POV Externe
Paris. 9e arrondissement. Place Pigalle. Cinq jours avant.
Il fut un temps, ce quartier était l’un des plus « chauds » de la capitale. Il fut un temps, on croisait de tout ici : policiers, truands, clients, prostituées. Mais quiconque savait la réalité des choses devinait sans peine que le quartier entretenait sagement cette image, car c’était elle qui donnait sa renommée à l’endroit. Silence. Pas un chat. La nuit est calme… Et pourtant, qui sait ce qu’il se trame dans ce noir total, à peine illuminé par la lueur blafarde des réverbères et des néons des bars ? La silhouette s’agite, silencieusement. Vêtue de noir, on dirait que la nuit n’a pas de prise sur elle, les serres de cette dernière s’éloignant du visage fin et du corps svelte, comme si elle sentant l’anormalité de la situation. A l’opposé, un rire retentit, une chanson paillarde s’installe, chantée par les cœurs faux de quelques personnes à l’ivresse loin d’être latente. La silhouette, frissonne, soupire.
Seconde silhouette. Plus massive, moins délicate. Qui sont-ils ? Leurs identités resteront secrètes, parce qu’ils ne savent pas réellement qui l’autre est. Approchons nous. Les deux silhouettes, les deux hommes se rencontrent. L’un est asiatique. Des cheveux raides, des yeux étroits et légèrement bridés, qui toise l’homme face à lui. Une carrure hautaine et déliées, pourtant, il n’est pas « noble ». Ses traits sont élégants, pas aussi racés et distingués que l’on voudrait le croire en premier lieu. Une bouche étirée en une mince ligne étroite, qui n’hésite pas s’entrouvrir pour parler ou respirer. Il regarde son vis à vis. Plus petit, plus massif. Des cheveux en bataille, des yeux à moitié dissimulés par d’énormes lunettes de vue. Il a l’air de ceux qui suivent, sans poser de question, sans savoir, sans chercher à comprendre. Tout l’inverse de l’asiatique, qui a le regard et l’allure de celui qui commande, de celui qui dirige. Et pourtant, rien n’est joué à l’avance. Le silence retentit, encore plus que lorsque la chanson avait commencé. Ce silence est… anormal.
- Voici le contrat.
Une voix froide, glaçante. Une voix qui vous terrifie quand vous l’entendez dans le noir, une voix qui ne s’oublie pas. Une voix pleine d’amertume et de haine, de froideur et d’envie. Pas une envie banale, non, le genre d’envie malsaine. Une voix où l’ambition perçait. L’ambition mauvaise, celle qui vous fait tout faire pour avoir ce que vous désirez. Une voix que l’on abhorre naturellement. Une voix à partir de laquelle on devine sans peine le genre de personne qu’elle représente. Celle de l’homme aux lunettes. Les mains qui se tendent entre les deux hommes, l’une pour donner, l’autre pour prendre l’enveloppe kraft épaisse que la première tend.
- Quand ?
Le second, celui qui attendait. Grave, rauque. Electrisante. Une multitude de sensations qui vous envahit, à l’instant même où la douce mélodie de cette voix parvient à vos oreilles. Une voix sensuelle que l’on crèverait d’envie d’entendre une nouvelle fois.
- Le 16 avril. Il a rendez vous à l’hôpital. L’homme marqua une pause. Mais vous trouverez tout dans l’enveloppe, ajouta-t-il, encore de cette voix, crispante et désagréable.
L’asiatique eut un sourire. Un sourire mesquin, narquois, un sourire pour lequel il n’avait pas l’air d’avoir besoin d’effort… Don naturel ou entrainement intensif ? Bah, qui sait. Un sourire qui éclairait le visage du jeune homme, sans toutefois lui donner un air, même vaguement, chaleureux. Son regard se baissa, se posant en silence sur l’enveloppe qu’il tenait.
- Je vous laisse. Le ton de l’homme aux lunettes changea, passant de mauvais à doucereux. Parlez de ce contrat à quelqu’un et vous êtes un homme mort. - Ce ne me viendrait pas à l’esprit. - J’imagine… Vous avez besoin de cet argent, n’est ce pas ? Ce serait ennuyant que vous ne l’obteniez pas, non ? - Et vous… Vous avez besoin que ce gamin disparaisse ? Ce serait embêtant qu’une fuite survienne et que vos magouilles soient exposées au grand jour. Alors cessez ces menaces implicites, ce contrat sera exécuté et vous n’entendrez plus jamais parler de moi, répondit l’asiatique, du tac-au-tac, comme si tout cela n’était qu’une vaste blague, une bonne petite plaisanterie. - J’espère bien.
