-Mademoiselle Peacecraft. -Monsieur Yuy ? -Je... - J'arrive à son rendez-vous du jeudi, comme d'habitude à l'heure, et elle comme d'habitude pas à l'heure. Mais cette fois, ça me permet de me demander comment je vais lui demander ce que je vais lui demander. Alors dans la salle d'attente, un pied ayant la bougeotte, j'ai réfléchi jusqu'à ce qu'une porte s'ouvre dans le couloir d'à coté, suivie de « Très bien, au revoir madame biiiiiiiiiiiip, à la semaine prochaine. ». J'ai censuré le nom parce qu'on ne pointe pas du doigt les personnes qui se font suivre. D'ailleurs, moi même quand cette dame passa devant la salle d'attente dont la porte était ouvert, je me cachai discrètement derrière ma main. Vous imaginez le truc (et j'insiste sur le mot « discrètement »). Non non, j'ai pas l'air con. Et là je me retrouve dans le bureau de sainte Peacecraft qui attend ma question. Que c'est dur de devoir lui demander ça. Je ne l'aurais pas cru si on m'avait dit que je le ferais un jour. Mais là, pas le choix. - -Vous... ? -J'ai besoin de vous. -Ah. Mais, qu'est ce que je fais depuis cinq ans ? - Tu me fais chier. - -J'ai besoin que vous m'aidiez à prendre une décision. Non. Il faut que vous me dites ce que je dois faire. -Ce que vous devez faire... Mais vous êtes seul maître de votre destin. -Je n'apprécie pas les psy, mais encore moins les voyantes. -Ce n'est pas grave j'espère ? Vous ne vous êtes pas empoigné avec monsieur Maxwell quand même ? -Non, ce n'est pas grave, et non, je ne me suis pas empoigné avec lui. Mais je crois que j'aurais préféré ça plutôt que... - Son cou avance alors que je lui met sûrement l'eau à la bouche. Je sais pas ce qu'elle croit, mais elle paraît vachement sérieuse par rapport à d'habitude. Si ça continue, sa tête va tomber en avant. - -Dites moi, monsieur Yuy. Je pourrai sûrement faire quelque chose, mais si vous gardez tout pour vous, je n'y arriverai pas. -Voila. -Oui ? - Tout ça c'est de la faute de Maxwell, avec ses idées débiles. Mais de quoi il veut qu'on parle si ce n'est pas de boulot ?? C'est pas mon pote, et j'ai pas envie qu'il le soit. - -Je suis pris au piège. -Prit au piège ? Comment ça ? Vous ne m'aviez pas dis la dernière fois que vous avez été réembauché ? -Si... mais ça ne concerne pas le boulot, je... -... - Les rendez-vous avec elle ces deux derniers mois ont été chaotiques. A plusieurs reprises je me suis disputé avec elle. Ca arrive souvent, mais ces fois là j'étais impitoyable, et je sais que derrière ses petites et saintes réponses, elle était blessée. J'aurai voulu ne plus venir chez elle. J'ai faillis le faire. J'aurai DU le faire. Mais à chaque fois un entretient me tendait la main et j'allais la voir pour en parler. Je ne sais absolument pas ce qui m'oblige à aller la voir. Je ne sais pas. Je ne comprends pas. - -Maxwell m'a invité pour un dîner. -... - Oui. C'est la blague mondiale de l'année. Et demain y'aura parution dans les journaux. Putain. Les yeux ronds ça lui fait vraiment une tronche débile. - -Oui, hein ? Ca m'a fait un peu le même effet. -Du genre ennuyant employeur/employé ? -Non, même pas. Du genre privé. -Du genre privé ?? Mais alors ça sera... privé ! -Votre vitesse de compréhension m'impressionne. Ainsi que votre capacité d'assimilation. -Il vous a invité, en quel honneur ? -En fait, toute cette histoire de licenciement, c'était juste une manigance pour... enfin il s'est foutu de ma gueule et c'était pour me montrer que les statistiques de la boîte étaient identiques quand je ne suis pas là. -Com... Comment ? -Vous m'avez bien entendu. - Et ça la fait éclater de rire. Aha. Nan mais vraiment, je suis trop marrant. Il faudrait que je fasse des sketches, parce que si tout le monde est comme elle, je serais millionnaire. Je savais pas que je pouvais faire carrière en tant qu'humoriste. Elle essaye de se reprendre et de s'empêcher de rire comme une petite collégiènne qui rit parce qu'elle se croit drôle en classe, et en mettant sa main devant la bouche, les joues un peu rougies. - -Non non non. Racontez