La blague ultime Leur jeu avait commencé de nombreuses années auparavant. A l’époque, Manuel et Stéphane n’étaient encore âgés que de 15 ans à peine, et venaient d’entrer à l’internat d’une école privée prestigieuse pour jeunes gens particulièrement doués. C’était d’ailleurs là qu’ils s’étaient rencontrés, dans cette école. Manuel, fils unique d’une famille comptant de nombreux chercheurs, universitaires et autres intellectuels, et Stéphane, cinquième enfant d’une famille d’agriculteurs, et seul parmi eux à avoir obtenu une bourse. Ces deux-là, qui par leurs origines différentes n’auraient jamais dû se rencontrer, avaient fini dans la même école ; et même, dans la même chambre. Normalement, cela n’aurait jamais dû arriver, les parents de Manuel ayant demandé pour leur fils une chambre personnelle ; mais cette année là, par manque de place, Manuel et Stéphane avaient été obligés de cohabiter. Et les années suivantes, les deux jeunes hommes avaient décidé de prolonger cette cohabitation. Et si cela ne posa aucun problème aux deux jeunes élèves, cela fut peut être l’un des pires fléaux que connut leur école. Pire qu’une invasion de grenouilles, qu’une épidémie de peste, qu’une grêle destructrice, ou encore une invasion de sauterelles. En effet, contrairement à ce à quoi on aurait pu s’attendre en réunissant deux garçons qui semblaient aussi différents, par leurs origines, et même par leur aspect physique (Manuel était brun, Stéphane châtain clair ; Manuel avait des yeux bleus, Stéphane des yeux noisettes ; Manuel était plutôt petit, Stéphane était plutôt grand), les deux jeunes hommes se découvrirent de nombreux points communs, dont un en particulier : l’amour de la blague. Surtout les blagues un peu douteuses, tape à l’œil, parfois à la limite de la destruction. De l’autre côté de la limite. A partir du moment où ils se découvrirent un amour commun de la blague, ils s’en donnèrent tous deux à cœur joie. A partir de ce moment, il ne se passa plus un jour sans qu’une explosion ne résonne dans l’école, ou que des hurlements de pauvres et innocents élèves ne se fassent entendre. Tout, ils avaient absolument tout fait : cacher des souris dans les tiroirs de bureaux, voire des crapauds pour un peu d’originalité ; introduire du bleu de méthylène dans les tubes de dentifrice de professeurs inconscients du danger ; mélanger des herbes douteuses et euphorisantes à la nourriture servie au self... Mais leur jour à eux, le jour où ils se surpassaient, c’était le premier avril. Toutes leurs meilleures blagues, tous leurs plus grands succès se déroulaient un premier avril. C’en était devenu une tradition, une sorte de concours entre eux : chaque premier avril, ils essayaient d’organiser une blague grandiose, magnifique, et qui surprendrait l’autre. Cela dura tout le long de leurs études. Les deux jeunes hommes étaient inséparables, et passaient de longues heures à comploter dans leur chambre, fomentant leur prochain méfait. Lorsque les autres élèves et professeurs voyaient l’un des deux, seuls, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : l’autre était en embuscade un peu plus loin. Bizarrement, malgré le temps passé à préparer toutes ces blagues, Manuel et Stéphane réussirent à obtenir leurs diplômes, passant du stade de simples élèves à celui de diplômés, prêts à affronter le monde impitoyable du travail. Et un jour, ce fut la fin. La fin de leurs études. La fin des heures passées à comploter dans leur chambre. Avec l’entrée dans le monde adulte, les deux amis prirent des chemins différents. Stéphane décida de s’investir pour faire avancer la recherche en matière d’agriculture. C’était une façon d’aider l’humanité, en permettant à un plus grand nombre de personnes de manger à leur fin, mais c’était également une façon de remercier ses parents des sacrifices qu’ils avaient fait pour pouvoir l’envoyer à l’école. Manuel, de son côté, décida de voyager un peu, de visiter d’autres pays, d’apprendre à connaître d’autres cultures, d’approfondir ses connaissances. Il décida également de collecter des contes et récits de toutes les cultures qu’il pouvait rencontrer. Bien sûr, ces chemins différents signifiaient aussi qu’ils se voyaient moins souvent, désormais. Malgré tout, les deux amis se voyaient régulièrement, et