Ceci est une réécriture d'une de mes fictions qui me tient particulièrement à cœur, je la réécris non seulement niveau scenario, mais aussi je me corrige tout doucement. N’hésitez pas me laisser votre avis pour que je puisse m’améliorer et surtout savoir si je continue tout ça où pas, sur ce bonne lecture.
Chapitre 1
Tout alla de travers dès le début de cette interminable journée, de la servante qui me marcha sur le pied jusqu'à la flèche encastrée dans le mur, juste à côté de ma tempe droite.
Ah et j'oubliais la lame aiguisée de l'épée sous ma gorge, quel merveilleux souvenir...
Je pourrais inclure le mage en pétard dans tout ce joyeux bordel, mais à part son horrible chevelure rousse qui pointait dans tous les sens, il n'avait pas attenté à ma vie.
Pas encore.
Comment je m'étais retrouvé dans cette situation ?
Eh bien, pour commencer, je m'étais faufilé pour la énième fois dans le château du duc Fakhain. Je fis mon tour habituel des chambres pour débarrasser quelques tiroirs des bijoux en trop, j'effrayai les jeunes servantes en bougeant les tapisseries et lançai deux ou trois tomates sur le vieux bouffon.
En parlant de ce vieux fou, je ne l'avais jamais aimé. Il se nommait Prognas. Ses collants dépareillés (jaune et violet si vous voulez vraiment le savoir) pendouillaient lamentablement à son entrejambe, la tunique anciennement dorée sentait l'alcool et son sens de l'humour était devenu tellement cynique qu'il se faisait dégager de la salle à coups de pied. Il faisait pitié. Bref, je n'avais rien fait d'extraordinaire pour me faire maltraiter de la sorte.
Bon, j'étais peut-être rentré dans les quartiers privés du duc. J'étais, peut-être, allé trop loin en fouillant dans sa garde robe ou bien me servant un verre de vin blanc qui trônait sur la table. Au passage, il était délicieux. C'est vrai que la présence du vin aurait dû me mettre la puce à l'oreille, mais le duc était connu pour ses absences au château et à part la bouteille de vin rien, ni personne était au courant de son retour.
Enfin désormais, j'étais le premier. D'ailleurs, je ne vois même pas d'où cette bande de brutes avait pu sortir. Ce que je sais, c'est que pris de panique j'avais lâché la bouteille de vin ! Elle se brisa au ralenti sur le parquet sous mes yeux dépités.
Cloué au mur par un beau brun, ou plutôt par son épée, j'étais à deux doigts de me mettre à prier. Le problème était que... j'ignorais comment faire.
Sur le coup ma première réaction face au danger fut de … bah de parler.
« Par les cuticules de Barrabas ! »
Je ne sais pas pourquoi j'avais craché cette phrase... peut être parce que je avais toujours trouvé les deux mots ridiculement effrayants, puis avec le stress ils étaient sortis sans me consulter au préalable.
L'homme relâcha la pression de sa poigne sur mon bras, mais la lame de l'épée ne bougea pas. Il souleva un sourcil élégant et me questionna en inclinant légèrement la tête.
« Je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça... C'est la dernière fois que je viens voler ici, promis, si vous lâchez je m'en irais et ne reviendrais jamais, je change de vie, les bijoux sont dans le sac près de la porte... »
J'entendis vaguement le mage balbutier.
« Quoi ?!
— … je suis désolé pour la bouteille. Elle est cassée maintenant, MAIS si vous me laissez partir je pourrais vous en chercher une autre, je pourrais même devenir vigneron ...
— Un voleur ?! chuchota l'archer aux cheveux rouges foncés, une couleur que je croisai rarement ces derniers temps.
— ... je pourrais vous fournir en vin ? continuai-je de marchander ma vie. Hein ? Je trouve que c'est une bonne idée, ainsi on fera un petit commerce entre nous et tout le monde sera heureux... »
Quand le mage ouvrit ma besace avec le butin de la soirée le molosse à l'épée me lâcha enfin le bras et recula de quelques pas. Les trois gardes me dévisagèrent avec un air hésitant entre la surprise et l'amusement alors que moi je continuais à parler sans reprendre mon souffle.
J'étais sur le point de leur proposer de signer le contrat pour notre future collaboration imaginaire quand je vis le duc. Il était assis tranquillement dans un fauteuil près d'un long paravent en bois, ce qui expliquait pourquoi je n'avais vu aucun d'entre eux auparavant. Le duc toussota puis se releva, titubant.