moi pourquoi il vous a fait ça. En fait c'était juste pour vous inviter, n'est ce pas ? -N... ! Euh... - Quoi ? Ah bon ? Mais non ! - -Ahaaa... vous n'y avez pas pensé... il vous a donnez un faux pretexte pour vous inviter au restaurant ! Non... Licencier, c'est vraiment trop fort... à moins qu'il soit extreeemement calculateur et qu'il ne tienne pas beaucoup à vous... -Il ne tient pas à moi et c'est tout ! Il a agit lâchement, c'est un gosse. -Quelles étaient les raisons qui l'ont poussé à faire ça ? -Il a voulu me montrer... par un procédé illégal pour ce genre de raisons, qu'on ne voit pas la différence dans les stats quand je suis là ou non. -Fort... très fort... -Très con. -Je n'arrive pas à croire qu'il vous ait fait ça. -J'ai eu du mal, et maintenant il croit que je vais lui pardonner en m'invitant à dîner. Non mais vraiment... en plus le thème ne sera même pas le boulot... -Hm... - Elle se fout de ma gueule ! Je suis maudit. - -Dites moi ce qui vous fait rire, que j'en profite moi aussi. -Non rien, rien... -Mais si ! Il y a quelque chose ! -Non c'est... c'est rien. Je ris, c'est tout. Enfin... non, mais... -D'accord. Votre rien est bien drôle, visiblement. -C'est que... bon, et qu'est ce que vous attendez de moi ? Je vous préviens, je n'irai pas à votre place. -Je veux savoir ce qui vous fait rire. - Elle me prend pour un con ?? Il y a une différence entre rire et se foutre de la gueule des gens ! - -C'est rien ! Je suis entrain de me dire que tout ça s'enchaîne et... il y a deux mois vous vous faisiez la guerre, et maintenant il vous invite au restaurant pour se faire... pardonner. Je crois qu'il ne voulais pas ce conflit, alors il a tenté de s'approcher de vous par une autre manière et il a réussi. -Vous auriez dû devenir productrice de films. -Certainement. -Il n'a rien réussi du tout. Il n'a rien tenté non plus. -Oui oui. -Mais si ! -D'accord ! Comme vous voulez. -Vous vous retenez de sourire à pleine dents. Vous êtes vraiment trop prévisible. -C'est que votre patron est très intéressant à agir comme cela. -Ah bon. Grande nouvelle. Il est intéressant. Heureusement que vous me l'avez dis parce que ça ne m'aurait jamais venu à l'esprit. -Vous dites ça ironiquement ? -Je traduis : il n'est pas intéressant du tout, il est con ! - Et toi aussi. - -Je voulais que vous me disiez ce que je dois faire, maintenant. -Quoi ? Que moi je vous dise ce que vous devez faire ? Mais c'est votre vie, vous faites ce que vous voulez. -Ca aurait été un dîner boulot, la question ne se serait pas posée, mais là... -Vous hésitez ? -Non, pas du tout, ça se voit pas ?! S'il vous plait, montrez vous intelligente pour une fois. -Mon avis serait, évidemment, d'accepter ce dîner. Ca vous permettrait de mieux connaître ce jeune patron qui veut vous connaître. -... -Vous n'avez pas l'air convaincu. -Je suis obligé d'y aller ? -Non, mais vous me demandez un conseil, et je vous conseille vivement d'y aller. - Merde. - -Mais... -Mais quoi ? Il faudrait savoir ce que vous voulez ! -Ca ne m'enchante pas vraiment. -Rien ne vous enchante de toute façon, alors que ce soit blanc ou noir ça ne vous va pas. Si vous attendez que je vous pousse pour y aller, je veux bien mais vous tenir la main, non. -Pff... -Bon, en fait vous voulez que je vous enguirlande comme les enfants ? -Non mais oh !!! -Alors allez y, dites à votre patron que vous serez là et... il vous a invité quand ? -Je ne sais pas, j'ai dis que je lui direz si oui ou non pour un resto dans trois jours et la date je ne la connais pas puisque je n'étais pas sûr d'y aller. -Oooh... vous êtes un manche. -Pardon ?? Et vous savez ce que vous êtes, vous ?? -J'imagine, monsieur Yuy. Non mais franchement, ça ne se fait pas de faire attendre trois jours pour... un dîner ! Ce n'est pas comme si c'était quelque chose d'important ou officiel... -Ben je le savais pas. Et si vous n'êtes pas contente, c'est pareil. -Ce n'est pas que je ne suis pas contente, c'est que vous m'étonnerez toujours. -Super, je suis bien avancé. Et comment ça se