Une ori très courte, écrite le midi au boulot quand j'ai un peu de temps...
J'espère cependant qu'elle vous plaira. Il n'y a pas eu de travail de bêta dessus, je sais que j'exploite déjà honteusement les miennes avec ma fic Education!
Donc pardonnez les fautes diverses.
Bonne lecture!
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Elles sont arrivées une belle fin de matinée, un mercredi, je crois- parce que je n'avais pas école, et que papa n'était pas là.
Elles venaient soi-disant rendre visite à ma mère.
Je jouais seule dans ma chambre, une poupée à la main, le soleil chauffant doucement mon dos par la fenêtre. Un bel automne.
Lorsque j'essaie de me souvenir quel âge j'avais à cette époque-là, une brume étrange recouvre ces souvenirs dont je me rappelle pourtant avec une précision photographique. J'étais très certainement à l'école primaire, mais impossible d'entourer d'un contexte quelconque cet épisode de ma vie.
J'ai longtemps cru avoir vécu un rêve, à défaut de pouvoir ancrer ce souvenir dans la réalité.
Le carillon sonna, et cela suffit à ma précipiter en haut des escaliers, là on l'on a une vue plongeante sur la porte d'entrée. De nature curieuse, j'observais toujours ce petit rituel et espionnais discrètement chaque nouveau venu: facteur livrant un colis, amie venue prendre le thé, voisine demandant un peu de farine.
Au fond peu m'importait qui se présentait à notre porte, mais j'étais secrètement ravie d'avoir surpris un bout de la vie de notre visiteur à son insu. Je repartais toujours le coeur en joie- parfois même, je dévalais l'escalier une fois la personne identifiée.
Je bondissais alors sur Mamie, sur une tante, sur mon père et les couvrais de baisers mouillés.
Mais ce jour-là apparurent trois créatures, trois femmes qui m'étaient parfaitement inconnues, longues et maigres, leur bouches très minces tendues sur leur visage secs en des sourires disproportionnés, allant comme d'une oreille à une autre.
Tapie contre le parquet, la tête dépassant à peine l'angle de l'escalier, je me retins bien de sortir de ma cachette ou même de me signaler.
Ma mère se fendit de quelques exclamations surprises et ravies, des sortes de petits cris en prononçant le nom de chaque femme, tout en claquant une bise à chacune d'entre elles en les saluant.
Sur les épaules de ma mère, alors, se déposaient leurs longs doigts arachnéens aux ongles longs, griffus et peints de rouge alors qu'elles se laissaient embrasser leurs joues creuses; elles auraient pu trancher dans sa chair rien qu'en une petite pression de ces doigts, me disais-je en tremblant.
Finalement les femmes entrèrent, fermèrent la porte derrière elles. Je les perdais alors de vue, et il aurait fallu que je descende d'un étage pour continuer à les espionner, en prenant le risque qu'elles m'aperçoivent.
C'était l'automne, et c'est en cette saison que les araignées aiment à pénétrer dans les maisons afin de se trouver un abri pour l'hiver qu'elles sentent venir. Ces femmes, à leur image, avaient trouvé un passage vers la chaleur de notre foyer.
Pourquoi ma mère les avait laissées entrer? Je n'en avais pas la moindre idée. On m'a expliqué plus tard que certaines araignées sont bien pratiques, qu'elles dévorent les petits insectes nuisibles, les moustiques, par exemple.
Que d'autres ne piquent pas.
Mais je restai persuadée que celles-ci étaient venimeuses.
Alors je descendis, lentement, prenant bien garde aux marches grinçantes, et allai me poster près de l'entrée.
Elles étaient toutes installées dans les fauteuil du salon, et ma mère dans la cuisine s'affairait à leur préparer du thé, si j'en croyais les tasses disposées devant ces femmes.
Je n'avais à ce stade que de la méfiance, et rien contre elles; mais pendant ce cours laps de temps où je les observai pendant que maman était occupée, je les vis sourire sournoisement, regarder la maison comme on évalue le confort d'un lieu dans lequel on va peut-être résider, tâtant les coussins, passant une griffe le long d'un bibelot, essayant divers fauteuils.
Elles détonnaient dans l'intérieur coquet de mes parents, avec ses lourdes tentures roses et kitsch, ses vases rondouillards, ses canapés rebondis, ses coussins bien bombés; elles y apparaissaient comme des éléments étrangers avec leur maigreur, leur peau translucide comme celle d'amphibiens.
Et alors j'en vis une regarder derrière un rideau, et y déposer d'une friction de ses longs doigts une toile gluante, collante.
