Voici une nouvelle que j'ai écrite récemment pour un concours. Je n'ai pas été retenue mais je voudrais quand même la partager avec vous =)
N'hésitez pas à me laisser votre avis ;D
Bonne lecture !
Nat'
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Le mouchoir recouvrait le visage de l’enfant comme un suaire. Sa pâleur de nacre n’évoquait plus que la mort, l’aspect qu’avait pris la peau sur les chairs, comme un prélude à la blancheur des os. Sa trame délicate se creusait à la base du cou, dessinait le visage, cueillait entre les lèvres la promesse d’un baiser qui ne pourrait jamais éclore. Les croisillons de fil blanc saisissaient alors la finesse du nez, la rondeur des joues encore marquées d’innocence. Puis le sang prenait le pas sur l’étoffe : une broderie de motifs vermeils s’écartelait en arabesque à la pointe des pommettes, pour se loger juste là, dans le creux des yeux, deux roses rouges, deux puits aveugles et sans âme. Le dessin rayonnait jusqu’aux tempes et soulignait la noblesse du front, accrochait quelques pointes de cheveux blonds à la bordure de la toile. Une bougie sur la table de chevet animait le relief de ce monde caché. Le hasard de la flamme remplissait le tissu de lumière et d’ombres, suggérant tantôt la vie, tantôt la mort, substituant un crâne au visage dormant sous le voile.
Raphaël étira le mouchoir du bout des doigts. Inconsciemment, il ajusta les deux roses pour qu’elles correspondent parfaitement au regard de sa sœur. Elle semblait ainsi dotée d’orbites rouges, pleurant des pétales de sang sur la blancheur du tissu, creusant plus que jamais l’aspect qu’elle revêtirait dans la tombe. Les fleurs brodées recouvraient ses yeux comme un paiement funèbre pour le passeur du Styx.
Une fascination étrange poussa le jeune homme à s’approcher. Par-delà ses larmes, par-delà les soieries lourdes de la bière, le visage de sa sœur appelait son regard une dernière fois. Mais le mouchoir disloquait ses traits, les fondait en ses fibres pour n’en laisser que le tracé effacé, la ligne vaporeuse, l’évocation onirique que deviendrait bientôt son souvenir. Raphaël caressa sa joue à travers le tissu, il en sentit la froideur. Mais un autre détail l’arrêta. Prisonnier des points du maillage, un minuscule crâne lui souriait. Et à côté de lui, un autre, et encore un autre : sous ses yeux défaits, toute la trame du mouchoir se changea en une armée de mâchoires disloquées, d’orbites vides, de raclements osseux venus des entrailles du cimetière. Un léger souffle d’air agita la toile.
Raphaël s’enfuit de la chambre cette nuit-là. Il abandonna sa sœur avec le mouchoir qui l’avait accompagnée depuis sa naissance. Rosaria fut mise en terre le lendemain matin.
XXX
Raphaël Mestre avait toujours eu un esprit ouvert à la perception. Issu d’une famille ancienne, sa mère était morte en donnant naissance à sa sœur quelques douze ans plus tôt, et son père s’était fait un devoir d’assurer à ses enfants la meilleure éducation. Aussi Raphaël avait-il grandi subjugué par les gloires de l’Histoire, humble face à la Nature, étourdi de musique et élevé dans son âme par les voix des penseurs, des poètes et des dramaturges.
On n’aurait pu trouver plus grande docilité chez un enfant. Dès le berceau, Raphaël avait illustré un tempérament calme et curieux, ouvert à toutes les expériences de la vie. Il faisait partie de ces âmes que la rêverie entraînait parfois trop loin dans les confins du monde, mais sa tendre réserve et son extrême douceur rachetaient bien vite cet esprit vagabond. Il s’adonnait à la lecture avec passion, s’essayait volontiers à la poésie, et trouvait dans la contemplation d’une fleur, d’un ruisseau ou d’un paysage plus de satisfaction que dans les plaisirs matériels des hommes de son temps. Il avait le don de voir la beauté dans tout ce que la vie avait à lui offrir, et cela faisait de lui un être d’une rare sensibilité.
Son père, Eugène Mestre, était un homme de bien dont les enfants avaient su apaiser la rugosité. Surmontant le décès d’une épouse jeune et follement aimée, il avait prodigué à Raphaël un cadre de vie qui ne pouvait que confirmer ses inclinations naturelles et son bon caractère. Aussi, à dix-sept ans, Raphaël Mestre était-il l’héritier d’un domaine plusieurs fois centenaires, doux rêveur mais bien disposé envers l’avenir, éclairé et prompt à l’émerveillement.