avaient réussi à rester proches l’un de l’autre, et puis surtout, la tradition du premier avril se poursuivit. Au cours des années ayant suivi la fin de leurs études, Stéphane avait fait croire à Manuel que les martiens venaient de débarquer (il avait même réussi à convaincre certains de ses collègues de se déguiser en martiens pour l’occasion), inscrit Manuel à un concours de danse disco, et l’avait forcé à se déhancher sur l’intégrale d’ABBA, lui qui n’écoutait que du rock, version AC/DC, et avait convaincu Manuel d’exécuter un rituel de danse de la pluie en plein milieu d’un stade de football, sous prétexte qu’un shaman lui avait affirmé que c’était le seul moyen de mettre fin à la série de défaites de son équipe favorite. Le plus étonnant était que le soir même, l’équipe avait effectivement réussi à arracher un match nul. De son côté, Manuel avait démontré à Stéphane l’existence du dahu, dans une lointaine contrée, dans l’Oural, preuves à l’appui, lui avait subtilisé tous ses vêtements à la piscine, et donc forcé à traverser la ville en serviette et tennis, et lui avait fait croire que son groupe de musique préféré, les ’15 minutes pour Jupiter’, avait décidé de se séparer. Cette blague avait été particulièrement réussie, avec articles de journaux et tout, et Stéphane y avait tellement cru qu’il en avait hurlé de désespoir. Bien sûr, après coup, il avait prétendu ne pas y avoir cru une seule seconde, et affirmé n’avoir hurlé que pour faire plaisir à Manuel. Evidemment. Cela faisait maintenant presque quatre ans qu’ils avaient quitté l’école, et Manuel avait décidé de frapper un grand coup. Pour cela, il avait invité Stéphane à dîner au restaurant, avait prévu une petite blague à réaliser au cours de la journée, afin que son ami ne se doute de rien, et avait même acheté un nouveau costume. Le soir venu, après avoir couru toute la journée après les canaris que Stéphane avait traîtreusement mis en liberté dans son appartement, Manuel se rendit à La Morue Déssalée, où il avait réservé une table pour vingt heures. Arrivé légèrement en avance, il ne fut pas surpris en apprenant que son ami n’était pas encore là, et s’installa donc à table où il commanda une coupe de champagne en attendant. Pour la première fois de sa vie, Manuel ressentait une certaine appréhension. Et si ça ne marchait pas ? Et si il n’était pas assez crédible ? Et si Stéphane se rendait compte immédiatement qu’il ne s’agissait que d’une farce ? Il était sur le point de se ronger les ongles, détruisant ainsi sa manucure, lorsque son ami arriva. En retard, comme d’habitude. Certaines choses ne changeaient pas. « Salut, Manuel, désolé du retard. Mais j’ai été retenu par un problème à la maison. Apparemment, quelqu’un a fait courir le bruit que cette année, le concours de lancer de charentaises se déroulait dans mon salon, et j’ai mis plusieurs heures à convaincre tous les participants de partir. » « Et oui, que veux tu, il y a toujours des petits malins qui s’amusent à faire des blagues ridicules le premier avril, » dit Manuel en souriant. Evidemment, dans ce cas, le petit malin en question n’était autre que lui-même. « J’ai d’ailleurs dû combattre vaillamment face à une invasion de canaris, de mon côté, » continua-t-il. « Franchement, on se demande qui pourrait avoir l’idée d’organiser des blagues aussi stupides et puériles, » répondit Stéphane en souriant. Après avoir passé commande, les deux amis se mirent à discuter, de tout, de rien, comme le font deux vieux amis qui se retrouvent. Tout au long du repas, Manuel faisait attention de ne rien laisser transparaître de son excitation grandissante. Cette blague allait être grandiose. Il allait faire croire à Stéphane quelque chose de totalement incroyable, il allait lui faire un poisson d’avril dont il se souviendrait toute sa vie. Mais pour ça, il devait choisir le bon moment. Le dessert. Oui, le dessert lui semblait une bonne idée. Définitivement une bonne idée. Ce fut donc au moment du dessert que Manuel passa à l’action. Enfin, façon de parler. Il prit un air sérieux, se racla la gorge, se tortilla sur sa chaise, et regarda Stéphane droit dans les yeux. « Hum… Stéphane. Si je t’ai invité ce soir, c’est parce que j’ai quelque chose à te dire. Quelque chose d’important, et… C’est