Voici un petit texte de rien, amusez-vous. N'ayez pas peur, après les deux premiers paragraphes la narration revient à la normale. Enfin, normale pour moi... Balade... Silence. Il y a pire que la mort. Blanc. Il y a l’absence de mort. Noir. Si tout est calme et que rien ne bouge, cela ne finira jamais ; pas de début, pas de fin. C’est d’une logique à couper le souffle, à couper la vie… Tout est moite sans le moindre iota d’humidité. Tout est sec mais tout est mouillé. Nous n’en sortirons jamais. C’est une spirale sans courbe, un gouffre qui n’a pas de bordure. Si on ne voit pas la déchirure, y a-t-il vraiment un abîme ? Je ne comprends pas, toute vérité, tout raisonnement m’échappe. Je pensais donc j’étais, mais à présent ? Une pensée immobile dans l’espace ne peut se développer, ne peut donc être. Je suis dans le non-être. Je suis impossible. Une promenade par un jour ensoleillé, sans soleil, parce que les buildings des fourmis en costards n’ont rien de mieux à faire que de nous le cacher. Ce n’est pas leur faute les pauvres, on les a construits si haut sans leur dire ce qu’ils avaient à surveiller. Du coup, ils nous jouent des tours pour se venger. C’est comme ces vents qu’ils s’amusent à créer, quand la brise s’aventure trop près de leurs contours équerrés. Ils la prennent alors qu’elle résiste, ils la malmène et la poursuivent de leur assiduité jusqu’à ce qu’elle s’enfuie, ivre de terreur. Elle court, elle galope dans leurs dédales cherchant l’échappatoire, cherchant la paix. Elle renverse les chapeaux de fourmis au passage. Mais les architectes étaient de mèche : si on entre dans le labyrinthe, pas moyen d’en sortir intact. C’est une maison de fou, où l’on peut aller de gauche à droite, d’en haut à en bas, en diagonale, en oblique ou à reculons, à quatre pattes même, mais on n’en franchis plus les murs une fois qu’on y est entré. C’est un vrai piège à homard. Un énorme panier à crabe, où on attend pour nous faire frire. Ou bouillir, c’est au choix. Personnellement, j’ai toujours trouvé que faire bouillir une pièce de choix dans son impatience était ce qui était le plus goûteux. On se ballade innocemment. On prend bien garde de ne pas approcher les géants de béton, d’un coup qu’ils nous gobent. Parfois ça manque de personnel, alors ils en choppent un sur la rue, un pauvre nouillard qui n’avait rien demandé, et ils le noient de mensonges. Une fois qu’il est bien mort, à l’intérieur surtout, sinon c’est vicieux et coriace sous la dent, il est prêt pour usage. C’est alors qu’ils l’attachent à une case. C’est un machin aux angles durs plein de papier divers et on a beau la vider, s’échiner à la faire vomir tout son contenu, il y en aura toujours d’autres qui apparaîtront par magie pour prendre la place de ceux qu’on a tant peiné à faire dégager. On appelle ça un attaché-case. Après, ils en font ce qu’ils veulent. Sur la terrasse, qui est heureusement assez large à midi pour qu’on se sente loin de l’ombre menaçante des tourelles de la forteresse imprenable des capitalistes, on profite du temps libre qu’on s’est trouvé entre deux attentats à la photocopieuse pour profiter du bon air extérieur, qui a le mérite d’être d’une pollution et d’une humidité plus rassurante que celle qu’on retrouve à l’intérieur. Ici, les microbes sont élevés à l’air pur, non nourris de concentré, ce qui fait d’eux de bons microbes bios d’antan. L’humidité, elle, est due au fleuve qui circule à côté, de là l’avantage touristique de placer une terrasse ici, parce que ça surplombe. L’eau est brune, on ne s’y baigne jamais, de toute façon c’est glacé même à trente degré, mais les touristes adorent. Les touristes ont toujours étés des créatures fascinantes. Il fait présentement très chaud, je ne pourrais pas dire à quel point, mon thermomètre de poche est cassé. Ça a fait une fuite de mercure dans ma poche et j’étais très gêné, même si de nos jours on emploie plus de véritable mercure. J’ai dû rentrer chez moi pour me changer. Je profite d’un peu de temps libre glandé ça et là. Surtout là, le ça n’a jamais été une partie de moi que je maîtrise. Il fait beau. À chaque vingtaine de mètres, il y a un nouvel assommeur-public pour donner une raison à la foule de s’arrêter un instant pour regarder. Les gens s’agglutinent en troupeau, et le clown fait son numéro. Souvent il demande l’assistance de quelqu’un dans le public ; il le pointe, l’homme s’avance, tout heureux avoir été désigné – il aura quelque chose à raconter ce soir – et se plie complaisamment à toutes les exigences de l’assommeur. Il trouve que se faire donner des ordres par un homme déguisé est plus amusant que par son supérieur en chef. À la fin du numéro, il finit inévitablement par être assommé. Ses proches la ramassent, ou s’il est venu seul c’est généralement l’assistant de l’assommeur qui s’en charge. Il est d’ailleurs souvent boiteux, bossu et borgne, et cette fonction d’homme de main lui convient très bien. Les gens qui ont vu le numéro, eux, sont comblés et applaudissent à tout va, avant de donner quelques menus pièces dont ils ne savaient que faire et qui rendaient leur poches trop lourdes. Les plus avares s’enfuient avant la fin des applaudissements. Ensuite, le distrayant personnage range ses outils dans sa malle, boit une gorgée d’eau, le