Sa sœur, Rosaria, était l’objet de sa plus grande affection. De leur mère, elle avait emprunté la blondeur et les traits, mais surtout le tempérament posé, la pensée vive et l’optimisme rayonnant, autant de qualités qui trouvaient écho dans le lyrisme de Raphaël. Malheureusement, la fatalité voulut qu’elle héritât aussi d’une constitution très fragile, et l’hiver de sa douzième année, la maladie l’emporta.
Décrire le désespoir de Raphaël à cet instant serait un pâle euphémisme. Le fait est que le marbre recouvrit Rosaria, inscrivit son nom dans la pierre et dans la jeunesse éternelle, terrible sceau d’une promesse inachevée.
Le gel recouvrit la tombe, puis la neige, puis les fleurs. Le temps passa, la famille survécut. Mais le déclin de la maison Mestre ne pouvait échapper à un œil averti. Eugène Mestre avait toujours évolué dans un monde clos, restreint au panorama de collines qui ceinturait son domaine. Mais jamais encore la vallée encaissée n’avait revêtu les allures d’un mouroir. Les saules pleureurs plongeaient dans les lacs alentour comme pour s’y noyer, les feuilles de printemps pourrissaient sur les branches rongées de moisissures, une vapeur sourde s’élevait de la terre, brouillard glacé qui engloutissait l’horizon, complice d’une perversion latente qui matérialisait leur chagrin et infectait tout.
Eugène Mestre se retira de ce monde, de cet héritage qu’il avait chéri depuis sa naissance, et bientôt son ombre fracturée remontant le long des couloirs prit plus de consistance que son être lui-même. Rosaria était partout. Sa mort avait ouvert un gouffre, un vide dessiné par les reliefs de leur vie, de leur maison, de leur quotidien et qui leur criait son absence. Les pièces qui l’avaient accueillie tout au long de sa vie se refermaient sur l’esprit d’Eugène Mestre, qui succombait sous le coup d’un silence étourdissant.
Raphaël, lui, ne pouvait qu’assister en témoin impuissant à la décrépitude de son père. Depuis la mort de Rosaria, il se sentait poursuivi par une lourdeur infecte, les ombres avaient pris la consistance huileuse de l’encre de Chine, et un froid surnaturel englaçait son cœur dans une douleur sans repos. Mais son père était bien la victime de cette moiteur sans nom. Alors qu’il se réfugiait dans la bibliothèque, absorbé dans des lectures qui l’éloignaient de la réalité, les ombres se concentraient dans les reliures des cuirs, le murmure des tissus, les imperfections du plancher, elles semblaient se mouvoir dotées d’une volonté propre, et les ténèbres recouvraient Eugène Mestre comme pour l’envelopper chaque jour un peu plus dans leur étreinte impalpable.
Raphaël en fut particulièrement frappé un soir où les flammes dansaient dans la cheminée. Son père, assis dans son fauteuil préféré, fixait non pas le feu mais les ombres qu’il créait. Un livre gisait ouvert entre ses doigts recourbés, refermés en vain sur un monde qui s’acharnait à lui échapper. La lumière qui frappait inégalement son visage soulignait sa maigreur, sa lassitude, et l’éclat qui autrefois animait ses yeux n’était plus que le reflet de la flamme en face de lui.
Alors que Raphaël s’apprêtait à lui parler, les ombres se diluèrent une fois de plus dans le secret du fauteuil. Alors le jeune homme s’approcha, s’assit en face de son père et observa le phénomène, capturé par une angoisse qui tardait à se faire jour, une peur instinctive qui hérissait les poils de sa nuque et accélérait le rythme de son cœur. Les ombres bougèrent à nouveau, et Raphaël la vit : une silhouette immatérielle, enfantée du néant, plus noire que les profondeurs de l’abyme, nourrie de l’absence de couleur, l’absence de lumière, de chaleur, l’absence de toute vie. Et cette chose s’attachait à son père, léchait son visage de sa langue effilée, insinuait son essence obscure dans la souffrance des rides.
Raphaël était pétrifié. Son père dépérissait devant lui, comme si chaque seconde passée dans ce halo néfaste aspirait quelque chose de l’intérieur de son être, un fluide vital qui jusque-là avait fait sa force, et qui s’échappait de lui, absorbé jusqu’à la moelle. Son père ferma les paupières sur l’obscurité cette nuit-là, et dès lors, il fut obligé de garder le lit.
Raphaël veilla sur lui avec la ferveur d’un enfant dévoué. Son père avait sombré dans une torpeur molle, à mi-chemin entre l’éveil et le rêve, jamais totalement conscient, jamais pleinement endormi. La fièvre s’était emparée de lui, faisant fondre son corps dans une sueur malsaine, et le vieil homme semblait se perdre chaque jour un peu plus dans l’immensité de son lit, comme effacé de la réalité.
Raphaël lui faisait la lecture, tentait de raviver en lui l’éclat du père qu’il avait tant aimé. Pour chasser l’ombre, il maintenait les rideaux grands ouverts, mais depuis peu l’air exhalait une puanteur de marécage qui le contraignait à garder les fenêtres closes sur l’extérieur.
