Déchant 1 : La misère. L’homme traîna sa jambe blessée avec peine et souffrance. Il tâtonna sa poche dans le fol espoir d’y retrouver sa baguette intacte, dans le vain songe éphémère de se réveiller en sueur aux côtés de sa blonde mie, mais ses doigts ne heurtèrent que des débris de bois et une écharde s’enfonça dans sa peau blanche. Il continua sa route. Il se souvenait de cette jeune fille en fleur, qu’il aurait plu à son ancien maître de torturer comme lui l’avait fait, puisque même sa très grande maîtrise de l’Occlumancie n’avait pu lui permettre de ressentir comme il l’avait ressenti le plaisir jouissif qu’il avait eu à arracher une à une les parcelles de sa vie, tant physique que mentale. Il l’avait possédée, manipulée, détruite, brisée, et avec elle, la raison du Survivant. C’était bel et bien son cœur qui s’était brisé en mille éclats, tous aussi lumineux les uns que les autres, faisant jaillir avec force la violence et l’aura meurtrière d’un Démon aux allures d’Ange. Des larmes de sang avaient coulé sur ses mains, lentement, goutte à goutte, lorsque Harry avait fini par le détruire, sans avoir un seul instant deviné que le bourreau n’avait été et ne demeurerait autre que lui-même, le véritable Sang-Pur de cette association maudite qu’il avait eu la crédulité de rejoindre. Ses pas le portèrent devant une maison d’accueil pour les sans-logis et les réfugiés. Une odeur infecte s’en dégageait, incommodant ses narines de noble d’une manière infâme. La sueur de la misère, voilà quelle en était l’origine. L’abjecte effluve de la pauvreté, lui qui n’avait de son ancienne fortune que les brindilles qui encombraient sa poche. Le dilemme le fit douter une fois de plus, il n’hésita guère plus longtemps et franchit le seuil de ce qui signerait le début de sa déchéance. Une jeune femme le bouscula en sortant de cette même demeure sans visage, et il sentit quelque chose d’incertain se glisser dans sa poche. Il fut accueilli par un jeune garçon courtois qui lui indiqua un lit et lui donna un bout de pain dur. Il courut vers son lit, s’y assit prestement et arracha de ses doigts sales lentement un morceau de pain pour le mâcher sans plus réfléchir à autre chose. Il ferma les yeux pour qu’on ne vît ses larmes. Mais brutalement, son maigre revenu lui fut arraché par des mains noires de poils. Il ne tenta pas de protester. Ce n’était pas dans ses habitudes. Sa fierté l’avait toujours emporté sur le chemin de la défaite. « -Eh comment qu’tu t’appelles toi-là, l’nouveau ? » Il se retourna. L’homme aux mains velues venait de lui parler, dans un grognement inintelligible. « -Pardon ? lui répondit-il d’un ton neutre qu’il voulait à tout prix éviter d’être hautain. -Je t’ai d’mandé ton nom, imbécile ! rétorqua aussitôt le clochard. -Je… » Une idée, il lui fallait une idée. « -Victor. -Ouaip, Victor, si t’veux pas des merdes, m’cherche pas d’crosses. » Il déglutit rapidement, l’ordre avait été clair. « -D’accord. -On sera potes t’vois, si t’fais pas trop l’con. » Il n’avait pas compris le sens de la dernière phrase. Et il se demandait s’il avait vraiment envie de la comprendre. Il hocha la tête d’une manière incertaine et se coucha. « -Eh la blonde, reprit l’autre. T’as compris c’que j’dis ? » Il ne répondit pas. Une main le secoua violemment par l’épaule, et il se redressa dans l’intention de l’injurier comme il en avait l’habitude, mais son voisin de lit l’interrompit, crachant à sa figure. « -Tu t’crois tout permis, la blondasse ? hurla-t-il. J’t’ai dit quelque chose, alors va p’t’être falloir qu’tu d’pêches avant qu’je m’fâche ! » Que voulait cet homme ? Que lui voulait cet homme malodorant tenant plus du singe ou même du gorille que de l’homme ? Une main velue lui enserra fermement le poignet et l’attira vers lui. Il tourna la tête pour ne pas avoir à inhaler son haleine immonde d’ivrogne, mais l’autre patte velue le força par le menton à le regarder droit dans les yeux. « -Ecoute-moi bien ma jolie, reprit-il d’une voix doucereuse. Ici, j’suis maître. Pigé ? » Il fallait qu’il s’en aille. Il fallait qu’il quitte cette maison avant de déchoir encore plus bas qu’il ne l’avait jamais été. Une force inconnue l’enveloppa et pris d’une rage incontrôlable, le blond le repoussa d’un geste brusque, expédiant son interlocuteur à deux mètres sur le sol. Sans plus chercher à comprendre, il prit la fuite et s’échappa le plus vite qu’il put. A quelques mètres de là, un jeune garçon observait la scène, ses yeux vert émeraude luisant dans l’obscurité. Il mit ses mains sans ses poches et quitta le foyer. Il n’avait plus rien n’à y faire. Son téléphone mobile vibra, et il décrocha. « -Tu as eu raison. » |