Je suis une poupée comme toutes les autres.

J’ai été fabriquée à des milliers voir des millions d’exemplaires. Posée sur mon rayonnage, j’attendais, silencieuse, parmi tant d’autres moi, de trouver enfin une gentille petite propriétaire qui voudrait de moi. Elle me coifferait, me mettrait de jolies robes et me ferait vivre de merveilleuses aventures.

Sauf qu’il y a un mais… Je suis une poupée pour garçon…

Je ne sais pas combien de temps je suis resté en rayon mais je me souviens qu’à l’époque de l’année qu’ils appellent Noël, une femme m’a acheté. Je me suis retrouvé dans le noir, toujours dans le silence,  attendant qu’on me donne enfin à ma nouvelle propriétaire. Oui, j’espérais encore qu’on m’offre à une petite fille mais quand je vis de nouveau le jour, un visage de petit garçon se tenait devant moi.

Je fus déçu au début mais je me rendis vite compte que ce petit garçon était comme moi. Il aimait certes les jouets de son âge et de son sexe mais il y avait chez lui une douceur, une délicatesse toute féminine. Il lui arrivait de prendre des affaires de sa sœur et de les utiliser sur moi, pour ma plus grande joie. Ma déception était désormais remplacée par un grand ravissement.

Les années passèrent et le petit garçon devint un adolescent. Il joua de moins en moins souvent avec moi et finit un jour par me poser sur une étagère. J’étais triste mais d’où j’étais, je pouvais toujours veiller sur lui. De en temps en temps il me parlait même, me racontant sa vie, pour qui il avait un petit faible. Puis vint le jour où il ramena un garçon dans sa chambre.

De mon piédestal, je pus voir leurs baisers, leurs caresses, leurs mots doux. Mon jeune maître semblait si heureux avec ce jeune homme. Mais visiblement cela ne dura pas vu qu’il y eu plusieurs garçons avec lui dans sa chambre durant son adolescence. Je pense qu’il devait chercher le bon. De temps en temps entre deux garçons, mon jeune maître me descendait de mon étagère et me serrait dans ses bras en pleurant, cherchant à se consoler à mes côtés.

Et puis arriva le temps où il dût partir pour d’après ce que j’avais compris ses études.

Il ne revenait plus qu’en fin de semaine. Même à ces moments-là il ne restait pas bien longtemps dans sa chambre. Il lui arrivait encore de ramener de temps en temps des garçons. Je voyais les draps remuer, j’entendais leurs gémissements.  J’étais heureux que mon maître soit heureux, bien que désormais il ne me parlait plus, ne me voyait plus. J’étais heureux simplement parce qu’il était heureux.

Mais tout bonheur a une fin et mon maître ne revint plus dans sa chambre. Elle fut même entièrement vidée et transformée en une pièce où sa mère faisait sa couture. Quant à moi, je restais seul, sur mon étagère, abandonné de tous, la poussière me recouvrant de plus en plus. Les années passèrent, les cheveux de la mère passèrent de brun à gris puis à blanc. Et moi ? J’étais toujours sur mon étagère, loin de tous, observateur.

Puis mon maître revint. Je reconnus son regard et la douceur avec laquelle il me prit. Il me dépoussiéra doucement, me nettoya délicatement, me mit de nouveaux habits et me rangea dans une boîte. J’étais à nouveau dans le noir. Allait-il me donner à un autre enfant ? Allait-il me jeter ? Il ne m’aimait donc plus ? Silencieux, comme toujours, j’attendais que mon sort me soit révélé. La peine commençait à envahir mon cœur. La boîte bougea, j’entendis une voix d’enfant. Il m’avait donc donné à quelqu’un d’autre.

Je vis de nouveau la lumière du jour et un petit garçon me regardait. Il avait le même regard que mon ancien maître. Qu’est-ce que cela signifiait ? L’enfant me montra à ses parents et je fus surpris de voir mon maître avec un autre homme. Le petit garçon les appelait Papa et Daddy. Mon maître me prit dans sa main,  expliqua à son fils que j’avais été à lui et que désormais je lui appartenais. Et aussi qu’il devait me donner beaucoup d’amours.

Je ne suis pas une poupée comme toutes les autres. Je suis une poupée aimée.

Fin