stupide, j’avais préparé tout mon discours, mais là, maintenant, en face de toi, je… » « Quoi ? Qu’est ce qu’il se passe ? C’est grave ? Non, ne me dis pas que tu es malade, ce n’est pas possible, pas toi ! » s’exclama Stéphane, alerté par le ton sérieux de son ami. Manuel, qu’il n’avait jamais vu aussi sérieux. Manuel, toujours sûr de lui. Manuel, qui n’avait jamais bafouillé de sa vie. « Non ! Non, rien de ce genre, je t’assure, ce n’est pas une mauvaise nouvelle. Enfin, j’espère que tu ne prendras pas ça comme une mauvaise nouvelle, » dit-il avec un sourire timide, alors qu’intérieurement, il se félicitait. Stéphane ne marchait pas, il courait ! « Alors, c’est quoi ? » demanda ce dernier en fronçant les sourcils. Qu’est ce qui pourrait donc mettre Manuel dans un tel état de nervosité ? « Et bien, voilà. Ça fait quelques années qu’on se connaît, toi et moi, bientôt 10 ans. Et dès le début, on s’est bien entendus. » « C’est vrai. Qu’est ce qu’on a pu faire comme conneries ensemble, à l’école, » dit Stéphane d’un air nostalgique. « C’est sûr, on formait une bonne équipe, tous les deux… » « Les deux tornades de l’école ! Je crois qu’on est entré dans la légende, et que dans quelques générations ils parleront encore de nous ! » Manuel sourit en entendant cela. C’était certain, ils avaient laissé des traces de leur passage. D’ailleurs, en parlant de traces, il se demandait si le mur nord entourant l’académie avait été reconstruit après l’explosion… Enfin, ce n’était pas le moment de se perdre dans ses souvenirs. Il avait un canular à mettre en place ! « Oui… Mais en fait, ce que je voulais te dire, c’est que… Enfin, voilà. Pendant toutes les années où on s’est connus, je t’ai considéré comme un ami, un partenaire de méfaits… Mais récemment, mes sentiments ont évolués, et aujourd’hui… » Manuel inspira profondément. C’était le moment de vérité ! Stéphane allait-il tomber dans le panneau ? « Aujourd’hui, je voudrai te considérer comme mon partenaire tout court. Stéphane, veux-tu m’épouser ? » Disant cela, Manuel sortit une petite boîte carrée, semblant provenir de chez un bijoutier, et la tendit à l’autre homme, sans pour autant la lâcher. Stéphane, lui se contentait de le regarder d’un air incrédule, le souffle coupé. Manuel venait de le demander en mariage ! Ce qu’il n’avait jamais osé espérer… Manuel, le garçon drôle, intelligent, sexy, qui avait toujours su lui remonter le moral quand ça n’allait pas, celui qu’il avait toujours admiré sans oser l’avouer, venait de le demander en mariage ! Ce fut d’une voix émue, presque un murmure, qu’il prononça un « oui », acceptant la boîte que Manuel lui tendait. Il ouvrit la boîte, les larmes aux yeux, et découvrit… Un poisson. Il leva les yeux, sans comprendre, ou plutôt en ayant peur de comprendre, et vit son ami qui lui adressait un sourire radieux. « Poisson d’avril ! Tu ne t’y attendais, pas à celle là ! Alors, j’étais comment ? » demanda-t-il. Stéphane referma lentement la boîte, tout se mordant la lèvre pendant qu’il essayait de reprendre le contrôle de ses émotions. Quand il pensa pouvoir parler sans se ridiculiser en se mettant à pleurer, ou pire, en révélant toute la vérité à Manuel, il leva la tête et le regarda droit dans les yeux. « C’était la pire blague que j’ai jamais vu. Pitoyable. Et tu sais le pire ? Pour moi, ce n’était pas une blague, c’était la vérité. » Ayant dit cela, il balança la boîte, se leva et sortit du restaurant, sans un regard en arrière. Manuel resta bouche bée. Il ne s’attendait pas à une telle réaction ! Distraitement, il rangea la boîte dans sa poche, paya l’addition, sortit du restaurant et rentra chez lui. De toute évidence, sa blague n’avait pas eu l’effet escompté. Mais qu’avait voulu dire Stéphane quand il lui avait dit que pour lui ce n’était pas une blague, mais la vérité ? Sûrement pas… Non, ce n’était pas possible, Stéphane ne pouvait pas être… Il s’en serait rendu compte, tout de même ! Mais quand même… Son ami avait eu l’air tellement triste, tellement blessé. Alors peut être qu’il ressentait vraiment quelque chose pour lui. Et peut être qu’avec son idée stupide, Manuel avait tout gâché, et peut être même leur amitié. Et si Stéphane ne lui pardonnait pas ? Manuel commençait à se dire que finalement, sa blague