Et puis la créature revenait inlassablement. Raphaël la distinguait dans chaque pli du tissu, chaque recoin de la pièce, jusque dans les chairs de son père. Son visage anguleux venait surplomber le vieil homme, emportant chaque jour avec elle un peu plus de son existence dépouillée. Dans ces heures terribles, au plus noir de la nuit, Raphaël avait essayé de la toucher, d’en saisir l’aspect, mais son ombre se conjuguait à la sienne et ne faisait que la renforcer.
Raphaël avait toujours eu un esprit ouvert à la perception. C’est pourquoi il ressentait ces évènements avec une force qui restait dissimulée aux yeux du monde. Dans le moindre craquement de la maison, il sentait vivre cette présence surnaturelle qui restait attachée à leurs pas, qui s’était entremêlée à eux. La souffrance devenait torture dans son âme réceptive, la mélancolie se faisait mortifère, et les peurs les plus primitives devenaient terreur pure. Assailli par une marée d’émotions que sa nature ne l’avait pas destiné à endurer, Raphaël sombra lui aussi dans une ivresse toute physique, une inconscience bienfaisante qui émoussait ses sens, une ébriété de l’esprit.
Dans une de ces nuits éthyliques, effondré au chevet de son père, Raphaël fut réveillé par une odeur particulière. Un parfum de rose et de soieries poussiéreuses, l’odeur de la bière dans laquelle ils avaient déposé sa sœur comme on le ferait d’une perle dans un écrin. Raphaël entrouvrit des yeux vitreux, le visage plaqué contre la couverture par une pression insoutenable, la brûlure de l’alcool pulsant contre ses tempes douloureuses. La première chose qu’il vit, ce fut la flamme de la bougie vaciller, altérée par un air déplacé, une présence étrangère. Puis son regard tomba sur son père, les yeux grands ouverts, redressé sur ses oreillers avec une assurance qu’il n’avait plus manifestée depuis longtemps. Une zone d’ombre persistait dans un coin de la pièce en face de lui, une obscurité sans contour, en dehors de la réalité, au-delà des lois de la logique et de la rationalité.
Petit à petit, les ténèbres se contractèrent pour régurgiter une silhouette, un être de chair et de sang. D’abord floutée, la créature fit un pas dans la réalité et ses traits se précisèrent. Alors, Raphaël vit la lourde robe de deuil noire, la dentelle vaporeuse sur les cheveux de platine, la terrible beauté de l’enfance. La poitrine déchirée de folie, Raphaël articula de ses lèvres exsangues :
- Rosaria…
Sa sœur se dressait là dans la pièce, pâle, belle et froide, elle s’approcha du lit sans lui accorder un seul regard. Elle n’avait d’yeux que pour leur père, et Eugène Mestre tendit une main vers elle, une main décharnée, squelettique, portée par l’espoir avec les dernières forces qu’il lui restait. Rosaria lui toucha le visage du bout des doigts, le laissant caresser sa joue en retour, sans aucune expression sur ses traits figés. Elle se pencha sur lui, et du bout des lèvres, déposa un baiser sur son front tourmenté.
Raphaël assista à ce contact dans un silence impuissant, l’horreur ouverte sur un cri qui ne franchirait jamais ses lèvres.
Rosaria se redressa. Déjà, Eugène Mestre disparaissait, submergé par un mal qui putréfiait ses chairs et poignardait son esprit.
- Non…
Dans cette prison de ténèbres qui avait jeté ses liens autour de lui, Raphaël trouva la force de se redresser et de hurler au visage de la créature :
- Rosaria !
Elle le vit enfin. Sa peau diaphane, ses lèvres minces, son regard livide se tournèrent vers lui, et le dévisagèrent. Alors une douleur suraigüe crucifia son esprit, et sa conscience disparut.
Lorsque Raphaël se réveilla le lendemain matin, son père était mort. Son enveloppe charnelle gisait là comme une coquille vide, une mue desséchée. Il n’avait plus rien à voir avec cet homme fort que Raphaël avait admiré, qui lui avait appris tout ce qu’il savait.
Les ténèbres avaient triomphé du fond de leur royaume obscur. L’esprit malin qui torturait leurs pensées depuis si longtemps avait pris la forme de Rosaria, et avait emporté Eugène Mestre avec lui. Mais Raphaël ne s’y trompait pas. La chose qu’il avait aperçue au fond de ces iris vides, ce n’était pas sa sœur. Par-delà la pâleur et la glace, le réseau d’araignée, la clarté de miroir, Raphaël avait eu une vision d’éternité, une plongée dans l’immensité vide, sans compassion ni conscience, l’aperçu d’une entité plus vieille que le temps, insensible aux supplices des hommes.
