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au 31 Mai 21 :
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Demain, vous serez mort
Par Mantelia
Originales  -  Action/Aventure/S-F  -  fr
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Fuite et Fin

Et voilà la fin, même si je n'en suis que très peu satisfaite.

J'ai même décidé d'écrire une suite, voire de tout réécrire. Je pense qu'il faut que je creuse un peu plus cette idée.

 

Bon assez de blablah, voilà la suite, et j'espère que ça vous plaira un peu plus qu'à moi ^^

 

Bonne lecture =)

 

 

************************ 

 

 

- Stop ! cria un homme en costume noir juste avant que les portes automatiques ne se referment dans le dos de Tobias dans un petit sifflement.

Malgré ses blessures crâniennes qui continuaient à saigner, Marc avait déjà pris une belle avance. Tobias le repéra qui courait, engagé dans la voie à sa droite. Parfait. Il n'était pas très loin de sa voiture.

- VICODINE !

Tobias ne put s'empêcher de relever et de s'amuser de l'incongruité de hurler le nom d'un analgésique dans la rue, même si la situation ne le permettait guère.

- ARRÊTEZ-VOUS ! C'est ma voiture ! Celle à côté de vous !

Marc se retourna sans montrer aucun signe décélération et jeta un regard éperdu à Tobias. Il y avait un mélange de peur et de d'indécision dans ses yeux sombres. Il fuyait, mais ne savait où aller.

- Merde, jura Tobias quand Marc accéléra le pas et dépassa sa voiture.

Il savait que Costume Noir était à leurs trousses, et comme l'habit ne fait pas le moine, il ne courait sans doute pas comme un pingouin. D'ailleurs, Tobias pouvait entendre son pas lourd marteler le sol derrière lui. Costume Noir aboya à nouveau son ordre de stopper. Un chien de chasse avec des chaussures vernies.

Dès qu'il fut à la hauteur de sa voiture, Tobias sauta à l'intérieur et démarra en trombe. Costume Noir ne parut pas s'en formaliser, il avait déjà repéré Marc depuis longtemps et il gagnait même du terrain sur lui. Il devait être motivé par le chèchèque bien juteux que Sitten réservait à ses employés. Tobias le dépassa sans problème, même avec son archaïque berline dont la fabrication avait été abandonnée depuis belle lurette. Il rattrapa très vite Marc et ralenti l'allure pour se maintenir au même niveau que lui. Il s'aplatit sur le siège passager pour ouvrir la portière tout en dirigeant le volant du mieux qu'il pouvait.

- Montez, espèce de tête de mule ! cria-t-il à Marc.

- Non !

- Montez ! Le chien de chasse en costume va vous rattrapez !

- Je n'ai ... pas besoin... de vous ! s'obstina Marc, visiblement à court de souffle.

Tobias soupira, se redressa sur son siège, puis redressa sa trajectoire pour rester sur la route et conservez une voiture en état de rouler.

- écoutez, vous ne m'aimez peut-être pas beaucoup - personne ne parvient à m'apprécier à moins de 10 mètres - mais, je pense que vous aimerez encore moins de vous faire trouer la peau.

- C'est déjà fait.

- Oh, je vois, monsieur a de l'humour même dans les pires situations, quel héroïsme...

Marc jeta un oeil en arrière, Costume Noir Acharné n'était plus qu'à cinq mètres de lui et venait d'aboyer une nouvelle fois.

C'est alors que le coup de feu retentit. Un épouvantable fracas ébranla les tympans des deux fuyards. Marc était certain d'avoir sentit la balle frôler son épaule. Il dut juger que son meilleur espoir résidait dans la voiture de Tobias, car il se jeta sur le siège passager avant. Ses pieds butèrent dans une masse sur le tapis de sol.

Marc sut ce que c'était avant même qu'il ne le ramasse.

Un pistolet d'un noir mat. Un Glock 17 troisième génération. L'arme était légère, toute en polymère sombre. La sécurité était la plus simple du monde. Un levier sur la détente. Il suffisait donc de presser la gâchette.

Il baissa la vitre.

Il sortit la tête de la voiture. Tobias lui demanda ce qu'il foutait, bordel.

Il se contorsionna pour passer les mains et les bras hors du véhicule.

Il vit Costume Noir qui le visait.

Il visa. Il tira.

