Voici mon premier texte sur Manyfics, un petit "conte" que j'ai écrit il y a quelques temps... Première partie : Quand la sorcière rencontre sa princesse. Installée confortablement dans mon fauteuil au fond de ma chaumière perdue dans les Marais de la Grande Forêt, je profite de ma victoire en savourant l’instant : un moment comme celui-ci ne reviendra pas avant au moins 100 longues années. Il faut dire que j’ai été particulièrement perspicace sur ce coup-là. L’intuition féminine n’y est pour rien, je suis tout simplement l’une des Sorcières les plus puissantes de notre époque ! Mais laissez-moi me présenter, Rinina la Noire, sorcière du pays de Stanlow, et je viens d’obtenir le grade de Grande Sorcière. Ce n’est pas donné à n’importe qui, croyez-moi ! Bien sûr, je suis certaine que vous souhaitez savoir comment j’ai réussi à m’élever aussi haut, quoi que je doute que vous sachiez ce qu’est le niveau de Grande Sorcière… après tout, vous devez être des Non-initiés à la magie qui ne connaissent même pas les 10 vertus de la mandragore. Je vais donc vous expliquer. En bas de l’échelle des Sorcières se trouvent les Apprenties Sorcières, celles qui ont déjà prouvé qu’elles possédaient des pouvoirs magiques et qui viennent d’être placées en enseignement chez une consœur plus âgée. Pour atteindre le niveau de Sorcière Novice qui annonce la fin de notre éducation, il faut pouvoir jeter un sort sur 5 personnes à la fois. Un jeu d’enfant en fait, j’avais mis 5 ans à atteindre ce niveau et 20 de plus pour atteindre le niveau de Sorcière Confirmée après m’être transformée en chat noir 2 ans durant. Et maintenant je suis une Grande Sorcière et, pour arriver à ce stade, il faut avoir obtenu d’un jeune homme un vœu sans qu’il ait été enchanté, un vœu sincère qui vienne du plus profond de son cœur. Vous pensez sans doute que c’est une tache simple, mais les Sorcières ont bien injustement une mauvaise réputation. Il faut dire que les Fées sont plus serviables que nous mais elles sont d’une mièvrerie à pleurer. On entend souvent l’expression « Marraine la bonne Fée » mais jamais « Marraine la bonne Sorcière » preuve de l’injustice qui se joue contre mes sœurs et moi alors que nous acceptons volontiers les requêtes des Non-initiés. Avec une contrepartie bien entendu, nous ne sommes pas des esclaves, mais je vais cesser là mes revendications pour en revenir à l’histoire. Lani l’étrange, une consœur du même âge que moi, venait de passer au niveau de Grande Sorcière avant moi. Je ne suis pas d’une nature jalouse mais j’aime être première et surpasser les autres en étant la meilleure. Volant tranquillement au-dessus de ma forêt pendant une nuit sans lune, je cherchais un moyen de parvenir à arracher un vœu à un Non-initié. Pas le premier crétin qui passerait par là, Lani avait réussi à piéger un Duc et je devais faire mieux qu’elle. Au loin, mes yeux perçants grâce à la Sorcellerie distinguaient les lumières du château où logeait le Roi de Stanlow ainsi que sa femme et… leur fils ! Et oui, vous l’aurez compris, ce crétin de Prince David faisait parfaitement l’affaire ! La cible choisie, il ne me manquait qu’un plan et je jugeai qu’être plus près de ce beau Prince charmant aux cheveux couleur d’ébène et aux yeux bleus ne pourrait que me donner des idées pour le piéger. Délicatement, sans aucun craquement, je m’assis sur une branche d’arbre d’où je pouvais apercevoir un balcon dont les fenêtres ouvertes laissaient s’échapper une douce odeur de royauté pas encore assez forte pour être celle d’un Roi. Assez rapidement, j’eus la preuve que mon odorat ne s’était pas trompé: les rideaux bleus en satin bougèrent et le jeune blanc-bec sortit dans l’air frais de cette nuit. Dans sa fine tunique noire, il frissonna. Il est vrai que les mois de Novembre sont particulièrement désagréables pour ceux qui ne savent pas aimer le froid. Ma peau blanche que découvrait le décolleté particulièrement plongeant de ma robe noire ne souffrait même pas de la chair de poule. Mes jambes se balançant dans le vide, j’observais le jeune homme qui scrutait la nuit. Son visage dénotant son entrée récente dans le monde adulte, il devait avoir une vingtaine d’années au plus, avait une expression anxieuse. Quelque chose l’inquiétait et je me fis la réflexion que cela pourrait sans doute me servir. Tout à coup, mon regard fut attiré par un éclat blanc qui vint se poser sur la rambarde de pierre sculptée du balcon. Je fus étonnée de reconnaître une chouette effraie : elles n’avaient pas l’habitude de s’approcher si près des humains. Puis j’entendis la voix grave et basse de David s’élever dans l’obscurité : - Il veut que j’assiste au Bal d’Hiver, que je danse et que je me laisse séduire par n’importe quelle femme qui sera à mon goût, comment mon père peut-il être si obsédé par sa descendance