Bientôt, on vint chercher le corps d’Eugène Mestre pour l’ensevelir dans la terre du domaine devenue tourbière. Avant de permettre qu’on l’emporte, Raphaël saisit la main de son père une dernière fois. Pour s’en remémorer le contact, la sécheresse et la callosité d’une peau si tendrement aimée.
Quelque chose de doux éveilla ses sens au creux de la paume déjà froide. Raphaël tira jusqu’à dégager un tissu qu’il déplia entre ses doigts. Sur la blancheur de la trame, deux roses rouges le contemplèrent, et les broderies du mouchoir de Rosaria chatoyèrent comme pour lui sourire du fond de la tombe.
Raphaël sombra dans un accès de panique incontrôlable. Il lâcha le mouchoir et s’écarta du chevet de son père, aussi loin que possible, dos à la fenêtre. Lorsqu’il eut recouvré suffisamment de courage et d’esprit, il s’empara du tison de cheminée et cueillit le tissu à la pointe du métal. Lentement, comme aux prises avec un animal dangereux, il approcha le mouchoir du feu et l’y précipita.
Les broderies se consumèrent les premières, telles un réseau de filigranes entrelacés, puis l’étoffe blanche s’enflamma à son tour, prise de convulsions, ondulant au rythme du brasier déchaîné. Les fibres du tissu semblèrent se débattre, se tordre et s’entremêler pour échapper au bûcher, les motifs noircirent, se boursoufflèrent, jusqu’à ce qu’enfin il n’en reste plus que des cendres.
Raphaël battit en retraite auprès du lit. Un long moment, il resta plongé dans la contemplation du visage de son père, frissonnant au souvenir de la créature qui avait osé le toucher. Au sortir de ce jour funeste, Raphaël ne fut plus le même.
XXX
Dans la semaine qui suivit l’enterrement, il fut incapable de trouver le sommeil. La maison se remplissait de terreurs qui n’attendaient pas la nuit pour se découvrir. Le silence lui rappelait constamment sa solitude, et conférait au moindre bruit une origine surnaturelle.
Pour échapper aux tourments, Raphaël se réfugiait dans toutes sortes de poisons. Il ne distinguait plus l’éveil du sommeil, le jour et la nuit, le réel et les visions cauchemardesques. Dans son état de transe, toutes les formes prenaient corps, les objets dissimulaient des visages aux yeux posés sur lui, et toujours, l’Ombre murmurait : « Rosaria ».
Raphaël sentait sa présence partout, une épée de Damoclès au-dessus de sa tête qui ne demandait qu’à s’emparer de lui, à le vider de sa substance, aspirer son âme hors de lui pour s’en nourrir jusqu’à la dernière goutte. Loin de l’épargner, son aliénation croissante transformait son monde en vision horrifique, l’attirant aux confins de la raison, n’attisant plus rien d’autre en lui que ces frayeurs innées venues du fond des âges de l’humanité.
Jusqu’à une nuit où la folie supplanta son esprit. Le mouchoir de Rosaria avait rongé ses nerfs à l’acide, dévoré son corps à petit feu dans une angoisse grandissante, et finalement, l’alcool aidant, Raphaël décida d’en avoir le cœur net. Il s’empara d’une pelle dans l’atelier derrière la maison, et à la seule lumière d’une lanterne, il retourna la terre marécageuse dans le cimetière du domaine.
L’enterrement de son père était encore frais, la dalle de marbre n’avait pas encore été replacée. Tout au long de cette terrible nuit, Raphaël creusa jusqu’à s’engloutir dans le limon d’où venaient ses origines. Il n’avait plus conscience de rien : ni de la brûlure de ses muscles sous sa peau, ni du froid glacial, ni de la maladie folle qui guidait son esprit : la peur. Une peur mouvante et sans corps, qui venait peut-être à lui du fond de la tombe…
Une heure avant l’aube, Raphaël butta contre le cercueil de son père. Il l’extirpa de sa gangue de boue et poursuivit sa besogne jusqu’à attirer autre chose : un sarcophage que la terre avait déjà réclamé, prisonnier de l’oubli et de la mort, absorbé dans ces ténèbres sans fond qui disloquaient le bois, le sang et les os. Inscrite en lettres de fer, « Rosaria » l’appelait à elle.
Suffoqué d’angoisse, submergé par les démons de l’horreur, Raphaël plongea son âme dans l’abomination et brisa les scellés du couvercle. Une fade décomposition se répandit dans l’air. Reposant là depuis quatorze mois, les orbites rouges et brodées de Rosaria se posèrent sur lui, et le dévisagèrent.