Il cligna des yeux. Costume Noir s'était écroulé presque immédiatement après que le coup soit parti. Il avait été touché quelque part dans la poitrine. Marc l'avait ressenti comme si c'était lui qui avait reçut la balle, pourtant, il avait la conviction que cet acte était parfaitement justifié et qu'il s'inscrivait dans la logique des évènements. Il se repositionna correctement sur son siège, la respiration hachée. Tobias était blanc comme de la poussière de craie.

- Vous êtes cinglé, Vicodine, cinglé... Vous portez un peu trop bien votre nom... murmura Tobias.

Un horrible silence rythmé par le vrombissement du moteur densifia l'air autour d'eux, déjà alourdi par la gravité de la situation. Tobias fixait la route, le visage fermé. Marc fixait le Glock qui pendait, telle une extension morte et atrophiée de sa main. Il frémit. La scène repassait dans sa tête, avec chaque fois, un gros plan sur Costume Noir qui s'écroulait, désarticulé comme une poupée de chiffon. Et lui... froid, sans émotion, appuyant sur la détente le plus naturellement du monde. C'était pourtant la première fois qu'il manipulait une arme à feu.

Lorsqu'il avait lut son rapport d'avenir - toujours sous l'effet de l'anesthésie - une révolte sourde avait gonflé dans son ventre pour remonter jusque sous son crâne et y éclater. Un zeppelin allemand en flammes dans sa cage thoracique ; un champignon atomique à la place du cerveau. Il revoyait encore la simple phrase qui avait causé ce désastre, elle serait toujours tatouée sur chacun de ses neurones. La date du lendemain, et ça : "Vous serez mort". Il ne voulait pas mourir, à n'importe quel prix, même au détriment de la vie d'un autre, avait-il cru. Mais il s'était trompé. Lourdement. Il avait tiré sur un homme, sur quelqu'un qui devait vouloir vivre au moins autant que lui. Et même si cette simple idée le répugnait, quelque chose en lui continuait à approuver l'acte ignoble qu'il venait d'accomplir. Une sorte de paranoïa latente s'était éveillée quand il avait su qu'il devait mourir moins de vingt-quatre plus tard.

Il déposa le Glock dans la boîte à gant avec une déférence que lui-même trouva répugnante, mais dont il ne put se départir. Quel genre d'homme pouvait bien être ce Tobias Hughes pour posséder un semi-automatique dans sa voiture ? Sûrement pas le genre conventionnel, ni le genre altruiste.

- Mais pourquoi avez-vous tiré sur cet homme, bon sang ? lâcha enfin Tobias.

- Pourquoi avez-vous une arme dans votre voiture ? répliqua Marc.

- J'ai posé la question le premier.

Marc avait des tas d'autres questions à poser à Tobias, et les réponses à ces questions entraîneraient fatalement des montagnes d'autres nouvelles questions. Seulement, il ne savait même pas si cet espèce d'enfoiré daignerait répondre à une seule d'entre elles, et qui plus est, si lui-même ne livrait pas un peu de sa propre histoire. Contenter Hughes un minimum lui apparut comme un bon calcul. Il laissa aller sa tête en arrière et se passa une main dans les cheveux. Il s'aperçut qu'elle tremblait. Mais aussi que ses petites fuites ne laissaient plus s'écouler de liquide écarlate visqueusement vital.

- J'ai tiré parce que... parce qu'il le fallait.

- Vous vous foutez de moi, ou quoi ?

- Non. Vous aviez dit vous-même qu'il n'hésiterait pas à me trouer la peau. Et il avait tiré sur moi. C'était de la légitime défense.

Marc tentait de donner à sa voix une assurance inversement proportionnelle à celle qu'il possédait vraiment.

- Vous êtes un abruti, Vicodine. Je vous ai dit qu'il vous tirerait dessus pour vous faire peur et que vous montiez dans cette voiture, sûrement pas pour que ce soit vous qui lui tiriez dessus. Bien sûr qu'il ne lancerait pas trois bisounours et un petit poney à nos trousses, mais de là à ce qu'il tire sur un simple client un peu secoué...

- Mais, il a... , voulu protester Marc.

- ... tiré en l'air, finit Tobias en marquant sa voix rauque d'une dureté amplifiée. Il a tiré en l'air, Vicodine. Je l'ai vu. Vous représentez un potentiel arrêt du développement de Sitten en France, ils sont avides et ils vous liquideront peut-être, mais de façon beaucoup plus insidieuse. Empoisonnement, par exemple. Je peux vous assurer qu'il voulait juste vous intimider. Mais on dirait qu'il a fait bien plus. Il vous a rendu parano.

