Je me rappelle encore de toi, je ne t'ai jamais oublié, en même temps, c'est plutôt compliqué.
Je t'avais rencontré au lycée. On s'était plu immédiatement et quelques jours plus tard, tu m'embrassais pour la première fois. J'étais heureuse tu sais ? Tu étais le premier garçon que j'aimais réellement .... Au bout de trois mois, je me suis décidée à te présenter à ma famille. Ça a été la plus grosse connerie de ma vie. Et ma première erreur. Parce que ce jour-là, tu as aussi rencontré mon frère. Quand on entré dans la maison, ce sont mes parents qui nous ont accueilli. Tu leur a plu, à eux aussi, ils te voyaient déjà comme leur futur gendre .... On s'est installé dans le salon, et mon père t'a fait un interrogatoire en règle, habitude de flic. Qu'est-ce que j'avais rigolé de te voir soudainement si impressionnable ... Puis Andy est entré dans la pièce. J'ai souri, mais mon sourire s'est figé lorsque j'ai vu vos regards se croiser et vos yeux s'agrandir.
Pour le première fois, j'ai fait semblant d'ignoré le lien que vous veniez de créer. Avec un simple regard.
Tu ne m'as jamais regardé comme ça. T'en es-tu seulement rendu compte ?
Voulant récupérer ton attention, je t'ai embrassé la joue et les yeux de mon frère se sont refroidis. Il venait de comprendre. Tu étais MON petit ami. Il est allé s'asseoir en face de toi, et tu l'a suivi du regard tout le temps qu'a duré son déplacement. Il a souri et s'est présenté. Tu as retiré ta main de ma cuisse, et tu lui as répondu. C'est à ce moment-là que j'ai compris que mon propre frère était devenu un rival autrement plus dangereux que toutes ces filles qui te couraient après. Parce que lui, il te plaisait. Tu l'avais remarqué. Andy répétait sans cesse que l'on reconnaissait son grand amour au premier coup d'œil. Cette fois ci, j'ai fait exprès d'enfermer toutes ses grandes certitudes idiotes au fin fond de moi. Et comme j'étais fière de ne jamais t'en avoir parlé !
Puis Andy nous a expliqué son projet de partir en camping pour un mois et demi. Les grandes vacances étant là, il nous a proposé de l'accompagner.
J'ai vu, je te jure que je l'ai vu, ton assentiment se former sur l'expression de ton visage. Alors j'ai accepté, parce que ça avait l'air de te faire plaisir. Deuxième erreur. Je n'avais pas encore compris pleinement tout ce qu'impliquait votre premier regard.
L'heure du départ est arrivée très vite. Je n'étais toujours pas persuadée de faire le bon choix. Vis a vis de nous. Mais ... Cela faisait des jours que tu ne parlais que de ça. Etrangement, tu n'avais absolument rien dit sur Andy. Rien de rien. J'avais essayé d'aborder le sujet, mais à chaque fois, tu semblais ne pas comprendre. C'est vrai que tu étais de plus en plus souvent perdu dans tes pensées ... Tu te faisais un peu moins câlin aussi mais en aucun cas je n'avais fait le rapprochement. Je me rappelle m'être demandée si je ne m'étais pas fait des illusions, ce jour de présentation. Puis comme pour me ramener à la réalité, une voiture m'a sorti de mes réflexions. Andy était arrivé. Et un sourire a enfin fleurit sur ton visage, éclairant tes traits.
J'ai fait semblant de ne pas reconnaitre que ton sourire n'était jamais plus beau que lorsqu'il était dans les parages, que cette expression indéfinissable que tu avais en le regardant, tu ne l'avais jamais lorsqu'il s'agissait de moi.
Nous avions tous notre permis, mais Andy avait insisté pour conduire. Nous l'avions laissé faire et tu avais pris place sur le siège à côté de lui, me laissant à l'arrière. Je ne suis même pas sure que tu y ais fait attention. M’avais-tu seulement remarqué ? Andy non plus d'ailleurs, ne faisait pas attention à moi ... Et à tout ce qui n'était pas toi apparemment. Il semblait fasciné par ton visage.
Je me souviens encore du regard de ma mère sur le palier, alors que tu entamais une discussion avec Andy. Elle avait un air étrange ... Comme si elle savait quelque chose mais qu'elle ignorait si elle devait être pour ou contre. Je ne l'ai compris que plus tard. Mais que pouvais-je y faire ? Pendant le trajet, je vous observais. Vos regards dérivaient sans cesse l'un vers l'autre, comme l'aimant attire le fer. Oh j'ai bien remarqué que mon frère s'efforçait de rester concentré sur la route, mais le poids de ton regard semblait revenir à la charge et abaisser toutes les défenses qu'il tentait tant bien que mal de maintenir. Parce que, soyons réaliste, tu étais le copain de sa petite sœur, pourquoi aurait il voulut me faire de mal ? Tu le savais, je le savais. Et j'en jubilais. Enfin, c'est ce qu'on croyait tous ça ...
Ce qui est marrant, c'est qu'à la base, aucun de vous deux n'était homosexuel. Enfin ça, c'était mon avis. Parce qu'Andy, lui, avait une théorie. Encore une de ses idées bizarres que tu aimais tellement. Selon lui, on naissait tous bisexuel, et l'on choisissait notre " orientation " en fonction de notre vie future. Et de nos caractères. A l'époque, j'avais trouvé ça absurde, mais en vous voyant, j'avais vraiment eu peur que pour une fois, il ait raison. Alors je faisais tout pour détourner votre attention l'un de l'autre, t'accaparant de mon bavardage incessant, tentant d'ignorer le voile qui recouvrait les yeux d'Andy lorsque je t'embrassais. Malheureusement, toi aussi tu l'avais remarqué. Ce n'était qu'une preuve de plus que je refusais de voir.