« Un voleur hein ? demanda-t-il, amusé.
— Votre futur vigneron monsieur ! » déclarai-je sans perdre de temps.
Le duc secoua la tête le sourire toujours aux lèvres. Le mage se dépêcha de lui offrir son bras pour que le vieil homme puisse s'y tenir. J'avais rapidement fait le lien. Les rumeurs se révélaient justes pour une fois. Son empoisonnement se confirmait à la simple vue de son état et de ses mains tremblantes. J'étais, cependant, assez surpris de constater cette information par moi-même. Ce court moment durant lequel le duc essayait tant bien que mal de tenir debout, dévia l'attention des gardes de ma personne. Alors je m'élançai rapidement vers la porte évitant agilement l'homme à l'épée. Dans le couloir je ne perdis pas de temps et détallai comme un lapin tout droit, puis à droite, à gauche et enfin je plongeai vers les ténèbres salvatrices avant même que l'archer n'ait pu décocher sa deuxième flèche de la soirée.
C'est ainsi que se passa ma première rencontre avec le duc et surtout avec ses gardes du corps. Certes, un peu désastreuse pour faire connaissance, mais marquante tout de même. Puis, après avoir passé trois jours à me morfondre dans ma petite cabane des quartiers de la ville basse, je décidai de me remettre à la pêche. Tout d'abord, parce que mes réserves de nourriture devenaient bien maigres, mais surtout parce que je m'ennuyais comme un rat mort ! Les quelques parchemins piqués à la librairie avaient pris l'humidité et étaient devenus illisibles compromettant mes soirées de lectures coquines.
Quand je vole, je le fais avec une grande dextérité et je ne vole que ceux qui me paraissent dans l'excès des choses. Bien que je sois loin d'être le genre de voleur qui défende les pauvres ou quelque-chose dans ce style, mais j'ai mes principes.
Je ne vole pas les gens de la ville basse, premièrement parce qu'ils n'ont pas grand-chose de valeur et deuxièmement parce qu'ils ne me volent pas non plus. Ceci faisait partie des règles jamais écrites de ce minable quartier. D'ailleurs, une pseudo guilde de voleurs avait essayé de se former, histoire de s'organiser sans devoir rendre des comptes à quelqu'un, mais l'idée avait été vite abandonnée. Personne n'avait de cabanon assez grand pour pouvoir accueillir une assemblée de plus de trois personnes. Ridicule n'est-ce pas ?
La pêche était pourtant très bonne dans les quartiers huppés de la ville pour ceux qui savaient s'y prendre. Les gens flânaient dans les ruelles commerciales sans se soucier de l'emplacement de leurs bourses et les gardes passaient leur temps à courtiser les jolies jeunes filles sans se préoccuper des voleurs dans mon genre. Avec tout l'or que j'avais volé, j'aurais très bien pu m'acheter une maison dans cette ville pour pouvoir vivre décemment. Mais cela posait bien plus d'inconvénients que d'avantages.
Pour commencer, je n'avais aucun papier prouvant mon identité, aucun lien parental pour m'installer tranquillement et pour que personne ne se pose des questions à mon sujet. Puis à la moindre étincelle de magie, sans le diplôme de mage, j'allais avoir beaucoup, mais alors beaucoup de problèmes avec les mages, le comble me diriez-vous.
Ensuite, j'aimais beaucoup ma vie de vagabond, même si par moments ce n'était pas facile de se trouver quelque-chose à se mettre sous la dent, c'était le prix à payer pour la liberté.
Il y avait bien sûr des organisations criminelles, dirigées par quelques malfrats avides d'argent qui avaient essayé de m'enrôler dans leurs rangs, mais comme je l'ai déjà dit, je tenais à ma liberté de faire n'importe quoi et n'importe quand. Bon, depuis, ils essayent juste de me mettre des bâtons dans les roues quand nous nous croisons par hasard, la nuit, dans une maison.
Ceci dit, quelques jours suivant l'incident avec le duc je me trouvai en train de filer un homme à l'allure noble et l'air tout à fait insouciant. Il entra dans une boutique et je le suivis, invisible. Le magasin au premier coup d'œil et d'oreille, vendait des horloges et des montres de tous les genres. Ma cible disparut derrière un rayon rempli de vieilleries cassées et soldées.