temps de laisser le temps à la foule d’effectuer une rotation d’un assommeur à l’autre, puis recommence sa performance depuis le début, où il va tour à tour ressortir tous les instruments de sa malle. À la fin de la journée, il a parfois des crampes au bras qui tient le gourdin et va généralement tenter d’apaiser la douleur par quelques exercices d’assouplissements. Ceux-ci consistent à monter et descendre son bras chargé d’un poids. Ce poids passe alternativement du comptoir à sa bouche, où il déverse un liquide fermenté aidant à l’accomplissement du rituel. Il passe habituellement la presque totalité de la recette de son chapeau dans cette détente quotidienne, moins la part réservée à son acolyte, évidement. J’ai le cerveau qui s’active un peu trop sous cette chaleur alors pour calmer les ébullitions de mes cellules grises en actions je décide moi aussi de me faire assommer. Pas de chance, je ne suis pas choisi, l’assommeur m’a préféré une dame dans la quarantaine qui porte un ensemble bleu. J’irais donc dépenser mes pièces ailleurs. De l’autre côté de la terrasse un marchand de crème glacée me fait signe : j’ai un lacet défait. Pour le remercier de cette gentillesse, je lui achète un cornet. La pistache m’a toujours donné d’affreuses indigestions ; j’en prends deux boules. Pendant que je lèche les coulisses d’un vert tendre qui glissent le long du cornet piqueté de myriades de petits bonbons multicolores, je continue ma promenade. À ma gauche, un drame survient ; un homme menait son minuscule chien en laisse dans toute cette foule pour lui faire faire une promenade. Après tout, les chiens aussi en ont le droit. Malheureusement, dans la cohue, un gigantesque gaillard de huit pieds et chaussant du soixante-quinze a perdu pied, vraisemblablement poussé par une vieille dame fragile et asthmatique en robe à fleur, et dans sa tentative pour rester debout il aurait malencontreusement écrasé le pauvre chihuahua d’une jolie couleur fennec. Sous l’éclat d’une telle aventure, la foule curieuse forme un cercle autour des protagonistes pour en guetter le dénouement. Je suis au premier rang. L’ex-propriétaire d’un adorable chien lève bien haut son bras tenant la laisse pour exhiber la masse rougeâtre que forme maintenant le corps canin dont l’abdomen s’étant déchiré sous le choc laisse échapper des intestins et des bouts d’organes internes en bouillie. C’est à peine si l’on peu encore distinguer les oreilles dans tout ce gâchis, oreilles que cette race a pourtant fort proéminentes. Je ne peux m’empêcher de songer aux employés de la maintenance qui devront tâcher de faire disparaître tout ce sang. C’est sur du bois ; ça imbibe. Peut-être ces planches garderont-elles à jamais trace de l’incident. Sous le mouvement du propriétaire, la foule opère un recul stratégique ; le mort est encore frais, il ne faudrait pas que cela nous gicle dessus. Le géant responsable de l’incident est à genoux et hésite entre rire et se confondre en excuses. Pour le moment, il est plongé dans une réflexion profonde qui dessine des traces de concentration sur son front. Un anonyme a eu le réflexe de sortir son arme de diffusion massive pour prévenir les urgences. Son cellulaire ne le quitte jamais, dans le cas où une occasion de ce genre se présenterait. Je ne crois pas que l’ambulance dépêchée sur les lieux pourra faire quoi que ce soit pour la bête dont les restes tenants toujours ensemble sont demeurés pendus au bout de la laisse, exhibés comme preuve à conviction, mais peut-être pourront-ils aider la grand-mère fleurie à retrouver son inhalateur. Elle le cherche depuis un moment maintenant et ses plus proches voisins sont penchés avec elle à quatre-vingt dix degré pour l’aider dans sa quête. De cette façon, ils semblent tous être pris d’arthrite, comme si la vieillesse de la dame d’or était contagieuse dans son énervement. Quelques minutes plus tard à peine, l’ambulance arrive sur les lieux. Elle n’était pas bien loin il faut le dire, car par chance ses occupants faisaient une pause au bar laitier à une dizaine de pas d’ici. Le temps de relacer leur chaussures – le propriétaire du kiosque est décidément très observateur – et ils étaient partis. Le plus long fut de trouver une place de parking. Il la trouvèrent directement à ma droite, après avoir tassé la foule à coup de pare-chocs arrière (le camion n’a heureusement subis aucun dommage dans l’opération) et en ouvrant les portes ils m’assommèrent violement. Je ne connus jamais le dénouement de l’incident sur la terrasse ; le propriétaire a-t-il, oui ou non, intenté une poursuite à l’encontre des grands pieds du tueur ? Et la vieille dame, a-t-elle retrouvé son inhalateur ? Il m’est malheureusement désormais impossible de me renseigner à ce sujet, étant donné que le choc causé par l’ouverture de la porte arrière gauche de l’ambulance m’a plongé dans un profond coma. Tout ne se résume plus qu’à du blanc. Ce n’est pas encore tout à fait la mort, mais ce n’est certes pas plus près de la vie non plus. J’existe dans un monde où plus rien n’existe plus. Je crois que je me suis dissous. Pire que l’absence de vie, c’est l’absence de mort, qui me préoccupe. __________Pour ceux que ça intéresse, l'anecdote du chihuahua est vraiment arrivée à quelqu'un que je connais... |