XXX
Des habitants du village le plus proche retrouvèrent Raphaël au petit matin, inconscient dans les entrailles du cimetière, presque indissociable des morts qui dormaient autour de lui. On replaça Eugène Mestre dans la demeure de son dernier repos, et le cercueil de Rosaria fut refermé, avec le mouchoir qu’il contenait. Compte tenu de ses pertes récentes, Raphaël ne fut accusé d’aucun tort. Toutes les personnes qui entendirent parler de cette transgression morbide ne purent que comprendre et compatir à la douleur d’un jeune homme livré à lui-même. Il n’empêche que Raphaël ne se remit jamais totalement de ce voyage aux limites de son âme. Son esprit, confronté à la preuve de sa propre folie, avait perdu quelque chose. Une petite part de lui était restée dans la tombe avec Rosaria. Lentement dévoré par les vers, Raphaël Mestre était mort.
Les ombres se multipliaient autour de lui, ses terreurs instinctives ne l’avaient pas quitté, les poisons que son organisme ingurgitait gagnaient en nombre et en intensité. Alors qu’il était au seuil de sa vingtième année, la santé de Raphaël commença à se dégrader. Il n’y vit qu’une confirmation de la malédiction qui frappait sa famille : la créature avait bel et bien jeté son regard sur lui, « Rosaria » le fixait depuis les ténèbres entre les flammes du foyer, Raphaël la sentait vivre et se mouvoir en lui, jusque dans l’air qu’il respirait.
Un jour, il acquit cette certitude évidente : s’il restait dans cette demeure, il y mourrait. Aussi décida-t-il de prendre la fuite. Il congédia ses gens de maison, empaqueta le peu d’affaires qu’il souhaitait emporter, et entama des démarches pour se rendre à la capitale. Tout fut réglé assez vite. Le matin, une voiture vint chercher ses bagages pour les porter à la gare. Raphaël choisit de faire le chemin à pied. Il alla se recueillir sur la tombe de son père et de sa sœur, et leur demanda une nouvelle fois de le pardonner pour son sacrilège. Il avait besoin de faire ses adieux à la terre avant de s’en aller.
Le chemin jusqu’au village serpentait le long du lac avant de partir à l’assaut des collines. La route n’était pas très longue, moins de cinq kilomètres, mais comme toujours, le brouillard dissimulait l’horizon. Raphaël le voyait à l’image de sa vie : plongé dans l’incertitude, condamné à manœuvrer en eaux troubles, incapable de prédire son avenir - s’il en avait au moins un.
Il fut confronté à la vision de sa propre décadence. Depuis l’enceinte de la maison, le domaine s’était putréfié à l’instar de ses propriétaires. Sans qu’aucun phénomène physique ne parvienne à l’expliquer, la nature n’avait cessé de dépérir jusqu’à sombrer dans cette déliquescence immonde, l’air immobile empestait la mort, les cadavres de dizaines de milliers de végétaux dont les sucs se mélangeaient dans un abominable charnier ouvert au regard de tous. L’eau stagnante exhalait des tourbillons de brume, comme le souffle chaud d’une terre corrompue. Aucune vie ne venait troubler la surface de ce monde en liquéfaction.
Raphaël contemplait la ruine de ce qui avait été son empire, sa source de joie, son enfance. Le sol infecté de pluie s’accrochait à ses semelles, semblait l’attirer pour le retenir à lui dans d’effroyables bruits de succion, et alors que toute vie semblait avoir déserté ces lieux, deux corneilles le regardèrent passer et survolèrent sa route.
Raphaël arriva aux grilles qui clôturaient la propriété. La mousse avait attaqué le fer, libérant la rouille, creusant des monstres hurlants dans le métal torturé. Tout le long du chemin, il avait senti le regard de Rosaria posé dans son dos. C’était elle qui le retenait depuis les racines du sol, qui l’invitait à boire aux eaux calmes de sa source de folie, qui suivait son passage et le marquait de l’empreinte de la mort à travers les oiseaux.
Raphaël se sentait seul, fatigué, et faible de vivre dans la peur de son ombre face à un ennemi invisible. Rosaria avait puisé dans ses forces l’étincelle de combativité qui lui manquait pour la fuir. Il s’effondra dans l’humus à deux pas du grand seuil de pierre. La pluie se mit à tomber, l’engloutissant dans la tourbe. Une fois ses affaires rapatriées chez lui, son corps recueilli en urgence, le médecin décréta que le moindre déplacement lui était interdit.
XXX
La réclusion eut des conséquences désastreuses sur ce qui restait du mental de Raphaël. En quelques mois, il avait perdu tout ce qui faisait de lui un être de lumière et de raison. Il avait désormais la certitude que la présence surnaturelle qui avait dévoré son père ne souhaitait pas qu’il quitte le domaine. Son esprit, autrefois la demeure de l’imaginaire, de la beauté, de la douceur dans sa plus tendre expression, se desséchait au contact d’un mal qui le détruisait de l’intérieur. Il devint paranoïaque, résigné, acerbe, hostile à tout contact social. La rumeur de sa folie ne tarda pas à se répandre depuis les domestiques jusqu’aux gens du village. Plus que jamais, la maison Mestre sombra dans un abandon déplorable, isolée dans ces contrées hautes empestées de vapeurs fantomatiques, livrée à elle-même au coin d’une route que plus personne n’osait emprunter.