Dans ce genre de situation je me félicite toujours d'avoir appris le sort d'invisibilité mieux que quiconque ! Puis la marche des ombres, mon premier don, m'avait permis de me sortir des situations des plus dangereuses aux plus cocasses sans une égratignure.
Je le suivis donc dans le coin poussiéreux du magasin pour assister à un drôle d'échange, le responsable du magasin avait glissé une montre à gousset dans la poche de l'homme qui venait d'entrer, alors que celui-ci lui donnait (et je confirme) l'une des plus grosses bourses remplies de pièces d'or que j'avais pu voir.
Mon client débarrassé de son argent se dirigea vers la sortie du magasin. Honnêtement, j'étais perplexe, soit je le suivais, mais sans l'or il avait perdu tout intérêt à mes yeux soit je restais attendre que le vieux marchand ferme le magasin et aille planquer l'or.
Comme vous pouvez vous en douter, je décidai de suivre mon instinct.
Caché dans un coin de la boutique, la journée s'écoulait lentement et je passais la grande partie du temps à observer tout ce qui m'entourait en me rongeant les ongles.
Les fenêtres étaient ternies par le tabac et l'encens brûlant en permanence sur le comptoir. Tout semblait si calme et rythmé par le tic-tac des horloges. Là, où je m'étais confortablement installé, se trouvait une vitrine basse ornée des feuilles de vigne en fer. Cinq montres à gousset aux ornements des plus farfelus étaient disposées en cercle et surplombées par des bracelets qui pendouillaient sur le long nez de la statuette d'une sorcière en bois.
Par contre si je me focalisais sur le vieux boutiquier je ne pouvais m'empêcher de bailler, il ne recevait pas beaucoup de clients et passait la grande partie de la journée assis devant son comptoir. Une loupe-monocle dans l'œil il trifouillait ce que j'avais cru être une mouche mécanique. Je n'avais jamais vraiment su à quoi ces mouches pouvaient servir, seulement j'en avais fréquemment croisé dans les coffres à bijoux des dames. Souvent elles étaient ornées de diamants et d'émeraudes. Je n'avais jamais volé une seule, un bijou qui bouge et frétille au moindre de vos mouvements ? Très peu pour moi.
Mais revenons au principal, ma future bourse était posée à quelques centimètres du coude du marchand. Ce fut le moment le plus long et insupportable de toute ma vie, ou presque... Je vous passe les détails de l'épisode où j'étais coincé dans la chambre où deux époux se faisaient des câlins. Non seulement ça durait des plombes, la fille surjouait, le mari n'était pas attirant, mais en plus l'amant caché sous le lit s'était endormi et du coup je ne pouvais plus m'amuser à l'observer paniquer !
J'étais sur le point de craquer et aller assommer l'horloger pour prendre mon dû (je crois que ce fut à ce moment là que dans une réalité alternative, je prenais l'or pour débuter ma carrière de vigneron) quand quelqu'un ouvrit la porte.
Visage dissimulé par la capuche, la personne s'approcha de l'horloger, prit ma bourse et sortit tout simplement, sans se dépêcher, elle fit même un signe de main avant de partir.
Bouche bée, je repris mes esprits seulement quand le vieux horloger poussa un cri rauque face à la porte qui s'était ouverte toute seule, enfin par mes soins.
L'homme, qui avait pris ma bourse se fondit rapidement dans la foule, mais il fallait plus qu'une foule pour me décourager vu ma détermination à ce moment là.
Après quelques mésaventures dues à mon oubli du sort d'invisibilité et de la rencontre de quelques calèches sur le chemin, j'avais presque perdu de vue l'homme au capuchon. Je sillonnai, désespéré, les rues au hasard, prenant une ruelle puis une deuxième, puis une troisième et par chance la silhouette noire de l'homme montait les marches d'une des maisons. Je ne perdis pas de temps et entrai dans les ombres.
Pour expliquer simplement, quand je pénétrais dans une ombre, j'entrais dans le monde des ténèbres et je pouvais en ressortir où je le voulais, tant qu'il y avait des ombres. Ce sort malgré son aspect pratique était particulièrement épuisant et compliqué à manipuler. Il fallait absolument avoir un objectif précis en tête et surtout la volonté de l'atteindre. Sans l'objectif, quel qu'il soit : un objet, une personne ou plus simplement un endroit, se perdre dans les ombres n'était pas une promenade agréable. La magie se faisait absorber rapidement par l'obscurité et il y avait aussi cette peur enfantine et omniprésente qui finissait par s'insinuer dans vos entrailles. C'était pour cela que rester trop longtemps dans les ombres, sans but précis, était dangereux pour la santé mentale. Pour ces raisons, entre autres, je gardais ce sort pour des situations réellement désespérées. Là, c'était le cas, vous pouvez me croire, je n'avais jamais vu de sac avec autant d'or et de si près, hors de question qu'il me passe sous le nez !
