Il avait fallu un an, quatre mois, une semaine et trois jours exactement au professeur Elric Van Muler et son équipe pour créer le virus ; cinq mois à Christophe Belpois, un des membres de ladite équipe, pour trouver un moyen de le subtiliser et pour passer à l’acte ; deux secondes pour qu’il brise l’éprouvette le contenant ; et, enfin, neuf mois pour qu’il se propage à toute la planète, changeant ainsi et à jamais le cours de l’histoire humaine.
Le professeur Van Muler et son équipe travaillaient pour l’armée dans un laboratoire top secret et sur des recherches à l’éthique plus que douteuse. Pour être plus précis, ils effectuaient des recherches sur des virus, dont un en particulier, avec le but inavouable d'en faire une arme bactériologique.
Ce qu’ils finirent par réussir, comme dit plus haut. Un an, quatre mois, une semaine et trois jours exactement après avoir débuté leurs travaux ; et juste avant que le militaire en charge de la base, le colonel Philipe Mastock, ne décide définitivement de mettre un terme à leurs recherches, qui commençaient à couter cher. Surtout aux vues des nombreux échecs qu’ils avaient rencontrés jusqu’à lors.
Donc, nous imaginons bien le soulagement que put ressentir le professeur lorsqu’enfin ils obtinrent des résultats plus que satisfaisants. Il faut dire qu’ils avaient réussi à mettre au point le virus le plus perfectionné et le plus efficace jamais créé, même par la nature elle-même. Il était capable, en plus de pouvoir infecter et tuer 99 % de la population humaine, de muter à une très grande vitesse, empêchant ainsi toutes possibilités d’y trouver un antidote et, comble des combles, de pouvoir aussi contaminer les 1 % restant.
À se demander si ces scientifiques étaient vraiment aussi intelligents que ce que leurs grandes études et leurs diplômes laissaient à penser. Car, franchement, il faut vraiment être très con pour créer une arme aussi mortelle et dont on ne peut pas se protéger.
Quoi qu’il en soit, ils le firent, et tout aurait pu en rester là si parmi eux ne s’était pas glissé un type encore plus stupide et cupide que les autres.
Il s’agissait, comme vous vous en doutez certainement déjà, du chercheur Christophe Belpois. Un homme d’une cinquantaine d’années qui avait obtenu un doctorat en biologie microbienne dans la meilleure école de son pays. Pays que l’on taira ici pour raison diplomatique, car , en plus de lui avoir payé ses longues et onéreuses études, son gouvernement lui avait aussi offert des cours d’espionnage.
C’était donc en tant que taupe pour ce fameux pays que l’on ne nommera pas qu’il avait été envoyé au sein du centre de recherche militaire de cet autre pays que l’on ne nommera pas non plus, et cela pour les mêmes raisons que pour le précédent. Cela faisait à présent trois ans qu’il s’y trouvait, furetant de droite à gauche, mais n’ayant, jusqu’à là, rien trouvé de bien intéressant. Puis un jour, enfin, les choses changèrent. On découvrit le virus.
La suite vous la connaissez déjà. Il mit au point un plan pour pouvoir le voler, y réussit, mais, arrivé chez lui et dans un mouvement de maladresse, il finit par casser l’éprouvette laissant s’échapper le mortel virus dans l’air. Sur le coup, il retint sa respiration, sachant pourtant bien que cela était inutile ; qu’il était trop tard ; qu’il était déjà contaminé ! Cinq secondes plus tard, ses poumons étaient en feu et il fut pris d’une violente quinte de toux qui lui fit cracher des flots de sang. Deux secondes de plus et ses yeux se voilèrent, son regard se troublant jusqu’à qu’il n’y voie plus du tout, des larmes de sang se mettant aussi à en couler. Trois secondes encore, et ses oreilles furent vrillées par un bruit strident rappelant une alarme de voiture, avant de se mettre à leur tour à saigner. Puis ses cheveux commencèrent à tomber par touffe ; ses dents à se déchausser, ce qui laissait plus de place pour sa langue qui enfla jusqu’à en éclater ; sa peau, chauffée par son sang en train de bouillir, se cloqua avant de carrément se décoller par plaque ; enfin, un par un, ses organes s’emballèrent puis implosèrent. Vingt secondes après le malencontreux incident, il était mort, et déjà le reste des habitants de son immeuble subissaient les horribles effets décrits juste avant.
Tous sauf une, madame Isabelle Lautta. Une veuve de cinquante-trois ans, sans enfant, et qui se trouvait être le 1 % de porteur sain, insensible à la première version du virus. Ne sachant pas le drame qui se jouait chez ses voisins, ni qu’à présent elle était un agent contaminateur mortel, elle quitta son domicile dans l’intention d’aller faire quelques courses.
