A l'origine de ce texte, un sujet de rédaction proposé en classe troisième, il y a 5 ans.
" Raconter la/une guerre "
J'ai décidé de suivre cette idée et de la développer. Je vous laisse le résultat.
Je m'excuse d'avance pour le style : les phrase sont longues et parfois tordues.
Bon courage et surtout bonne lecture !
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La ville était calme. Dans ce quartier, les maisons tenaient encore debout. Peu de monde osait pointer, ne serait-ce qu'un orteil, hors de l’abri rassurant des habitations. Les rues n'étaient plus sûres.
C'était un matin d'été où l'air encore frais ne tarderait pas à être étouffé par la chaleur sèche venant du désert, plus au Sud. Ici, le désert dominait tout. Des températures glaciales la nuit aux brumes de chaleur le jour, en passant par le rythme de vie des habitants d'Esval-la-Blanche.
En temps ordinaire, à cette heure-ci - juste après l'aube - la vie était déjà présente dans les rues de la ville. Commerces et échoppes avaient étendu leurs étals sous les auvents, bien avant que le soleil ne soit apparu à l'Est, derrière les collines de Ba Yaa.
Mais aujourd'hui n'était pas ordinaire. Il n'y avait personne pour vanter la qualité des broderies, la couleur et le goût des épices, l'odeur des fruits. Il n'y avait personne pour marchander, crier au scandale sur le prix des figues. La cacophonie habituelle était remplacée par le silence.
La quasi totalité des habitants avait déserté leur maison deux jours auparavant, sous les recommandations pressantes des autorités militaires. Ne restaient plus que quelques réfractaires : des vieillards ne voulant pas quitter la maison familiale, des parents dont les enfants, assez âgés pour être enrôlés, étaient en faction dans la ville. Nombres d'auberges, de tavernes et mêmes quelques grandes maisons avaient été réquisitionnées pour accueillir les soldats.
Hier encore les plus optimistes des réfractaires avaient ouvert leurs échoppes. J'avais acheté à une femme quelques fruits et pâtisseries. Les dizaines de bracelets dorés qu'elle portait aux poignets tintaient au gré de ses mouvements.
Je m’arrêtais sur le pas de la porte, hésitant à sortir. Bien que j'ai insisté pour échapper à l'atmosphère confinée de la cave, je n'étais pas du tout rassurée. Et l'étrange silence n'arrangeait rien. Le vent soulevait de petits nuages de poussière, tournoyait autour de quelques poteries abandonnées au milieu de la chaussée. En tournant la tête vers la gauche, j’aperçus un mur écroulé. Les pierres orangées qui le constituaient étaient éparpillées, des morceaux de l'enduit ocre avaient volé un peu partout aux alentours. En m'approchant, je distinguais des éclats de couleurs : du blanc, du bleu, du jaune. C'était tout ce qui restait des faïences qui tapissaient l'intérieur des habitations. Des pierres ocres parsemées d'éclats de couleur.
Je levais mon appareil photo et capturais l'image des gravats. Je sortais aujourd'hui pour prendre des photographie de la guerre. Pour l'instant, mon reportage en manquait cruellement, je n'avais que des notes, des brouillons et quelques croquis. Ce n'était pas ce que voulait mon employeur. Il voulait du « sensationnel, de l'exotique ! Il faut faire rêver, Mademoiselle ! ». La guerre était une chose lointaine, là-bas. Les seules nouvelles venaient de journalistes qui n'avaient jamais mis le pied sur les terres de l'Ouest. Oh non ! Jamais ! Et je pensais comme eux avant. Pourquoi aller chercher à se faire tuer chez les sauvages alors que les nouvelles venaient à nous par les milliers de réfugiés qui débarquaient dans les ports de la côte de Barre ? Pourquoi se compliquer la vie ?
Il a fallut que je fasse mes preuves, comme tout journaliste débutant, alors j'ai proposé de faire un reportage de guerre, en allant sur le terrain. Mes supérieurs sont restés sans voix un instant avant que le grand chef ne me donne son accord. Il souriait et devait sans doute se dire que je n'oserais même pas monter dans le prochain bateau qui traverserait l'océan. Je crois que c'est ça qui m'a convaincu que je devait le faire.