J'ai nié connaitre ton besoin de le toucher, ton envie viscérale d'être proche de lui.
Je voyais bien que vous ne faisiez pas exprès, je savais bien que vous ne le faisiez pas consciemment ... Mais allez dire ça a une jeune fille amoureuse, pour moi, tout ce que je comprenais, c'est que tu t'éloignais de moi. Et je m'accrochais, encore et toujours. Les premiers jours passèrent très vite. Ils furent horribles. Surtout pour vous. Vous vous retrouviez à vivre ensemble tout en étant incapable de l'être totalement. J'ai compris au bout de deuxième jour qu'Andy t'évitait. Prudence ? Honte ? Peur ? Peur de me faire du mal ? Ou peur de ses sentiments bien trop violents à ton égard ? Et bien moi j'en étais heureuse. Je passais tout mon temps avec toi, persuadée de te reconquérir entièrement. Je n'avais pas compris que tu n'étais déjà plus à moi, m'avais tu seulement appartenu un jour ? Mais Andy a fini par cesser de lutter. Quand il a installé son couchage près des nôtres ce soir-là, on a vu les cernes épouvantables, les traits creusés de fatigue qu'il arborait. Il n'a pas dit un mot. Il t'a seulement regardé. Et enfin, tu as semblé revivre entièrement.
Le lendemain matin, j'ai retrouvé vos duvets beaucoup plus proches que lorsqu'on s'était endormis. Comme si même dans votre sommeil, une attraction invisible et insurmontable vous ramenait sans cesse l'un vers l'autre. Qu'aurais-je pu dire ? Je me suis contentée de vous réveiller. Le programme de la journée était simple. Randonnée. Mon frère était parti devant.
Nous étions debout côte à côte, on marchait doucement. Il y avait bien longtemps que l'on ne s'était pas retrouvé complètement seuls ... Mais coupant court à notre discussion, Andy avait surgi et nous passait chacun un bras autour de la nuque. Ton sourire se fit immédiatement plus éclatant.
J'ai fait semblant de ne pas voir ta main remonter lentement sous son tee-shirt, ou le long frisson qui l'a secoué à ce moment-là et la crispation de sa main sur mon épaule.
Cette nuit-là, vous avez dormi l'un contre l'autre pour la première fois. Vous vous êtes rapprochés discrètement dans le noir, jusqu'à être collé l'un à l'autre. Et j'ai dû rester sans bouger, à écouter vos gémissements inconscients de bien-être. C'est là que j'ai compris le dilemme de ma mère. Mon bonheur ou celui de mon frère ? Mon amour égoïste ou le vôtre partagé ? C'est ainsi que je vous ai retrouvé le lendemain matin. Les membres entremêlés, ton visage enfoui dans son cou, et vos mains liées. Je vous ai regardé longtemps. Puis je vous ai réveillés et j'ai réclamé notre retour immédiat. Vous aviez compris que je savais. Le trajet se passa sans un mot. Et une fois à la maison, je couru m'enfermer dans ma chambre. Cependant je n'ai pas pu résister à la tentation de vous observer. Et je vous ai vu échanger votre premier baiser. Malgré moi, je trouvais ça beau, vous étiez magnifiques, vous accrochant désespérément à l'autre, de peur qu'il ne finisse par s'enfuir. Mais pour mon cœur, ma fierté et mon amour, ce fut atroce. Et pourtant je regardais jusqu'au bout.
Je vous ai vu vous arrêter, cherchant un souffle manquant. Et recommencer. Encore et encore. Puis Andy t'as trainé à l'intérieur de la maison. Je savais déjà que les parents vous attendaient, assis patiemment dans la cuisine. Je savais aussi qu'ils avaient tout deviné. Mais pas vous. Vous, vous craigniez leur réaction. C'est vrai après tout, ça n'aurait jamais dû arriver. Mais il avait suffi d'un regard. Ce soir, lorsque vous croyiez la maison endormie, vous avez fait l'amour pour la première fois.
J'ai fait semblant de ne pas entendre les grincements du lit et vos gémissements étouffés.
Ce fut dur. Extrêmement dur. J'étais malheureuse tu sais ? Te revoir tous les jours à la fac, revoir ton visage heureux lorsqu'Andy venait te chercher à la fin des cours. C'était un vrai supplice. Nos amis ne comprirent pas. Ils avaient quitté un couple, ils se retrouvaient avec deux personnes s'évitant le plus possible. Enfin, surtout moi, qui te fuyais comme la peste. Le pire fut les explications. Tu haussas simplement les épaules. C'est la vie. Ainsi je ne méritais pas plus ? Je n'ai jamais cessé de me poser la question. Et si tu n'avais pas rencontré Andy ? Si je ne t'avais pas présenté à lui ce jour-là. Quelque chose aurait il était différent ?
Et maintenant que ça fait des années que tout ça est passé, que ça fait longtemps que ton cœur l'a choisi lui, que TU l'as choisi, que tu l'as préféré à moi et que je me retrouve en face de vous, dans un énième repas de famille, et que vous semblez toujours aussi heureux ... J'ai encore mal au cœur, encore ces sentiments d'injustice et de trahison qui remontent à la vue de votre bonheur. Et encore une fois je décide de m'aveugler, de ne pas voir votre amour qui déborde du moindre de vos geste ...
Et je fais semblant de ne pas voir ta cuisse collée à la sienne, ou vos mains qui disparaissent périodiquement sous la table.
Ni vos regards qui ne se lâchent pas, comme lorsque tout a commencé ... |