Lorsque le rideau retomba, la toile était bien cachée- de toute manière, la femme avait fait vite, et sa taille était des plus habituelles: elle ne laissait pas soupçonner la taille de la créature qui l'avait tissée.
Terrifiée, je tournai les talons et remontai prestement dans ma chambre- n'osant bouger avant d'entendre à nouveau le petit carillon devant la porte, annonçant le départ des créatures.
Combien de fois, avec quelles larmes, quel désespoir je tentai d'expliquer à ma mère ce que j'avais vu!
Hélas, la malheureuse toile derrière le rideau n'était pas une preuve à ses yeux. Ce que je lui racontais lui semblait incroyable, tout droit sorti de mon imagination, et elle finit par se fâcher lorsque j'insistai.
Je ne devais pas importuner ses amies, ni me montrer impolie à leur égard.
Terrifiée à l'idée que ces femmes puissent revenir, je commençai à faire des cauchemars terribles à leur sujet la nuit. Je me voyais comme une ridicule petite mouche face à elles, inutile et incapable ne serait-ce que d'avertir mes parents.
Elles allaient nous dévorer tout crus, et ne laisser que nos os.
Mais la temps passa et elles ne reparurent pas. Les feuilles dorées et rouges tombèrent, le froid s'installa et je commençai à me rassurer. Les cauchemars s'apaisaient.
Je rentrais de l'école, une journée quelconque, mon cartable me forçant à courber le dos quand elles réapparurent. Je franchissis la porte, humai l'odeur du pain grillé pour mon goûter, imaginai déjà y tartiner du Nutella... Laissant mon petit sac dans l'entrée, déboutonnant d'une main mon manteau, je fonçai vers la cuisine en appelant ma mère.
Et je m'interrompis. Elle me saluait en riant, assise au milieu des femmes qui étaient venues l'autre jour, devant des tasses de thé.
Toutes tricotaient.
Je restai muette et interdite: les femmes m'avaient vues, elles savaient que j'étais là, elles me dévoreraient moi aussi.
Je me fis un peu sermonner- pas très durement- pour mon silence impoli, et l'on m'envoyer goûter.
-Excusez ma fille, elle est un peu sauvage, riait avec légèreté maman. Je sentais une pointe de gêne et d'agacement dans sa voix.
Le nez dans un tartine, j'observai de la cuisine les mouvements réguliers et hypnotiques des aiguilles à tricoter. La vitesse des longs doigts, leur habileté était fascinants, et je restai à les regarder bien après avoir terminé mon en-cas; à vrai dire je finis par m'asseoir à leurs pieds, adossée à un fauteuil, et je commençai à sombrer dans le sommeil à mesure que le jour tombait.
Ma mère me donna un léger coup accidentellement en prenant une nouvelle pelote de laine pour terminer son ouvrage; cela me sortit de ma torpeur et un profond malaise s'empara soudain de moi.
J'avais l'intuition d'avoir raté quelque chose, un détail, quelque chose de très important qui m'aurait échappé alors que je m'endormais; je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus, et mon ventre se tordit d'inquiétude.
Je regardai ma mère, en quête de réconfort; elle introduisait la nouvelle pelote à la suite de l'ancienne, et je compris en un éclair.
Les pelotes des intruses n'avaient pas diminué d'un pouce.
Bien sûr, elles auraient pu en changer pendant que mes paupières se baissaient; j'avais dû m'endormir un instant, et elles avaient pris une nouvelle pelote... J'essayais de m'en persuader, voulant retrouver mon calme alors que leurs drôles de regards se posaient sur moi, et que leurs sourires tordus ornaient leur visage.
Je regardait les paniers à leurs pieds; ils étaient pleins de pelotes. Se pouvait-il qu'on en ait ôté une, ou deux?
J'observai plus attentivement les mouvements de leurs doigts, essayant de comprendre d'où venait ce phénomène, mais elles travaillaient très vite. J'avais beaucoup de mal à suivre leurs doigts, d'autant que la nuit tombait.
Je ne renonçais pas, et continuais à fixer l'une, puis l'autre, alternativement; elles auraient bien un instant de relâchement... Ma mère finit par allumer une lampe pour éclairer un peu la pièce, et alors je vis ce que je cherchais.
Là, éclairé fugitivement par l'éclat de la lampe, un fil de soie... Elles tissaient! Elles tissaient autour du fil de laine, l'allongeant, le prolongeant sans fin alors même qu'elles tricotaient.
