" C'est à vous Mademoiselle. " Je sursaute et dévisage la femme de l'accueil. Mince déjà ? Résignée, je me lève et me traine vers la porte. Je reste devant quelques secondes VERONIQUE LYNCH PSYCHOLOGUE Ca donne envie pas vrai ? Je frappe et entre sans attendre. Elle est là. Comme d'habitude. Elle relève la tête et sourit. Sourire que je ne lui rends pas. Mais ça aussi elle a l'habitude. " Installez-vous. " Au lieu de ça, je me dirige vers son lecteur cd et enclenche ma Chanson. Et vais m'asseoir en silence. La mélodie démarre. Elle tourne en boucle lors de mes séances. Pas très enrichissantes les séances d'ailleurs. Je ferme les yeux et pose ma tête sur le dossier du fauteuil. " Mademoiselle. " Je rouvre les yeux. La première fois, elle m'a appelé par mon prénom. Je l'ai remballé. On ne se connait pas. Et je ne veux pas la connaitre. " Nous en sommes à notre cinquième séance ensemble et vous n'avez toujours pas décroché un seul mot. Tout ce que vous faites, c'est mettre une chanson et attendre que l'heure passe. " Je cligne des yeux. Et alors ? Elle est pas payée pour que je raconte ma vie. Elle est censée m'aider. Et j'ai pas besoin d'aide. " Comptez vous encore vous taire aujourd'hui ? Vos parents commencent à désesperer. " Ouais ben ceux là si ils avaient été là quand j'ai eu besoin d'eux, on en serait peut être pas à ce stade. Je me contente de regarder la psy. Elle soupire. " Je ne peux pas vous aider si vous ne dites rien. " Elle se retourne et va à son bureau. " J'ai pas besoin d'aide. Je veux qu'on me laisse tranquille. " Elle fait volte face et m'observe pensivement. " Vous n'allez pas bien. " Waaah là elle m'épate. C'est le fait que j'ai perdu 10 kilos en un mois qui lui faire dire ça ? Ou la longueur de mes cernes ? Je hausse un sourcil. Sérieux. De quoi je me mêle ? " Mais enfin regardez vous ! Vous faites peur à voir ! Il faut bien que vous en parliez à quelqu'un ! Même si ce n'est pas moi, allez voir des amis .. - Mes amis ne sont pas au courant. - Comment ça ? " Je réfléchis à toute vitesse. Après tout, si je lui raconte à elle, elle fera suivre. Ils me foutront tous la paix après. Je me lève et me dirige vers la fenêtre. J'ai le regard vide. Je le sais. C'est comme ça depuis un mois. " Erwan." Je la sens bouger derrière mon dos. " Pardon ? - Il s'appelait Erwan. " J'entends le raclement du stylo. " Qui est Erwan ? " Je l'ignore completement et continue. " C'est un beau prénom n'est ce pas ? C'est ce que j'ai pensé la première fois que je l'ai rencontré. C'était à l'hôpital. Cet idiot s'était cassé la jambe et moi ... Enfin bref, je m'ennuyais et l'infirmière m'avait averti de sa présence. Allez savoir pourquoi ... Toujours est il qu'un jour j'y suis allée." La musique redémarre. J'inspire un grand coup. " Il était beau. Magnifique même. La première fois que je suis entré dans sa chambre, il dormait à moitié. Je suis restée au moins cinq minutes à le regarder. Puis il m'a remarqué et m'a sourit. Ca a été le début de la fin. " Elle se lève et pose une main sur mon épaule. Je me dégage. " Ne me touchez pas. " C'est pas vraiment contre elle mais ... Je ne peux pas. C'est tout. Je ne supporte plus les contacts. Elle soupire et retourne s'asseoir pendant que je me replonge dans mes souvenirs. " Je ne suis pas de nature spécialement timide, mais sur le coup je n'ai rien trouvé à lui dire. Je n'ai fait que le regarder. Alors il a parlé. Il a parlé et j'ai fini par lui répondre. Le soir quand je suis sortie de sa chambre, je ne pensais pas que l'on pouvait être aussi heureux. C'était le mec le plus génial qu'il m'est été donné de rencontrer. Je crois que c'est ce soir là que j'en suis tombée amoureuse." Je l'entends soupirer à nouveau. Et cette fois ci, ça m'énerve. " Oh je sais ce que vous pensez. Mais non. Non ce n'était pas une simple histoire d'adolescent. Ce n'était pas un simple coup de foudre. " Elle sourit. Je ne la vois pas mais je sais qu'elle