La traversée s'est faite sans autre problème qu'un léger mal de mer la première semaine. J'ai débarqué une centaine de kilomètres au Nord d'Esval, de l'autre coté des montagnes. Les combats se cantonnaient au Sud du désert, au niveau de la frontière. Depuis, les attaquants avaient gagné du terrain et atteint Esval-la-Blanche, la dernière ville avant les montagnes. Ils avaient avancé d'au moins cinq cent kilomètres en moins de trois mois de combat.
À mon arrivée, j'ai été fascinée par les bracelets qu'ils portaient. Homme ou femme, enfant ou anciens, pauvre ou riche, tout le monde les arboraient aux poignets. Ce n'étaient parfois que de simples chaînes aux maillons plus ou moins fins, de simples anneaux. Parfois seulement aplatis ou ciselés de motifs floraux, de frises géométriques. Certains étaient agrémentés de perles de couleurs – les mêmes que l'ont retrouvaient sur les faïences des maisons – bleues, jaunes, blanches, avec quelques fois du rouge. Ces perles étaient faites en verre coloré ou terre cuite pour les plus pauvres, taillées dans de véritables pierres précieuses pour les plus aisés. Ils étaient plus ou moins nombreux aux bras en fonction du jour, de l'occasion, de la richesse et du statut de celui qui les affichait. Ces bracelets tintaient, rythmaient la vie de ce peuple. Et je ne les entendais plus ce matin.
Il n'y avait que le vent qui sifflait entre les passages étroits, amenant la poussière du désert. Prenant une grande inspiration, je m'avançais dans la rue, vers les quartiers les plus touchés. L'armée ennemie était arrivée aux portes de la ville juste après que les derniers réfugiés aient disparus derrière un coude de la vallée, au Nord. Les unités armées en charge de défendre la ville avaient tout de suite attaqué, ne laissant pas le temps à l'armée adverse de s'installer. Ils avaient pour mission de tenir la ville jusqu'à l'arrivée des renforts, prévue pour le lendemain ou le surlendemain. Depuis la ville était pilonnée chaque nuit par des dizaines de bombes, les deux armées profitant de la fraîcheur et de l'obscurité pour faire leur manœuvres.
Au souvenir des deux nuits précédentes, je frissonnais. Elles avaient été épouvantables. Je les avaient passées dans la cave de la maison de mes hôtes – restés parce que cette maison était toute leur vie, et qu'il n'avaient plus d'enfants ou de famille à protéger – enroulée dans une couverture, le dos collé au mur, les mains sur la tête. Chaque explosion me semblait plus proche, je ressentais chacune d'entre elles dans mes os. Le bruit qu'elles faisaient résonnait dans mes poumons. Combien de fois, au cours de ces nuits, j'ai cru que j'allais finir ma vie dans une cave, écrasée, sans doute asphyxiée sous les gravats ? Combien de fois j'ai imaginé les corps ensanglantés, abîmés, les visages défigurés, figés dans des expression de douleur et de peur de chacun des occupants de la cave ?
Les images du massacre des habitants d'une tribut de nomade me hantaient. Fermer les yeux, réciter toutes les prières, tous les chants que je connaissais, était inutile. Elles revenaient toujours plus nettes devant mes yeux.
Parfois le rythme des explosions diminuait un peu mais personne n'osait se détendre. Tout le monde serrait les dents, conscient que la prochaine serait peut-être pour nous et que se serait alors définitivement la fin. Je crois me souvenir que quelqu'un s'était mis à hurler, pleurer – je ne sais plus – mais que ces sons n'étaient plus humains. C'étaient des cris de désespoir qui ressemblaient à un qu'on en finisse hurlé d'une voix cassée, fatiguée.
Je me souviens avoir pensé, pour me débarrasser des visions de cauchemars, que j'avais eu – les images en moins – la même réaction lors d'un monstrueux orage qui avait fait trembler les vitres de la maison, quand j'étais petite. Je crois que j'ai ri devant le décalage entre les deux situations. D'un rire fou, nerveux, presque hystérique. Je ne sais plus vraiment. La fatigue et la nervosité m'ont laissé une impression floue des deux dernières nuits. Il ne restait de ces nuits qu'un brouillard de sons, dominé par le bruit des explosions.
Alors que la veille j'avais été incapable de bouger de dessous ma couverture, aujourd'hui j'avais pris mon courage à deux mains et malgré les conseils dissuasifs des autres, je suis sortie. Même si c'était pour prendre des photographies de destruction, il fallait que je sorte avant de sombrer vers la folie.
