« Ah voilà Big Hannah ! » lança l’un d’entre eux et les trois autres s’esclaffèrent à sa blague complètement débile. Du vue et du revue que j’ai appris à ignorer, mais seulement en apparence. Parce qu’en vrai, au plus profond de moi, ça me blesse, ça me ronge. J’en pleure… Mais pas en publique, seulement quand je suis certaine d’être seule, parce exemple, le soir dans mon lit.

Je baisse la tête, contemple mes pieds frôlant le sol au rythme de mes pas et les dépasse sans rien dire, hissant mon sac à main correctement sur mon épaule ronde. J’ai l’habitude, c’est comme tous les jours. Je crois même que je préférais passer inaperçu plutôt que de devoir endurer cela ne serais-ce encore qu’une seule fois. J’ai déjà essayé les régimes, en vain. Une fois, j’étais même tellement désespérée que j’ai passé plus d’une semaine à me nourrir que de pomme. Le seul résultat que j’ai obtenu, c’est le droit de me retrouver pendant trois jours à l’hôpital. Tout le monde me dit que je devrais faire du sport, plus d’effort. Le pire, c’est que j’en fais. Les gens ont du mal à imaginer qu’une fille comme, aussi grosse, aime et pratique le sport. Oui je fais du sport. Je suis même plutôt douée. Je fais de la gymnastique, et du tennis. Avant, je faisais de la natation, mais j’ai abandonné, trop de personne se moquait de moi en maillot de bain. Je fais des efforts. La preuve, je ne suis pas allée au McDo depuis deux ans, et le dernier carreau de chocolat que j’ai mangé remonte à trois semaines. Je fais des efforts, mais on dirait que pour moi, ça ne marche pas. On dirait que j’ai été choisi pour être comme ça, et pour le rester. On pourrait croire qu’à force, qu’au bout de 19 ans de surpoids, je m’y suis faite et bien non. Et je pense que tant que je ne serais pas en parfaite harmonie avec moi-même, les autres non plus… Je l’ai parfaitement compris, c’est comme les maths. J’ai compris la leçon et la théorie. Je n’arrive juste pas à l’appliquer.

Heureusement je finis par lever la tête et mon regard se pause sur un groupe formait de trois filles et deux garçons. Mes amis. Mes amis qui sont passés outre mon poids et m’acceptent pour ce qu’il y a à l’intérieur. « T’es en retard Hannah ! » lança Noël en se penchant vers moi pour me faire les bises du haut de son mettre quatre-vingt-dix. « Je sais ma voiture refusait de démarrer... Désolée » Il m’adressa un sourire me donnant une tape amicale sur l’épaule. « Prête pour trouver la tenue de nos rêves ? » me demanda Juliette en m’embrassant la joue. Pour seule réponse je laissais échapper une petite grimace. J’adorais porter de beaux vêtements. Mais le shopping, non merci. Devoir dévorer des yeux des tenues dignes d’une starlette tout en sachant que jamais mes fesses ne rentreraient dedans : une vraie torture. D’autant plus que d’être obligé d’enfiler et d’essayer une taille 44 à côté de filles aussi mince que Juliette, Alexia ou Christina faisait tâche. Qui plus est, grosse tâche. Pire encore, il y avait Noël et Léo… Et j’avais honte terriblement honte de devoir faire ça en leur compagnie. Si bien que l’idée m’effleura de prendre mes jambes à cou et dégarnir immédiatement.  Mais trop tard, le bras de Léo entoura mes épaules et m’entraina à la suite des autres. Voyant mon regard inquiet, il me lança un petit sourire réconfortant. De toute façon c’est tous ceux à quoi j’aurais le droit. Du haut de mes 19 ans, mes contacts avec le sexe opposé se résumait à l’accolade de Léo, les bises de Noël ou les chatouillis de mon frère ou encore un câlin de mon paternel. Rien d’autre. Je n’intéressais pas les garçons, pas avec mon physique. Et pour les rares et seuls qui passait outre mes kilogrammes en trop, il ne s’agissait que d’ami, comme Noël et Léo. Mais des amis formidables… C’est déjà ça !

Christina poussa la porte d’une boutique de prêt-à-porter et se dirigea immédiatement vers le rayon robe de soirée, les autres à ses trousses. L’envie de vomir me prit. Robe de soirée, tu parle ! C’est censé te rendre jolie, plus belle que jamais… Chez moi tout ce que ça fait, c’est dévoiler mes énorme jambe et faire apparaitre mes horribles bourrelés aux yeux de tous. L’horreur, pourtant toujours entrainé par le bras de Léo autour des mes épaules, je me dirigeais à la suite des autres, m’obligeant à contempler ces robes si somptueuses sur les cintres, mes affreuses sur moi.  Bien que ça ne soit pas totalement véridique. Que je les portes ou non, ces robes restent magnifiques, c’est moi qui suis affreuse, c’est tout.

Je tire sur mon tee-shirt pour être bien certaine qu’il recouvre le bourrelet formé par mon jean trois fois trop serré et regarde Alexia s’extasié sur une jolie robe bustier mauve. Le genre robe qui ferait d’elle une princesse et de moi une bouffonne. Elle s’en empara aussitôt filant vers les cabines d’essayage, à ses trousses, Christina muni d’une très belle robe s’accordant magnifiquement avec le bleu de ses yeux et Juliette une robe rouge en main. Que les robes soient faites pour elles ou non, elles allaient être tout simplement canons ! « Tu n’essaye rien Hannah ? » La voix de Noël me fit sortir de mes pensées alors que je louchais drôlement sur une jolie robe noire. « Non... Je ne crois pas que je vais y aller de toute façon ». Si on était là aujourd’hui en train d’essayer des robes dignes des plus beaux comptes de fées, s’était pour la soirée d’intégration organisé par ma nouvelle école. Le lycée s’était fini, et depuis une semaine, Juliette et moi avions intégré une école d’infirmière. Alexia était vendeuse pendant que Christina bossait dans une boulangerie. Noël travaillait dans le garage de son frère et Léo avait commencé des études en le commerce. On avait chacun prit une voie différente, mais on s’était promis de toujours tenir contact. Et bizarrement, c’est comme si on ne s’était jamais quitter. C’est pour ça que, quand Juliette et moi avons apprit que notre soirée d’intégration allait bientôt avoir lui que des tenues classes étaient exigés et qu’on avait le droit d’inviter quelqu’un avec nous, on en avait immédiatement parlé aux autres. L’idée m’avait paru vraiment fabuleuse. Mais soudainement, tout cela me semblait vraiment nul, qu’une occasion de plus pour les autres de se moquer de moi. Noël me lança un regard foudroyant et s’empara de la robe sur laquelle je lorgnais juste avant, me la tendant. « Tu devrais allée l’essayer, je suis sur qu’elle tirait à merveille » L’intention était là, je le savais pourtant, il avait mal choisi. Trop mal. Si bien que même si ça n’était pas intentionnel, je sentis les larmes me monter aux yeux. « Noël ! Jamais elle ne m’ira à merveille… C’est une taille 36. » Je repoussais la robe vers lui, et lui tournait le dos, retenant mes larmes et me dirigeant vers la sortie de la boutique. J’entendais Léo marmonner à l’intention de Noël qu’il avait gravement merdé, puis Noël retenir un jurant. Mais le mal, même involontaire était fait.