Quand je l’ai vu, son charme m’a irradié de bonheur instantanément. Je me souviendrai toujours de ce moment. Il bredouillait et on ne savait pas quoi se dire. Et puis tout d’un coup « Je te trouve mignonne ». Il ne m’en fallait pas plus. De tous les hommes que j’ai aimé, c’est le premier qui est charmant, attentionné, patient et qui me comble de bonheur.

Sous les taches humides et les ratures emmêlées, on devine encore ces mots notés quand mon corps était empli de bien-être et mon cœur euphorique de cette rencontre. Comme dirait l'autre, toutes les bonnes choses ont une fin. Je referme le carnet brusquement.

Plus de trois ans se sont écoulés depuis que j’ai griffonné ces mots. Plus de quarante mois passés, et je l’ai déjà perdu. Je savais que ça ne durerait peut être pas éternellement. En amour, on n’est jamais sûre de la durée et de l’intensité que chacun éprouve pour l’autre. Mais je ne voulais pas que ça se termine, et pas comme ça.

Je comptais encore les jours, les mois et les années. C’était le calcul du bonheur : depuis combien de temps suis-je enfin heureuse ? Pour lui c’était devenu un décompte, probablement : dans combien de temps vais-je l’abandonner ?

On me fait la morale : « Mange. », « Dors. », « Pense à tes examens. C’est ta dernière année, il ne faut pas la rater. », « Ne parle pas de lui, oublie le. » Allez-y, essayez, vous, de l’oublier. La personne que vous aimez.

Le plus glamour, dans toute cette histoire, c’est sa façon de me l’annoncer. Sa manière de me jeter. Un coup de fil. Il avait déjà mis une certaine distance entre nous, avec cet appel le message était bien clair. Ça faisait lâche. Oui, c’est ça, il est faible.

On se parle toujours encore parce que malgré tout je crois que l'on s’aime encore. Plus comme avant bien sûr. Pour lui je suis ‘trop bien’ pour lui, et je devrais prendre de l’espace parce que je trouverai mieux. Pour moi, malgré ses défauts et ses fausses craintes, ses qualités me manquent. Je ne crois pas retrouver de semblables chez un autre que lui. Par contre il m’a fait mal, ce con. Je comprends désormais les expressions « Avoir le cœur en lambeaux. » et « Cœur en miettes ». Néanmoins il y a des expressions que je me passerai bien d’écouter…

« - Comme dit le proverbe : ‘Un de perdu, dix de retrouvés !’

- Tu te fous de ma gueule ? Tu penses réellement que j’ai envie de me remettre en couple après ça ? »

Il est difficile d’oublier une personne qui nous a fait vivre autant de souvenirs.

Nous nous sommes revus pour discuter, entre deux paires d’yeux. Il le fallait. Comme j’avais du travail et qu’on voulait tous les deux que ça ne devienne pas compliqué entre nous. On ne sait jamais, qu’il cède sous mes larmes et décide finalement qu’on retente l’aventure. Ce serait un cauchemar, il ne le faut pas. Alors on a convenu de se retrouver à la bibliothèque. C’était à mi-chemin entre nos maisons.

Prendre le métro n’est déjà pas facile quand on est bien. Quand on est mal, c’est pire. Mes yeux humides brouillaient ma vue, les regards des inconnus fixés sur moi me mettent mal à l'aise. Aucun moyen de voir la mine que je tire avant de le revoir. Merde. Tant pis, j’y vais comme ça. Après tout il doit voir ce qu’il laisse, ce qu’il m’a fait. Pourquoi paraître belle ? Je ne cherche pas à le reconquérir.

Deux âmes en peine, larmes dégoulinant sur les livres. On les a ouverts pour faire comme si nous travaillions. On ne ment à personne je crois. On avait choisi un endroit public afin de refouler notre tristesse. Peine perdue. On devait être pitoyables. On se tenait même les mains. Je ne me souviens plus qui a pris la main de l’autre en premier. On en avait envie tous les deux.

Il est mal pour moi. C’est de sa faute si je suis brisée. Mais à quoi bon le retenir ? Il ne m’aime plus comme avant. Je l’écoute sans vraiment comprendre. J’essaie de faire bonne figure mais j’ai mal. Merde, ce que ça fait mal. Pourvu que ça se termine vite, que j’en finisse. Que je puisse tourner la page.

Il m’explique maladroitement qu’au début c’était l’extase entre nous deux, et que je lui avais insufflé un nouveau souffle, une bouffée d’air dans sa triste vie. Il était animé, vivant. Malgré cela, indépendamment de mes actes ou de mes paroles – il insiste – quelque chose a changé et ses sentiments pour moi ont changé. Il n’arrive pas à l’expliquer. Je suis trop bien pour lui, je ne mérite pas quelqu’un comme lui qui ne sait pas ce qu’il veut.

Ça me fait encore plus souffrir. Qu’il se casse avec ses compliments.

Il ne me dit pas tout, je le sens. Je veux savoir la vérité parce que je sais qu’au fond, ça me fera me sentir bien. Pas immédiatement, mais avec le temps. Qu’est-ce que j’ai fait ?

Il en vient, je crois, parce que les larmes lui montent aux yeux plus rapidement que tout à l’heure. Signe que cela doit être lourd pour lui de garder ça.