À coup sûr, des photos comme celles-là, feraient sensation de l'autre coté. Les autres, qui vivaient dans la paix et la sérénité, voudraient sans aucun doute se faire peur, se rassurer sur leur situation politique exemplaire grâce à quelques clichés bien choisis – un peu morbides si possible – et un article rempli de détails croustillants, glauques. Quand j'ai vraiment pris conscience de l'ampleur de cette guerre, je n'ai plus compris l'attitude de mes compatriotes. Ils se contentaient de rester au chaud chez eux, jouissant d'une paix confortable depuis plus d'un demi-siècle, sans s'inquiéter des nombreuses victimes de cette guerre ! Tout juste s'ils s'inquiétaient du problème de loger les populations déplacées qui arrivaient chaque mois par bateau. Pour un peu ils les accueillaient les bras grands ouverts ! Il ne voyaient en eux qu'une main d’œuvre bon marché, nombreuse et peu exigeante sur le travail qu'on lui fournissait. Une aubaine pour tous les industriels ! Pourquoi faire cesser cette guerre alors qu'elle est bénéfique pour notre économie ? Les militaires tirent sur tout ce qui bouge ? Qu'il tirent, cela fera des sauvages en moins ! Deux villes entières rayées de la carte ? Quelle importance, ces sauvages n'ont aucun sens de l'architecture !
Bien sûr, tout le monde ne pensait pas de cette façon, il y avait les intellectuels idéalistes qui défendaient la culture de ces peuples, les riches mécènes qui montraient à qui voulait bien voir leur fabuleuse collection de pièces d'art exotique, les politiciens un peu trop vieux mais qui se rappelaient encore de la guerre qui avait secoué leurs pays – leurs si beaux, si développés pays - qui tentaient de faire entendre leur voix à propos de l'horreur d'une guerre. Mais ces gens était si désorganisés, ils n'étaient qu'une infime partie de la société, qu'on ne daignait pas les écouter.
J'espérais au moins qu'un article écrit par quelqu'un ayant été sur place ferait changer les choses.
Ou au moins leur faire prendre conscience de ce qui se passait ici.
Plus je m'avançais vers le sud de la ville, plus les bâtiments étaient à terre. Les rues étaient encombrées de gravats. Des morceaux de mobilier peint, des restes d'étoffes traînaient au milieu des pierres. Je ne voyais pas de cadavres. Ils étaient sans doute sous les décombres, dans les caves pour les plus chanceux.
Rien ne bougeait. Même les habituels chiens et chats errants avaient fui la ville. Il reviendraient peut-être quand les combats seront terminés, accompagnés de charognards du désert.
Il devenait de plus en plus difficile d'avancer dans la rue. D'ailleurs, ce que prenait mon appareil n'avait plus rien d'une rue. Je marchais à travers un champs de ruines. Je finis par ranger mon appareil, préférant avoir les mains libres en cas de chute. J'escaladais un tas de débris, m'aidant des poutres. Un des mur de la maison tenait encore debout, il me permettrait d'observer la partie de la ville la plus touchée, sans pour autant être vue par l'armée attaquante.
La veille, un commerçant dont la boutique avait été détruite nous avait rapporté la mort d'une femme, tuée par les tirs d'un soldat adverse. Elle errait parmi les ruines à la recherche de son mari et avait fait l'erreur de se montrer. Et comme de chaque coté, on tirait sans vraiment prendre le temps de voir qui était dans le viseur, cette femme était morte, abattue comme n'importe quel gibier de chasse.
Je ne ferais pas cette erreur. Je tenait trop à la vie pour cela. Et j'avais un reportage à finir. Cachée derrière le pan de mur, je risquais un coup d’œil de l'autre coté. Ce que je vis m'horrifia : alors que dans les quartiers que j'avais traversés, il y avaient encore quelques rares maisons rescapées, ce que j'avais sous les yeux me montrait un gigantesque champ de ruine. Pas un mur n'était encore droit, pas une seule maison intacte pour narguer les bombes. Seulement des poutres brisées qui sortaient des amas de pierre, pointant vers le ciel comme des doigts accusateurs. Seulement des creux formés par les souffles des explosions, tellement puissants qu'ils avaient creusé le sol. La terre rouge de ce pays associée au sable ocre du désert recouvrait tous d'une fine couche rouge orangé.