La carte des ombres s'ouvrit devant mes yeux, tous les coins sombres et poussiéreux étaient devenus des sorties potentielles, les égouts de la ville même m'invitaient la bouche béante.
J'adore ce sort. Je repérai assez rapidement l'homme au capuchon à partir de son ombre projetée sur un mur. Il enleva la cape et l'accrocha à la porte. Il n'était pas si grand finalement, mais je ne sortis pas des ombres pour autant. Sous la cape, il avait caché pas mal de choses qui, mine de rien, ne me donnaient pas envie de me retrouver dans la même pièce que lui.
Premièrement, ma bourse, mais ça ne compte pas, deuxièmement, deux épées bien acérées de chaque côté de la ceinture et troisièmement, un joli assortiment de dagues sur le torse. L'homme alluma d'un geste sûr le feu dans la cheminée et s'installa devant, une flasque d'alcool à la main. Je sentis que ceci allait durer un certain temps, alors j'en profitai pour jeter un coup d'œil à la maison.
J'étais bien conscient que j'avais fourré mon nez dans quelque chose de louche et dangereux, cela dit je me sentais bien plus cupide que d'habitude. Plus sérieusement, je ne savais même pas si je voulais simplement l'argent qu'il y avait à l'intérieur de la bourse ou juste le voler pour être certain qu'il était à moi et à personne d'autre.
La maison était à l'abandon le plus total, les toiles d'araignées me barraient souvent la vue offerte par les coins sombres de la demeure, puis dans une des chambres à travers le plafond mon regard tomba sur les propriétaires légitimes de cet endroit.
Ils étaient morts, pas besoin de sentir l'odeur qui empreignait l'endroit pour savoir que cela faisait un bout de temps qu'ils étaient entassés ici. La vision de leurs cadavres desséchés était amplement suffisante. Les taches de sang sur les draps jetés au sol près de la porte, me laissaient à penser que l'homme assis devant la cheminée y était pour quelque chose. Mon envie d'explorer l'endroit s'éteignit aussi rapidement qu'elle était apparue et je repartis observer l'assassin.
L'homme n'avait pas bougé d'un poil et fixait les flammes d'un œil las. Physiquement, il avait l'air d'avoir au moins la quarantaine et vu ses muscles j'éviterais à tout prix de me mesurer à lui. J'espérais qu'avec l'alcool il s'endormirait, mais plus le temps passait plus l'homme semblait attendre quelqu'un sans boire une seule goutte. De mon côté je n'avais pas trop le choix, j'attendais. Le souvenir de l'or me maintenant fermement en place.
La nuit était tombée depuis une heure quand la porte s'ouvrit brusquement pour laisser entrer un vieux poivrot. Assis dans le monde des ombres, cette scène avait un étrange côté théâtral. L'homme laissa tomber son manteau en loques sur le sol et s'approcha de l'assassin.
« T'as l'argent ? » demanda le nouvel arrivant.
L'assassin s'étira puis tapota la bourse faisant cliqueter les pièces d'or en guise de réponse.
« Bien ! reprit son coéquipier le visage défiguré par le dégoût. J'en ai plus qu'assez de cette ville, ça grouille de petits rats. Notre client s'était fait suivre avant d'arriver au point d'échange. C'était un jeune blanc bec, si je pouvais je lui aurais tiré un dard dans le cou pour avoir posé les yeux sur notre argent, heureusement pour lui je n'avais rien sous la main. »
Mon sang se figea quelque part dans mes pieds et mon souffle se fit rapidement la malle, il m'avait donc remarqué. Le vieux ouvrit la besace près du fauteuil, sortit des vêtements et se mit à se changer.
« Il a disparu peu avant que le gros rentre dans la boutique, cracha l'homme en enfilant une tunique orange. De toute façon, on se barre, nous avons refilé l'appareil, le reste ne dépend plus de nous.
