif de photographes zélés. Nous n’en connaissons que les négatifs, abîmés par la stupidité.
Ce fut ce qui la perdit au fil des ans.
Perdue en 1960, quand la religion reprit le dessus, sur ce que beaucoup appelaient de l’Art. Perdre son physique de Reine. Être de confession baptiste prenait tout son temps, l’obligeait à renier ce qu’elle avait pris tant de temps à créer, renier l’icône qu’elle était. Elle ne pouvait plus répondre qu’elle était Bettie Page, perdant son identité. Bettie devait réussir à cacher l’étoile, la férocité qui brillait au fond de ses yeux. Reine qu’elle fut, elle était encore adulée par ses disciples. A régné qui s’est laissé embourber dans la toile de la double personnalité. La Reine cuir qui ne sut plus où regarder, qui ne sut plus où trouver le calme. Double, triple, puis quadruple, elle se perdit dans ses vies. La fille, femme, dominatrice, soumise ne sut plus qui être. Le sourire s’inversa et l’étoile se déchira. Bettie s’éteignit aussi discrètement qu’elle vint, laissant vif et à vif, son mythe écorché par la vérité.
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Voilà voilà ! Une petite originale, pastiche de Marcel Schwob (Vies Imaginaires) pour mon cours de Marginalité Littéraires !
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Disclaimer l'image ne m'appartient absolument pas ! Elle appartient à Dave Stevens
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