Vingt ans. Vingt ans depuis ce fameux jour. Je m’appelle John Stein et aujourd’hui, je suis marié et j’ai deux enfants déjà à l’âge adulte. Cela doit bien faire trente ans que je connais Stacey, on s’est rencontré lors d’un bal de l’armée en 76. Elle était infirmière de guerre depuis deux ans déjà, alors que je venais juste de rentrer au service de l’armée comme le devaient être tous les garçons ayant atteint l’âge de conscription. Bon, il est vrai, vu mes compétences médiocres de l’époque, que je me faisais souvent grondé par le lieutenant colonel, Mark Nother, mais j’ai tissé des liens d’amitié avec tous les gars de la compagnie. Le petit Jim Carter, ce grand gourmand de Tony qui piquait même dans les rations des autres, ce flemmard de Chuck qui trouvait toujours le moyen de ne pas faire les exercices matinaux, mais qui se tapait toutes les toilettes à récurer. Et tant d’autres soldats dont je ne citerai pas le nom, je ne veux pas vous ennuyer avec tout ça. C’était le bon vieux temps.
On ne s’attendait pas à ce qui allait suivre. En 86, dix années après mon service, j’avais environ vingt-deux ans, le gouvernement nous amena, notre compagnie et plusieurs autres, à un centre de recherches neurologiques qui se trouvait – maintenant, il n’existe plus – à Washington D. C.
Je me rappelle de ce petit représentant au costume gris en tweed qui nous a proposé, là-bas, d’écourter notre temps de service militaire en échange de quelques expériences pour l’armée. Comme j’ai trouvé que dix ans me suffisaient amplement, j’ai accepté. Mes camarades en ont fait de même. Je me rappelle ces caméras présentes un peu partout, de ces machines étranges que nous avons vues là. L’une d’elle, une espèce de cube où un trou, assez grand pour y glisser le visage, contenait un tuyau étrange qui était connecté à une machine. Les scientifiques ont demandé à Tony de plaquer son visage juste à l’espace nécessaire. Ils lui ont attaché la tête, et l’un a enclenché la machine. Ce bruit de sifflement que j’avais entendu me fit peur, ces cris qu’il gémissait, j’avais presque imaginé une bouilloire expulser une fumée si brûlante, qu’elle ferait fondre le visage de Tony. Mais… Non, il n’avait rien eu. Un peu sonné, il ne dit rien. Après l’expérience, je lui tentai de parler, mais il semblait ne pas comprendre ce que je lui disais.
Je n’ai pas connu le destin des autres par contre. On m’emmena dans une pièce sombre, où, on m’injecta par intraveineuse quelque chose dont j’ignorais le nom. Cette pièce. Sans fenêtre, sans lumière, juste quatre murs et une chaise où je devais m’asseoir. Pendant plusieurs heures, ils me laissaient là.
La première fois, je ressentais une énergie folle, je voulais sauter, courir, bouger le moindre muscle. Mais l’endroit où je me trouvais ne me le permettait pas. Après, l’angoisse du noir prit le dessus. Je commençais à perdre mes repères.
On m’observait. Cet œil rouge qui me fixait. Fixait pendant des heures. L’équilibre qui ne semblait plus exister. Quels jours étions-nous? L’heure ? Faisait-il jour ? Je ne saurais le dire, j’avais perdu toute notion du temps, et même de l’espace pendant cette période. Tout ce dont je me rappelle, sont ces quatre murs, ce noir absolu, et cet œil rouge.
Je ne rêvais pas. Cet œil rouge s’était mis à cligner, comme un œil réel. J’essayais de ne pas le fixer. Mais avec ce noir environnant, je ne pouvais fixer autre chose que cette lueur rougeâtre qui se trouvait devant moi.Et en plus, cela se mit à rire. Je ne vous mens pas. Un rire rauque, affreux, et tellement grave que je me mis à trembler. Je voulais sortir de cet endroit étroit, mais je ne trouvais pas une issue dans cette obscurité obscène.
"Mort" disait cette voix intérieure. "Mort. Mort. Mort." Cet unique mot que j'entendais. Le débit qui s'accélérait. Oui, je ne me contrôlais plus! Je me rappelais frapper sur tous les murs, les griffer, se plaquer dessus dans l'espoir de sortir, mais personne ne venait à mon aide. "Mort"
Je sentais une main me prendre au cou, et après. Plus rien.
Ce que je vous ai raconté là, n'était que la première expérience parmi tant d'autres que l'on m'avait faite durant ces trois semaines. Je me rappelle vaguement du reste. Mon esprit n'était pas clair, et des bribes de mémoire me disent que durant tout ce temps je l'ai passé à faire des parcours du combattant, à répondre à des interrogatoires, et à d'autres choses, mais qui n'apparaissent pas clairement en moi.
Cela fait vingt ans maintenant depuis ce premier jour. Et j'ai longtemps gardé ces séquelles dans mon esprit. Cet œil rouge, j'avais l'impression de le revoir à chaque fois que l'obscurité emplissait la pièce. Mais Stacey m'assurait que ce que je pensais être un œil n'était autre que le témoin lumineux de la télévision. Peut-être était-ce le cas. Mais une voix répétait « Mort. » encore, et encore...
Le responsable des expériences, un sergent-major du nom de je-ne-sais-quelle-marque, fut condamné à la cour de justice pour nous avoir injecté des sur-doses de drogues telles que la cocaïne. Il disait « vouloir voir comment se comportent des soldats lorsqu'ils sont sous l'influence de la drogue » Mais il ne savait pas les conséquences qu'on avait endurées par la suite.
Mon ami Jim, qui était aussi dans ma compagnie s'est suicidé hier soir. Il avait subit des expériences affreuses lui aussi. Mais il n'osait me le dire. Personne n'a osé en parler depuis ce jour. Et on a tous essayé de reprendre une vie normale. Mais je sais que c'est impossible. Je revois encore cet œil qui me fixe... en me disant « Mort. Mort. Mort. Mort. »