- Hughes, ce que vous faites n'a aucun sens.

- Quoi ?

Tobias venait de s'engager sur le périphérique, ils quittaient la capitale à toute allure. Il était à peine trois heures de l'après-midi, le trafic était plutôt fluide. Il dépassait les limitations d'au moins vingt kilomètres heures, mais il aurait été exagéré de dire qu'il s'en formalisait, même en temps normal.

- Ce que vous faites n'a aucun sens, répéta Marc avec plus d'aplomb, sentant que Tobias était pris au dépourvu.

- Tout ce que je fais a un sens. Simplement, vous êtes trop idiot pour le saisir.

- écoutez, déposez-moi n'importe où dès qu'on aura quitté le périphérique, je ne sais même pas pourquoi je passe mes dernières heures avec vous.

Tobias poussa un grognement rageur. Il ressemblait à un lion qui a envie de rugir mais qui sait que ça serait inutile. Il projeta violemment sa tête en arrière contre l'appuie-tête et se mordit la lèvre inférieure. La ligne de ses sourcils se modifia, elle descendit plus bas sur son front et s'assombrit.

- Je ne peux pas vous laissez, Vicodine. Comme je ne peux pas me permettre de vous laissez mourir.

Marc crut qu'il allait s'étrangler de surprise. C'était bien les dernières paroles qu’il s’attendait à entendre de la bouche de Hughes.

- Mais qu'est-ce que vous me voulez ? Vous ne pouvez pas me laisser tranquille ? Sans vous, je serais peut-être en train de rentrer chez moi avec un bandage sur la tête.

- Ou peut-être que vous seriez en train de vous faire interner suite à un diagnostique de paranoïa pathologique établit par un médecin de chez Sitten.

- Cette conversation ne nous mène nulle part.

- Très bien, j'avais l'intention de me taire de toute manière, vous êtes exaspérant, vous savez ?

- Allez vous faire foutre, Hughes.

- Merci beaucoup, Vicodine.

Tobias pressa un bouton de l'autoradio. Une chanson à la batterie et aux guitares endiablées s'éleva dans la berline. Elle envahit délicieusement le cerveau de Tobias qui ne se soucia plus que de la route et de la musique. Il ne savait pas où aller, mais il savait que c'était loin, très loin de Sitten. La voix mélodieuse, bien que légèrement éraillée du chanteur emplissait tout l'espace, surtout lors du refrain. Tobias avait l'impression que les automobilistes qu'il dépassait pouvaient entendre la même musique qu'eux.

Have you heard the news that you're dead?

No one had much nice to say

I think they never liked you anyway

Oh take me from the hospital bed

Wouldn't it be grand to take a pistol by the hand?

Tobias se délectait, il adorait cette chanson. Marc, en revanche, fronçait les sourcils au fur à et mesure qu'il comprenait son sens, et Tobias n'en était que plus satisfait. Le morceau suivant s'annonçait tout aussi jouissif. Du punk-rock corrosif. Un air tout aussi entraînant et des paroles encore plus explicites.

Ha Ha you're dead

The joke is over

You were an asshole

And now you're gone

Tobias dut se faire violence pour ne pas sourire et conserver son air impassible, quand Marc, à cran, baissa fébrilement le volume. Il fit le pari qu'il craquerait à la prochaine chanson.

You must die I alone am best! certifia une voix saturée de folie.

Tobias observa Marc en coin. Il le vit déglutir péniblement et ouvrir un bouton de sa chemise. Le jeune homme se raidit au moment ou le refrain s'amorçait.

Die die die die die die die

Die die die die die die die

- Qu'est-ce que vous voulez, Hughes ? Me rendre cinglé ? Je croyais que c'était déjà fait.

- Yes ! Gagné, se félicita Tobias.

- Vous êtes un sale con.

- Je sais.

- Qu'est-ce que vous voulez ? insista Marc en arrêtant l'autoradio.

- Pour l'instant, me rendre le plus loin possible de Sitten.

L'apathie grinçante de Tobias ne convenait pas du tout à Marc. Il ne réagissait pas comme il se devait. Il aurait du être encore sous le choc de transporter quelqu'un qui n'avait pas hésité à en blesser un autre - Marc se refusait à utiliser le mot "tuer", même en pensées. Il aurait même pu le jeter dehors sans ménagement. Au lieu de ça, depuis le début, depuis qu'il lui avait adressé la parole, Hughes se comportait comme si Marc était important à ses yeux, mais seulement pour satisfaire un quelconque plaisir sadique.