La supérette où elle avait l’habitude d’aller était bondée, comme bien souvent. Il faut dire que c’était l’heure de la débauche dans les bureaux alentour, l’heure du rush pour les caissières, et dans la petite surface ce n'était que d’incessants allées et venues de clients plus pressés les uns que les autres. Une minute après son passage dans les lieux, tous les gens l’y ayant croisé, soit une vingtaine de personnes, étaient morts.
Après quoi elle rentra péniblement chez elle, le virus ayant déjà muté et sa nouvelle version s’en trouvant maintenant mortel pour elle aussi. Mais les souffrances d’Isabelle Lautta ne furent pas les mêmes que ceux précédemment décrits, même s’ils étaient tout aussi atroces :
Pour commencer, ses membres se paralysèrent et elle ressentit de vives douleurs dans tout le corps. Ensuite, ses entrailles se vidèrent, ainsi que sa vessie, tandis que son ventre s’emplissait de gaz. Elle se mit alors à roter et à flatuler sans interruption. L’odeur s’en dégageant étant entre l’oeuf pourri et la charogne en décomposition avancée. Puis sa peau prit une teinte verdâtre et se craquela, laissant s’échapper tout son sang déjà en partie coagulé. Pour finir, son cerveau se liquéfia et suinta par ses narines et ses oreilles.
Pendant ce temps-là, l’épidémie s’étendait de plus en plus rapidement. Deux heures après que Belpois soit mort, la quasi-totalité des habitants de la ville en avait fait autant ou n’en était pas loin. Quatre heures de plus et ce fut toute la région qui était contaminée.
Les autorités eurent beau réagir rapidement et déployer un grand nombre de soldats pour maintenir un périmètre de quarantaine. Plusieurs villes limitrophes étaient déjà à l’agonie à peine cinq heures après le début de l’épidémie. Si bien que le lendemain, au lever du jour, c’était toute la province qui était devenue un immense no man’s land. La plupart des militaires dépêchés sur les lieux ayant eux aussi succombé malgré leur combinaison antibactériologique super sophistiquée.
Le caporal Antoine Carter, alors seul survivant de son unité, pensant à tort qu’il le devait à sa combinaison, décida de rentrer chez lui, à l’autre bout du pays. Mais, à la vérité, s’il avait survécu s’était car il faisait lui aussi partie des 1 %. Sauf qu’en plus d’être immunisé contre la première version du virus, il l’était aussi contre la deuxième.
Il sema la mort sur sa route, propageant encore plus rapidement l’épidémie, avant de succomber à son tour de la troisième mutation du virus.
Il ressentit d’abord de la fièvre et se mis à transpirer abondamment avant de tomber en syncope. On le conduisit alors à l’hôpital, ne se doutant pas encore de l’erreur que l’on faisait là. Le médecin, chargé de s’en occuper, nota que sa température était de 42 °C et en constante augmentation. Il eut beau employer tous les moyens mis à sa disposition grâce à la médecine moderne pour tenter de la faire baisser, rien n’y faisait. Idem pour sa transpiration, il suait tellement qu’il s’en déshydratait à vue d’oeil. Sa peau se fripait et ses ongles et cheveux se décollaient. Très vite on aurait pu le prendre pour une momie, tant il s’était asséché, sa peau toute parcheminée. Puis, l’un après l’autre, ses yeux sortirent de leurs orbites, ses testicules fondirent comme neige au soleil et ses doigts et orteils se nécrosèrent. Au final tout son corps finit en poussière, alors que seulement quatre heures s’étaient écoulées entre le début et la fin de la terrible agonie du caporal Antoine Carter.
En un mois tout le pays était zone morte, et en deux s’était la totalité du continent qui était confronté au même recul démographique.
Même l’Angleterre ne fut pas épargnée. Pourtant ils avaient fermé toutes leurs frontières, dès les premières heures de l’épidémie ; avaient placé des mines marines et terrestres ; des militaires avec ordre de tirer à vue patrouillant sur tout le périmètre, autant sur terre que sur mer ; et, enfin, ils avaient lancé d’innombrables messages incitant leurs concitoyens se trouvant sur le continent d’y rester jusqu’à nouvel ordre.
Hélas pour eux, Peter Lars, patron d’un petit cargo faisant la navette entre les deux bords de la Manche, n’en avait fait qu’à sa tête. Il débarqua discrètement par une nuit brumeuse, puis s’en retourna chez lui comme si de rien n’était. Car après tout, lui, il n’était pas malade. Bon, c’était vrai que tout son équipage avait fini par périr d’horrible manière et qu’il avait dû les jeter par-dessus bord, tellement l’odeur qu’ils dégageaient était nauséabonde. Mais lui se portait comme un charme. Il devait être immunisé. Le bol !
À aucun moment il ne pensa qu’il pouvait être porteur, et encore moins que le virus pouvait muter et se retourner contre lui. Pourtant, c’est bien ce qu’il fit pour la énième fois, cela était arrivé tant de fois qu’il était impossible d’encore les comptabiliser, et puis de toute façon il n’existait plus personne pour le faire.