sourit. " Vous croyez aux âmes soeurs madame ? - Non. - Vous avez tort. Il n'était pas mon premier amour, mais je n'avais jamais ressenti ça pour personne. Ca a beau être cliché, je suis sure qu'Erwan été la mienne. " Je l'entends étouffer un rire. Je grince des dents " Ca vous fait rire ? Vous êtes la pour m'écouter ou pour vous foutre de ma gueule ? " Je deviens agressive. C'est quoi son problème à celle là ? Je me confie, enfin, et elle, elle se marre. " Si vous saviez le nombre de fois que j'ai entendue ça ! " Je me retourne brusquement et la regarde droit dans les yeux. Elle perd immédiatement son sourire et son regard se voile légèrement. Ouais apparemment je fais cet effet la aux gens. " Et vous trouvez ça drôle ? " Elle avale difficilement sa salive. " Non. C'est juste que ... - Que rien du tout. " C'est fou ce que j'ai comme autorité quand je vais mal. J'essaie de me calmer et reprends " Je disais, je l'aimais. Je l'aimais surement plus que tout ce que vous pouvez imaginé. C'était de la passion à l'état brut. En quelques mois, on était devenu complètement dépendant l'un de l'autre. De vrais inséparables. Il était ma drogue à moi. J'étais la sienne. On parlait même de prendre un appart' vous savez ... " Je ravale tant bien que mal mes larmes. Je ne veux pas pleurer. Pas encore. Pas cette fois. " J'ai passé les meilleurs moments de ma vie avec lui. Il m'a fait découvrir des tas de choses, j'étais prête à tout pour lui faire plaisir. Alors je le suivais. A chaque fois. Dans tout et n'importe quoi. Et une fois fini il me disait toujours, avec son sourire en coin, Bravo ma puce, tu as gagné ... Et oui j'avais gagné. Je gagnais à chaque fois. Parce qu'il m'aimait. Cette phrase .... Je crois que c'est l'un des trucs qui me manque le plus ... après lui. J'attachais tellement d'importance dans la façon qu'il avait de m'appeler ... " Cette fois je sais qu'elles coulent. J'arrive plus à les retenir. Et moi qui croyais que j'avais déjà pleuré tout ce que j'avais. " Il avais toujours ce sourire quand il me regardait. Ces petites manies ... " Je vois la psy qui remue, mal à l'aise. " Mademoiselle ... depuis tout à l'heure vous parlez au passé ... Il vous a quitté c'est ça ? " Je la fixe. Non c'est pas ça. J'aurais largement préféré. " On est resté ensemble pendant un an. La plus belle année de ma vie. Mais j'aurais du me douter que tout été trop beau, que ça n'allait pas durer ... Et effectivement, tout est parti en l'air. Sa santé s'est mise à se dégradée rapidement. Trop rapidement. On ne sait pas comment c'est arrivé, mais le verdict est tombé. Cancer. Il avait un putain de cancer. Je vous jure que ce mot, ce putain de mot, je vais le haïr toute ma vie. " J'éclate d'un rire sans joie. " Comme si ça pouvait changer quelquechose ... Aucun problème de santé et la, Bam, cancer. Ca a été fulgurant. Deux semaines après il était mort. " Je la vois sursauter. Pourtant fallait s'y attendre. " Je passais le voir tous les jours à l'hopital. Mais j'étais en cours quand c'est arrivé. En maths. Mon portable a sonné, c'était sa mère. Alors j'ai décroché. En plein cours. ignorant tous les regards braqués sur moi. Ils m'ont tous vu blêmir d'un seul coup. Je me rappelle m'être mise à trembler. Mais quand a meilleure amie a avancé une main je me suis réculée comme si elle m'avait brûlé. J'avais encore les mots de sa mère qui résonnaient dans ma tête. " Je respire pour me calmer " C'est fini. Qu'elle m'a dit. C'est tout ce qu'elle a dit. J'ai compris immédiatement. J'ai cru qu'on m'arrachait le coeur et tout ce qui va avec tellement ça faisait mal. C'était pas possible, je l'avais vu le matin même, le medecin avait dit qu'il allait mieux. Je suis partie en courant. Pour aller aussi vite que possible à l'hôpital. J'ai du battre des records de vitesse mais quand je suis arrivée, il était là. Sur son lit. Trop pâle. Trop froid. Trop ... mort. Je me suis jetée sur lui. Je pleurais. Mais j'ai