-Ah, bonjour monsieur Yuy. - Ah, bonjour mademoiselle la truffe. 23 minutes. Qui dit mieux ? - -J’ai l’impression que plus je vous dis d’être à l’heure, plus vous êtes en retard. -Quoi, je suis plus en retard que la dernière fois ? Il ne me semblait pas. -Il vous semblait mal. Une minute. -Une minute ? Mais c’est rien, ça. -Une minute, plus une minute, plus une minute, plus une minute égal quatre minutes. Vous aviez quatre minutes de moins que l’avant dernière fois la dernière fois, et cette semaine c’est déjà reparti pour les rajouts. - Je vais finir par croire qu’elle le fait exprès. Elle se retient de rire ! Ca veut tout dire, cette main devant la bouche cachant des fossettes, les joues qui remontent un peu, un léger pli en dessous des yeux et les yeux baissés. La mentalité, je vous dis pas. C’est encore pire que ce que je pensais. Et après, c’est moi qu’il faut interner. - -Alors entrez, nous avons une minute de retard, il ne faudrait pas en perdre plus… - Et elle se moque de moi par-dessus tout. Nan mais là c’est grave. Elle en a rien à foutre que je poireaute dans sa salle d'attente qui sent le renfermé. Je sais pas qui c'est, la femme de ménage, mais y'a à redire. - -Bien. Du nouveau sur votre patron ? Il est arrivé il y a une semaine, c’est ça ? Asseyez-vous s’il vous plait, vous n’allez pas rester debout devant cette fenêtre les mains dans les poches. - Mais je fais ce que je veux ! T’es pas ma mère ! - -Six jours. Et si j’aime regarder par cette fenêtre, c’est mon droit. -Vous aimez ? Très bien, faites comme vous voulez dans ce cas. -J’y compte bien. -Il s’appelle… comment déjà ? -Mon patron ? -Oui. -Vous n’avez pas de mémoire ou quoi ? -Je vois des patients tous les jours qui me parlent de pleins de personnes, et nous n’avons encore jamais parlé de votre nouveau patron. C’est normal si je ne me souviens plus de son nom. -C’est étonnant que vous vous souveniez que j’ai un nouveau patron alors. -Je m’en souviens parce qu’il est jeune, à ce que vous m’avez dis. Et ça ne me dit pas comment il s’appelle. -Et alors ? Ou est le rapport? Duo Maxwell. -Il est jeune… comment ? Beaucoup plus vieux que vous ? Ou juste un peu. - Rah… quand je pense qu’il a 26 ans, ça me rend dingue. Les moyens que son père a… c’est énorme. Evidemment si j’avais eu un père pareil, c’est sûr que je pourrais être à sa place. Putain… j’ai vraiment pas eu de bol. Je suis obligé de lui dire à l’autre blonde qu’il est plus jeune ? C’est trop la honte. - -Allons, desserrez les dents et dîtes-moi tout. - Tout, tout, tout est fini entre nous… Je t’emmerde. Mes dents ne sont pas serrées. Ce sont mes poings. - -26. -Il a 26 ans ?? -Oui… - Ca te fait plaisir que ça m’exaspère, hein ? - -26 ans… - Oui, bon ! 26 ans ! Elle a jamais connu de personne ayant 26 ans ou quoi ?! Moi j’ai juste un an de plus et j’ai certainement fais plus de chose que lui ! Ouais… fais une exclamation d’admiration et ouvre grand les yeux, comme ça tu ressembles à un joli poisson hors de l’eau. Je retire le mot « joli ». T’as une tête de merlan frit. - -Il doit être fabuleusement ingénieux… -Ah oui ? Moi je dis que son père doit avoir une fabuleuse liste d’amis hauts placés et un fabuleux paquet de fric. -Mais enfin, les diplômes ça ne s’achète pas. -Bush, il l’a eu comment son bac ? - Elle peut m’expliquer pourquoi elle s’intéresse tant à mon directeur ? Elle veut se marier avec lui ou quoi ?! En tout cas, elle va pas le lâcher, je le sens venir à trois kilomètres. Dés qu'elle pense à un truc en particulier, c'est parti pour trois semaines. J'ai juste à attendre trois lessons et c'est bon. - -26 ans… -C’est bien, vous avez compris. Maintenant, combien j’ai de doigts sur ma main ? -Ne soyez pas jaloux. - Quoi ?? Mais qu’est ce qu’elle invente encore ? Elles vont être longues les trois lessons... - -Je ne suis pas jaloux. -Vous savez… - Le temps qu’elle trouve la fin se sa phrase, je dois avoir le temps de bouquiner un petit roman de 400 pages… … Oui… ? - -Non, je ne sais pas. - Il m'arrive de ne pas savoir... Surtout ce genre de choses qui paraîssent assez floues et assez