ultime était peut être l’ultime blague qu’il aurait l’occasion de faire à son ami. Après avoir ruminé ces pensées toute la soirée, et toute la nuit, il décida d’appeler Stéphane. Il essaya de l’appeler, mais son portable était éteint, et il n’avait pas le cœur de laisser un message. Il essaya de le voir chez lui, mais il eut beau sonner, personne ne répondit, à part la voisine qui sortit pour lui dire que Stéphane était parti tôt le matin même, avec un sac qui semblait assez lourd, et ne serait vraisemblablement pas de retour avant plusieurs jours. Manuel rentra donc chez lui, plus certain que jamais qu’il avait tout gâché. Que jamais Stéphane ne lui pardonnerait. Et plus les jours passaient, plus Manuel se rendait compte que son ami lui manquait. Tous les jours, il se disait, « il faudra que je raconte ça à Steph, ça le fera rire », ou encore, « si Steph était là, il aurait certainement trouvé ça hilarant », mais Stéphane n’était pas là, et il n’arrivait toujours pas à le joindre. Et plus les jours passaient, plus Manuel commençait à se dire que peut être, finalement, ce n’était pas si étonnant que cela que Stéphane ait ressenti plus que de l’amitié pour lui. Parce que lui aussi, peut être, se rendait compte qu’il ressentait un petit quelque chose en plus. Et plus les jours passaient, plus il se disait qu’il n’aurait jamais dû faire cette maudite blague. Parce que maintenant, même si il s’était enfin rendu compte de ce qu’il ressentait réellement pour son ami, jamais celui-ci ne voudrait croire que c’était la vérité. Finalement, après avoir passé quelques jours, semaines, à se morfondre, Manuel décida de réessayer de contacter Stéphane. Parce qu’il lui manquait. Parce que, même si maintenant il avait gâché toutes les chances qu’il se passe un jour quelque chose de plus entre eux, il refusait d’accepter de perdre son meilleur ami. A sa grande surprise, à la troisième sonnerie, Stéphane répondit à son portable. La discussion fut assez tendue, mais Manuel interpréta comme un signe positif le fait que Stéphane accepte de lui répondre. Il apprit que son ami était allé rendre visite à ses parents, et que si il n’avait pas répondu à son portable, c’était à cause du manque de réseau. Il apprit aussi qu’il était revenu en ville, et qu’il n’avait rien de prévu pour l’après-midi. Et si il le voulait, Manuel pouvait aller prendre un café chez lui, pas de problème. Evidemment, Manuel n’allait pas laisser passer cette occasion de se réconcilier, et se précipita donc à l’autre bout de la ville, malgré une voiture en panne, une pluie torrentielle, et un arrêt de bus situé au moins à trois cent mètres de l’appartement de Stéphane. Seulement, arrivé devant l’interphone, il hésita à sonner. Est-ce qu’il avait eu raison de venir ? Et pour dire quoi, au juste ? Je suis désolé serait probablement un bon début, ou peut être qu’il vaudrait mieux faire comme si rien ne s’était passé, tout simplement. Oui, mais si… Il était encore en train de débattre intérieurement quand la porte s’ouvrit, et que Stéphane le tira à l’intérieur, le traitant d’imbécile qui ne trouvait rien de mieux à faire qu’essayer d’attraper une pneumonie. Rapidement, Manuel se retrouva séché, installé dans un sofa confortable, une tasse de café chaud dans les mains, et surtout bien embêté. Que dire ? Excuses ? Probablement, oui. Il ouvrit donc la bouche pour présenter ses excuses, mais fut coupé par Stéphane. « Ecoute, pour l’autre soir. Je suis désolé d’avoir aussi mal réagi, et… En fait, je préférerai qu’on oublie tout ça, et qu’on fasse comme si rien ne s’était passé, d’accord ? » D’accord ? D’un certain côté, ça voulait dire qu’il n’avait plus à se sentir aussi gêné face à son ami, qu’il pouvait se contenter d’ignorer le problème, un peu comme la poussière qu’il poussait sous le tapis de sa chambre au lieu de la balayer… Mais d’un autre côté, ça voulait aussi dire oublier que Stéphane lui avait pratiquement dit qu’il l’aimait, ou en tous cas qu’il éprouvait des sentiments forts pour lui, ça voulait dire aussi que comme la poussière qu’il poussait sous son tapis, un jour, ça ressortirait, ou ça déborderait, et ça, ce n’était pas bon. « Ecoute, Stéphane, je… En fait, je pense pas qu’on devrait oublier. Je me suis vraiment comporté comme un imbécile, vraiment, je