Marc décida de reprendre le contrôle des évènements. Après tout, c'était ses dernières heures qu'il vivait. Il était conscient que pour tenir tête à Hughes, il lui faudrait plus que de simples mots, si menaçants soient-ils. La joute verbale était manifestement, le terrain de prédilection de Hughes. Il avait besoin de quelque chose comme...  un Glock 17 troisième génération. Marc saisit le pistolet, et braqua le canon directement sur la tempe de Tobias.

- Je me demandais quand vous en viendriez aux poings. Je vois que pour une fois, vous m'avez devancé, déclara sereinement Tobias.

- Pour une fois, taisez-vous, enjoignit Marc, et répondez. Qu'est-ce que vous voulez ? Pourquoi est-ce que vous agissez comme ça ? Pourquoi moi ? C'est vous qui avez manigancé tout ça ? Qu'est-ce que je vous ai fait ? Je vous ai piqué votre femme, c'est ça ? Vous voulez me tuez, ou me torturer psychologiquement ?

- Me piquer ma femme ? Wow, je ne pense pas qu'elle aurait apprécié, même si elle ne m'aimait plus beaucoup vers la fin. Plus sérieusement, si vous me tirez dessus, je meurs, si je meurs, non content de commettre votre deuxième meurtre de l'après-midi, vous commettrez votre premier suicide.

- Répondez, cette fois, Hughes, répondez.

Marc pressa le levier de sécurité sur la gâchette. Clic. Le coup pouvait maintenant partir à tout moment. Il nota avec une délectation coupable qu'une veine avait palpité sur la tempe du quadragénaire.

- D'accord. Vous avez peut-être le droit de savoir, finalement. Mais ne croyez pas que je vous parle de ça uniquement parce que vous braquez ma propre arme sur ma tempe, parce ça serait complètement faux... S'il vous plaît, baissez votre arme, je vous jure que je vais tout vous expliquer. Baissez-la, Vicodine.

Marc rangea le Glock dans le vide poche de sa portière afin d'être sûr que Tobias ne s'en saisirait pas. Il sentait le pouvoir que conférait la possession d'un tel objet, mais aussi, plus intense encore, la menace qu'il incarnait.

- Allez-y, je vous écoute.

Tobias soupira, sans doute de lassitude, probablement de soulagement.

- Eh bien, je... je vais commencer par ce pistolet justement. Je l'ai acheté hier matin, illégalement. La procédure légale aurait été beaucoup trop longue pour ce que je comptais en faire. Tout de suite après, je me suis rendu chez Sitten, comme je l'avais prévu la veille. Il fallait absolument que je sache ce que me réservait le futur. Il fallait que je sache si... Si ma vie avait un sens. En fait je...

Tobias poussa un râle de frustration. Il s'était juré de ne parler de ça qu'en cas d'extrême nécessité. Ce qui était malheureusement actuellement le cas. La masse mate du Glock veillait dans le vide poche.

- Je suis maniaco-dépressif.

- Quoi ?!

C'était pire que tout. Marc était dans une voiture conduite par un maniaco-dépressif. Et c'était lui le cinglé ! Insensée, toute cette histoire n'était que la succession des évènements les plus tragiques et improbables qu'il puisse lui arriver.

- Ma femme est partie depuis une semaine maintenant, et... cette espèce de charogne a cru très malin de ne pas renouveler mon stock d'antidépresseurs et même de les remplacer par des anxiolytiques. Elle voulait me faire souffrir autant que je l'ai fait souffrir, je pense. Et elle a réussit. ça faisait plus de cinq ans que je n'avais pas fait de dépression aussi grave.

Marc se demandait si sauter immédiatement de la voiture ne présentaient pas moins de risque que de se laisser conduire par un dingue lunatique.

- Mais mon rapport d'avenir prouvait que ma vie avait toujours du sens, et ce, pour longtemps. Il était inscrit que pas plus tard qu'aujourd'hui, je devais sauver une vie en revenant à Sitten. Estimant ce fait assez glorieux pour le vivre, je suis passé à la pharmacie pour regonfler mes stocks de médicaments.

- Sauver une vie ? répéta Marc, se convaincant qu'il avait bien entendu. Et vous... vous pensez que c'est de la mienne qu'il s'agit, c'est ça ?

