- Grimpe.
- Non.La réponse avait surgie, m’étonnant moi même. Mais je refuse. Je ne suivrais pas cet homme, je ne le suivrais pas. Je ne sais pas vraiment pourquoi, c’est un stupide instinct de contradiction. De toute façon, on va le retrouver, et me ramener chez moi. Autant mettre fin immédiatement à cette sorte de songe, mettre fin à l’enchantement qui l’a amené dans ma vie, à ce rêve éveillé d’une autre chose dans ma vie triste et terne, trop grise pour me motiver. Autre chose, comme des cheveux noirs et une peau pâle, comme des yeux dorés… Je le fixe, ne sachant que faire. Il me regarde, puis ses yeux s’arrondissent de surprise. Une voix me hèle, je me retourne.
- Dans ma grande mansuétude… Ta mort sera rapide et indolore. Au revoir Cartney.La détonation fusa. Violente. Bruyante. Glaçante. La peur me submergea, un trait brulant dans l’air, un éclair insoutenable dans ma chair. C’est comme si mon corps ne m’appartenait plus. Je tournoie légèrement, surpris par ce trop plein de sensations négatives. Lui… Pourquoi ? Tout se déroule au ralentit, j’aperçois Izaiah qui bondit come un animal. Pourquoi lui bouge normalement ? Pourquoi suis je condamné à rester au sol, allongé… Je suis soulevé, emporté. Son corps se presse contre le mien alors qu’une cuisante douleur s’installe dans mon épaule gauche. Puis le temps reprend son cours. Douleur, amère sensation. Pourquoi ais je refusé de le suivre ?! Si j’avais accepté immédiatement de monter, cette douleur ne serait pas apparue. Si j’avais accepté immédiatement, tout ne tournerait pas follement autour de moi alors que j’ai l’impression de m’envoler, alors que j’ai l’impression de me noyer…
Le noir. Encore. Un flash blanc… Quelle est cette stupide phrase, déjà ?! Ah oui… « Ne va pas vers la lumière blanche, au bout du tunnel… ». Souvenirs de soirées horreurs, passées dans une chambre, avec des amis. Une lampe sous un visage, une grimace affreuse, des reflets et ombres fantomatiques. Des mots, des histoires, des cris, des fous rires. Je suis perdu entre deux mondes, entre la conscience et l’inconscience, je me perds dans les souvenirs et les rêves, je ne distingue plus le réel et l’irréel. Des souvenirs par centaines. Des images trop vives, trop colorées. Des pensées qui m’effleurent, si rapides et légères que je n’ai pas le temps de les retenir avant qu’elles ne disparaissent ailleurs. Des souvenirs… Encore.
/FLASH-BACK\
La guide, Rosetta de son petit nom, était une quarantenaire, brune aux yeux noisettes. De taille moyenne, cette taille n’avait d’égale que sa largueur, plutôt conséquente en l’occurrence. Le délicat cou paré de colifichets en tout genre, brillants et inutiles, était dissimulés par un triple menton qui rebondissait à chaque fois qu’elle ouvrait sa bouche parée d’un rouge à lèvre carmin. Dans l’ensemble, elle ressemblait à une religieuse -le gâteau- couverte d’un coulis rouge symbolisé par le bordeaux de son uniforme. Et elle était l’un des spécimens les plus repoussants de la gente féminine. Je la regardais, vaguement intéressé par ce qu’elle disait, elle qui s’extasiait depuis une demi-heure devant un bout de caillou.
- … C’est comme un orgasme géologique ! (1)
Je sursautais, tout comme une bonne partie de mes camarades. Le mot « orgasme » sonnait comme la pire des insanités dans sa bouche peinte en carmin… De retour à cet état de semi-inconscience, je réfléchissais, patiemment. Je fais partie de ces gens qui peuvent vous regarder d’un air totalement passionné et captivé alors qu’ils n’ont pas écouté un mot de votre discours. Et j’ai également une certaine tendance à parler tout seul, à voix haute… Haussant les épaules, je m’éloignais du groupe, les mains dans les poches. Je sens des regards désapprobateurs et envieux sur ma nuque. Ils ne peuvent rien me dire. Ils craignent, s’ils me rabrouent, de s’attirer les foudres de mon père… Ne suis je pas Cartney fils, enfant du donateur le plus généreux de cette école BCBG, où les adolescents passent plus de temps à se vanter et dans les jupes de leurs mères et où les sorties se résument à des visites au musée surprotégé. On a peur qu’il nous arrive des ennuis… Une fois dehors, je me demandai avec cynisme si cette chère Rosetta savait au moins la signification du mot orgasme. Je n’avais plus qu’à attendre que les autres daignent sortir, pour pouvoir enfin retourner chez moi.
