Note : bonjour. Un thème un peu plus vague cette fois-ci, mais qui permet finalement plus de liberté. Cela dit je ne suis pas tout à fait sûre d’avoir vraiment répondu…Bonne lecture.
Thème : rose
Mots :
Ridicule
Ravagé
Fleur
Chocolat
Envolé(e)
Banane
Aéroport
La vie en rose
Annabelle aime les couleurs. Absolument toutes les couleurs – même si elle a quand même une préférence pour le noir, qui n’en est pas vraiment une, mais reste quand même à ses yeux la somme de toutes les couleurs.
En ce moment, elle est dans sa période rose. Elle boit des milk-shake fraise-banane, s’est acheté de nouveaux rideaux et du linge de lit couleur framboise écrasée pour sa chambre, des collants rose fluo, et a décoré le vase de son salon avec des fuchsia, ces fleurs qui ressemblent un peu à des orchidées et qui poussaient dans le jardin de sa grand-mère. Elle s’est même teint les cheveux en rose magenta. Le mois dernier, c’était sa période bleue, alors elle avait les cheveux bleu roi. Elle est comme ça Annabelle, elle aime repeindre sa vie aux couleurs de l’arc-en-ciel.
Aujourd’hui, elle est assise au comptoir d’une cafétéria à l’aéroport de Roissy. Elle voulait commander un smoothie à la groseille, mais il n’y en avait pas, alors elle a pris un chocolat. Ca fait un peu plus d’une heure qu’elle est là, et elle a eu le temps de voir passer des centaines de personnes – des familles en partance pour des destinations exotiques, des amoureux qui attendent l’arrivée de leur moitié au terminal B, des hommes d’affaires pressés qui avalent un café en vitesse, se brûlant presque de peur de manquer leur avion. Elle aime bien regarder la foule, Annabelle. Toute cette agitation, ça lui fait un peu penser à une fourmilière en pleine activité – et c’est toujours plein de couleurs.
Elle aime bien regarder la foule, Annabelle, mais elle n’aime pas l’écouter. D’ailleurs, parfois, elle aimerait bien ne plus l’entendre. Elle regrette un peu de ne pas avoir pensé à amener de la musique avec elle, parce qu’elle n’arrive pas à se concentrer sur son livre – car même elle parfois finit par se lasser d’observer. Elle n’aime pas entendre la foule, Annabelle, parce qu’elle bruit de rumeurs, de secrets chuchotés et d’appels joyeux qui ne lui sont pas destinés. Elle n’aime pas écouter les ricanements de ces deux jeunes femmes qui l’observent à la dérobée et qui pouffent de rire en disant qu’elle est ridicule avec ses cheveux roses.
Alors, elle descend de son tabouret et paye sa consommation, puis elle s’en va sans un regard pour les deux femmes qui continuent de la scruter avec une expression malveillante. Elle a l’habitude. Elle n’aime pas ça, mais ça ne la surprend pas – la plupart des gens détestent ce qu’ils ne connaissent pas et ce qu’ils ne peuvent pas comprendre. Elle ne leur en veut pas vraiment, c’est juste que ça la rend un peu triste. C’est surtout qu’aujourd’hui, ce n’était vraiment pas le bon moment.
Aujourd’hui, elle a le visage ravagé par le chagrin, Annabelle. Aujourd’hui, elle a beau essayer de toutes ses forces de repeindre le monde aux couleurs de l’arc-en-ciel pour le rendre moins gris et moins triste, ça ne marche pas. Elle a beau avoir mis ses collants roses, elle n’arrive plus à voir les couleurs. Parce que sa grand-mère s’est envolée très loin, si loin qu’elle ne peut pas la suivre, même si elle se rendait au bout du monde. D’ailleurs, elle se rend au bout du monde, Annabelle. Mais c’est juste pour répandre les cendres qu’elle conserve précieusement depuis ce matin dans une urne en céramique, et qu’on lui a donnée à la sortie du crématorium. Elle se dit qu’au moins, là où elle compte les emmener, sa grand-mère sera toujours entourée des couleurs qu’elle aimait tant.
Demain, Annabelle se teindra les cheveux en noir.