— Ouais, j'avais repéré le voleur, répondit le tueur. Mais l'or est là, alors calme-toi. Tout ce que j'espère c'est que le gros explose avec le duc. Il me tapait sur les nerfs avec ses petits doigts grassouillets. »
Le vieillard qui laçait son pantalon s'arrêta un sourire crocodile sur les lèvres.
« C'est prévu de toute façon. On fait d'une pierre deux coups. Hier, j'ai reçu une commande qui contredit celle du gros, j'ai de suite demandé à l'horloger pour que le mécanisme explose sans lancer le décompte.
— Parfait, juste dommage pour le duc, c'est le seul parmi les douze que j'appréciais.
— J'avoue, il me plaisait bien celui là, bah il a fait son temps. Mais le fait que nous soyons les responsables, me plaît bien. Il a les meilleurs gardes avec lui, aucun de nos gars n'avait jamais pu s'en approcher depuis qu'il réside au conseil ! T'imagine la réputation qu'on va se faire ? Bon, lâcha le vieux et épousseta sa tunique. On ferait mieux d'y aller ! »
Vêtu de son nouveau déguisement le vieil homme était devenu un simple marchand miteux. L'assassin se leva d'un mouvement pour s'étirer de nouveau en baillant.
Tandis que le plus âgé se dirigeait vers la sortie, son complice renversa le contenu de la flasque sur le sol. Perdant pas de temps il sortit les braises du feu et les balança au hasard dans le salon, le fauteuil prit rapidement feu. Celui-ci se propagea ensuite sur le tapis et les rideaux. Content du résultat l'assassin se dépêcha vers la sortie se couvrant le visage pour ne pas respirer la fumée.
Moi je m'éloignai tout aussi vite de l'endroit : la fumée avait lentement envahi les ténèbres et me faisait suffoquer. Je sortis des ombres sans faire attention où j'allais. L'odeur nauséabonde des égouts m'interpella et me fit réaliser mon étourderie. Sans réfléchir je retournai dans les ombres et courus vers ma cabane.
Quand je réapparus au cœur de mon refuge, je tremblais comme une feuille. La peur s'était logée dans mon ventre me rendant nauséeux. Mes vêtements étaient trempés et je me sentais piégé comme un rat. Les assassins n'avaient pas tort... un rat.
Il fallait que j'allume le feu, je commençais à geler sur place. J'entendis au loin le son des cloches annoncer un incendie dans la ville.
Ils n'éteindront pas le feu à temps pour savoir ce qui s'était réellement arrivé au sein de cette maison, pensai-je sombrement.
Le bois sec déposé dans une cavité à même le sol prit feu réchauffant immédiatement l'atmosphère. Ceci arrivait souvent quand je paniquais. Ma magie réagissait à mes moindres pensées ce qui m'indiquait souvent ce que je devais faire sans plus attendre. Aujourd'hui encore ma propre magie prenait soin de moi. Parfois je me disais qu'il fallait examiner tout ça plus sérieusement, mais je ne le faisais jamais. À quoi bon ? J'avais assez de problèmes et me prendre la tête sur ces choses n'allait pas me nourrir.
Alors que je me déshabillais, le seau se remplit d'eau chaude. La toilette n'allait pas prendre longtemps, mais je me mis à me frotter sans précipitation, il fallait que je réfléchisse bien à ce que j'allais ou n'allais pas faire.
Soit, je ne faisais rien où plutôt je me barrais loin de cette ville et assumais totalement le fait que cet acte me hantera toute ma vie, soit … soit, je m'invitais de nouveau chez le duc en évitant de me faire tuer. A cette pensée je sentis la lame de l'épée sous la gorge ce qui fit m'arrêter un instant face à mon reflet dans l'eau.
Le pincement au cœur s'étendit jusqu'à mes poumons puis s'insinua dans la gorge.
J'avoue que je cède rarement à mes sentiments. Je ne vais pas vous raconter dans les détails les horreurs dont je fus témoin passant dans le monde des ombres. Des meurtres, viols, tortures, tromperies, mais rien ne m'impliquait personnellement dans toutes ces abjections. Je savais très bien que si on se mêlait de ce genre d'affaires il fallait être prêt à recevoir un coup de couteau d'un jour à l'autre. Peut-être une fois ou deux, j'avais ouvert la serrure d'une porte pour laisser l'enfant ou l'esclave s'enfuir, mais je n'étais pas de cette trempe-là. Je n'étais pas un héros prêt à risquer sa vie pour les autres. J'avais toujours été un peureux et un lâche. Plus jeune, quand je me faisais pincer pour vol, je me faisais passer pour un pauvre gamin qui ne savait pas ce qu'il faisait. Je m'efforçais à pleurer, à me montrer bien trop bête pour que les gens ne comprennent pas qu'à la seconde où ils allaient me lâcher j'allais disparaître dans leurs propres ombres.