évasives... Je ne sais toujours pas, et il ne faut pas croire que ça ne m'intrigue pas. Bon. Elle va la finir sa phrase oui ou non ? - -Vous savez, c’est la première fois que vous travaillez avec une personne aussi jeune. -Je ne travaille pas avec lui, je travaille pour lui. -Il est même plus jeune que vous. -Vous avez remarqué vous aussi ? - Wow. Acclamations du public. - -Vous n’allez peut-être pas réagir avec lui comme avec vos autres collègues. -Ce n’est PAS un collègue, c’est mon PATRON. Forcément que je vais pas lui dire en face qu’il arrête de me faire chier quand il m’interrompt pendant que je fais un truc urgent. -Oh, vous en êtes capable. J’en suis convaincue. - Peut être. Mais pas avec ces termes. Je ne suis pas aussi con pour me permettre de lui parler comme à un collègue. En plus il est jeune, il est bourré de tact et ses chevilles sont gonflées à bloc. Au moindre faux pas, c’est un avertissement. Il pourra me chercher, comme tous les jeunes, mais il sera pas plus malin que moi. - -C’est un jeune. S’il veut piquer sa crise, il le fera. -Il est aussi jeune que vous, alors parlez pour vous. - Tu commences à me courir sur le haricot. Pour être poli. - -Je pense, monsieur Yuy… - Oh non, arrête, tu vas te faire mal. - -… que comme vous avez sensiblement le même âge, et comme vous êtes les seuls dans votre équipe à être si jeune, vous pouvez développer de meilleures relations qu’entre deux personnes que 30 ans différencient. - Mais… elle est conne ou elle le fait exprès ? Enfin oui, je le savais mais comme je l’ai déjà dis, y’a des limites à tout ! Je devrais faire copain-copain ? Bordel mais c’est mon PATRON, t’inscris ??? Définition de patron selon le dictionnaire : Personne qui commande à des ouvriers, à des employés, à des domestiques, qui dirige une entreprise commerciale ou industrielle. - -Certes, il est votre supérieur… - J’aime pas entendre ça. Elle aime retourner le couteau dans la plaie. - -Mais vous devriez vous comprendre mieux. Il est de la même génération que vous. Il faudrait vraiment que vous fassiez un effort. Essayer de lui parler normalement. Ne pas agir avec lui comme avec une personne plus âgée. Depuis que vous êtes entré dans la vrai vie, que vous travaillez, vous n’avez côtoyé que des personnes de minimum 10 voire 12 ans de plus que vous. Vous vous sentiez supérieur à eux parce que vous représentez la jeunesse. - Ce qui est vrai. Il ne sont plus dans le coup. - -Ce dont j’avais peur, c’est que vous vous mettiez à dos ce nouveau directeur. Or là, c’est pire. Maintenant, je crains que vous n’entriez en compétition avec lui. Il faut absolument éviter ça. Déjà parce que ça empirerait vos sentiments vis-à-vis des gens, mais en plus, vous seriez bien capable de perdre votre emploi. - Soupir... Quand elle prend ce ton grave du genre « Je te quitte, Brendan » des feuilletons américains à l’eau de rose, c’est saoûlant… mais c’est saoûlant… Et puis j’en ai marre de regarder par la fenêtre. Je vais m’asseoir. L’avantage de regarder par la fenêtre, c’est que je ne peux pas voir cette idiote, puisque je lui fais dos. - -Et cette fois, de ne pas en retrouver. - Mais bien sûr. Et la marmotte ? Hein ? Qu’est ce qu’elle fait la marmotte ? J’ai même pas trente ans, un bon bac, des bonnes études et une bonne maîtrise derrière moi, et je suis né pour faire de l’informatique, mais personne ne m’embaucherait… absolument pas. Je me retrouverais à la retraite à 27 ans et tout le reste de ma vie je la passerais en face de la TV sur mon canapé. - -Et je dois faire quoi ? -Vous devez seulement bien vous comporter, ou ne rien dire, le laisser vous dominer pour ne pas enclencher le conflit. Que vous ayez tort ou raison, c’est le directeur. Donc il aura toujours plus raison que vous. -Hn. -Vous lui avez déjà parlé ? -Ca fait 6 jours qu’il patrouille dans les couloirs et les bureaux. C’était inévitable. -Je vois. - Elle croit quoi ? Que les patrons ça bosse ? La seule chose qui les retient dans leur bureau c’est le fauteuil en cuir. - -La première fois qu’on s’est parlé, c’était après qu’il m’ai espionné quand j’ai eu une petite