Reprenant mon appareil, j'immortalisais les poutres lancées vers le ciel, les ruines. En écartant l’œil de l'objectif, je me rendis compte de ce que cette destruction impliquait. Là où il n'y avait que des ruines aurait du se trouver les casernements des soldats, les unités chargées de défendre la ville. Et il n'y avait plus rien. Je repoussais de mon esprit les possibles sénarii que cette constatation impliquait. Mon reportage avant tout.
Prudemment, je descendis de mon perchoir et m'avançais à travers les monceaux de gravats. Si je pouvais m'approcher assez près des anciens casernements et des positions de l'armée attaquante pour prendre quelques photographies...
En progressant, je remarquais de plus en plus de cadavres. Écrasés, défigurés, les membres tordus dans de drôles d'angles, parfois manquants. Certains visages étaient figés dans des expressions de peur et horreur pure. Je pris quelques photographies montrant des corps. Quoi de mieux en matière de « frappant, sensationnel » ?
Cela ressemblait tellement à ce que j'avais imaginé pendant ces dernières heures que j'en avais froid dans le dos.
Je m’arrêtais soudainement devant un cadavre. Ce n'était pas un cadavre de soldat, portant l'uniforme bleu nuit, mais celui d'une civile habillée en jaune. Les étoffes qui couvraient ses bras étaient remontées, montrant un bras à la peau brunie par le soleil et l'âge, recouvert de cette poussière rouge. On ne voyait que ce bras et une épaule. Je ne voulais même pas imaginer l'état du reste du corps, perdu sous les décombres.
Ce sont les bracelets qui m'ont arrêtée. Cette femme en portaient une dizaine, tous identiques sur ce bras et je me rappelais les avoir vus autour du poignet de la femme à qui j'avais acheté les pâtisseries traditionnelles d'Esval. Ils m'avaient interpellée : peu de monde portaient plus de deux ou trois bracelets identiques, je m'étais dit alors qu'il fallait que je demande à mes hôte le pourquoi de cette coutume. La peur et l'angoisse des dernières nuit m'avait complètement sortit cette question de l'esprit.
Me reculant légèrement, je capturais l'image de ces bracelets. Ils étaient fait de quatre perles, grosses comme des noisettes, de couleur bleu, attachées par des maillons rond et fins. Il y a deux jour encore, ils accrochaient la lumière du soleil. Aujourd'hui, ils étaient couvert de poussière et étaient sans aucun éclat.
J'eus envie de me retourner, de me cacher sous ma couverture dans la cave, de faire comme si tout n'était qu'un affreux cauchemar et que malgré les bombardements, j'avais tout de même réussi à m'endormir.
Sauf que ce n'était pas un mauvais rêve. J'étais bien au milieu de ce qui avait été l'un des quartier les plus vivants de la ville. Au milieu d'un champs de ruines. Je me secouais et continuais, refoulant le moindre sentiment loin au fond de moi. Je devais penser au reportage que je proposerais en rentrant au journal.
Au détour d'un tas plus haut de débris, je découvris, plus en contrebas, l'armée attaquante qui s'activait. Malgré la chaleur qui ne tarderait pas à s'abattre, ils fouillaient les décombres, retournaient, soulevaient les morceaux de murs. Plusieurs fois, je vis les soldats tirer à bout portant sur les blessés qu'ils découvraient. Ils tiraient, ceux qui tenaient la poutre gênante la laissait retomber et passaient au groupe de soldats suivant qui avait trouvé un autre blessé. Tout était fait de façon méthodique, avec une rigueur quasi scientifique. Petit à petit, ils avançaient vers moi. Et je ne bougeais pas. J'étais paralysée sur place, les pieds rivés au sol. La partie la plus peureuse de mon esprit – celle que j'avais ignoré depuis que j'étais sortie – me hurlait de faire demi tour, une autre – la plus journaliste, sans doute – me fit lever mon appareil et appuyer sur le déclencheur.
Tous les mouvements des soldats devants moi furent pris, capturés, fixés sur la pellicule. J'étais tellement concentrée que je sursautais quand un soldat apparu dans mon viseur. J'eus une vue imprenable sur les boutons de son uniforme. Et seulement alors je me rendis compte que ce soldat devais être près, très près.
Levant la tête je croisais le regard jaune du soldat. Les yeux de chat étaient perdus au milieu des plis du tissu brun qui lui couvrait la tête et le visage. Je crois que j'arrêtais de respirer. L'arme se leva à hauteur de mes yeux, le canon s'ouvrant comme une bouche monstrueuse et béante.
Je fermais les yeux.
Je me dit que si, finalement, je l'avais faite, cette erreur.
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