Cette fois avec le duc, je ne sais pas ce qui avait changé précisément. Il ne m'avait pas paru être une personne désagréable, bien au contraire. Je suppose que ce fut son sourire si semblable à celui de mon grand-père qui m'avait interpellé. Il y avait aussi quelque chose dans sa posture et dans sa façon de me regarder, une certaine amabilité peut être, ou une complicité que j'avais rarement ressenti à mon égard.
Les gardes qui le protégeaient cette fameuse nuit, l'appréciaient énormément, cela se voyait. Ils ne devaient pas être plus âgés que moi, peut être trois ou quatre ans de plus mais moins de la trentaine, j'en étais certain.
L'homme qui m'avait plaqué contre le mur et l'archer devaient faire partie de l'élite et pourtant j'étais encore en vie. Ah, mais ne parlons pas trop vite, j'en voulais énormément à l'archer pour la flèche qui me sépara d'une mèche précieuse de mes cheveux. L'enfoiré.
J'aurais très bien pu connaître le mage à la chevelure flamboyante si j'avais fini mon année à l'académie. Au moment de l'explosion ils allaient être présents aux côtés du duc, ils allaient tous mourir. La vie allait s'arrêter là pour eux, si jeunes et resplendissants de vie.
Ainsi, planté ridiculement à poil au milieu de ma petite cabane, j'avais fait un choix, qui pour une fois dans ma vie ne me concernait pas. J'allais le regretter plus tard c'était sûr et certain, mais au moins j'aurais sauvé quelques vies ? C'est important une vie, non ?
La nuit même, après m'être forcé à finir le reste de mes réserves, je me mis en route.
Le château se trouvait à l'autre bout de la de la ville et sans la magie j'aurais très bien pu y passer la moitié de la nuit à déambuler dans les ruelles de la ville. Le sort de la marche des ombres me permit d'atteindre le château en quelques secondes. Le blason du duc, un serpent formant un arc avec son corps, était brodé sur l'envers des tapisseries murales et m'avait indiqué la direction à suivre.
À cette heure, les couloirs du château étaient en grande partie vides. Les seuls gardes qui patrouillaient encore, surveillaient les couloirs des quartiers du duc. Sans vouloir me vanter, mais à force de venir dans cet endroit les éviter était devenu un jeu d'enfant.
La seule difficulté résidait dans les allées et venues irréguliers des habitants du château. Je n'avais pas réussi à leur trouver une logique qui m'aurait permis de les éviter sans la magie.
En parlant de magie, je venais d'épuiser mes dernières forces. La journée avait été bien chargée, rien qu'en restant dans les ombres surveillant l'assassin j'avais déjà atteint mes limites et ce sans parler des voyages qui suivirent. La marche des ombres exigeait vraiment une grande quantité de pouvoir et de volonté. Les forcer n'était pas de bonne augure et je préférai arrêter les frais là avant de faire une bêtise.
Je choisis alors, une solution beaucoup moins magique pour éviter les gardes. C'était pour cette raison que je me trouvais debout et victorieux face aux vestiaires des serviteurs. Les vêtements des cochers du duc m'allaient à merveille. J'avais toujours eu la classe dans les vêtements en cuir. Mais regardez moi ces fesses !
Les gardes m'avaient suivi des yeux, mais aucun ne fit le moindre geste pour m'arrêter. Triomphant, j'eus une envie folle de faire demi tour, juste pour repasser devant les gardes et me pavaner devant eux encore un peu.
Je me retins de justesse, me promettant intérieurement de le faire un jour ou l'autre.
Bien que l'entrée des quartiers du duc était bien gardée, l'entrée de sa chambre l'était encore plus. Une idée me vint à l'esprit et je m'adossai au mur entre une armure et un long rideau violet.
Deux patrouilles passèrent sans me voir. J'attendis encore quelques minutes et profitai ainsi de l'occasion pour souffler un peu. Je n'avais pas dormi et la magie était devenu capricieuse dans mes veines pour m'informer gentiment que j'avais, un peu, abusé de ses services.
