Elle était là, face au plus grand obstacle vers sa liberté tant espéré. Mais elle était la mieux placée pour savoir à quel point son espoir demeurerait fugace. Elle en tremblait d'impuissance, mais elle ne pouvait y réchapper sans contre coup. Alors elle prend courageusement la fourchette dans son assiette, attrape un maximum d'aliment et l'approche doucement de sa bouche. Elle pouvait inconsciemment sentir l'odeur nauséabonde, pourtant appétissante de beurre et de sauce tomate qu'elle aimait tant, mais en cet instant, elle ne pouvait que s'en sentir écœuré. Ce ne sont que de simple pâte, tout ce qu'il a de plus normal mais pour elle c'était les enfers. Mais sans les flammes qui brûle sa peau tout en anesthésiant ses maux.
Une grande inspiration et c'est le grand saut. Mais pas un vers l'inconnue car comme prévu, la chaleureuse sensation si habituelle et rassurante des doux plats de sa Maman avait disparu pour laisser place à une fadaise qui ne laisse pourtant pas lasse.
Elle avait l'impression d'être capable d'aisément retrouver les origines de son plat damnée. De la terre, voilà ce à quoi elle avait l'impression d'être confronté. Mais pas une douce odeur terreuse qui te donne l'impression de redécouvrir un aliment. D'enfin frôler sa véritable saveur. Non plutôt de la boue précautionneusement piétinée, dans laquelle on aurait inlassablement fourré toute sorte de chose périmé, dénaturé, immangeable, dégoulinante de dégoût et qui aurait été déjà savouré, puis recraché et enfin installé dans des endroits peu appropriés.
Elle pouvait sentir le pâteux de son repas pénétrer dans les moindres recoins de sa bouche, danser avec sa langue, embrasser son palet et avec ses dents s'entretenir régulièrement. Elle pouvait sentir répugnance se mêler avec désespérance car il n'était pas question de répulsion. Et même si la nausée se fait incontestablement appeler, si elle échoue à cause du dégoût, il n'y percevra que de la déconvenue. Il n'écoutera pas. Elle ne l'atteindra pas.
On ne peut simplement dire qu'elle est difficile car ce ne serait que mentir, et incompréhensible ne serait pas non plus le bon adjectif. A son jeune âge on pourrait naïvement croire qu'elle n'a pas conscience de ses actes et qu'il fallait par tous les moyens la contraindre à se résigner, pour qu'elle cesse enfin ses actes insensés. Après tout, rien de ce qu'elle faisait n'était cohérent. Et pourtant elle s'efforçait à tenter l'impossible. Mais voilà s'en était trop pour elle. Cette assiette face à elle encore bien trop pleine à ses yeux. Mais elle était prête, elle se disait que cela passerait peut-être mieux que l'autre fois où avait été joué la même mélodie que pour cette fois ci.
Et en effet, comme tant d'autre fois, elle se sentait envahir par une force inconnue, malveillante, qui ne cherche qu'à ce qu'elle soit grondée. Et cela à l'effet escompté. Elle se sentait déglutir, mais elle savait que cela n'allait pas suffire. Elle savait que cela n'allait pas passer et qu'elle allait encore échouer, et assister, impuissante à la scène qui va dans quelques instants se dérouler. Et il en fut peu pour qu'il réagisse comme à l'accoutumé. Des remontrances à outrance et des sermons à foison, toujours avec colère et incompréhension qui mène la danse. Et parfois les gestes accompagnent la parole et parfois comme là, elle préfère voir son repas à cet endroit plutôt que dans son estomac.
Et elle reste calme. Bien qu'elle laisse échapper quelques larmes. Mais elle se l'était promis, cette fois ci, de ne pas craquer aussi futilement. Et pour cause, ce n'était pas le dégout de la nourriture inexplicablement dénué de saveur ou bien la sauce qui dégouline doucement le long de ses joues et qui s'entremêle doucement avec ses larmes qui ne semblent vouloir s'atténuer, mais bien l'humiliation de toute cette incompréhension dont elle était elle-même victime. Et malgré son jeune âge elle en comprenait tout de même les enjeux. C'était inévitablement la peur qui guidait ces gestes, mais cela ne la faisait point réagir, l'assiette trônant sur sa tête.
Mais malgré tout, c'était trop pour elle. Elle ne pouvait faire autrement que d'abandonner sans avoir la force de continuer alors qu'elle venait tant bien que mal de commencer, car quoique l'on lui en dise, quoique l'on en fasse, pour elle, chaque repas est une menace. Une épreuve insurmontable qui empêche quiconque de faire ses preuves.
FIN .
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