- Je pense en effet, qu'il est hautement probable qu'il s'agisse de votre vie.

- Je ne suis pas d'accord.

- Comment ?

- Il ne peut pas s'agir de moi, il écrit sur mon rapport d'avenir que je vais mourir demain. Ou plutôt, que je serais mort au plus tard demain. Par contre... il est possible qu'il s’agisse en fait de la vie du vigil sur lequel j'ai tiré.

- Il se peut aussi que votre rapport d'avenir soit erroné. Sitten présente un taux d'erreur minime, il est vrai, mais l'erreur existe bel et bien. Sans compter que Sitten ne fait que tester le marché français.

Marc réalisa qu'il ne croyait pas tellement à cette théorie car il était profondément convaincu de l'exactitude de la prédiction de Sitten. Peut-être parce qu'il trouvait qu'une mort étrange valait mieux que la vie banale que lui réservait celle de Lydia.

Tobias n'ajouta rien d'autre. Dans un cliquetis caractéristique, il se contenta tirer une boîte translucide, remplie de petite pilules blanches, de la poche de son jean et d'en avaler une promptement. La berline antédiluvienne quitta enfin le périphérique pour s'engager sur une autoroute en direction de Strasbourg.

 

~

 

- Vous voyez, vous n'êtes pas mort, Vicodine. Et nous sommes après-demain.

Marc se redressa sur sa couchette.

- Je suppose que vous êtes content de vous, Hughes, dit amèrement Marc. Vous aviez raison. Vous m'avez sauvez la vie.

Il se leva et se rapprocha des barreaux de sa cellule. Tobias avait calé sa tête entre deux barres d'acier et campé des mains de chaque côté. Son regard vert pénétrait Marc et lui fouillait les entrailles. Il avait l'impression de passer une IRM.

- Le garde de Sitten est mort hier soir, à l'hôpital.

Le visage de Marc s'assombrit, même s'il avait le teint plus pâle qu'un tableau blanc.

- Vous allez bien ? demanda Tobias sur un ton de sollicitude très inhabituel.

- Je ne sais pas. Je ne suis pas mort, mais... je vais être jugé pour meurtre. Je n'arrive toujours pas à décider ce qui est le pire.

Tobias lui adressa un de ses sourire un coin, regorgeant de sous-entendus ironique, mais c'était toujours un sourire, et c'était mieux que du mépris.

- Le pire, c'est de s'être fait cueillir au péage.

Malgré tout le poids de ces quelques heures fatidiques durant lesquelles sa vie avait brusquement basculé dans le drame, Marc parvint à esquisser un sourire en retour. Il reflétait le cynisme que Tobias affichait en permanence.

- Je croyais que vous aviez fait exprès qu'on se fasse prendre. Après tout, il ne peut pas arriver grand chose à quelqu'un qui est en cellule.

- Il se peut que cette idée m’ait traversé l'esprit. Mais il se peut qu'une autre pensée l’ait écrasée sur ses roues.

- Je vous détesterais toujours pour ça, vous savez. J'ai passé la pire journée de ma vie hier, par votre faute... ou grâce à vous, je ne sais même pas quoi penser... je vous hais... vraiment... pourtant...

Les yeux de Marc ne regardaient plus Tobias, même s'ils étaient dirigés vers lui. Il retourna s'asseoir sur sa couchette, profondément plongé dans ses pensées. Ici, c'était la seule chose qu'il pouvait faire, penser. Tout à coup, Marc se tourna vers Tobias à nouveau.

- Votre femme n'est pas revenue, après ce haut fait ?

Tobias parut sortir lui aussi d'une intense réflexion, il jeta un regard étonné à Marc. ça n'était pas le genre de question que l'on se posait quand on croupissait en prison. Mais ce Vicodine n'était exactement le genre de personne à qui on pouvait appliquer le qualificatif "anodin".

- Vous rigolez ? Je préfère mille fois ces petits bijoux à ma femme, s'exclama Tobias en  secouant la boîte d'antidépresseurs. Même si elle revenait, je  lui claquerais bien fort la porte au nez... Elle pourrait peut-être se refaire celui qu'elle voulait, comme ça...

- Hughes, pourquoi vous êtes venu ?

Parce que j'avais oublié combien vous étiez idiot et agaçant, fut la première réponse qui surnagea dans l'infecte bouillie qu'était la pensée de Tobias. Il brûlait vraiment de prononcer ces mots, mais, pour la première fois depuis longtemps, il s'en abstint. Après tout, cet idiot agaçant était la seule personne qui le connaissait un minimum et ne refusait pas de lui parler.