passe dans les dîners privés comme ça ? De quoi on parle ? -Ah. Bien sûr, vous ne savez pas comment réagir. Vous faîtes bien de me demander sinon vous allez encore dire n'importe quoi. -Je dis tout sauf n'importe quoi. - Bizare... on dirait une scène de déjà vue... - -Il faut savoir que quand on va au restaurant, on y reste pas qu'une demie heure. On reste un bon bout de temps car on attend longtemps. -Merci, je suis déjà allé au resto. -Cela laisse du temps auc clients de discuter d'une part, et de ne pas manger trop vite d'autre part. Car quand on mange trop vite, on a l'impression de ne plus avoir faim, et le but d'un restaurant c'est bien de vendre le plus de plats possibles. -Dites... vous me prennez vraiment pour un ignorant ? -C'est pour que les choses soient claires. -Vous ne pouviez pas demander au début si les choses sont claires pour qu'on puisse gagner du temps, ou ne pas en perdre plus que ce qu'on a déjà perdu à cause de votre retard ? -D'accord, ne vous fâchez pas. - Non, j'ai simplement pas envie de perdre plus de temps ici. - -Je sais pas... je n'aime pas raconter ma vie. Il n'y a rien à dire. Et franchement, ce qu'il a fait pendant la semaine ça ne m'intéresse pas non plus. Il fait ce qu'il veut. -Peut être qu'il va vous parler de votre famille, si vous sortez souvent, si vous faites du sport... -Oh non... et je dois dire quoi ? -La vérité, simplement. Il ne faut pas se créer un personnage. Il veut sympathiser et mieux vous connaître. -Mais ma famille, c'est personnel, si je sors souvent, ben non, avec ma famille, pour le sport on s'en fout, j'aime pas le cinéma et j'écoute les infos à la radio donc pas de musique, et... et voilà, y'a rien à dire. -On ne se fout de rien. S'il veut savoir, il faut lui faire savoir. -Et si je tiens à garder ma vie privée pour moi ? -Ce que vous ne comprenez pas, monsieur Yuy, c'est que votre vie privée, il commence à en faire partie. - Cette réponse me glaça le sang. Imaginer Maxwell était déjà une plaie. L'imaginer s'incruster dans ma vie privée, ça serait infecter cette plaie. Ca serait m'empoisonner. Mais dans quoi je me suis fourré ? Bon. Je lui ai toujours pas répondu, hein. Je peux encore sauver ma carcasse. - -Quoi ? -Vous refusez aux autres personnes de s'insérer dans votre vie privée, vous vous protégez de tout contact avec les gens, vous refusez de leur donner un peu de votre existence et vous dénigrez ce qu'ils vous offrent... mais pourquoi ? Pourquoi se braquer comme ça ? Tout le monde n'est pas stupide, il y en a forcemment qui vous comprendrait. -C'est bien beau mais on ne parle pas de ça. -Si vous venez me voir, c'est bien pour parler de ça. Ce n'est pas pour vous changer car on ne change pas une personne, mais pour améliorer ce handicap. - Son sourire d'il y a cinq minutes a disparu. Son visage a retrouvé son « sérieux » et elle me fixe de ses yeux comme un examinateur pendant un concour oral. - -Bon. Et pour le dîner ? En fait c'est un questions/réponses. -Non, pas du tout. Vous ne passez pas un entretient d'embauche. Essayez de vous intéresser à lui aussi. Posez lui des questions sur lui, parlez, engagez la conversation au lieu de la subir. -Je n'aime pas parler de moi, et sa vie j'en n'ai rien à faire. - Elle soupire. - -Que voulez vous que je vous dise alors... ? -Je sais pas, c'est vous la psy. Pas moi. -Il ne faut pas que monsieur Maxwell ait à vous tirer les vers du nez. Il ne faut pas que ce soit du temps perdu, ni qu'il attende comme vous de finir son assiette, de payer et de partir. Le but est de rester et d'avoir envie de rester. Ne le décevez pas. - Ah. Bah moi mon but c'était ça. De manger et de partir. Et j'ai pas envie d'y aller, c'est pas pour avoir envie d'y rester. - -Déjà, je ne comprends pas pourquoi moi. Je croyais qu'on s'entendait suffisamment mal pour qu'il me laisse tranquille et qu'il ne veuille pas me voir plus souvent. -Eh bien vous vous êtes trompé. C'est devenu tout à fait le contraire. -Ce n'est pas possible. -La preuve que si. Il vous a fait croire que le courant