Le docteur Charles Alexandre fut le seul visiteur du jeune héritier durant cette période qui devait durer plus de cinq mois. En dépit de ses multiples remèdes, des diverses thérapies et de la privation d’alcool, la santé de Raphaël ne cessa d’empirer. Deux escapades successives dans la froideur de l’hiver étaient venues à bout de ses défenses naturelles. A l’heure qu’il était, Raphaël souffrait d’une grave pneumonie qui consommait ses forces à petit feu. La fièvre ne le quittait que rarement, et dans ses délires éveillés, Rosaria lui apparaissait comme un prédateur à l’affut, un cauchemar étouffant son souffle dans ses bronches verrouillées, une ombre encore indistincte, mais il savait que c’était elle, attendant son heure.
Il avait perdu la notion du temps, mais un matin, le docteur Alexandre entra avec une invitée inattendue. Sa fille, Ophélie, étudiait les sciences à ses côtés depuis qu’elle était en âge de tenir un livre. Raphaël remarqua à peine sa présence, mais à force de murmures, le médecin lui fit entendre qu’elle resterait auprès de lui lorsque ses obligations l’appelleraient au village. Aussi Ophélie entra-t-elle dans la vie de la maison Mestre, d’abord en tant qu’étrangère imperceptible, puis comme infirmière qualifiée.
Les premières semaines, Raphaël ne fit que l’entrevoir, sans qu’aucune pensée intelligible ne lui soit associée. Elle était le linge humide qui essuyait son front, la nourriture fade et sans saveur qu’il absorbait lentement, la main sur la sienne, matérielle, humaine, qui lui rappelait qu’il n’était pas seul dans ses terreurs les plus maladives. Sa présence constante fut la première chose à laquelle il put se raccrocher. Ophélie ne le laissait jamais livré à lui-même. Elle dormait sur la méridienne auprès de son lit, et même s’il ne saisissait pas ce qu’elle disait, elle avait toujours un geste, un regard, une parole rien que pour lui, comme si son esprit était encore là quelque part et qu’il pouvait l’entendre, comme s’il était une personne à part entière.
Dans le flou qui diluait ses pensées, Raphaël n’aurait pu poser de mots sur ses impressions, mais les yeux et la voix d’Ophélie étaient autant de contacts qui le rappelaient à la réalité. Elle tentait de communiquer avec lui, et un jour, elle y parvint.
Elle avait pris l’habitude de lire à voix haute à son chevet une majeure partie de la journée. Elle avait un timbre mélodieux, une clarté d’expression qui le captivait et le poussait à l’écouter quel que soit le sujet.
Ce jour-là, elle lisait un poème de John Keats, et l’émotion sincère, juste et naturelle de sa voix éveilla Raphaël à une sensibilité qu’il croyait avoir perdue depuis longtemps. Pour la première fois, il la regarda vraiment. Elle s’en aperçut, lui sourit posément, lui demanda s’il aimait John Keats. Puis elle poursuivit sa lecture, et sans qu’ils échangent un seul mot, Raphaël ressentit entre eux une communion qui apaisa ses nerfs aiguisés.
La conscience lui revint petit à petit au fil des semaines. Cela avait pris du temps, mais Ophélie avait bien fini par pénétrer son monde. Son attention se fixait sur elle et alors, tout devenait clair. Les ombres se retiraient dans les Enfers d’où elles étaient venues. La chambre redevenait ce qu’elle avait toujours été : une pièce qui l’avait vu grandir, qui avait abrité ses rêves, ses espoirs et ses peurs.
Un soir alors qu’Ophélie disposait les coussins du sofa pour dormir une fois de plus à son chevet, il la remercia. Sa voix souffrait du silence dans lequel il l’avait emmurée. Il fit un effort et réussit à lui demander :
- Pourquoi êtes-vous si dévouée envers moi ?
Elle se redressa pour le regarder, un sourire énigmatique au coin des lèvres :
- Mon père espère qu’en m’agitant sous votre nez à longueur de journée, vous finirez par m’épouser.
Sa réponse surprit Raphaël à un tel point qu’il sentit quelque chose naître au fond de sa gorge. Une sensation familière qu’il n’avait pas connue depuis longtemps : un rire. Un éclat de rire franc qui libéra sa poitrine et donna vie à ses yeux :
- Je crains de ne pas être en état d’épouser qui que ce soit, répondit-il.