pour proférer des telles monstruosités ? J’ai l’impression de me vendre, murmura-t-il en regardant la chouette comme s’il lui parlait, puis en levant le regard vers les cieux, il reprit : - Je n’ai aucune envie de me marier, mais c’est mon rôle, je crois. Si seulement je pouvais rester à étudier mes chères étoiles… D’un geste nonchalant, il caressa la tête de l’oiseau de nuit qui se laissa faire sans crainte. Après cela, il se retourna et se réfugia dans sa chambre. La situation était croustillante et mon esprit était déjà occupé à former un plan. L’existence de ce Bal était une occasion de charmer le Prince ! Mais si j’y apparaissais moi-même, il était à craindre qu’il veuille garder ma grande beauté près de lui et que son vœu soit de m’enchaîner à lui, chose que je ne voulais absolument pas. Jamais une Sorcière n’aurait accepté d’être liée à un Non-initié. Il me fallait trouver quelqu’un, une jolie fille de préférence ou quelque chose que je pourrais transformer en femme. Mon regard se posa alors sur la chouette effraie toujours posée sur la balustrade du balcon. Dans un sourire, je l’appelai près de moi dans une langue que les Non-initiés ne connaissent pas. Elle déploya ses larges ailes et vint se poser sur mon bras nu, enfonçant ses serres dans ma peau et faisant couler légèrement mon sang, mais je ne sourcillai pas : les Sorcières ne ressentent par la douleur. Dans un discours silencieux, mon regard dans le sien, nous nous échangions quelques informations. Blanche, c’était son nom, connaissait David depuis longtemps et je percevais dans cette petite créature de plumes des battements de cœur accélérés quand elle parlait de son Prince. Elle était amoureuse, je le devinais et mes intuitions sont toujours justes. Gardant mon sourire sur le visage, je lui proposais un pacte : je lui donnais un corps humain, elle séduisait David pour qu’il formule un vœu et je les laissais vivre heureux sans jamais plus entendre parler de moi. Un instant, elle fut confuse de comprendre que j’avais lu en elle son vœu le plus cher : celui d’avoir un corps humain avec lequel elle pourrait être plus proche de l’homme qui l’avait séduite. Je voyais en elle les souvenirs du Prince, quand il avait les yeux tournés vers les étoiles et les mains tachées par l’encre avec laquelle il notait ses observations, quand il s’endormait sur sa table de travail ou encore quand il repoussait une pimbêche qui s’était montrée trop entreprenante. Sans qu’elle s’en aperçoive, je façonnai sa pensée pour que finalement, elle vienne d’un coup de bec accepter ce que je lui proposais. L’esprit des animaux est bien plus facile à manipuler que celui des hommes et je m’en réjouissais. Les transformations sont une des disciplines magiques que je préfère et dans lesquelles j’excelle, surtout que j’avais devant moi un sujet de choix : elle était magnifique pour son espèce et les oiseaux sont souvent des sujets très beaux une fois transformés en humain. En quelques minutes et quelques étincelles, je fis d’un volatile une belle jeune fille aux longs cheveux blancs et argentés, aux yeux d’un marron clair presque jaune et sa peau dénudée était d’une blancheur laiteuse. Sa beauté était particulière mais elle avait quelque chose d’attirant qui ne pouvait que capter le regard. Je saisis une des rares feuilles qui restaient encore sur l’arbre et en fit une robe d’un vert tendre qui vint épouser les formes de Blanche. Le Bal d’Hiver avait lieu le 10 décembre, j’avais deux semaines pour en faire une femme digne d’un Prince, surtout que le nôtre n’était pas du genre à prendre n’importe quelle pimbêche. Au moins, elle était belle mais il fallait que j’en fasse une femme raffinée et éduquée. Quinze jours, c’est suffisant quand on a la magie avec soi, et j’avais grand espoir d’en faire la femme humaine la plus désirable possible. Les tâches qui vous prennent des années comme apprendre à écrire sont, en vérité, des choses très simples, tellement qu’au bout de 7 jours, elle savait lire, écrire et parler une dizaine de langues, jouer de plusieurs instruments et d’autres choses qui faisaient d’elle un petit être charmant et cultivé selon les critères des Non-initiés. Les 7 derniers jours, je la laissai libre de lire et d’apprendre ce qu’elle voulait et c’est avec un sentiment proche de la fierté que je la vis accomplir quelques tours de Sorcellerie comme déplacer un petit objet par la pensée. Rien de bien fantastique mais elle faisait des progrès rapidement et j’aimais la lueur qui s’allumait dans son regard quand elle réussissait quelque chose. Je regrettai presque de devoir l’abandonner à ce crétin né avec une cuillère d’argent dans la bouche : elle aurait fait une merveilleuse disciple et depuis qu’elle vivait chez moi, ma chaumière au milieu des Marais n’avait jamais été aussi propre. |