eu beau hurler, supplier, me mettre en colère, il n'est pas revenu. Alors je me suis penché sur lui et je l'ai embrassé une dernière fois. Sa mère m'a dit " il t'aimait " Je savais ça, je le savais ... Je l'ai regardé à nouveau. Je n'y croyais pas. Je voulais qu'il revienne. Mais non apparemment Tu en avais décidé autrement. " Je ne m'adresse même plus à la psy, c'est à Lui que je parle. " Si Tu savais comme j'ai eu mal. Si Tu savais comme j'ai mal ... " Je cligne des paupières et me revoila dans la réalité. Elle m'observe. Je reprends " Je me suis complétement renfermée sur moi-même. je ne mangeais plus, je ne parlais plus, je ne réagissais plus ... Tous ceux qui disaient me connaitre auraient du comprendre, auraient du savoir, que je réagirais comme ça, parce que c'était moi, c'était dans ma nature ... Mais non, ils ne comprenaient pas, je le voyais bien, comment auraient ils pu ? Je ne leur avais jamais parlé de d'Erwan ... " Elle relève la tête de son carnet " Pourquoi ? " Et pourquoi pas ? " Parce que j'ai considéré que ça ne les regardait pas. C'était mon histoire, mon copain, mon amour. Je n'avais pas envie de mêler qui que ce soit à ça. Ca m'appartenait. " Elle semble étonnée. Ben quoi ? Elle a jamais rien caché à ses amis elle ? Je précise " Ca en a surpris beaucoup, que moi, bavarde incorrigible, je n'en parle à personne. Même pas à ma meilleure amie. Mais je ne voulais pas ... vous ne pouvais pas comprendre, ils auraient tous fait des commentaires, des jugements à la première dispute, des remarques, ils ne m'auraient plus laché une secondes avec ça ... Vous ne savez pas comment ça se passe ... " Elle hoche la tête. " Je vois. - Non vous ne voyez pas, mais ce n'est pas grave. Les ados sont durs entre eux ... Tellement durs ... " Là, elle semble comprendre. " Quand ils l'ont appris. Comment est ce qu'ils l'ont pris ? " Comment veut-elle qu'ils l'aient pris ? Je n'avais rien dit. Ils ne connaissaient même pas son existence, alors sa mort ... " Ils n'ont rien pris du tout. Je vous ai dis qu'ils n'étaient pas au courant. C'est en partie pour ça que je suis içi. Enfin, ils savent sans savoir. " Elle m'interroge du regard. Je soupire. " Je suis retournée au lycée dès le lendemain. J'ai repris ma vie. Ca a été un véritable enfer. J'agissais normalement, enfin ça, c'est ce que je croyais. Pour ne pas qu'ils sachent, que quelqu'un s'en rende compte ... Je voulais agir comme avant, mais j'ai pas pu, ils ont tous remarqué que quelque chose n'allait pas. " Flash Back - La sonnerie de la récré retentit. Ca fait des jours que je ne parle plus à personne. Je descend les escaliers en silence mais j'entends Nick me crier " Ben alors qu'est ce qui t'arrives ?! T'as perdu ta langue ?! " Ce mec est un vrai boulet. Je fais de mon mieux pour l'ignorer mais il revient à la charge. " C'est ce fameux E. que tu écrit partout qui t'a plaqué c'est ça ? " Je me fige. Connard. Je remarque que les profs devant moi et mes amis autour font tous attention à ma réaction. Je me retourne très lentement et le fixe. Il déglutit. Je fais un pas vers lui. Il recule. " Erwan ne m'a pas largué. Il est mort pauvre con. " Et je m'en vais rapidement. Mais pas assez pour voir les visages choqués et les regards emplis de pitié. Je ferme les yeux. Mes larmes débordent. - Fin Flash Back " Je ne les ai pas revu depuis. Parce qu'entre temps, il y eu son enterrement. - Oh. " Oui Oh. Il pleuvait. Il y avait toute sa famille. Certains me dévisageaient. Je leur renvoyais leurs regards. J'ai eu l'impression que ça durait des heures. " Quand ça s'est terminé, je n'ai pas bougé. Je n'ai pas pu. Le cimetière se vidait au fur et à mesure mais moi je ne bougeais pas. Je fixais sa tombe. Je suis restée deux jours comme ça. En rentrant chez moi seulement pour dormir, dans un état second. " Je vois qu'elle se demande quelque chose alors je me tais et j'attends. Elle se décide enfin. " Vos parents n'ont rien fait ? " Un