Elle rit en retour. Cette nuit-là, le souvenir de son trait d’esprit piqua Raphaël, imprima dans son cœur une affection immédiate. Dans les jours et les conversations qui suivirent, Ophélie démontra un caractère rigoureux, méthodique et néanmoins positif, une assurance innée doublée de cet esprit pointu, quelques fois cynique, une intelligence vive qui l’extrayait du bourbier où il s’était englué.
Elle était d’une beauté étrange, un de ces visages fascinants en dehors des canons de son temps, particulière et saisissante. Ses traits n’étaient pas réguliers : de grands yeux noirs, des sourcils arqués, de petites lèvres rouges venues adoucir l’arête polie du nez, le teint pâle irisé de veinures comme un marbre de Carrare. Elle relevait toujours ses cheveux sombres en un chignon tressé qui lui donnait un air sévère, mais quelques mèches folles venaient se perdre sur son front, ponctuaient l’animation de son regard incisif.
Raphaël se prit de passion à redécouvrir le rêveur qu’il avait été. A travers elle, il se retrouvait lui-même, il prenait conscience de ce qu’il avait perdu, et il osait croire que ce jeune homme au fond de lui n’était pas tout à fait mort, en fin de compte.
Ophélie le marquait d’autant plus qu’elle était la première femme qu’il rencontrait depuis la mort de Rosaria.
Ils abordèrent l’objet de sa folie alors qu’une profonde confiance s’était déjà installée entre eux. Raphaël raconta à Ophélie tout ce qu’il avait vécu, les expériences et les impressions qu’il avait ressenties dans ces pièces obscures que la vie désertait, la pression d’un être sans substance qui se nourrissait de lui pour s’ancrer dans la réalité. Depuis la mort de Rosaria jusqu’à la profanation du cimetière, Raphaël laissa enfin ses angoisses s’échapper de lui, elles existaient désormais dans la pensée de quelqu’un d’autre, il n’était plus seul. Il éprouvait la peur inavouée que la créature ne jette son dévolu sur Ophélie s’il parlait. Mais la force qu’il ressentait lorsqu’ils se trouvaient réunis dans la même pièce lui laissait espérer qu’ensemble, ils réussiraient à la vaincre. Depuis qu’Ophélie était entrée dans sa vie, l’Ombre n’avait pas reparu.
La jeune femme l’écouta sans l’interrompre, l’encourageant du regard lorsque les mots venaient à lui manquer. Elle ne questionna pas sa raison, mais avec la douceur qui lui était propre, elle tenta d’apporter des réponses à ces obsessions qui l’avaient torturé. Il avait bu le soir où son père était mort. Il disait avoir brûlé le mouchoir, mais par conséquent, il n’avait aucun moyen de prouver son existence. Il avait lui-même reconnu avoir un caractère impressionnable qui aurait pu déformer la peine qu’il éprouvait.
Au sortir de cette longue conversation, Ophélie se leva et écarta les rideaux qui étaient restés fermés sur le monde depuis trop longtemps. Elle ne dit pas un mot, mais elle laissa le Soleil envahir la pièce, capturer la poussière dans sa danse ondulée, éclairer son visage sous un jour éblouissant. Elle ouvrit la fenêtre, et alors les parfums de l’été vinrent à leurs sens. La roseraie était en fleurs.
Raphaël resta pétrifié devant tant de beauté. Les roses que sa mère chérissait avaient donné son nom à Rosaria. La lumière abreuvait à nouveau la chambre après une si longue perdition, elle créait des ombres qui la magnifiaient, loin des menaces qu’il y avait décelé. Elle ramenait Raphaël à un monde qu’il avait oublié. Le monde tel qu’il était, tel qu’il avait reçu le don de le percevoir, dans son inexprimable perfection.
- Ce que vous aviez pris pour une décadence, ce n’était que le passage de l’hiver, murmura Ophélie. Votre père et votre sœur vous ont quitté si vite. Ils vous ont laissé seul avec votre chagrin. Vous avez toujours été un esprit sensible, Raphaël. Vous avez donné vie à vos peurs et à vos souffrances. Vous les avez laissées prendre le contrôle sur vous. L’ennemi contre lequel vous vous battez depuis si longtemps n’est nul autre que vous-même. C’est votre chagrin qui vous tue.
Alors qu’elle disait cela, le regard de Raphaël tomba sur un recoin de la pièce, un pan de mur oublié car trop longtemps livré aux ténèbres. Un portrait de Rosaria y était accroché. Belle, douce et calme, elle souriait dans la grâce de l’enfance, étrangère aux terreurs que ses traits lui avaient inspirées. Plus que jamais, Raphaël ressentit le regret d’avoir souillé l’image d’une sœur si profondément aimée.
Ses yeux balayèrent la chambre, la lumière, les ombres, les objets inanimés, Ophélie dans la vivacité de l’instant. Ses mots résonnaient en lui, ouvrant son esprit à la vérité.