n’ai aucune excuse. Je suis vraiment, sincèrement désolé. » « Oui. » « Et aussi… Argh ! Putain, c’est pas facile… » « Hey, pas de grossièretés dans mon appart ! » « Pour ça aussi, je suis désolé, » dit Manuel en souriant. « Mais j’ai encore quelque chose à te dire, et je sais pas trop comment te dire, surtout qu’en plus tu ne voudras sans doute pas me croire, et c’est ma faute, je veux dire, j’ai vraiment été en-dessous de tout, et je comprendrai que tu refuses de me croire, c’est un peu comme le gamin qui criait au loup, tu connais, le conte ? Enfin bref, voilà, je ne sais pas trop comment te dire ça… » « Commence par respirer, ensuite essaye d’aligner un sujet, un verbe, et un complément. En général, ça marche assez bien, non ? » répondit Stéphane avec un sourire moqueur. « Oui, je vais essayer. » Manuel ferma les yeux un moment, inspira profondément, rouvrit les yeux, et se lança. « Voilà. Depuis cette soirée où je me suis comporté comme un con, j’ai pas mal réfléchi. Et je me suis rendu compte que j’avais peur de te perdre. Vraiment très peur, surtout qu’en plus tu étais parti, et j’avais beau essayer de t’appeler, y avait pas moyen, tu ne répondais pas, et tu sais ce qu’on dit, c’est quand on perd quelque chose qu’on se rend compte de ce qu’on avait, ou quelque chose comme ça, je sais plus exactement… » « Manuel, tu recommences à radoter. Droit au but, okay ? » « Okay. » Il fit une nouvelle pause, essaya de retrouver son courage qui semblait avoir décidé de se mettre en grève, et se lança de nouveau. « Donc. J’ai eu peur de te perdre. Je me suis rendu compte que je tenais à toi, encore plus que je ne croyais. Et que… Et que j’avais probablement tout foutu en l’air, parce que maintenant, tu refuseras sans doute de croire que… Et tu aurais raison, après ce que je t’ai fait, moi non plus je ne me ferais pas confiance, » il posa sa tasse de café, « et je suis vraiment désolé, je n’aurai pas dû venir, tu n’as sans doute pas envie de me voir, et je pense que je ferai mieux d’y aller avant de me ridiculiser encore plus, » il se leva, « promis, je ne t’embêterai plus, je te rappellerai plutôt un autre jour, quand… quand toute cette histoire sera oubliée, ou que j’aurai effectué un pèlerinage, ou je ne sais quoi, pour expier ma faute, » il se dirigea vers la sortie, « encore une fois, je suis vraiment désolé, » il posa la main sur la poignée de la porte, et s’apprêtait à l’ouvrir, sans oser se retourner, sans oser croiser le regard de Stéphane. Seulement, une main sur son épaule le força à s’arrêter. « Manuel. » « Manuel, retourne-toi et regarde moi. » « Manuel, retourne-toi, regarde-moi et finis ta phrase, bordel ! » Finalement, Manuel se retourna, regarda Stéphane, et l’embrassa. Figé par la surprise, ce dernier ne réagit pas, et Manuel se recula, rouge de honte. « Désolé, je… Il a encore fallu que je foute tout en l’air, hein ? » dit-il avec un sourire triste. « Je crois que je ferai mieux de partir, avant de faire une nouvelle connerie… » Il se tourna de nouveau vers la porte, et s’apprêtait une fois de plus à l’ouvrir pour partir, quand il fut brutalement agrippé par les épaules, et plaqué contre la porte. Stéphane le tenait à bout de bras, et le fixait d’un regard intense. « Dis moi que ce n’était pas une nouvelle blague, » gronda-t-il. « Non, tu sais bien que je ne me répète jamais, » répondit Manuel avec un sourire piteux. « Parce que si c’est une nouvelle blague, je te jure que celle-là, tu la regretteras ! » « Je regrette déjà la dernière… » Stéphane le regarda un moment, puis afficha un air déterminé, avant de se pencher vers lui, et de l’embrasser à son tour. Cette fois, ce n’était pas une blague, c’était bien réel, et il avait bien l’intention d’en profiter. Le premier avril suivant, Manuel se contenta de faire croire à son petit ami que le chat de la voisine avait attrapé la rage. Petit ami qui se douta de quelque chose en se rendant compte que la bave du chat en question avait une curieuse odeur mentholée, lui rappelant son dentifrice. Quant à Stéphane, il prit sa revanche en lui apportant un petit déjeuner au lit, agrémenté de quelques laxatifs… Après tout, ce n’était pas parce qu’ils étaient désormais ensemble qu’il allait le laisser s’en sortir indemne un premier avril ! |