sourire ironique s'étale sur mes lèvres. " Mes parents ... Ils n'étaient pas au courant, et même si ils l'avaient été, aucun des deux n'auraient pu se permettre de revenir de voyages d'affaires uniquement pour leur fille. " Elle s'offusque " Ce sont eux qui vous ont inscrit à ces séances ! " Et alors ? C'est censé faire d'eux de bons parents ? J'avais besoin d'eux dès le départ. Ils n'avaient qu'à être présent. Ils n'avaient qu'à m'éduquer correctement d'eux même et non pas me laisser me débrouiller toute seule. C'était tout, ils n'avaient qu'à être plus présents.... " Vous savez pourquoi ils ont fait ça ? " Elle secoue la tête " Ils m'ont envoyé voir un psy, parce qu'après avoir fait un malaise en plein cours, mes amis sont allés ... Non, les ont appelé. Ils n'ont même pas pu les voir puisque même pour moi, ils n'avaient pas daigné revenir. Mais comme je ne lâchais pas un mot, ils m'ont relégué à ... Vous. " Son visage se radoucit et se fait compréhensif. Je deteste ça. " Pourquoi avez vous arrêté d'aller au cimetière ? - Qui vous a dit que j'avais arrêté ? - Oh ben je pensais ... " Je fais non de la tête. " Je n'ai pas arrêté. J'y vais encore. Tout les jours. C'est juste que ... A la fin du deuxième jour, Son meilleur ami s'est assis à côté de moi. Il n'a rien dit. Il est juste resté avec moi. Puis quand il a fait nuit, il s'est relevé et m'a tendu la main. Je l'ai saisi. Mais avant de partir je me suis retourné et j'ai murmuré Tu vois Erwan, cette fois-ci j'ai perdu. J'ai tout perdu ... Et là, je suis partie. Depuis, son meilleur ami est devenu le mien. C'est le seul sur qui je peux compter. Qui me comprend presque entièrement. Pendant des heures je lui parle de mon Erwan et il m'écoute. Puis il me parle de son Erwan. C'est une des seules personnes à qui j'adresse la parole. A qui je fais encore confiance ... " Elle s'arrete d'ecrire " Et ? " je hausse les sourcils " Et qu'est ce que vous voulez que je vous dise ? Que je me réveille encore dans la nuit en le cherchant à côté de moi ? Que j'ai encore l'impression d'entendre sa voix ? Que je m'attends encore à ce qu'il m'appelle pour me voir et me proposer un de ses trucs bizarres ? Et qu'à chaque fois toute la réalité me revient en pleine figure et que j'ai mal à en crever ? " Elle est pétrifiée sur sa chaise. " Vous voyez pourquoi j'en parle pas ? Pourquoi j'ai mis personne au courant ? Le moindre petit son est susceptible de me rappeler Erwan. Vous vous rendez compte de ce que je vis ? Non. Bien sur que non. Et eux non plus. Je ne veux pas de leur pitié. Ni de leur compassion ni de tout ce que vous voulez. Je veux Erwan. Et c'est la seule chose qu'ils ne peuvent pas me donner. Parce qu'il est mort. " Dans la pièce, la chanson résonne encore. ... Depuis que t'es monté la-haut, Les anges n'ont jamais été plus beaux Depuis que t'es monté la-haut, Ici moi je me sens toujours de trop ... Je ferme les yeux ausi fort que je peux et me lève. La séance est finie. Point. Je me dirige vers la porte mais elle me rappelle. " Cette chanson ... Vous l'écoutez en boucle. " Et alors ? Elle continue " Vous l'aimez tant que ça ? - Non. Je la deteste. " Là, dire qu'elle est étonnée est un euphémisme. Je souffle " Mais c'était sa chanson préférée. J'ai besoin de tout ce qui peut me rattacher à lui. Pour me prouver qu'il a bien existé, que ce n'était pas juste un très long rêve ... " Je lui tourne le dos et vais pour sortir. Mais avant de franchir la porte, je me retourne, la main encore sur la poignée. " J'aurais tout fait pour lui vous savez ... Je lui aurais tout pardonné. Mais pas ça. Pas sa mort. Même si il n'y est pour rien. Je lui en veux. Parce qu'il n'avait pas le droit de me laisser toute seule. " Elle se lève à son tour " Qu'allez-vous faire maintenant ? " Je la regarde attentivement " Je vais survivre. Comme depuis un mois maintenant. " Et la porte se referme derrière moi. J'ai la vie à affronter. Encore. Erwan ... |