« Je t’aime encore, je t’aimais mais je l’ai quand même fait. Tu étais souvent en voyage ou en weekend avec tes amis. Je sais que moi aussi j’avais mes activités. Je sais qu’on se voyait moins parce que j’étais toujours occupé et donc tu cherchais à t’occuper aussi. Je t’aimais mais je ne sais pas ce qu’il m’a pris. On s’était revus plusieurs fois, je n’avais pas osé te le dire au début. Elle et toi dès le début on le savait c'était ... On se parlait juste au départ ! J’aurai dû te le dire, ça m’aurait empêché de faire ces conneries... »

Il se fout de moi. Il ne peut pas être sérieux. Quand il dit elle, je sais de qui il parle. Quand je l’ai rencontré, on commençait à se connaître, à se voir ; au même moment il avait fait la connaissance d’une de mes amies. Enfin, plus une camarade qu’autre chose. Je savais que si elle avait pu l’avoir avant moi, elle aurait tenté. Mais là, je tombe de bien haut.

« … pourquoi je suis devenu distant. Je ne savais pas vers où allaient mes sentiments. J’étais attiré par vous deux. Tu es une fille superbe Camille, je ne veux pas te faire souffrir mais je te dois la vérité. »

Superbe.

La superbe fille est brisée. Le cœur en lambeaux, je dois oublier ces mois de bonheur. Je dois continuer et l’oublier. Je dois mettre un terme à nous.

« Vous deux … Vous l’avez… fait ? »

Ce dernier mot résonne dans ma tête et j’étouffe un sanglot. Mes joues sont chaudes et humides. Je cherche depuis quand tout cela a pu se passer, comment je n’ai pas pu le voir. J’aimerai revenir en arrière.

« Non. On a seulement… Juste des baisers. On voulait mais … »

Anéantie. Il est en train de me tuer sur place. Je regrette d’avoir choisi un endroit public, d’autant que c’est un lieu calme, paisible… Tout l’inverse de mon esprit actuellement. J’ai envie de lui faire mal. ‘Il voulait.’

« Sur le moment, je me suis arrêté parce que je ne pouvais pas..., commence-t-il. Je pensais à toi sans cesse, Cam ! finit-il sur un ton plus fort comme pour se donner raison.

- C’est une excuse ? »

Au téléphone, il m’avait dit qu’il ne ressentait seulement plus la même chose qu’avant. Que les choses changeaient, évoluaient. Qu’on devrait arrêter, ou faire une pause, mais bien sûr sans pour autant que l’un de nous ait un jour l’espoir qu’on se remette ensemble.

Comment j’ai pu penser qu’il était parfait ?

« Je suis désolée Cam. Je ne pouvais pas continuer comme cela. 

- Moi non plus ! Je m’accrochais à toi, à nous. J’essayais que ça remarche. Ça faisait des semaines que ça n’allait plus et tu ne disais rien ! Je me remettais en question ! Tu .. »

Et je pleure.

J’enfouis mon visage dans mes bras, je ne veux plus le voir. Je ressens de la colère pour lui, parce qu’il m’a fait mal et qu’il aurait pu alléger la douleur.

Il parlait mais je n’entendais rien. Je ne sais pas combien de temps je suis restée comme cela. Quoiqu’il en soit il est parti. Il a laissé son livre ouvert. Je sèche mes larmes d’un revers de la main et prends le livre ouvert de l’autre. ‘Faire l’amour’ de J.-P. Toussaint.

« Quel salaud. »

Je n’ai jamais lu le livre, lui oui, je crois. Il l’avait acheté il y a quelques mois, passionné de littérature il m’avait dit que l’intrigue l’avait attiré et suscité sa curiosité. C’est l’histoire d’une séparation, les deux personnages font l’amour avant de se quitter. Leur dernière fois.

Dois-je comprendre un message caché ?

Devais-je comprendre quelque chose à l'époque ?

Je remarque des lettres entourées au crayon de papier. Il m’a bien laissé un message ? Il se joue de moi jusqu’au bout.

Je suis tout de même curieuse et intriguée. Je déchiffre facilement le message : il suffit d’assembler les lettres dans l’ordre et de trouver les espaces ensuite. Je relève les lettres : tournelapage. Pas besoin de relire pour trouver les espaces.

Je tourne la page du livre. Rien. Je continue jusqu’à la fin. Toujours rien.

Je comprends alors la subtilité. Il entend par ‘tourne la page’ que je l’oublie. Il pensait sérieusement que j’avais besoin de sa permission pour faire le vide. Je ne perds pas grand-chose, finalement. J’ai seulement perdu mon temps.

Tout me fait penser à lui. Musiques, images, mots, livres, films, odeurs, goûts… Comment l’oublier ? Chaque fragment de lui s’est collé quelque part dans ma vie. Dans mon cœur, il n’y a que de lui. L’air est embaumé de son odeur, de nos souvenirs ensemble.

Je dois tout reconstruire. 

Je ne pourrai pas l’oublier. Jamais.

Je me souviendrai toujours de cette phrase qu’il m’a dit un jour où on s’était rendu compte que notre relation partait en éclats : ‘De toute façon, tu ne pourras jamais me quitter, tu m’aimes trop.’

Comment je n’ai pas pu le voir ? Je le perdais depuis longtemps.

Si ça a continué, c'est parce que je m'accrochais à lui.

Ça me tue d’être seule de nouveau. Autour de moi, tout le monde a quelqu’un.

Je sais que la perle rare est difficile à trouver, mais trouverai-je un jour ma perle à moi ? Celle qui me fera briller éternellement. Celle qui me soutiendra, qui ne m’abandonnera pas ?

Je ne crois plus au prince charmant. Cependant je crois qu’il me faut un nouveau prince pour oublier toute la peine que j’ai au fond de moi. Je ne suis plus que poussière et larme. Je suis un déchet humain.

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Merci d'avoir lu.

Kate