L’occidental s’éloigna, d’un pas étonnement rapide pour quelqu’un de sa corpulence. Gardant l’enveloppe sous le bras, l’asiatique prit la direction inverse. Remontant le Boulevard de Clichy, il tourna ensuite à gauche pour arriver face à un hôtel. Hôtel Place Clichy. Entrant dans le hall, il se dirigea immédiatement vers les escaliers, n’adressant pas un regard à la réceptionniste. Une fois dans sa chambre, il entreprit de fermer la porte à clef, avant de regarder l’heure. Les aiguilles lui indiquaient minuit et quart. Un soupir lui échappa alors qu’il secouait doucement la tête, l’air agacé. Peut-être venait il de réaliser qu’il avait attendu une demi-heure son commanditaire et qu’ils n’avaient finalement discuté qu’un quart d’heure tout au plus. Il ôta ses chaussures, restant en chaussettes. Le brun se débarrassa de son manteau, le posant négligemment sur la chaise, avant de s’installer sur le lit, en tailleur, l’enveloppe devant lui. Pendant un long moment, il la regarda, observant cette simple enveloppe en papier kraft marron qui le narguait, comme si de rien n’était.
Tendant la main, l’homme la prit finalement, l’ouvrant sans hésitation. Une multitude de feuilles glissèrent sur le lit. Un juron lui échappa alors qu’il se penchait, récupérant la photo qui était tombée au sol. La posant sur le lit, avec ses consœurs qui s’étaient sagement posées en tas sur la couverture, il ne s’attarda pas dessus, passant directement aux renseignements sur le garçon. Le sourcil droit de l’asiatique se haussa avec élégance devant la longueur du document. Un nouveau soupire s’enfuit d’entre ses lèvres. Et il commence à lire. Les yeux ont cette curieuse couleur que les yeux marrons ont parfois, cette teinte ambrée et délicate, charmante au demeurant. Et pourtant si froide quand c’était son regard à lui. Les yeux disséquaient, analysaient, sans sentiments ni états d’âme, les feuilles de papier, semblant apprendre par cœur l’emploi du temps du garçon.
Au bout d’une heure, il tendit la main vers les photos, prenant soigneusement le tas. Sur la première, une superbe femme souriant au photographe. Le genre de photo qu’on trouve dans tous les magazines de mode. La femme avant des cheveux blonds, une dentition impeccable exhibée par un sourire immense, des yeux gris. Seconde photo. Un homme, l’air désintéressé, comme lors d’une ennuyeuse réunion, avec des cheveux tirant au gris argent et des yeux marron. Lui aussi semblait tout droit sorti d’une gravure de mode… L’air agacé, l’asiatique fit tourner la photo entre ses doigts, puis se stoppa. Derrière, quelques mots de marqués. Edward Cartney. Les yeux ambré désormais animés d’une lueur intriguée, il reprit la photo de la femme, puis la tourna. Eléonore Cartney. Sur la troisième photo, un jeune garçon de seize ou dix-sept ans était affalé sur son bureau, dans une salle de classe. Le front du garçon était posé sur son avant bras droit, et le visage se cachait dans l’ombre offerte par le creux du coude. Le bras gauche était étalé en travers de la table. Apparemment, le gamin avait trouvé une meilleure façon d’occuper son temps, en cours… La seule chose réellement visible du garçon était ses cheveux, d’un blond tirant vers le roux, une énorme masse en bataille. Les trois photos suivantes avaient l’air prises à quelques minutes, si ce n’est secondes, d’intervalle avec la première. Sur l’une, le garçon se redressait légèrement, les yeux mi-clos sous le soleil, dévoilant un profil bien plus qu’agréable à regarder, avec le nez droit et les lèvres pleines, le front dissimulé par les cheveux. Sur l’autre, il passait la main dans la masse dorée dévoilant une cicatrice rosée sur la tempe. Sur la dernière, il était parfaitement réveillé, et regardait dans la direction du photographe, comme s’il se sentait épié. Les yeux en amande, d’un vert jade intense, qui regardaient dans sa direction donnait l’impression qu’il savait qu’il y avait quelqu’un. Qu’il le sentait, intérieurement, qu’il se savait analysé, minutieusement. Et le regard, plus que fixer le photographe, semblait observer intensément celui qui regardait la photographie. Mais tout cela n’est que supposition, non ? L’asiatique regarda fixement la photographie, pendant de longues minutes. Puis il la reposa, prenant la dernière en main. Les trois présents. La mère souriait, d’un air faux, tout comme le père. Le garçon ne se donnait même pas cette peine, regardant ostensiblement ailleurs. Un rire amusé échappa à l’oriental face à cette photo.
- Joshua Cartney, hein ? On va voir ça...
Soigneusement, l’homme rangea tout le bazar présent sur le lit, remettant photos et documents dans l’enveloppe kraft. Puis il se laissa tomber sur le lit, souriant franchement, d’un air amusé et impatient. Les yeux d’ambres se fermèrent, et l’asiatique s’endormit.
Fin POV Externe
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Un point de vue que j’ai tenté de rendre totalement externe, comme si ce n’était qu’un simple passant qui relatait tout ça. Autant qu'un chapitre pour la fiction, j'ai décidé de le considérer comme une sorte d'exercice. Quelque chose où aussi bien le lecteur que l'auteur peut imaginer. Pas de noms, pas de pensées. Des paroles, des gestes, des descriptions. C'est tout. Non ? =)
Le chapitre a été coupé en deux... Je pense que l'on aura le POV de Mr. Inconnu. =). C.U <3 |