- Parce que. Peut-être que je vous aime bien, finalement.

Tobias ne sut pas si c'était une forme de reconnaissance ou bien des larmes qui brillèrent alors dans les yeux bruns de Marc. Quoi qu'il en soit, le jeune homme était conscient de l'effort que de tels mots lui avaient imposé.

- J'espère que vous sortirez rapidement d'ici, ajouta Tobias.

- Allez demander à Sitten, peut-être qu'ils ne se tromperont pas cette fois-ci.

- Ils...

La suite de la phrase ne vint jamais. Les lèvres de Tobias s'immobilisèrent soudain, alors qu'elles formaient le mot suivant. Il secoua la tête, et reprit :

- Il faut que j'y aille. Au revoir, Vicodine.

- Je vous verrais au procès...

Mais Tobias avait déjà fait volte-face. Il ne voulait plus que Marc sache que Sitten ne s'était absolument pas trompé. Il n'était venu que pour ça, que pour lui révéler la vérité sur son rapport d'avenir. Il sortit du Quai des Orfèvres et inspira à plein poumon l'air saturé en gaz d'échappements de Paris. Il ingurgita une pilule de paroxétine.

Tobias marcha d'un pas lent jusqu'à la bouche de métro la plus proche. Sa voiture avait subit quelques avaries l'avant veille. De toute façon, elle était beaucoup trop vieille et la police voulait la conserver comme pièce à conviction. D'ailleurs, il l'avait gardé comme pièce à conviction, lui aussi, pendant une journée entière. Dès sa sortie, Tobias avait filé chez Sitten. Quelque chose, un détail insignifiant, creusait son trou dans sa tête comme un ver solitaire.

Ce n'était plus Mathilde qui était à l'accueil. Dommage, il aurait bien aimé la pousser à bout de nerfs. Il avait demandé à accéder aux archives de Sitten afin de réimprimer son rapport d'avenir qu'il avait malencontreusement égaré. La charmante petite cruche de la réception s'était empressée de l'y conduire. Là, il avait lancé la réimpression du rapport d'avenir de Marc Vicodine. Il voulait vérifier. La clé de l'énigme se trouvait là, devant ses yeux. Il exultait. Le rapport d'avenir que Marc s'était vu attribuer était incomplet. Ce détail minuscule, en fait, le plus petit détail que l'on pouvait trouver, ce détail renfermait le fin mot de l'histoire. Tobias avait remarqué qu'il n'y avait pas de point après mort. Or, sans point, une phrase n'est pas terminée.

Tobias s'engouffra dans une rame de métro qui ne ressemblait à une boîte à sardine améliorée. Il prit place sur la banquette la plus éloignée possible des portes. Il détestait s'asseoir près des portes. Ancienne phobie métropolitaine. De la poche de son jean, Tobias sortit le véritable rapport d'avenir de Marc Vicodine. La première phrase n'était plus "Vous serez mort", mais "Vous serez mortifié, car incarcéré pour meurtre et délit de fuite." Sitten ne s'était pas trompé.

Il déplia son propre rapport d'avenir. "Vous sauverez une vie lorsque vous retournerez sur vos pas." On aurait presque dit un horoscope.  Tobias avait une petite idée de l'interprétation qu'il devait tirer de cette phrase, mais même à lui, elle lui semblait tirée par les cheveux. Tirée par les cheveux d'un chauve. Il était possible, que ce soit sa propre vie qu'il ait sauvé.

Tobias froissa les rapports d'avenir en une grosse boulette et la jeta dans la poubelle la plus proche. La rame s'arrêta à une station. Avant que le métro ne redémarre, il eut tout le loisir de lire une énorme publicité d'un rouge criard. En blanc, il était écrit Il était une fois... Et après ? Sitten. Un SDF somnolait sous l'affiche. Tobias se dit qu'il personnifiait parfaitement l'état mental de ceux qui faisaient appel à Sitten. On ne veut connaître son avenir que lorsque son présent devient insupportable.

 

 

 

 

FIN

 

 

*********************** 

 

 

 Pour ceux que ça intéresse, les chansons citées sont de My Chemical Romance, Green Day et The Bloodhand Gang.

 

Voilou, n'hésitez pas à me faire savoir ce que vous en pensez ! (même si vous pensez que ça vaut pas un clou). 

 
 
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