L'énorme fenêtre qui me faisait face m'offrit une vue magnifique sur la ville. Encore endormie, elle était plongée dans la brume nocturne qui s'évaporait lentement vers le ciel. Je suivis cette brume des yeux par dessus des murs de la ville. Au loin, les formes des montagnes commençaient à se dessiner timidement sur le fond rougeoyant du ciel.
Mon corps se raidit involontairement.
Le soleil.
J'avais complètement perdu la notion du temps. Fallait bien que le soleil se lève à un moment où un autre, mais pas maintenant, pas encore. Je paniquai et faisant fi des précautions je me détachai du mur et entrai dans la première chambre qui se trouvait sur ma droite.
Que ce soit la chambre du duc où d'un de ses gardes peu m'importait, il fallait que j'agisse, je n'avais plus le temps d'attendre que les gardes aux portes se fassent remplacer.
Dans la chambre, j'avais mis un certain temps à m'adapter à l'absence de l'éclairage. Il faisait sombre. Sombre et étouffant. Le feu crépitait paresseusement dans la cheminée et grâce à la faible lumière qu'il dégageait j'avais fini par deviner deux silhouettes entrelacées dans le lit.
Je me refusai le sentiment de gêne et m'approchai du pied du lit. Ce faisant, je sentis un frisson me remonter le long de la colonne vertébrale, un sort d'alarme, le mage allait se réveiller.
Merde.
C'est ce qu'il fit, se relevant en position assise d'un seul bond. Deux yeux écarquillés se posèrent sur moi, l'homme allongé à côté de lui râla et tira la couette.
Le mage ne se laissa pas faire, il enroula la couverture autour de lui pour cacher sa nudité puis sauta du lit affolé. Finalement réveillé, le deuxième homme se releva à son tour pour observer le spectacle.
« C'est Phabe qui t'envoie ? », me demanda sèchement le mage.
N'ayant pas su trouver quelque-chose d'intelligent à dire j'étais resté silencieux devant cette question. Le mage me scruta de la tête au pieds.
« Oh, non ne lui dis rien je t'en supplie », pleurnicha-t-il subitement changeant d'attitude en se dirigeant vers la porte.
« Peu importe ce que Phabe t'avait promis, reprit-t-il tirant sur le tissu coincé sous le matelas. Je peux toujours t'offrir mieux et dans le cas contraire te rendre la vie impossible.
— Non, je suis... »
Le rouquin sortit de la chambre le nez en l'air, mais s'arrangea tout de même pour me fusiller du regard. Après qu'il ait claqué la porte, je me tournai alors vers celui qui était resté dans le lit. Je n'aurais pas dû le faire.
« Joli paquet ! »
Pourquoi j'avais dit ça ?!
L'épéiste dont j'avais déjà fait connaissance, dépourvu de couverture ne portait aucun vêtement et me dévisageait, un sourire prédateur dessiné sur les lèvres.
« Phabe t'envoie remplacer Liandre ? Que c'est mignon, dit-il et se leva gracieusement.
— Non, je dois voir le duc », bafouillai-je alors que le brun s'approchait de moi. J'avais dû reculer d'un pas car le sourire de l'homme s'étira de plus belle.
« Mais tout le monde veut voir le duc. »
Il me souleva le menton me forçant à le regarder.
« Je dois avouer que Phabe a visé juste en t'envoyant, ronronna l'homme, Je crois que je t'avais déjà repéré, ton joli minois me dit quelque chose. »
Sa main descendit lascivement le long de mon torse. J'étais pris au dépourvu sur le coup, mais le souvenir des deux assassins me sortit rapidement de ma torpeur.
« Une bombe... quelqu'un va déclencher une bombe et c'est le duc qui est visé ! », débitai-je sans ciller. Je le sentis se raidir, le sourire devint une grimace froide et sa main glissa de mon menton vers la gorge.
« Tiens donc ? », reprit-il d'un ton glacial, sa main sur mon cou me serra douloureusement et le pouce appuya sur ma pomme d'Adam en signe d'avertissement. Je tentai le tout pour le tout.
« Vous vous souvenez du voleur il y a quelques jours ? » demandai-je le plus calmement possible, il devait s'en souvenir vu qu'un sourire narquois se dessina sur son visage et il me fit un signe de tête pour que je continue.
*oOo*
Alors vous en avez pensé quoi ?
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