Terrifiée, je m'empressai de clore mes paupières. Je ne voulais pas qu'elles se doutent de ce que j'avais vu, et je voulais paraître calme, indifférente, endormie. Une éternité passa ainsi avant que la porte claque, que le carillon fasse sa petite musique et que mon père arrive.
Faisant mine de m'éveiller, prenant l'air un peu désorienté, je me levai lentement et allai le saluer avant de monter dans ma chambre, le coeur battant.
L'ennemi était bien présent.
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Elles revinrent le lendemain. Le surlendemain. Tous les jours de ce long hiver.
Je disséminais partout dans la maison des insectes que j'attrappais sur le chemin de l'école, voulant tenter les femmes et espérant qu'elles les mangeraient: ma mère les prendrait sur le fait et admettrait enfin que j'avais raison.
J'avais renoncé à essayer de la convaincre, comprenant que sans preuves elle ne me croirait pas plus que la dernière fois.
C'était inutile; les insectes disparaissaient dans les nombreuses toiles qui parsemaient maintenant toute la maison- derrière les fauteuils, les tableaux, aux angles des murs, entre les vases, derrière les rideaux. Je ne réussissais pas à définir quand elles venaient se nourrir. Les toiles apparaissaient, se remplissaient, disparaissaient aussi mystérieusement qu'elles étaient apparues.
Mais au fur et à mesure que l'hiver avançait, les toiles se faisaient plus solides, plus grandes; les femmes grossissaient- leurs jambes et leurs bras toujours minces, mais leurs ventres étaient maintenant gonflés et rebondis. On les aurait cru enceintes.
Je regardais la peau distendue, je l'imaginais encore plus transparente- on devait voir au travers... Impossible pour moi de savoir si elles engraissaient, ou si ces bedaines étaient pleines d'oeufs immondes. Ce sujet me préoccupait beaucoup, et je ne cessais de guetter la progression de leurs ventres.
Comment cela pouvait-il ne sembler étrange qu'à moi, que ces femmes présentent toutes des symptômes de grossesse en même temps? Que leur ventre grossisse à cette allure folle?
Je dus même, un jour, caresser l'ovale dessiné sous le pull de l'une d'elles. Ma mère insistait devant ma répugnance bien visible:
-Vas-y, tu peux... Il y a un bébé, là-dedans...
J'avais enfin ma réponse, et j'avançai une main tremblante. Est-ce qu'une araignée jaillirait un jour? Pondrait-elle plutôt des oeufs? J'imaginais tous les cas de figure, mais absolument pas celui d'un petit enfant bien humain, d'un bébé rose et joufflu.
Discrètement, alors que ma mère s'extasiait sur ma paume posée contre le pull angora -velu!-, l'un des femmes restées en retrait avança vers un toile qu'elle enroula autour d'une petite mouche prisonnière du fil gluant, et la goba.
Je restai pétrifiée, ma main toujours à la même place. On aurait dit qu'elle avalait un petit four, une bouchée délicate. Me retenant de songer au contenu de cette bouchée, je m'écartai du groupe et sorti en courant.
-Elle est si jeune! Et sans frères, ni soeurs, cela doit l'effrayer... , justifiait ma mère dans mon dos.
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Et vers le printemps, les femmes disparurent. On m'annonça qu'elles étaient parties dans des pays plus chauds, le temps d'accoucher.
Je me demandai si leurs oeufs avaient besoin de chaleur, ou d'être couvé comme ceux des poules...
Elles m'avaient laissé en souvenir amical quelques billes.
Soulagée de leur départ, enfin légère et le ventre dénoué pour la première fois depuis longtemps, j'acceptai le présent de bonne grâce.
Certaines de ces billes étaient rondes, et semblaient constituées de milliers d'yeux rouges; elles semblent faites d'un verre plein d'aspérités au premier abord, mais ce sont en fait les petits yeux qui les composent qui donnent cet effet. De près, le verre est lisse et bien poli. Je les conserve encore aujourd'hui et les admire à chaque fois que je me demande qui étaient ces femmes.
D'autres, un peu ovales, disparurent après quelques semaines. Elles étaient si légères, d'aspect si fragile. J'en ai retrouvé un brisée dans un coin- comme une coquille vide.
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Voilà la fin de cette Ori!
Elle est un peu étrange, peut-être. En ce moment, je lis trop de nouvelles fantastiques. Je sais qu'il n'y a pas de fin, mais en fait, j'aimerais qu'on me propose diverses fins alternatives, diverses propositions...
Je crois que j'aime les fins ouvertes! Ca laisse travailler l'imagination.
N'hésitez pas à me laisser votre avis! |