ne passait pas mais en fait c'est pour se faire... remarquer. - Oui ben il n'avait pas besoin de se faire remarquer. Avec la coupe de cheveux qu'il a, c'est bon, je l'ai catalogué dés la première seconde où je l'ai vu. - -Ca, c'est sûr qu'il s'est fait remarqué. - Pas forcémment en bien d'ailleurs. - -Auprès de vous. Et il veut vous montrer qu'autre chose que de la concurrence existe entre lui et vous. -C'est complètement inutile. Ridicule. Il doit vraiment s'emmerder pour occuper son temps comme ça. -Mais pourquoi dites vous cela ? -Mais parce que chercher à mieux me connaître et à sympatiser avec moi, c'est comme partir à la chasse au dahu. -Vraiment, vous ne me rendez pas la tâche facile. Il faut vous sortir de la tête que personne n'est assez bien pour vous. -Je me fis toujours à la première impression que j'ai. Et jusqu'à là, ça a toujours marché. -Non. Car la première impression que vous avez est toujours la même. Elle est innée chez vous, mais je me répète vous vous trompez. C'est tellement facile de rester chez soit isolé. De ne pas se méler aux autres. De ne pas adopter la vie de tous les jours avec les autres. Vous ne souffrez jamais de sollitude ? -Je souffre du trop de monde. -Mais une personne, c'est trop pour vous ? -Parfaitement. Car elle ressemble à tout le monde. -Qui vous dit que votre patron est comme les autres ? -Mon intuition. - Elle veut vraiment avoir raison. Elle cherche vraiment à me piéger. Dommage que je sois entraîné. J'ai l'habitude de son comportement qui veut tout le temps me contredire, et me montrer que je dois me plier aux autres et faire comme eux. - -Vous êtes incorrigible. Parfois je me demande comment j'ai fais pour vous tenir tête. -Ah parce que vous croyez que vous me tenez tête ? -Je crois que, si vous continuez à venir me voir, c'est pour qu'on échange nos points de vue et que vous évaluiez le vôtre avec un oeil différent. -Ca ne le change pas pour autant. -Eh oui... c'est bien ça le problème. Vous ne voulez faire aucun effort. - A l'origine, notez que j'étais venu pour parler du dîner, hein. Et après certains pensent qu'elle est intelligente. - -Je me demande si c'est une bonne idée, ce dîner. -Moi, je me demande où il veut en venir. Ou alors... comme il a vu dés le début qu'il ne pourrai pas passer du temps simplement avec vous, il a cherché à se faire remarquer. Et avec vous, on ne se fait remarquer qu'en mal. Donc il n'a pas eu le choix. Et ensuite il est allé jusqu'au bout de cette tactique risquée et a pu renverser la balance en sa faveur en trouvant le prétexte pour être avec vous en dehors du boulot, sous un déguisement de dîner, puisque vous ne sortez pas pour ne rien faire. Et ça, il l'a bien deviné. - Je comprends que dalle. Je savais pas qu'elle savais parler thaïlandais. - -En français ça donne quoi ? -Je n'avances rien pour le moment, c'est juste une des premières reflexions qui me vient à l'esprit, ne vous fâchez pas... -Il faudrait déjà que vous m'expliquiez précisément ce que vous voulez dire par là. J'avoue ne rien suivre. -Euhm... tout compte fait, je n'ai rien dis. - On est bien d'accord. Si c'est pour dire des trucs que je comprends pas, je classe ça dans la rubrique « sans sens ni intérêt ». - -Mais... je remarque que vous ne comprenez que ce que vous voulez comprendre. -Je n'aime pas ce que vous venez de dire. Je me méfie encore plus. Je crois que je vais décliner la soirée. -Mais non ! Ne faites pas ça. -Et pourquoi ? -Comment savoir ce qu'il veut si vous l'en empêchez ? - C'est pas faux. - -Il ne va pas vous mordre. Vous ne perdrez rien à passer un soir avec lui. -Si, mon temps. -On gagne à connaître une personne. -On gagne quoi ? -Ca vous permettra d'avancer. -Je ne pense pas, non... -Il est plus intéressant de faire partager nos émotions, notre vécut à des personnes extérieures. - Je ne vois pas en quoi. - -... -Bon. Dites vous seulement qu'il vaut mieux être ouvert que comme vous. -Mais comment je dois réagir ? -Montrez seulement que vous l'acceptez. Ca sera déjà un grand pas de fait. |