Pour commencer, Peter se mit à vomir sans discontinuer, jusqu’à la bile puis le sang ; ensuite vinrent les tremblements, tellement forts que ses dents, à force de s’entrechoquer, se fêlèrent ; et pour finir, il perdit la tête, ayant d’atroces hallucinations. Il avait l’impression que d’énormes asticots se baladaient sous son épiderme. Il finit par se lacérer tout le corps à grands coups de cutter, recouvrant les murs de son appartement de son sang devenu étrangement marron.
Cinq mois de plus s’écoulèrent. À présent, excepté l’Australie, c’était toute la terre qui avait été décimée. Mais cet endroit miraculé ne devait pas résister à l’arrivée de Cuifen Ziyi, Jeune chinoise de vingt-cinq ans. Au moment où le virus avait touché le sol de son pays, elle et son tout récent mari se préparaient à convoler en voyage de noce lors d’une croisière qui ne passait pas trop loin des côtes australiennes. Au moment de l’embarquement, les premiers cas avaient beau avoir étaient déclarés dans la ville où ils se trouvaient, et certains des passagers qui les entourer avaient beau avoir l’air mal en point, ils ne s’étaient pas inquiétés et avaient donc continué leur voyage. Quelques jours plus tard, il ne restait plus qu’une vingtaine de survivants, dont Cuifen, à bord du paquebot qui continuait sa course, imperturbable, ne se fiant plus qu’à son pilote automatique. Lu-Pan, le mari de Cuifen, ayant été dans les premiers à mourir de la première version du virus.
Lorsqu’ils ne furent plus que dix, les survivants décidèrent de prendre un canot de sauvetage et de rejoindre la terre la plus proche. Il se trouvait que c’était l’Australie, seul endroit encore sain sur toute la planète. Malheureusement, avec l’arrivée du canot empli des cadavres des neuf compagnons de Cuifen et de cette dernière à peine plus vivante, cela devait changer.
Après avoir semé la mort dans les quatre ou cinq villes qu’elle traversa, elle finit par y passer aussi. Cela alla encore plus vite qu’avec les précédentes mutations, son corps se dissout tout simplement en quelques secondes, comme si on l’avait immergé dans un bain d’acide. Tout d’abord ce furent ses os qui se liquéfièrent, la laissant toujours vivante mais flasque. Son corps, sans ossature pour le maintenir, s’étant affalé en un tas à peine reconnaissable. Puis ce fut tout le reste qui fondit, ne laissant à la fin qu’une bouillie bien indigeste et qui n’avait plus grand-chose à voir avec ce qu’avait été la belle Cuifen Ziyi.
Cela faisait maintenant neuf mois que le virus s’était répandu sur toute la planète. Les rares survivants ayant échappé à toutes les versions, pourtant nombreuses, du virus, s’étaient regroupés par petites communautés.
Parmi l’une d’elles se trouvait le professeur Van Muler, seul survivant du groupe de chercheurs à l’origine de la catastrophe. Il était alors en pleine discussion avec une ancienne mathématicienne, Fatima Kharbouch. Il lui expliquait qu’avec un peu de chance le virus avait fini sa mutation et qu’ils ne risquaient peut-être plus rien. Et que, même avec le peu de survivants qu’il devait rester à travers le monde, cela devait être bien suffisant pour que l’on puisse espérer revoir un jour l’espèce humaine dominer la Terre.
Ce fut à ce moment très précis que se passa la dernière des mutations, contredisant tous les beaux espoirs du professeur.
Il ne ressentit, au début, qu’un léger picotement dans tous ses nerfs, qui se transforma rapidement en d’insupportables et fulgurantes douleurs. On aurait dit qu’on le transperçait de mille aiguilles à tricoter en même temps. Après quoi sa peau se mit à nécroser, prenant la teinte grisâtre des cadavres, mais aussi leur odeur fétide. De leur côté ses organes se ratatinèrent, son sang s’épaissit et ses muscles s’atrophièrent. Deux minutes après il était cliniquement mort, mais, lorsqu’une de plus fut passée, il se redressa. Ses yeux étaient vitreux, son coeur ne battait plus, ses poumons ne respiraient plus et ses méninges ne réfléchissaient plus, et pourtant il bougeait.
Neuf mois, le temps d’une grossesse, et l’étrange accouplement d’un virus mortel avec son créateur, tout aussi mortel, l’être humain, avait donné naissance à une nouvelle espèce. Une espèce encore pire que ne l’étaient ses parents. Une espèce que, même dans leurs moments de plus grandes folies, ni la nature ni aucun dieu n’auraient seulement imaginé créer. Une espèce que nous ne connaissions que grâce à la plume de quelques écrivains macabres. Une espèce qui, pourtant, domine à présent et pour longtemps la planète Terre. L’espèce Zombi...
Fin !
Écrit en octobre 2017.
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