\FLASH-BACK/
Des souvenirs totalement inutiles, de quand datent-ils ? Je me perds dans les méandres tortueux de mon esprit, de cet esprit qui me ment et me trompe, qui me fait croire à des rêves impossibles. J’ai mal, j’ai l’impression qu’on force mon esprit à rester dans ce corps trop lourd et trop massif, qui m’empêche de partir totalement. Et soudain, cette lumière trop brillante, ce blanc trop intense. J’halète doucement, papillonnant des paupières pour tenter de retrouver une vision normale. Le monde autour de moi se stabilise, mais je ne distingue pas grand chose. Tout d’abord, cette douce chaleur contre moi. Une douce odeur tout autour de moi… Les traits se précisent, le visage penché sur moi est celui de cet homme. J’ouvre totalement les yeux et les plonge dans les siens. On dirait un océan doré… Liquide… Vous savez, comme ces pots de miel. Exactement la même couleur, en plus brillant, plus doré. J’ai la bouche sèche, d’un coup…
- Où… Où je suis ?Lui aussi à l’air perdu. Que s’est-il passé ?
- Chez moi… Je le regarde. Toujours aussi perdu. Et puis, je me sens si bien dans ses bras… Je soupire, doucement. Mon épaule me lance. Je l’interroge muettement sur les évènements passés, d’un regard assez éloquent apparemment, vu qu’il déglutit et détourne la tête.
- On t’a tiré dessus… Je t’ai amené chez un médecin.
Huh… Je me suis fait tirer dessus ? C’est vrai que ça concorderait assez avec cette douleur dans mon épaule et mes fragments de souvenirs. Je me sens trop bien ainsi, il faut qu’il me lâche, il faut que je m’éloigne…
- Tu peux me lâcher… S’il te plait… Il a l’air blessé. Ou alors c’est moi qui aimerais qu’il soit ainsi… Il me lâche doucement, me faisant glisser au sol. Je tremble doucement sur mes jambes, mais ça va. Avisant mon haut trempé de sang, je plisse le nez, dégouté. L’odeur me monte aux narines, c’est horrible… Je déteste cette odeur, âcre et douceâtre, métallisée. Je le vois se relever, hésiter à m’approcher. Puis il disparaît dans une pièce, revenant avec des vêtements propres.
- Tiens, enfile ça, c’est surement trop grand, mais ce sera mieux que ce que tu porte en ce moment…Il sort ensuite, me laissant seul avec ces fringues. Je commence à me déshabiller puis à enfiler les vêtements, effectivement trop grands. Mais je me sens au chaud dedans… M’installant sur le canapé, je souffle doucement, frissonnant. Izaiah revient, posant une couverture sur moi. Puis il s’assoit en face, sort une cigarette et l’allume. La fumée âcre de la cigarette empli la pièce, mais ce n’était pas dérangeant. Je me sens crevé. J’ai mal partout… Je cligne doucement des yeux en le fixant.
- Dors. - Non.Pourquoi toujours cet intense besoin de le contredire ? Je l’observe lever les yeux au ciel et marmonner quelque chose que je ne comprends pas. Tant pis. Je préfère le regarder… Il a l’air d’un de ces félins racés et au pedigree irréprochable, qui vous regarde avec dédain et indifférence. Ses yeux dorés brillent à cause des quelques rayons du soleil qui traversent la pièce, ses cheveux noirs et lisses ont l’air doux comme de la soie, son visage est comme une œuvre d’art… Il est fin, délicatement dessiné, mais indéniablement masculin. Il est beau… Une agréable chaleur m’envahit à nouveau, je ferme les yeux à moitié, continuant de l’observer. Puis je sombre dans le sommeil, réparateur. Je l’espère.