Claimer : tout à moi (sauf le nom du personnage). Rating : T pour le langage. Note : bonjour. Voici le premier défi lancé par Camille, également auteur sur Manyfics. Je n’avais absolument aucune idée sur la façon dont j’allais y répondre, jusqu’à ce que je me dise qu’un nom pareil irait bien à un contrôleur des impôts (je sais, j’ai des idées bizarres, le monsieur en question étant en réalité professeur de mathématiques). La vie de cet homme s’est alors naturellement déroulée dans mon esprit, et voici ma réponse…j’espère qu’elle vous plaira (même si comme d’habitude c’est pas vraiment relu ni corrigé, et qu’en plus j’ai casé plein de mots dans le dernier paragraphe). Bonne lecture. Thème : repas de famille Mots : Babar Monsieur Delebassée Vodka-tagada Tarte à la crème Boules de neige Un baiser Cogner Repas de famille Monsieur Delebassée est contrôleur des impôts. Il a choisi ce métier parce qu’il a toujours trouvé une certaine poésie dans les chiffres, une immuabilité rassurante, alliée à une indiscutable beauté symétrique. Il n’était pas assez doué pour faire de la recherche, et les enfants des autres l’ennuient trop pour qu’il veuille enseigner, alors il a fait de la comptabilité. Mais s’il a accédé à la fonction publique, c’est par un concours qui tient plus des circonstances que de l’administratif – il n’aime pas trop penser qu’il peut ruiner la vie de certaines personnes, alors il préfère se concentrer sur les chiffres qui dansent devant ses yeux, en oubliant les existences qui se cachent derrière. Aujourd’hui c’est Noël et comme tous les ans, il est chez ses parents à la campagne. Comme il est célibataire, il a passé le réveillon avec eux, puis il a dormi dans la petite chambre à l’étage qu’il occupait lorsqu’il était enfant. Ce matin, sa sœur est arrivée avec son mari et leurs trois enfants – la petite dernière a trois ans, alors il espère que la peluche Babar qu’il lui a achetée lui plaira ; il sait bien que la mode est aux Teletubbies et que la gamine ne jure que par eux, mais il a toujours détesté ces créatures décérébrées aux couleurs criardes. C’est bientôt l’heure de déjeuner, et pendant que sa mère et sa sœur sont à la cuisine – probablement en train de parler des enfants tout en surveillant le rôti – il fixe d’un air absent le feu qui ronfle dans la cheminée, sans écouter son père et son beau-frère qui discutent à côté de lui. C’est inutile, de toute façon : ils sont sans doute partis dans une diatribe sur la politique, ou dans un concours de blagues toutes plus idiotes les unes que les autres – tout dépend du nombre de flûtes de champagne qu’ils ont sifflées en attendant que le déjeuner soit prêt. Quoiqu’il en soit, il n’a jamais été friand de l’humour-tarte à la crème de son beau-frère et aujourd’hui, il n’a même pas le courage de faire semblant de sourire. Alors il préfère perdre son regard dans les flammes qui dansent dans l’âtre noirci de fumée. Il préfèrerait mille fois rejoindre les femmes, là-bas, et s’envelopper dans les parfums rassurants des marrons qui cuisent et des clémentines qu’on épluche – mais il se ferait à coup sûr mettre dehors par sa mère, pour qui la cuisine est un endroit interdit aux hommes. Le rire gras de son beau-frère résonne brièvement à ses oreilles ; il sait à présent qu’il en est au moins à sa troisième flûte, s’il a laissé tomber l’éternel refrain sur les immigrés et qu’il est passé aux blagues sur les blondes – le terme « beauf » a sûrement été inventé rien que pour cet homme, songe-t-il, et il espère que sa mère ne va plus tarder à les appeler à table. Il n’a pas à attendre longtemps : déjà, ses neveux font irruption dans la salle à manger en se bousculant, les joues rosies par l’air vif du dehors et la bataille de boules de neige qu’ils viennent de disputer dans le jardin, et avec une synchronisation parfaite, les femmes passent au même moment la porte de la cuisine, les mains pleines de victuailles qui allument des lueurs gourmandes dans les yeux des enfants et font grogner son estomac. Il se dit qu’avec un peu de chance, les babillements des petits occulteront un peu les discours pontifiants de leur père. Son répit est de courte durée, mais la nouvelle offensive vient cette fois-ci de sa mère ; à peine a-t-il eu le temps de s’asseoir et de poser sa serviette sur ses genoux, à peine son père a-t-il eu le temps de réciter le bénédicité, qu’elle tourne ses doux yeux bruns vers lui, et avec ce sourire douloureux qu’il a appris à détester au fil des années qui passent, elle lui demande : « Et toi, mon chéri ? Quand est-ce que tu nous présentes une gentille demoiselle et que tu nous fais des petits-enfants ? A trente-cinq ans, il serait plus que temps, tu ne crois pas ? » C’est tous les ans pareil. Sa mère ne mentionne jamais le sujet la veille, lors du réveillon ; elle attend toujours le lendemain, lorsque la famille est réunie au complet. Et tous les ans, il espère que pour une fois, il pourra y échapper. Comme chaque année, il constate qu’il s’est trompé, et que chaque fois est pire que la précédente – aujourd’hui, même son père s’y met et y va de son couplet sur le nom qui sera perdu s’il ne se marie pas et n’assure pas la descendance. Comme si ça ne suffisait pas, son beau-frère en rajoute une couche – c’est sûr que lui, avec ses trois chiards, il peut se vanter du fait que sa connerie a bien été transmise. Comme d’habitude, il ne répond pas, et préfère se concentrer sur son assiette, ou sur sa nièce à sa droite, qui traîne sa peluche déjà tachée de jus de viande – au moins est-il sûr que le jouet a plu à la petite. Il ne répond pas et ignore obstinément les questions pressantes de sa mère. Et il sent son cœur cogner furieusement dans sa poitrine et ses joues s’échauffer désagréablement au souvenir de ce baiser qu’il a échangé il y a une semaine dans ce club avec un garçon de dix ans son cadet, un baiser qui avait le goût de vodka-tagada et qui lui semble subitement avoir bien plus de saveur que la dinde qu’il déchiquette consciencieusement dans son assiette. |