conversation avec une collègue à propos de son portable. -Ah. Il vous a espionné. Et… je suppose qu’il n’a pas été… très ravi ? -Non, il m’a fait la morale, ce con. -Prévisible. Compétition. - Oui, tu es trop forte. Oui, tu sais mieux que tout le monde. Oui, tu es voyante. - -Même le Chauve ne me parlait pas comme ça. -S'il vous plait, ne l'appellez pas comme ça... -Je ne me souviens plus de son nom. -Il était un peu plus âgé. Comment monsieur Maxwell vous a-t-il parlé ? -Avec… assurance, en toute sécurité, tranquillement… comme je le déteste. -Vous détestez ce comportement parce qu’il prouve qu’il est insensible au vôtre. Et vous ne supportez pas ne pas laisser la frustration derrière vous. -Non. Il croit qu’il m’aura vite sous la main. -Et là, vous êtes frustré. -Je ne suis pas frustré ! -Non ? Alors pourquoi vous êtes vous relevé et vous êtes-vous dirigé vers la fenêtre quand je vous ai demandé comment il vous a parlé ? Et pourquoi me défiez-vous du regard maintenant que vous êtes énervé ? -C’est parce que… votre… visage… m'insupporte. -Pourquoi ? Parce que j’ai raison ? -Non, parce qu’il m’irrite ! - Je vais la claquer… Je le sens. Elle le veut, elle le demande. Du calme. On ne frappe pas les femmes. Même avec une fleur. Alors zen. Oooh… et puis pourquoi les rideaux de cette fenêtre sont-t-ils bleus ?? Les murs sont sable, elle pouvait pas mettre des rideaux marron ?? - -Pourtant, je ne veux pas que vous vous irritiez, je suis sincère. - C’est ça, tu peux toujours chialer, c’est pas ta faute, c’est juste la faute de ta tronche. - -Ok. On reprend. A partir de mon patron. -Commencez par vous excuser, même si ça vous énerve. C’est un beau sacrifice de votre part, et si vous y réfléchissez bien, vous vous apercevrez que c’est un grand pas et qu’il ne vous coûte rien, d’autant plus que c’est remarquable de savoir s’excuser. -Je n’ai rien à me faire pardonner par les autres. -Vous pourriez très bien le faire pour moi. Qu’est ce qui vous dit que vous ne m’avez pas blessée tout à l’heure, même si je ne le montre pas ou même si je le comprends ? -Trèèès bien. Jeee m’excuse. Vous êtes contente ? -Mmm… je n’aime pas votre ton, mais je suppose qu’il faudra m’en contenter. - Parfaitement. - -Donc, soit votre directeur est un imbécile et il se prend à votre jeu, ce qui m’étonnerait bien sûr, soit comme moi il a l’intention d’essayer de vous faire raisonner. Après, ses motivations peuvent être diverses. -Comme… ? -Je ne sais pas… comment vous a-t-il fait la morale ? -En me parlant de l’ambiance ou je ne sais plus trop quoi… -Voila. Il veut peut être vous faire vous réconcilier avec les personnes qui vous entourent. Ce qu’il ne sait pas, c’est que ça sera difficile, mais l’intention est là. Il vous veut peut-être du bien. -Il veut peut-être aussi me casser comme je casse mes collègues. -Peut-être. -En fait vous savez rien, quoi. -Je fais des suppositions après que vous m’ayez renseigné sur une première conversation avec lui. Je ne peux pas lire dans ses pensées. Vous vous êtes parlé une autre fois ? -Oui, deux fois après, mais c’était sur l’appréciation des futurs acheteurs de D60-800 Shooting et l’autre fois, d’un Spam qui a réussi a percé Shooting. - En plus on n’a pas vraiment beaucoup parlé. J’avais raison encore une fois, je suis plus doué que lui sur ce domaine. - -Purement professionnel, donc. -Exactement. -Il vous parlait de la même façon ? -Non, là il était carrément dans le truc. -Donc il a comme qui dirait deux personnalités. La première est sa vie au travail, la deuxième, sa vie avec les gens. Vous avez réussi à communiquer quand vous parliez de votre Shooting, mais pas quand lui parlait des relations sociales. - J’ai pas de vie sociale, c’est normal qu’on s’entende pas là-dessus. - -Dites, l’heure ne vient pas de passer ? -J’ai 15h13 sur ma montre. -Oui mais vous êtes en retard même sur votre montre. -Encore une dernière chose, si vous avez à le confronter sur votre façon de vous comporter avec les autres, ne tentez pas de vous imposer, monsieur Yuy. - Et tu me payes combien pour ça ? - -Ca ne sert vraiment à rien. |