La nuit est fraîche, mais comparée à la chaleur enfumée de la salle de réception, c’est un délice. A l’intérieur, ça ne parle que gros sous, gros moteurs, gros seins et gros calibres. De toutes sortes. Ces hommes, ces porcs adipeux, ces rats assoiffés de fric et de pouvoir m’écœurent. Je me sens étouffer, j’ai besoin d’air. Du trente-septième étage, la vue est superbe. La ville ressemble à une gigantesque toile d’araignée lumineuse sous le ciel étoilé. Une ambiance de vieille comédie musicale, de celles qui illuminaient Broadway. Elle est déjà là, accoudée au garde-fou de la large terrasse, occupée à contempler le panorama. Je ne m’approche pas encore. J’extrais une cigarette d’un paquet sorti de ma poche, la glisse entre mes lèvres pour en inspirer une longue bouffée qui me détend. J’en profite pour l’observer. De longs cheveux blonds bouclés à la couleur naturelle. Sa poitrine est haute, ses seins superbement galbés, ses jambes interminables. Elle porte une longue robe rouge sang fendue, des escarpins de la même couleur. Deux boucles d’oreilles élégamment ornées de rubis, une fine chaîne d’or à son cou, un mince bracelet du même métal et une jolie bague complètent ce tableau. Elle ressemble à Grace Kelly dans Fenêtre sur Cour d’Alfred Hitchcock, ou à Sharon Stone dans Basic Instinct. Elle est une véritable ode à la beauté et à l’amour qui ne semble pas avoir sa place ici, un être trop magnifique pour côtoyer une telle fange. Je m’approche d’elle. Percevant ma présence, elle se retourne lentement, m’observe comme un chat observe une souris. Apparemment, la souris est au goût du chat, car elle me laisse venir à elle. _ Bonsoir… _ Bonsoir… Une cigarette ? lui proposé-je. _ Non merci. Nous restons silencieux quelques minutes, que je mets à profit pour détailler son visage. Des yeux turquoise qui donnent envie de s’y noyer. Un nez fin et droit. Des lèvres roses et fines, faites pour embrasser. Des dents blanches et régulières. Plus d’un homme se damnerait pour la posséder, fût-ce une nuit… Mais personne ne peut l’avoir… Elle est plus inaccessible que bien des fortunes. On croit la tenir, mais autant essayer d’empoigner de l’eau. Pour beaucoup, elle ne fut qu’une vision fugace, laissant leur cœur tourmenté. _ Que faites-vous ici, au milieu de ces richards lubriques ? _ J’ai été invitée par la maîtresse des lieux. Et vous-même ? Je ne réponds pas tout de suite. Les yeux dans le vague, j’exhale un léger nuage de fumée gris-bleu, puis jette mon mégot dans le vide. |