La vérité, c’était ce qu’il vivait. C’était sa beauté, son intelligence, ses yeux, et tout ce deuil qu’il n’avait pas su affronter. Aujourd’hui, il comprenait. Il était prêt.
Raphaël revint à l’existence, une nouvelle fois lui-même, porté par un espoir qui irradiait en lui et qui le poussait à affronter le monde à nouveau. Ophélie était la clé de ce triomphe sur la mort.
Autant de joie retrouvée eut forcément un effet sur sa condition physique. Raphaël n'avait plus peur, il ne sentait plus cette angoisse latente peser sur son cœur. A tel point que le docteur Alexandre lui fit faire de nouvelles analyses. Lorsque les résultats arrivèrent, il pénétra dans la pièce et s’assit auprès de sa fille, au chevet de Raphaël. La lumière qui découpait son visage ne laissait aucun doute quant à son expression :
- Vous avez ressenti un léger mieux. Mais il semble que ce n’était qu’un phénomène psychique.
- Que voulez-vous dire ?
- Votre organisme est extrêmement affaibli. Si nous avions traité l’infection plus tôt, il aurait été possible de l’endiguer… Mais il est trop tard.
Le vieux médecin pressa une main compatissante sur la sienne :
- Vous n’allez pas vous en sortir, Raphaël.
XXX
Allongé dans son lit, Raphaël goûtait à la caresse simple du Soleil sur sa peau. Les oiseaux virevoltaient dans le petit bout de ciel qu’il arrivait à apercevoir de sa chambre. Cela lui suffisait amplement. La vision de ses terres en vie, survivant après lui.
Ophélie s’était endormie dans ses bras d’avoir trop pleuré. Elle reposait dans un sommeil calme à présent, il respirait son odeur étrange et sucrée, ses cheveux noirs chatouillant sa joue.
Les dernières semaines avaient été difficiles. Pourtant aujourd’hui, Raphaël aurait pu affirmer qu’il n’avait jamais été aussi heureux de toute son existence. Il se sentait plein et entier, serein, et même s’il regrettait de dire adieu à une destinée trop courte, au moins avait-il le sentiment d’avoir compris ce qu’elle avait à lui apprendre.
Son corps avait rapidement confirmé l’annonce du docteur Alexandre. Sa respiration s’était faite de plus en plus laborieuse au fil des jours, le mal avait rempli ses poumons d’un coton revêche qui le laissait déshydraté et privé d’air.
Mais à présent, Raphaël n’avait plus mal. Il l’avait senti venir juste avant que le Soleil n’atteigne son zénith. Ses sensations s’estompaient les unes après les autres. Les liens qui retenaient son esprit sur cette Terre le libéraient de son corps. Il faisait jour, en pleine lumière, et il n’avait pas peur.
Raphaël avait toujours eu un esprit ouvert à la perception. La nuit où son père était mort, peut-être avait-il vu ce qu’aucun mortel n’était préparé à voir. Un mystère trop grand pour sa compréhension. Mais aujourd’hui, il avait compris. Lorsque l’entité floue apparut devant lui, il la reçut avec un sourire. L’incertitude se concentra pendant de longues secondes, puis elle prit la forme de son père.
- Je savais que vous viendriez, murmura-t-il. Vous avez pris cette forme pour ne pas m’effrayer. Vous auriez aussi bien pu prendre les traits de ma mère, ou ceux de Rosaria, n’est-ce pas ?
En réponse à sa question, l’être indéfinissable devint sa mère, et enfin, Rosaria. Raphaël sentit une larme unique rouler sur sa joue. Une larme de joie, de tristesse, d’acceptation, tous ces sentiments mêlés sur une vérité qu’il appréhendait enfin :
- Mon père a dû être heureux de revoir sa fille une dernière fois. Je suis navré d’avoir brûlé votre mouchoir.
Le visage inexpressif de Rosaria ondula doucement, jusqu’à dessiner une esquisse de sourire. Et au fond de ses yeux gris, Raphaël ne discernait plus le vide. Il voyait au contraire une conscience immense, trop étrangère pour qu’il puisse la saisir, éloignée dans ses pensées, ses émotions et dans le temps, mais qui ne lui voulait que du bien.
Il n’y avait jamais eu d’esprit maléfique. Il n’y avait que cette créature d’éternité qui revenait pour lui aujourd’hui.
Raphaël embrassa Ophélie sur le front. Intérieurement, il la remercia de lui avoir appris à vivre et à mourir.
Rosaria se pencha sur lui, il accepta son baiser avec la reconnaissance de toute la sagesse qu’il avait reçue. Elle tendit une main qui tenait une étoffe brodée. Délicatement, la Mort cueillit sa larme, et son âme, à la pointe du mouchoir.
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Nat'
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